La Ruche ~ Spencer

Ça fait du bien d’avoir une amie dans cette ville avec qui passer du temps. Ayant tous les deux l’amour de la musique en commun, on se voit régulièrement pour jouer quelques morceaux. Je l’aide à se perfectionner à la guitare. Elle m’aide à être plus adroit avec le piano. C’est d’ailleurs étrange car on ne se connait depuis pas très longtemps et pourtant Elsa sait des choses sur moi que même ma petite amie ignore. Et probablement vise versa. C’est rare de posséder une telle accroche avec une personne du sexe opposé sans qu’il n’y a de confusion.

Ce soir, j’ai rendez-vous avec Elsa à la Ruche. C’est un bar où l’on peut jouer de la musique. Avec la Miss, j’y suis déjà allé une fois. Durant l’après-midi de la Saint Sylvestre. Nous avions tous les deux cruellement besoin de nous détendre à ce moment-là. La Miss pour cause d’une dispute avec sa compagne. Et moi à cause du stress que je ressentais pour le réveillon. En effet, étant en couple depuis peu, ma petite amie avait émis le souhait que notre relation passe à la vitesse supérieure. Et n’ayant que très peu d’expérience, la seule s’étant conclue par un échec monumental, mon amie et confidente avait eu l’idée qu’on vienne ici. Je connaissais déjà cet endroit pour y être déjà venu en tant que spectateur des artistes amateurs passant sur la scène. On découvre ici des genres musicaux différents. Certains méritent d’être connus. D’autres non.

Comme à mon habitude, j’arrive en avance. Je prends mon temps en fumant ma petite clope avant d’entrer dans les lieux. Ayant pris ma guitare, je vais m’installer dans un coin de la salle. Bien à l’ombre des regards. Vu comment je m’étais rendu malade la dernière fois que j’ai bu – Odessa pourrait en témoigner sans aucun problème à ce sujet – je ne prends qu’un verre d’eau pour hydrater ma gorge. J’observe les gens dans le public au cas où j’aurai loupé Zaza. Mais en vain. Je jette un coup d’œil sur ma montre. Elle n’était pas encore très en retard. Ayant une petite envie pressante, je laisse la sacoche avec ma guitare sur la table, à côté de mon verre presque vide. Je m’absente juste le temps de soulager ma petite vessie et lorsque je sors des toilettes, je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. C’était un message d’Elsa. Elle est arrivée. Je m’approche vers le bar et coup de bol, elle est là à attendre son jus de fruits. Ma main simplement sur son épaule eut l’effet de lui faire peur. « Oups ! Désolé ! » Je lui fais la bise. « Ca va et toi ? » Je rougis légèrement en répondant à sa question. Etant donné les dernières conversations qu’on avait eu ensemble vis-à-vis de Magdalena, je suis mal à l’aise. Je crois que je me suis trop confié à Elsa sur ma quasi non existence vie sexuelle. « Non merci. J’ai déjà mon verre à table là-bas. » Je lui montre où j’étais installé. « Tu viens ? On sera plus tranquille assis. Et puis ma guitare me manque déjà. » Je lui souris. On retourne à table où je reprends ma sacoche et la dépose debout appuyée sur le côté de la table, à côté de ma chaise. « Je veux m’excuser pour la conversation de l’autre fois. J’espère que ça va mieux avec Odie. » On attends notre tour pour passer sur scène.

J’avais dit à Elsa que cela allait. On pouvait dire cela comme ça étant donné que Magdalena est toujours ma petite amie malgré ce qu’il s’est passé le soir du 31. Ou plutôt, ce qu’il ne s’est pas passé cette nuit-là. Je dois m’estimer heureux qu’elle reste avec moi. Pourtant mon moral était tombé à zéro. J’ignore ce qu’il m’arrive et ça me gave. Moi qui pensais pouvoir mettre à la poubelle mon traitement pour la dépression, je me suis aperçu que j’en ai encore cruellement besoin. Voir plus qu’avant de sortir avec ma copine. Ce qui n’est pas normal selon moi. Je suis peut-être trop possessif envers elle. Je suis rapidement tombé très amoureux de la soigneuse et j’ai beaucoup de mal à supporter qu’elle fasse passer son boulot, sa famille et ses animaux avant moi. J’ai l’impression que je passe toujours après tout le monde. Quelquefois je me demande si elle m’aime réellement. Ça me fait mal. Mais bon, j’ai une petite amie maintenant. Donc je n’ai pas à me plaindre. Je ne suis plus seul dorénavant. Même si j’ai encore cette impression-là quand je ne la vois pas.

