One drink or more ~ Spencer

En ce soir de novembre, je m’étonne encore du temps qu’il fait ici, à Island Bay. Malgré les années qui passent je n’arrive pas à m’habituer à ce changement de climat. Depuis tout petit, novembre était synonyme d’automne. De feuilles mortes qui tourbillonnent des arbres pour finir leur route sur le sol mouillé. De flaques de boue que les enfants adorent sauter à pieds joints dedans… New York me manque ! Plus encore ces temps-ci. Je n’ai plus qu’une envie : c’est de tout plaquer ici pour retourner à ses origines ! Quoique c’est du grand n’importe quoi ! C’est du mensonge tout ça ! Pendant trente-cinq ans je me suis cru New Yorkais. J’ai cru bêtement que mes racines étaient de là-bas. Cependant j’avais toujours trouvé étrange de connaître personne de ma famille. Je n’avais des liens qu’avec ma mère. Je n’ai jamais connu mon père. Et récemment j’ai découvert que tout ce que je savais était faux. Totalement faux jusqu’à la véritable identité de ma mère. Enfin… Si Saphir… Euh non ! Si Lindsey était ma génitrice… Depuis la visite de cette femme qui se dit être ma demi-sœur, je doute de tout à présent. Je suis perdu. Je ne sais plus où j’en suis. Cette tombe que j’avais vu il y a plusieurs mois avec Eve confirme pourtant tout ce que Joy m’a révélé. Quoiqu’il en soit ce soir je veux tout oublier. Me vider la tête. Normalement j’étais venu dans ce bar pour former ma nouvelle recrue. Mais il s’avère qu’Alex se débrouille à merveille. Je le laisse bosser derrière les platines. Il met une bonne ambiance. J’en profite donc pour boire un verre au comptoir. Assis sur le tabouret, je regarde les différentes bouteilles d’alcool exposées derrière le barman. J’ai pris un whisky. Je ne bois qu’une gorgée à la fois. Je ne suis pas un habitué des alcools forts. Surtout que j’ai du mal à les supporter. Mais ce soir, rien à secouer ! Quitte à être malade en me vidant dans les toilettes, j’ai besoin d’une cuite. Et puis si Casey l’apprend que j’ai laissé tomber Alex pour son premier soir en tant que dj, elle me virera peut-être enfin. Mais bon en même temps si elle me vire, ce n’est pas avec mes cours à l’université que je vais gagner ma vie et pouvoir participer aux charges avec mes colocs. Bien au contraire… Alors que faire ? J’en ai tellement marre de me tracasser la tête pour tout et pour rien… Je sors de mes pensées lorsqu’une femme vient à mes côtés. Je hoche la tête et prends une goutte du breuvage ambré non sans grimacer légèrement. « Oui tu peux. C’est libre. Et si ça l’est pas et bien tant pis. Je suis seul de toute façon. » Oups ! J’oublie déjà Alex ! Pas grave. Il est bien trop occupé à s’éclater en mixant des morceaux de musique.

Je regarde la jeune femme s’asseoir à mes côtés. Elle doit être plus ou moins de mon âge. En fait, je n’en sais rien. Je n’ai jamais été très doué pour deviner l’âge des gens. Quoiqu’il en soit, elle semble bien bavarde cette demoiselle. Enfin demoiselle… Elle est peut-être mariée. Mais à première vue, je n’ai pas vu d’anneau qui puisse symboliser une alliance à son doigt. Ou peut-être qu’elle l’est… Mariée je veux dire, et qu’elle ne porte pas le signe de son engagement. Bref ! Quoiqu’il en soit ce ne sont pas mes oignons. Je ne suis venu dans ce bar pour me tracasser la tête avec Pierre, Paul ou Jacques. Je veux juste me vider les esprits. Et draguer la première inconnue qui passe n’est pas mon style. Faut bien avouer en même temps que je suis nul pour aborder une nana. Je l’ai bien vu avec Murphy. Quel stupide idiot je peux être quand je m’y mets ! « Je ne sais pas si tu perds grand-chose… » En parlant de connaissances sous doute oubliées. Après qui suis-je pour me permettre un tel jugement ? « Tu n’es pas la seule. Et je dois t’avouer que boire seul c’est certes calme mais déprimant. » Bon en même temps j’ai la paix. On ne peut pas tout avoir dans la vie… Il me reste à peine deux gorgées dans mon verre. Je le finis cul sec. Et en recommande un pour moi et un pour ma voisine par la même occasion. « C’est ma tournée. »Dis-je à mon interlocutrice. Cela sans forcément la regarder. J’étais toujours impressionné de toute la variété de boissons que l’on propose dans ce bar. Je me retourne vers elle seulement quand elle me pose une question car elle pense que l’on se connaît. « Hum… En fait depuis trop longtemps… Ou peut-être pas assez. Je n’en sais rien. » Le barman nous servit. Je le remerciais et entama mon second verre. Tout en scrutant mon whisky, ma langue commence déjà à se délier. « Quatorze ans déjà. Oui… » Je calculais et recalculais dans ma tête. Moi qui croyais que ça faisait à peine la moitié du temps que j’avais changé de vie. Et bah en fait non ! « J’ai quitté New York quand j’ai perdu ma mère pour venir m’installer ici. C’était le rêve de maman de venir ici… » J’hausse les épaules en disant cela. Etait-ce réellement un rêve ou voulait-elle juste revenir ? Je n’en sais rien. « Je fais comme lui là-bas. » En pointant Alex du doigt. « On s’est peut-être déjà croisé dans une soirée. » Je la regarde. Non. Elle ne me dit rien. Bon après je ne suis pas physionomiste pour deux sous. Alors bon… « Si t’es partie depuis si longtemps, pourquoi tu es revenue ? T’as le mal du pays ? »

