Oh bah ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Je confirme, les fusillades c’est l’horreur. Des coups de feu dans tous les sens qui font douter qu’on s’en sorte. Je ne sais plus si j’ai eu moins peur que lors de mon enlèvement. En tout cas, là j’avais choisi d'y être et je n’étais pas seule, j’avais le policier avec moi. On pouvait s’épauler et c’est ce qu’on a fait. Un danger plus grand lors de la fusillade, je le crois. Pour l’agression, l’un des kidnappeurs voulaient me garder en vie, au moins un temps, j’ignore s’il voulait réellement me libérer. Le truc dont je suis sûre, c’est que le traumatisme de l’enlèvement est toujours là et qu’il est toujours l’un des moteurs de ma vie.

Ils me racontent leur quotidien. Croissant, céréales, café, chocolat, du matin, du soir, les petits pêchers mignons. Je souris en les regardant. Le bonheur c’est simple comme ça. Ah les barres de chocolats ! J’évite d’en acheter. C’est trop dangereux quand il y en a à la maison, gros risque boulimique. Nous déjeunons ensemble. Tous les trois. Et puis Leeth pourrait pousser la porte, venir vers nous et s’excuser du retard, dire qu’un client n’en finissait plus, incapable de faire un choix. Nous pourrions rire parce que nous serions amis. On se retrouverait régulièrement pour un resto, un film, un concert. On s’épaulerait en cas de coup dur. Rien de tout cela est possible. Leeth est parti et Jackson me mettra en prison si je parviens à retrouver mes kidnappeurs et que je leur explose la tête. Vous avez l’air de super bien vous accorder. Profitez de tous les instants ensemble. Ne laissez rien se mettre entre vous. Je ne vais pas leur dire qu’il pense à m’inviter s’ils se marient, ce serait trop bizarre, mais c’est dans ces moments-là qu’on fait parfois des rencontres sympa. Si l’un ou l’autre a un frère taillé de la même manière, tellement chou à la crème, je mets une option dessus tout de suite.

Pas de fusillade, mais mon ami le flic s’étonne que les anecdotes flippantes soient mises de côté pour ne pas dire oubliées. Ils se lancent la balle pour savoir si ces situations étaient réelles ou inventées. Il sont trop choux tous les deux à se chamailler autour des bizarreries qu’on croise parfois dans la vie et à comparer avec notre rencontre sous le feu de dangereux truands. Nova s’imagine criblée de balles. Avec le recul et en l’écoutant, je me dis que ça a été chaud cette nuit-là. Et puis la balle ne serait peut-être pas sortie de l’arme d’un dealer mais de celle de Jackson, entre les tirs et ma fuite, cela rentre dans les possibles. A bien y regarder dans cette affaire, j’étais du côté des bad boys. Un flic trop zélé aurait pu tirer dans ma direction pour me stopper. Au final, elle semble ne plus vouloir partager ses histoires. Je me vois mal insister pour lui en soutirer une, même si je suis curieuse de savoir dans quoi elle s’est retrouvée.  

Je sens Jackson plaisanter dans ses remarques sur leur couple, elle ne sait pas lassé de lui ! Elle relance sur le fait qu’il serait au courant depuis longtemps si c’était le cas. Sans détour, francs entre eux et sur l’état de relation ? C’est bien. J’ai appris la fin de notre relation quand Leeth m’a informé qu’il partait rejoindre un ami, la veille du dudit départ. Il avait pris de la distance, certes, mais se refusait à expliquer. Il a dû avoir peur que je m’accroche à lui, que je lui fasse une scène interminable. Le dialogue dans un couple, ça vous sauve la vie.

Les assiettes se sont vidées. Le serveur vient nous les enlever et ramène la carte des desserts. Je jette un coup d’oeil à l’heure. Ça va, j’ai encore du temps. Je passe commande d’une part de gâteau, forêt noire, parce qu’après cette discussion sur le chocolat qui nous a tenu un bon moment, c’est imparable, et ce n’est pas la seule chose à vous réveiller les papilles dans ce restaurant. J’ajoute un café à ma demande, inutile de faire revenir le jeune homme pour cela. Je tends la carte à Nova alors que Jackson a encore le nez dans la sienne. Je ne sais pas ce qu’elle a prévu, si ce qu’elle avait commandé à emporter suffit ou si un petit plus avant de reprendre la route de son travail la tenterait.