Elsa m’apprend qu’elle ne va pas très bien. Dans ce cas-là on est deux. Je n’ai pas envie de l’embêter maintenant avec mes problèmes. Alors je préfère qu’on se concentre d’abord sur les siens. On va s’installer à table. Où Elsa semble étonnée de ma grande confiance à laisser trainer mes affaires là. «  Oh tu sais j’étais juste parti vider ma vessie si tu veux tout savoir. » Je lui montre par la même occasion qu’on est juste à côté de la porte des toilettes. «  J’ai reçu ton message juste en sortant alors je suis venu à voir directement. » Je pose ma main sur l’épaule de mon voisin de table. «  J’avais demandé à Bob de surveiller pendant mon absence. Merci Bob ! » «  C’est Dylan ! » «  Ah oui excuse-moi ! Je confonds toujours entre les deux prénoms. » Il lève les yeux en l’air. Personnellement, je n’y prête pas plus attention que ça. Préférant me concentrer sur mon amie. «  Si quelqu’un met quelque chose dans mon verre, je le verrai directement. Ce n’est que de l’eau dedans. » De toute manière, si je suis incapable de faire quoique ce soit avec ma chérie, je ne me vois pas en faire d’avantage avec une inconnue. Enfin bref ! Elsa ne le sait pas. Elle ne peut pas le deviner non plus si je ne le lui confesse pas.

Elle commence à me parler de ses problèmes. «  Qu’est ce que tu entends par déconner ? Tu l’as trompée ? » Ca m’étonnerait car la pédiatre n’a pas l’air du genre volage. Après je me gourre peut-être. «  Vous vous êtes battues ? » Je ne comprends pas ce qu’elle veut dire par faire mal. A-t-elle délaissé sa compagne tout comme Magda le fait avec moi ? Elsa cherche à changer de sujet pour reparler de l’autre soir. Elle est visiblement curieuse de savoir comment s’est passé le réveillon. «  Ca aurait pu être mieux. Mais on en reparlera plus tard. Dis-moi ce qui ne va pas. J’ai envie de t’aider Miss. »

Pourquoi est-ce qu’Elsa insinue que je suis ivre ? Je l’interroge du regard. Je ne comprends vraiment, mais vraiment pas ces accusations ! Elles sont émises sans fondement en plus. « Pourquoi tu dis cela ? Je… Je t’ai dit que ce n’est que de l’eau. Si tu ne me crois pas, goûte mon verre et tu verras. » D’un geste de la main, j’avance ma boisson vers mon acolyte de la soirée. J’avais pris mon traitement pour ma dépression avant de sortir. Je suis sans doute sous les effets de l’anti-dépresseur et que je ne m’en rends pas compte. « Cependant prendre un truc de fort après ne me fera pas de mal. » Mélanger les médocs et l’alcool est néfaste pour la santé. Je le sais. Mais là où j’en suis avec ma petite amie, le fait que je suis incapable de la faire monter au septième ciel, plus rien n’avait d’importance. Magdalena est une fille géniale. S’il m’arrive quoique ce soit, elle me trouvera un remplaçant sans de trop grandes difficultés. Bon okay à l’exception du jumeau machiavélique qui mettra une fois de plus des bâtons dans les roues dans le couple de sa soeur. Et encore ça pourrait s’arranger : tout problème a sa solution. Il faut juste la trouver.

Je me tâte dorénavant à me commander de l’alcool. Vis-à-vis d’Elsa, j’hésite beaucoup. Je sais qu’elle n’en boit pas. Odessa m’a expliqué qu’il n’y a pas d’alcool chez elles. Et je ne voudrais pas manquer de respect à mon amie en me soulant devant elle. Surtout que je ne supporte pas les tord-boyaux. Je vais encore me rendre malade. Je le sais. Alors inutile d’infliger ce spectacle navrant à Elsa. Surtout qu’elle a d’autres chats à fouetter.