Elle m’avait remercié pour le verre. En guise de réponse je lui souris simplement. Brièvement. En fait, je n’étais pas d’humeur pour garder ce petit rictus sur les lèvres. Non. Vraiment pas envie de rire ou sourire. Le cœur n’y était pas.  Et en plus de cela je me suis pris un bon coup de vieux dans les dents en comptant le temps déjà passé sur ce continent. Quatorze ans… Quatorze années ici et j’ai fait quoi de ma vie ? Rien ! Je demeurais désespérément au même stade depuis tout le début. Ma voisine pense m’avoir croisé lors d’une soirée. J’avoue que cela est fort possible. Au début de ma carrière de dj, lorsque Casey m’avait donné ma chance pour travailler avec elle, j’avais réussi à la convaincre de bosser avec les associations d’étudiants. J’ai organisé et fait pas mal de ces soirées là à l’époque. Il fallait dire aussi que j’avais plus ou moins le même âge que les étudiants donc le feeling passait plutôt bien. Il m’était arrivé plusieurs fois que des étudiantes viennent me draguer en fin de soirée. Certaines espéraient certainement que je finisse la nuit avec elles. Mais pour moi ce n’était pas possible. J’étais encore vierge et me préservais pour le grand amour… Qui n’est jamais venu ! Enfin… « Tu as réussi tes études malgré tout ? » Je m’interrogeais sur tout ces derniers temps. Est-ce qu’avoir fait toutes ces soirées avec ces étudiants qui adoraient s’éclater n’avait au final pas mis en péril leurs études ? Je doutais de tout. C’était atroce !

La Miss m’apprit ensuite qu’elle était revenue dans le coin à cause de son petit. « Qu’est-ce qu’il a comme maladie ? » J’aurai pu rajouter rien de grave j’espère mais cela aurait été stupide. Car faire autant de kilomètres depuis la France pour atterrir ici et retrouver le père de l’enfant, ce dernier devait réellement en avoir besoin. Pour compatir à la douleur de la jeune maman, je posais ma main sur la sienne. Ce n’était en rien pour la draguer. Juste pour la soutenir. Mais peut-être que je faisais mal. «  C’est son papa qui le garde ce soir ? » Je soupire. J’aurai aimé avoir un enfant. «  Il a quel âge et il s’appelle comment ? » J’espère que la maman a une photo de son enfant. Je suis curieux de nature. Mais aussi timide, donc je n’ose pas lui demander. «  Comment son père peut faire pour l’aider ? » Peut-être simplement pour être présent pour lui. Qu’est ce que je peux poser comme questions idiotes quand je m’y mets !?

La jeune femme assit à mes côtés me rassura. Donc ça va, je n’avais pas mis fichu les études de tous les jeunes qui étaient venus décompresser lors de mes soirées en l’air. Je levais les yeux vers son visage angélique. « Tu m’as l’air d’une battante. Donc ça m’étonne pas. » Je lui fis un bref sourire avant de continuer à siroter mon verre. « Tu me rassures au moins. » Je ne rajoute rien de plus à cela. « Tu faisais des études de quoi déjà ? » Je commence à me demander si je ne l’avais pas déjà vu à cette époque-là. Ça remonte à pas mal d’années, certes. C’était le bon temps où j’étais encore jeune. Parler de ce moment-là fit revenir des souvenirs en mémoire. Il y a bien eu quelques étudiantes qui m’avaient dragué et cherché à me mettre dans leur lit. Ma voisine était peut-être une d’entre elles. Ou peut-être pas ! Enfin soit c’est du passé...

