Rattraper le temps perdu

Comme un gosse à l’approche de la rentrée, voilà comment je me sentais. Pourtant j’avais déjà revu Jackson à mon arrivée, il avait été parmi les premiers à me revoir d’ailleurs en dehors de mes parents, avant même Briséïs. C’était avec cette pointe de culpabilité que je l’avais revu, mais finalement le courant semblait toujours bien passer entre nous, l’amitié n’était pas une chose aussi fragile que cela finalement ? Je l’espérais. Jackson m’avait donné rendez-vous dans un bar, car la première fois nous n’avions pu que nous croiser en coup de vent, ce serait cette fois l’occasion de parler un peu plus longuement.

A l’heure, ni trop tôt, ni en retard, j’arrivais dans ledit bar pour finalement voir mon ami qui me saluait. Je pressais le pas pour le rejoindre, une bise et une tape sur l’épaule, c’était comme repartir quelques années en arrière, lorsque nous étions des gamins stupides. « Plutôt bien, ça fait du bien de rentrer chez soi, plus que je l’aurais pensé. » avouai-je avec un sourire avant de reprendre. « Et toi ? » Je lui retournai la question, pas par politesse, mais parce que j’étais ce genre de personne qui se souciait vraiment de l’Autre.

« Ça fait un siècle ! Plus de deux ans, c’est beaucoup à l’échelle de notre vie, on est pas si vieux. » En même temps que Jackson, je commandai une bière, il faudrait cela pour fêter dignement mon retour et nos retrouvailles. « Une montagne de trucs. Rome, tu connais ? Cette ville est magique. » Je ne savais pas par quoi commencer moi non plus, comment faisait-on pour rattraper autant de temps en une discussion ? « J’suis rassuré qu’on puisse parler comme ça, quand je suis parti, je savais que pas mal de personnes comprendraient pas … J’étais pas fier en revenant au début mais … ça fait plaisir, toi, Bri’, mes parents, j’ai fait le bon choix. » confiai-je finalement, sincère, et sincèrement rassuré. « Alors, on se prépare à sauter le pas ? Pas trop stresser à l’idée de partager ton quotidien et ton espace avec quelqu’un d’autre ? » Moi-même je savais que je ne serais prêt à le faire que pour une seule femme, mais les choses n’en étaient pas encore là, elles n’en étaient même pas à l’ébauche d’un là, il y avait bien trop de route à faire pour que je m’y vois.

Jackson comprenait ce que je voulais dire, je voyais bien pourquoi. Etre séparé des siens, que cela soit par choix ou par force reste toujours une épreuve. Le travail, les aléas de la vie, les épreuves étaient nombreuses pour nous séparer, mais j’étais heureux d’être de retour ici, mon frère me manquait bien évidemment, rien ni personne ne le remplacerait mais désormais je pouvais être là pour ces autres personnes à qui Colton manquait également. « Tout juste, tout juste … parle pour toi, j’suis à mi-chemin vers la quarantaine. » plaisantai-je avec un sourire.

« J’vous le conseille, l’Italie dans son ensemble, il y a tellement à faire là-bas. » Je savais que tu apprécierais ce voyage si vous trouviez le temps de le faire, à deux. J’esquissais un sourire reconnaissant à l’attention de mon ami, il ne m’accablait pas concernant mon choix, c’était rassurant, d’autres n’avaient pas eu les mêmes scrupules. Ils étaient plusieurs à ne pas avoir compris, parce qu’ils ne savaient pas pour la plupart, que je parte si loin et que j’y reste même après la mort de mon frère alors que mes parents avaient besoin de moi, que Briséïs avait besoin de moi.

Un nouveau sourire étira mes lèvres à la correction apportée par Jackson, Nova n’était donc pas n’importe qui, cette précision avait de quoi réchauffer le cœur. C’était mon ami, et bien évidemment je ne voulais que le meilleur pour lui. « Si t’as besoin d’aide pour ton déménagement … oublie-moi, j’ai encore le dos en vrac du mien. » Une petite plaisanterie, il savait évidemment que maintenant que j’étais là, je serais là pour l’aider.

Sa question me poussa à plonger le regard dans mon verre, pensif un instant, avant de relever le nez vers lui, sourire aux lèvres. « J’ai rencontré beaucoup de personne … mais rien de sérieux. » Je n’allais pas mentir, si Colton avait son attitude et son charme, j’avais les miens, et même si je n’en jouais pas à outrance, je savais séduire quand l’envie y était. Mais de séduire à tomber amoureux, il y avait un monde que je n’avais pas pu franchir. « Enfin beaucoup, deux ou trois quoi … tu me connais. Mais, c’était pas les bonnes. » La bonne pour moi, celle que j’aimais, elle était ici, mais elle ne m’avait jamais été promise, rien n’avait jamais été possible, du moins j’espérais retourner cette tendance.

« Dans la force de l’âge ? Merci, je me sens encore plus vieux avec cette expression. » plaisantai-je avant de rire, secouant la tête. C’était agréable de le retrouver, cet ami avec qui rien n’était jamais grave, avec qui tout pouvait être évoqué si légèrement, si paisiblement. « J’espère bien, si tu veux en mettre plein la vue à ta belle, je connais tous les endroits idéaux. » Rome n’était pas Venise, mais à bien des égards, elle était pour moi la vraie ville des amoureux, sans doute parce que mon esprit rêveur avait toujours été bercé de ces vieux films qui faisaient de cette ville un lieu idéalisé.

Avec détachement et sur le ton de la plaisanterie, je manquais de proposer mon aide à Jackson pour son déménagement. Je blaguais bien entendu et mon ami saurait qu’il pourrait compter sur moi, si j’étais revenu c’était pour être près de Briséïs, mais c’était aussi pour recoller les morceaux avec tous ceux que j’avais abandonnés en partant. Buvant une gorgée de ma boisson, je passai ma main dans ma barbe aux mots du brun. Non, je n’étais clairement pas du genre à enchainer les aventures, les conquêtes d’un soir, j’étais de ceux qui voyaient l’amour à chaque relation, l’amour, le vrai, celui qui durait. Du moins je voulais le voir, mais force était de constater que cela ne m’avait mené nulle part, ou plutôt si, cela m’avait ramené ici.

« Une collègue italienne ? Tu saurais presque me prendre par les sentiments Jackson … mais … je me dois de décliner. » Comme pour éviter toute question, je décidai de prendre les devants. « Ça va te paraître … cliché mais si je suis revenu c’est pour une femme. Pas n’importe laquelle, celle que j’ai pas réussi à oublier en partant de l’autre côté du globe. » Je n’avais parlé à personne de la raison de mon retour, tout comme je n’avais parlé à personne de mes sentiments pour Briséïs. « Si elle finit par piétiner mon cœur comme un paillasson, peut-être que je te demanderai le numéro de cette collègue italienne. » ajoutai-je dans un éclat de rire.