La pédiatre me rassure un peu sur son couple avec Odessa. Pas de tromperie ni de bagarre. Ouf ! Quoiqu’apparemment il n’y a pas eu de face à face à ce moment-là. C’est légèrement plus inquiétant ça en revanche. Je vois mal mon amie s’emporter comme elle le dit. Mais je n’ai pas de raison non plus de croire qu’elle me ment. Non Elsa est une honnête fille. Elle ne ferait pas ça. Elle cherche à changer de conversation mais je n’en ai pas envie. Je refuse aussi de parler de mes problèmes d’impuissance tant que je n’ai pas ingurgité autre chose que de l’eau tout avoué en passant. C’est beaucoup trop gênant pour le faire comme ça. « Arrête tes bêtises ! Tu ne m’embêtes pas du tout. Et comment votre dispute a-t-elle commencé ? »

Je suis tellement à côté de la plaque que je ne me rends même pas compte qu’Elsa plaisantait vis-à-vis de mon verre. Magdalena et ce qu’il s’est passé – ou plutôt pas passé – le soir du réveillon préoccupent toutes mes pensées. « Ah d’accord !... Désolé… » Je reprends alors mon verre et finis l’eau qui s’y trouvait dedans. Je grimace en regardant le contenant. L’eau ça n’a aucun goût. Je me demande si je ne devrais pas commander quelque chose de plus fort. Je fais part de mes réflexions à mon amie qui me donne à son tour son point de vue sur le sujet. J’écoute très attentivement ce qu’elle me conseille. Elle souhaite aussi que j’attende. Par respect pour ma comparse, j’acquiers. « D’accord… Dans ce cas-là je me soulerais après ton départ. » Je lui fais un petit clin d’œil complice. Comme pour détendre l’atmosphère. Mais en réalité j’y pensais très sérieusement. « Une petite caisse… » Murmurais-je simplement pour clôturer. Merci Odessa ! En même temps la brunette n’a pas eu tort. Elle m’a vu malade à cause de l’alcool. Je ne peux pas le nier. Et mentir n’est pas mon style non plus. Boire seul c’est triste oui. Mais je ne sais pas ce qui l’est le plus entre ça ou ne pas réussir à faire l’amour à sa petite amie…

Je n’ai pas envie de parler de ça maintenant. Si je peux éviter le sujet ça m’arrangerait tout court. Mais bon après, peut-être que si j’en discute avec Elsa, cette dernière pourra m’aider. Elle est toubib après tout ! Bref on n’en est pas encore là. Pour le moment on se concentre sur sa dispute avec sa compagne. Elsa me donne un peu plus de détails. « Je ne comprends… Pourquoi est ce que ça ne plait pas à Odessa que tu t’entendes avec Roman ? C’est un chouette type pourtant ! » Elle me regarde bizarrement. « Ah oui j’ai oublié de te dire… Le papa de Roméo est un de mes colocs. » Avouais-je en grimaçant. J’ai peut-être fait une gaffe là non ? Je tente de me rattraper. « Tu es une super chouette fille aussi ! Je vous aime bien tous les deux. Et je comprends que ce n’est pas facile d’être à ta place dans des circonstances pareilles. » J’ai comme l’impression de m’enfoncer plus qu’autre chose là. « Enfin ce que je veux dire par là c’est que… » J’en perds le fil. « Bah je ne sais plus au fait… » Je me gratte la tête. « Pourquoi Odessa veut partir ? Parce que ça se passe bien entre toi et Roman c’est ça ? » Je tente de remettre les choses au clair mais j’avoue avoir du mal.

Je ne sais pas ce qu’il se passe en ce moment : toutes les filles m’envoient balader. J’ai comme l’impression d’être l’énorme boulet qui pèse deux tonnes que les prisonniers trainent au bout de leur chaîne. C’est décevant. C’est déprimant. Pour ma petite amie, je peux comprendre pourquoi elle m’en veut. Ce sont pour les mêmes raisons de son départ précipité le soir de la Saint Sylvestre. Je ne l’ai pas revu depuis. Suis-je toujours en couple avec ma belle ? J’aime à croire que la réponse soit oui. Mais est-ce réellement le cas ? Ça me stresse cette attente. Elle est interminable. J’ai déjà envoyé plusieurs textos à la soigneuse. Le climat reste glacial entre nous. J’ai comme l’impression de la harceler mais je ne peux pas m’empêcher de courir derrière elle. Je l’aime. J’ai tout foiré. Je le sais. Si elle décide de ne plus me voir, je comprendrais. Je l’aimerais toujours mais je n’irais pas contre sa volonté.