Nous parlons ensuite de son petit garçon. Il est gravement malade du cancer du sang. Ce n’est pas bon signe ça. J’ignore en quoi le traitement consiste. Je sais juste que ce n’est pas bon du tout. Je croyais que c’était le papa qui gardait le petit ce soir mais sa mère m’annonce que non. C’est sa compagne. Donc j’apprends par ce biais qu’elle est en couple. Il n’y a aucun problème. Je ne cherche pas à la draguer de toute façon. « Il est malade depuis longtemps ? » Je vois bien qu’elle est triste. J’aimerai bien aider ma voisine de comptoir mais j’ignore comment faire. Elle me demande si j’ai des enfants. Mon visage se crispa. « Non. » C’est un rêve pour moi de fonder une famille. « Je… Je n’ai pas rencontré la bonne personne. » Enfin si. Mais elle ne m’aime pas.

Elle m’explique comment le père peut aider son fils à guérir. « Roman… Tiens j’ai un de mes colocs qui s’appelle Roman Hellington. » Je finis mon verre. De toute façon pour moi ce n’est pas lui. Je n’ai pas connaissance qu’il a d’enfant. Je commande un autre verre. « Hé ! Tu bois trop vite pour moi là ! » Comme si c’était un concours tsé ! Tsss…

Des études de journalisme… « Donc j’imagine que tu es journaliste aujourd’hui… » Je fis une petite moue en pensant à Talia. Elle est attachée de presse. Elle est alias mon ex petite amie. Enfin… Si je peux dire qu’on a réellement été sorti ensemble. Aujourd’hui encore je me demande si elle ne s’était pas juste intéressée à moi pour me… Quoique pas besoin de faire un dessin. J’ai vraiment été très naïf avec cette fille. Un bel abruti oui ! Comme si une femme pouvait m’aimer en si peu de temps ! Elle a juste voulu me mettre dans son lit et le lendemain c’était terminé. Elle m’a vraiment fait beaucoup de mal. Le pire étant qu’elle ne m’a même pas guéri de Casey !? J’ai cru qu’en allant vers une autre fille, j’oublierai ce que je ressens pour ma patronne. Et bien vous savez quoi ? Loupé !!! Pfff… « Ah moins que tu as décidé de suivre une autre voie professionnelle !? »

Ca m’attriste de savoir que le fils de ma voisine de comptoir est gravement malade. Surtout depuis si longtemps. Le pauvre doit être HS entre les soins, les traitements. J’imagine aussi les séjours à l’hôpital… « J’espère de tout cœur qu’il guérira. » J’étais sincère. Ça me touchait beaucoup. La vie peut se montrer tellement injuste quand elle s’y met ! « Ca ne doit pas être facile pour toi de surmonter tout ça… » Je ne pouvais pas me mettre à sa place. Je n’ai même pas d’enfant… La brunette pense cependant qu’un jour ça pourrait venir. « Je ne pense pas. » Ca c’est clair que si je ne m’enlève pas Miss Fraser de la tête, je ne pourrais jamais aller vers une autre femme. Et pourtant je savais que c’était peine perdue à l’avance. Elle est mariée et heureuse. Bientôt maman pour la troisième fois ! « Mais c’est gentil d’essayer de me remonter le moral. Tu n’as pas à le faire. Je ne suis pas à plaindre. »

Roman était donc papa !? Bon et bien ravi de le savoir… « On sera peut-être amené à nous revoir alors… » Je bois encore quelques gorgées. Je comprends pourquoi ma voisine veut se souler. « Au fait, je m’appelle Spencer. Et toi ? » Je me tourne vers elle et lui tends la main pour finaliser les présentations. Je manque par la même occasion de me rétaler par terre. Je me rattrape de justesse au comptoir et me rassieds convenablement. L’alcool commence déjà à faire son effet. Ça promet ! « Oups ! Pardon… »

L’ex étudiante m’apprend qu’elle est aussi romancière. « Ah c’est cool ça ! Ton livre parle de quoi ? » Je demande cela sans vraiment savoir si elle est sur l’écriture d’un bouquin en ce moment.

Ma voisine de comptoir me confie sa souffrance ainsi que son impuissance vis-à-vis de la maladie de son fils. N’ayant pas d’enfant, je ne peux me mettre à sa place. « Heureusement que ta copine est là. Que tu n’as pas à gérer tout cela toute seule. C’est très important d’être entouré de ses proches dans des moments pareils. » Enfin je l’imagine. N’ayant aucun proche, de réellement proche, je ne sais pas, enfin je ne sais plus, ce que cela fait d’être épaulé en cas de problème sérieux.