Je fais figure de gourmande avec mon gâteau qui se révèle très copieux. Café pour le policier et moi, excellent carburant pur des horaires à rallonge, je pense que lui et moi, on sait quand commence la journée mais pas quand elle finit. Nova est raisonnable et se contente du muffin qu’elle avait avec sa commande à importer. Le temps lui manque en plus. Elle se lève pour nous saluer. Petit élan de tendresse pour mon voisin de table, ils ont un rendez-vous le soir même. Un mot aimable pour moi. Je lui souris. Ce fut un plaisir pour moi aussi. J’espère qu’on aura l’occasion de se recroiser. J’en sais trop rien, je connais son point d’approvisionnement mais pas si on a des lieux en commun pour se croiser. Se revoir, on verra. Bonne journée. Je la regarde s’éloigner. Quand elle a franchi la porte, je me tourne vers celui qui reste. Vous avez transformé un déjeuner banal, qui a failli se transformer en sandwich industriel dans le distributeur au boulot, en quelque chose de bien sympathique. Je suis contente de t’avoir trouvé là et d’avoir fait la connaissance de ton amie. Elle a l’air sympathique. Merci de m’avoir acceptée à ta table. Et puis c’est amusant au final de l’avoir vu lui sans son uniforme, surprenant de le découvrir avec la jeune femme. J’espère qu’à la prochaine connerie que je fais, ce ne sera pas lui qui arrivera en tant que flic. Maintenant que je l’ai vu dans son quotidien, qu’on a fait un peu plus connaissance hors du cadre de son boulot, je serais gênée. Qu’il me passe les menottes serait dérangeant. Par contre que ce soit lui qui prévienne Kenzo de mon décès, je pense qu’il aurait beaucoup de tact. Je ne sais pas pourquoi je pense à ce genre de choses, alors que je suis en train de savourer un délice sucré. Ça devrait être tout l'opposé, un gâteau c'est un monde de douceur. Etrange idée qui me traverse l’esprit. Il faut que je la chasse immédiatement.

Le policier évoque le fait que son amie a pu s’interroger en nous voyant ensemble lui et moi. C’est certain que si elle pensait le voir avec sa soeur, elle a été surprise. Mais ça n’a pas semblé être une catastrophe puisqu’on a pu discuter ensemble et tout s’est bien passé. C'est en tout cas la sensation que j'ai. Ce serait bête qu'elle lui fasse une crise de jalousie quand ils vont se retrouver. Aucun raison. Uniquement vu de loin, peut-être que oui notre déjeuner en tête à tête était plutôt surprenant. Encore qu’il semble que je ressemble un poil à sa soeur. Je lui souris, mais avoir un flic comme frère ce serait, comment dire... problématique ? Ma belle-mère est flic, elle a quitté la ville. C’était ma hantise de la croiser au mauvais endroit. D’un autre côté, elle m’a sauvé la vie lors du kidnapping. Du bon et du mauvais, beaucoup de bon, on a évité le pire. J’ai un frère qui ne te ressemble pas du tout. Impossible de se tromper de loin comme de près. Mais si je ressemble vraiment à ta soeur, si elle a besoin d’une doublure, à voir, à négocier. J’éclate de rire. Ce serait une situation bien étrange, sauf si elle est actrice et qu’elle a besoin d’une surfeuse ou quelque chose du genre pour servir de doublure. Si je suis au générique du film et que le salaire vaut le coup, qui sait, je pourrais même barboter avec des alligators à sa place !

C’est à notre tour d’obtenir l’addition. Le moment de repartir chacun de notre côté. Je règle ma part. Je te souhaite une bonne fin de journée. Si on se croise de nouveau, j’espère que ce sera tout aussi agréable. Il me reste plus qu’à lui faire une bise pour le remercier une dernière fois et pour marquer mon départ. Je jette tout de même un coup d'oeil aux environs, que sa copine ne soit plus là, cacher sur le trottoir d'en face par exemple.