scared to be lonely (kyle)

Kyle est le troisième d’une fratrie de quatre enfants. Il est né après une paire de jumeaux ; une fille et un garçon. Le rêve : il avait une grande sœur pour le chouchouter et un grand frère avec qui se battre, avec qui partager des moments de complicité entre « hommes ». La quatrième a rejoint les Millstone peu de temps après lui, ça a toujours été « son » bébé, sa petite protégée. Axel était son grand frère, lui, il était celui de sa petite sœur. Il s’est toujours entendu avec ses sœurs et son frère, ainsi qu’avec ses parents, ses oncles et tantes, ses cousins et cousines. La famille, pour lui, c’est ce qu’il y a plus important. ○ Kyle est gentil. C’est le seul mot capable de réellement le définir. Ça ne veut pas dire qu’il fait tout correctement, non, il est capable de blesser les autres, d’agir bêtement et impulsivement, de coller des droites à des inconnus dans un bar quand il a trop forcé sur la bouteille. L’erreur est humaine, il le sait et le prouve de temps à autres. Mais le reste du temps, il fait tout son possible pour aider les personnes qui ont besoin de lui. Il ne se moque pas des autres, ne s’énerve pas à une vitesse hallucinante, n’est pas phobique des foules. Au contraire, même, il est plutôt sociable et a toujours su se débrouiller. C’est le parfait « monsieur tout le monde », mais il paraît qu’ils finissent tous par péter un câble. ○ Il aime les hommes. C’est quelque chose qu’il n’a jamais caché et qu’il pense avoir toujours su. Il avait dix ans la première fois qu’il a fait un « bisou » à un autre garçon. En vrai, il a juste effleuré ses lèvres avant de le bousculer pour partir en courant. Terriblement honteux, il a tout raconté à ses parents en espérant ne pas avoir une punition trop sévère. Il a eu le droit à de grands sourires et un réconfort qu’il arrive encore à ressentir aujourd’hui ; non, il n’est pas bizarre et oui, il a le droit d’avoir un amoureux, lui aussi. Comme beaucoup d’autres hommes sur Terre. Il n’était pas naïf au point d’ignorer que l’homosexualité existe, évidemment, mais il ne pensait pas avoir le droit de l’être, lui aussi. Bon, il a quand même attendu deux ans avant de ramener son premier petit copain à la maison. Il n’a jamais essayé avec les femmes et il pense que ça ne se fera jamais. ○ Quand il avait quatorze ans, son école a organisé un voyage à Paris. C’était excessivement cher et ça n’allait probablement lui servir à rien et, pourtant, il a insisté auprès de ses parents pour pouvoir y aller. Ça a duré une semaine et à son retour, il avait déjà commencé à lire des bouquins pour apprendre à parler la langue de Molière – la plus belle de toutes, selon lui. Il a commencé par quelques mots simples, comme « bonjour » ou « merci », et puis il s’est attaqué à la conjugaison. Il est tombé amoureux de la culture française, de la langue et des habitants. C’est tout naturellement qu’il a voulu l’inculquer aux autres Néo-Zélandais parce que non, il n’a jamais eu pour but d’aller y vivre. Alors il est devenu professeur de français et c’est actuellement sa plus grande fierté. ○ Kyle est un grand romantique. Il a toujours cru en l’amour, le vrai, avec un grand A. Sauf qu’au début, il ne faisait pas vraiment attention à comme rencontrer « le bon ». Il enchaînait les copains et quand ses histoires se terminaient, il passait dans un bar et finissait dans le lit d’un inconnu. Il n’est jamais resté suffisamment longtemps avec un homme pour éprouver de réels sentiments, sa vie sentimentale était un véritable fiasco et c’est bien le comble pour un amoureux de l’amour, non ? ○ Et puis il a rencontré Sam. Il avait vingt-quatre ans à cette époque et venait d’obtenir son premier contrat en tant que professeur de français dans l’un des lycées de Wellington. Pour fêter