Avec Elsa, je deviens ce boulet que l’on veut se débarrasser. Et ça m’énerve car je ne sais même pas ce que j'ai fait de mal. On ne fait que discuter. De ses problèmes de couple à elle principalement. Mais ça c’est de ma faute. Je ne suis pas pressé de crier sur tous les toits que je suis l’amant le plus pitoyable de la terre. Je me tais lorsque mon amie me le demande. Elle m’explique clairement ce qui ne va pas. Maintenant je comprends pourquoi elle n’est pas en forme. «  Oh… Je… Je suis désolé… » Je glisse ma main sur la sienne pour lui prouver que je suis de tout cœur avec elle. Elle m’envoie au bar afin de nous prendre un second verre à chacun. Je lui commande la même chose qu’elle a pris à la base : un verre de jus de fruit. J’en prends un aussi pour moi. Je demande au barman de me rajouter une petite dose de rhum incognito. Je le bois coup sec au comptoir avant d’en réclamer un autre. C’était à mon tour de me confesser. Et j’avais vraiment besoin d’un petit remontant avant de m’humilier.

Je reviens à notre table. A peine installé, la pédiatre me quémande illico des détails. Je donne à Elsa son verre. On trinque. Je descends la moitié du mien avant de le poser sur la table. Je soupire. Je joue avec ma coupe. Je fuis le regard de ma collègue musicienne. « Tu… Tu veux plutôt dire qu’il ne s’est rien passé… » Marmonnais-je à peine. Après la boisson que j’ai déjà liquidée, je me mets à chiffonner dans tous les sens ma serviette en papier. «  Elle est venue chez moi. » Je commence à raconter mais c’est tellement difficile que j’ignore si je vais savoir aller jusqu’au bout. «  C’était la première fois qu’elle… Qu’elle venait à l’appart alors je lui ai fait visiter… » Je ferme les yeux et soupire encore. Je sens mes joues chauffer alors que je ne suis pas encore arrivé à ce stade de l’histoire. «  On a fini la visite dans ma chambre… Elle… » Je me mords les lèvres. Mon regard croise brièvement celui de la miss. «  Magdalena a voulu qu’on passe tout de suite à… » Je tente de faire je ne sais pas trop quoi comme gestes avec mes mains pour lui expliquer. Mais visiblement je suis nul aussi à ce niveau-là. «  Elle a voulu que je lui fasse l’amour tout de suite… Enfin tu vois… » Je ne suis pas à l’aise du tout. C’est horrible. Je gesticule sur ma chaise. Pire que si j’avais le ver solitaire qui me titillait. «  Très vite on s’est retrouvé nu dans mon lit… » Je me commande un autre verre. Et me cache derrière mes mains. « Elle avait beau me caresser…. J’avais beau me frotter à elle… » Je souffle un bon coup. «  Mais rien… » J’essuis mes yeux qui s’humidifient. « Enfin si… Elle… Elle s’est mise à rigoler… » Je fonds en larmes. Maudits antidépresseurs qui ne fonctionnent pas ! «  Je ne sais pas ce qui m’arrivent… Je ne sais même pas si elle voudra encore me voir… » Je me mouche. « J’avais vraiment envie d’elle… Je te le jure… Mais elle ne me croit pas… » Je renifle. «  Après ça on a commencé à préparer à manger et elle m’a planté là car elle ne se sentait pas bien… » Le serveur me sert. Je le remercie et bois mon verre avant de sortir subitement dehors. Une énorme envie de fumer m’a envahi. Devant le pub, je m’adosse au mur. Je sors une cigarette que j’allume. Je suis en train de la fumer quand Elsa me rejoint. « Désolé, j’ai eu besoin de prendre l’air. Tu en veux une ? » Je fais comme si de rien n’était. Espérant que mon amie ait déjà tout oublié ce que je viens de lui raconter.

C’est à mon tour de me confier. Je joue le jeu. Mais j’ai tellement honte de mon récit. Comment va réagir Elsa face à ça ? Elle l’avait prédit qui plus est. A croire que mon impuissance est notée en lettres capitales sur mon front ! La pédiatre ne semble d’ailleurs pas plus étonnée que cela. Elle ne dit rien. Le silence qui s’installe entre nous devient trop pesant. Je dois lui faire pitié. Et du coup elle ne trouve pas les mots pour me répondre. Cela doit être forcément ça. Oui. Je rompe alors ce calvaire. «  Excuse-moi. Laisse tomber. Ce… Ce n’est pas grave. Fais comme si je n’ai rien dit… S’il te plait… » Elsa ouvre enfin la bouche. Je n’ose même plus la regarder. Tout en essuyant la larme qui coule le long de ma joue, je l’écoute. D’après elle, la réaction de ma petite amie n’était pas une moquerie. Si ce n’était pas le cas, alors pourquoi a-t-elle ri ? Je ne comprends pas. Je sais pourtant que parfois on peut avoir des réactions ou réflexes stupides face à l’imprévu. Mais au point d’éclater de rire alors qu’on était sur le point de nous envoyer en l’air !? Si elle ne riait pas par rapport à l’action, peut-être qu’elle le faisait en voyant mes bijoux de famille. Je ne suis peut-être pas bien formé à ce niveau-là. Oui. Ça doit être ça. En plus de ne pas être capable de mettre popol au garde à vous, elle devait le trouver aussi minable en taille. Je ne vois que ça. Merci Elsa pour ton éclaircissement ! Je comprends mieux maintenant.