J’apprends avant le principal intéressé que mon coloc est papa. Je suis fort étonné qu’elle me confie cela. Et du coup je peux comprendre que la brunette ne veuille pas que j’ébruite la nouvelle. Elle doute aussi que l’on se recroise dans mon appartement. « Je sais tenir des secrets. Tu n’as pas à t’en faire pour cela. Je suis aussi muet qu’une tombe. » En même temps, je ne fais que vivre dans le même logement que Roman. A l’heure actuelle, nous ne sommes pas proches. Du moins pas encore… Car ce serait quand même plus sympa de faire ami amis avec l’ensemble des personnes avec lesquelles je vis. Ce serait plus pratique et plus cool aussi. Quoique là encore je ne fais que des suppositions. Je n’ai jamais eu beaucoup d’amis. Je suis trop introverti pour cela. Ou trop vieux. Ou trop… Je ne sais pas quoi. Peut-être que je me trouve des excuses pour rester tout seul dans mon coin. Mais si tel était le cas, alors pourquoi suis-je venu dans ce bar ce soir ? Je pouvais très bien me prendre une cuite enfermé tout seul dans ma chambre. « Ce n’est pas grave. On pourra peut-être se revoir ici ou dans un autre bar… » Je parle comme si je suis un alcoolique. Alors que ce n’est pas le cas. Du moins pas encore… Car si je continue dans ma lancée de noyer mes problèmes au fond d’un verre, je risque de le devenir.

Nous faisons enfin connaissance. « Enchantée Odessa. C’est un très joli prénom et original surtout. » Je manque de me casser royalement la gueule et la miss se mit à rire. En me faisant une bonne remarque soit dit en passant. « Oh ça je le sais Odie ! » Elle m’aide à me relever. « Merci. » Je tente de me rasseoir sur le tabouret mais ma tête tourne légèrement. Je montre à mon interlocutrice une table un peu plus loin où on peut s’installer pour être tranquillou. Et surtout sur des chaises avec un dossier et des accoudoirs afin de mieux tenir assis que ces fichus tabourets trop hauts à la con du bar. Je prends mon verre et marche pas vraiment bien droit vers la table en question. « Il n’y a pas ! Il faut vraiment que je m’exerce à boire plus. Parce que là, je sais pôs toi, mais là de mon point de vue, il y a tout qui bouge et ça m’donne le mal de mer. » Je m’accoude en tenant ma tête. Je fixe mon verre qui semble se dédoubler par moment. Mais c’est pas marrant quand le double disparait et que mon verre se retrouve tout seul. Enfin non il n’est pas tout seul car il y a aussi celui d’Odessa.

« On se connait à peine et tu veux d’jà m’inviter chez toi ? Qui te dit que je ne vais pas en profiter pour te violer ou je ne sais quoi ? » Je commence à être ivre, je dois bien l’avouer. Cependant je reste encore lucide. Du moins pour le moment. Elle est gentille Odessa. Mais apparemment un peu naïve aussi. Ou alors c’est que j’inspire vraiment confiance. C’est vrai que je ne suis pas le genre de mec à violenter une femme. Même qui que ce soit d’ailleurs. « En revanche c’est gentil pour l’invitation. Tu pourras aussi venir à l’appart quand tu veux. Et quand Roman sera absent pour faciliter les choses. » Je relève seulement maintenant un fait. « Pourquoi pas pour boire ? Ta compagne est une ancienne alcoolique ? » Je ne vois que cette solution. Ou alors je me trompe royalement. Enfin il y a de quoi avoir des doutes quand même. Si Odessa vient dans un bar pour boire. Elle pourrait le faire chez elle. Mais non. Soit elle n’a pas d’alcool chez elle. Ou alors c’est pour rencontrer du monde. Je n’en sais rien. « Elle s’appelle comment ta copine ? » Oui je sais, je suis curieux. C’est une seconde nature chez moi.

Je commence à me sentir pas très bien. La preuve étant que je manque même de me prendre une gamelle sur ma compagnie de ce soir. Qui m’aide soit dit en passant à me relever. « Merci. » Arrivés à table, elle me conseille de me calmer. « Mouais…. Je… Je d’vrais peut-être suivre ton conseil. » Je m’aperçois que boire ne me fais pas oublier mes problèmes. Ça me rend juste malade. « Je devrais peut-être cesser de boire. Qu’est-ce que t’en pense ? » J’ai une soudaine envie de vomir. Je m’excuse auprès de la jeune femme et cours vers les toilettes. J’ai besoin de régurgiter tout cet alcool un bon coup. Ce que je fis d’ailleurs. Je reste un petit moment enfermé. Je me nettoie la bouche et passe en même temps un peu d’eau sur le visage. Je me déçois de me mettre dans des états pas possibles. Je reviens à table et s’excuse auprès de la brunette. « Désolé. »