son début de carrière, il est allé faire la fête dans un bar, la veille de la rentrée. Il n’est évidemment pas rentré seul, non, il était accompagné d’un homme qu’il a laissé sur le pas de sa porte au petit matin. Il a revu ce parfait inconnu quelques heures plus tard ; un retardataire de son cours. C’est comme ça qu’il s’est embourbé dans une relation qu’il jugeait « sans avenir », un professeur avec son élève. Il l’a repoussé durant des mois, jusqu’au jour où il a craqué. D’abord, il n’a pas assumé son envie pour lui et finalement, il a accepté qu’ils se voient en cachette. Ça a duré jusqu’à la fin de l’été et il a été forcer de le quitter à la rentrée de l’année suivante : le père de Sam le menaçait de tout raconter au directeur. Il ne voulait pas risquer de se faire renvoyer, ni risquer que l’homme qu’il aime se fasse humilier pour avoir couché avec son professeur. Alors il est parti. ○ Il a déménagé à Auckland et a essayé de se reconstruire une vie, loin de Sam, loin de ses erreurs. Sauf qu’il se levait chaque matin et se couchait chaque soir avec la même certitude : sa seule erreur a été de le quitter. Il n’a jamais réussi à s’en remettre, ça a duré six ans. Six longues années durant lesquelles il a  tenté d’oublier désespérément son ex dans les bras d’autres hommes. Ça marchait durant quelques minutes, quand les caresses étaient suffisamment affectueuses, quand il était trop alcoolisé pour repenser à comment il embrassait Sam. Et puis le plaisir laissait place à de la douleur, toujours plus vive, toujours plus destructrice. Sa vie est basée sur ses regrets, gâchée par cette boule au ventre qu’il a depuis tant d’années. ○ C’est un coup de fil il y a quelques mois qui a poussé Kyle à revenir en ville : son grand frère et sa nièce sont décédés. Il n’a pas su quoi répondre, il s’est contenté de raccrocher pour pousser un hurlement ; un mélange de douleur et de tristesse, peut-être. Il ne savait pas non plus quoi dire, le jour de l’enterrement. Il est resté muet tout le long, les bras le long du corps, les larmes aux yeux. Il ne sait pas ce qui lui fait le plus de mal dans toute cette histoire : le fait que son grand frère et qu’une gamine de huit ans soient décédés ou que la troisième personne présente dans cette voiture soit toujours vivante ? Il sait qu’elle en est – presque – au même point que lui, elle aussi a perdu deux membres de sa famille. Et pourtant, même en sachant pertinemment que ce n’est pas de sa faute, il n’arrive pas à ne pas lui en vouloir. ○ Il a repris sa place dans le lycée de Wellington. Le directeur a été ravi de le recompter parmi ses professeurs, il n’a jamais su pour sa relation avec Sam. Il pense que Sam vit actuellement à Paris, celui-ci lui avait avoué à une époque que c’était son plus grand rêve et qu’il déménagerait une fois ses études terminées. Le calcul est rapidement fait : six ans plus tard, le gamin qu’il aimait a maintenant vingt-trois ans et doit s’amuser avec un bon nombre de français. Sauf que ce n’est pas le cas et ça, il l’apprendra tôt ou tard. ○ Il vit aujourd’hui dans son propre appartement et a adopté un chat tigré, qu’il a appelé « bidule », parce qu’il est pas très doué pour choisir des noms. C’est le seul être vivant qu’il apprécie en ce moment, le seul qui lui témoigne de l’amour et le seul qu’il a envie de garder avec lui. Ça lui fait une compagnie non négligeable lorsqu’il rejoint ses draps froids, qui paraissent d’autant plus glacés face aux journées qu’il vit actuellement : il est obligé de donner cours à un gamin assis à la place qu’occupait Sam il y a six ans. Tout a changé en quelques années, voilà ce qu’il s’est dit en adoptant ce chat : lui, il sera toujours là. Parce que ces bêtes sont souvent plus fidèles qu’un humain, plus attentionnées, plus présentes.