Attends là ! J’ai zappé un épisode… Pourquoi est-ce qu’elle parle de mes médocs ? «  Euh… Je… Je les prends toujours oui… Je… Je ne me vois pas les arrêter alors que toute ma vie ne rythme à rien. Qu’elle n’a été que mensonge ! » C’était trop. Je me lève et pars dehors. Je ne supporte toujours pas les nombreux mensonges de ma mère. Et dire que j’ai toujours cru qu’on était fusionnel. Je lui faisais aveuglement confiance. Alors qu’elle s’est toujours foutue de ma gueule. Dire que j’ignorais jusqu’à sa véritable identité… Je ne suis qu’un fils minable. Un amant pitoyable. Tout en fumant, je regarde vers la direction où le bus passe d’habitude. Si un est amené à arriver d’une seconde à l’autre, c’est décidé : je me jette sous ses roues ! Personne ne me regrettera. Je débarrasserais le plancher. Magdalena sera heureuse. Elle n’aura plus à trainer ce boulet que je suis. Elsa me rejoint et me propose de nous changer les idées. Elle veut qu’on reparle de ça plus tard. «  Il n’y a rien d’autre à dire… » Je conclus ainsi le sujet de l’année. Si grotesque il peut être. « T’as une idée ? » Je me mets face à mon amie. J’écrase mon mégot par terre, le ramasse et le jette à la poubelle. Je yeute un œil à l’intérieur du bar. «  Je n’ai plus envie de faire de la musique. » Avouais-je en reprenant mon instrument. Je remercie la pédiatre de l’avoir repris. «  On peut aller les déposer au local et se faire un bowling. Ça te dit ? » Je reprends aussitôt une autre clope. Je suis pris d’une quinte de toux. Mais je m’en tape royalement. Je l’allume quand même et tire dessus comme si de rien n’était.

Je n’ai jamais eu aussi honte de raconter quoique ce soit dans ma vie. Cependant à Elsa, je sais que je peux tout lui dire. Qu’elle ne me jugera pas. Elle est médecin. Bon certes pour les enfants. Elle est comme tenue au secret médical. Même si ici nous ne sommes pas dans le cadre de son métier, je sais que je peux lui faire pleinement confiance. Elle me donne une solution qui pourrait être la cause de mon impuissance. D’après elle ce serait mon traitement pour ma dépression. Je dois bien avouer quand ça ne va pas fort avec ma petite amie, j’ai tendance à prendre un cacheton supplémentaire par moment. Selon moi, ça compense les fois où j’oublie de les prendre. Sauf que je sais qu’il ne faut pas faire ça. Ce n’est pas bon. Il peut y avoir des conséquences graves.

Je roule des yeux puis hausse les épaules quand mon amie me dit que je me fais du sang d’encre pour rien. Elle ne me comprend pas. Evidemment, elle doit avoir une vie sexuelle bien active avec Odessa. Elle ne peut pas se mettre à la place d’un pauvre mec sans virilité et dont l’intimité se résume au néant total. Même si ça me stresse énormément dû à mon manque d’expérience, avec ma petite amie je pensais que j’aurai pu faire quelques galipettes. Mais même pas ! Rien ! Je sens gros comme une maison – pour ne pas dire une des immeubles d’une centaine d’étages comme on voit beaucoup à New York – que mon couple n’ira pas bien loin. Je sais à quel point Magdalena désire avoir un bébé. C’est une envie qui surpasse tout ce que l’on peut imaginer. Si je suis incapable de lui faire l’amour, et donc par la même occasion de concevoir cet enfant avec elle, elle me quittera pour un autre homme. Donc non, contrairement à ce que la pédiatre pense, je ne dramatise rien du tout. Je suis fou de ma soigneuse. Ma vie n’aura plus aucun sens sans elle à mes côtés.

Je n’en peux plus de parler de ça. Je sors précipitamment. Elsa me suit avec nos affaires. N’ayant plus le goût à rien, je lui propose de faire un bowling. Elle préfère aller se promener. Je secoue la tête. Je ne suis pas bien. « Désolé mais je préfère rentrer. » Une fois de plus, j’ai encore tout gâché.