a chance encounter ≈ ft. adam

Teo s’était promis de ne pas retomber dans les bras d’Erin. Tant qu’elle était mariée, du moins. Pour le reste, il ne pouvait parler avec certitude. Il l’aimait, il lui avait dit, elle savait à quoi s’en tenir. Ils avaient dormi ensemble et s’étaient quittés sur une note plutôt positive comparée à ces derniers mois. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Voilà la phrase que Teo s’efforçait de garder à l’esprit pour ne pas devenir fou. Erin restait toujours dans un coin de sa tête, mais il essayait de cloisonner. Au travail, il était concentré sur ce qu’il faisait. Sa vie n’était pas différente de celle qu’il menait depuis que le pot aux roses avait été découvert, mais il sentait que cela pouvait basculer à tout moment. Il s’y accrochait.

Ce soir, ses mères l’avaient réquisitionné pour un dîner au restaurant en famille. Même s’il était toujours rancunier, il ne pouvait leur refuser. Pour son frère, d’abord, mais aussi parce qu’il était fatigué d’être perpétuellement étouffé par la rancune. Ces derniers mois, sa vie familiale et sa vie sentimentale avaient été faites de reproches et de contrariétés et il refusait que cela continue ainsi sinon il finirait par tout envoyer valser. Teo n’était pas sanguin, mais il sentait que la pression le mettait dans un tel état de colère qu’il était susceptible d’exploser à tout moment. Alors il avait accepté de jouer le jeu le temps d’une soirée et de se laisser aller. La soirée se passait bien. Les sujets tabous étaient cachés sous le tapis et les rires coulaient à flot. Du moins, jusqu’à ce que Teo sente son téléphone vibrer dans sa poche et que le nom d’Erin s’affiche sur l’écran. Aussitôt, il décida de sortir prendre l’air quelques minutes pour lui répondre. Ainsi, il sortir devant le restaurant et fit quelques pas, le nez collé à son téléphone, avant de s’apercevoir qu’en face de lui se trouvait Adam, le frère d’Erin.

Il avait eu du mal à accepter la nouvelle, mais Bryan n’était plus et il ne restait que son jumeau maléfique. Quand Erin lui avait fait un topo sur la situation, Teo avait eu du mal à digérer l’histoire. Il avait trouvé ça tordu, mais s’était passé de jugement. Le fait est qu’il appréhendait une nouvelle rencontre avec cet homme dont l’histoire personnelle ne faisait pas rêver. Ni l’un ni l’autre n’avaient de comptes à rendre. Pourtant, le médecin n’avait pas envie d’éviter Adam. Ce n’était pas dans sa nature de se défiler et il savait qu’un jour ou l’autre, ils feraient partie de la même famille. Après tout, cette soirée était beaucoup trop calme pour être cohérente avec la vie que menait Teo.

Teo avait tendance à croire que rien n’arrivait jamais vraiment par hasard. S’il croisait Adam ce soir, c’était pour une raison. Il ne le savait pas encore, mais il n’allait pas tarder à en prendre conscience. Les questions du frère d’Erin étaient tordues. D’après la blonde, Adam n’était pas dans le même registre que Bryan. Ce dernier était bon et bienveillant tandis que son frère était davantage sur la défensive. C’était peut-être l’une des raisons qui l’avaient poussé à mentir sur son identité. La douceur d’Erin avait fait qu’elle avait clémente et qu’elle n’en voulait pas vraiment à son frère. En revanche, Teo savait qu’Adam était beaucoup moins emballé par leur histoire que Bryan. Cette rencontre fortuite en était la preuve. A croire qu’il n’attendait qu’une chose : qu’on lui annonce qu’Erin et son jeune amant n’étaient plus en contact. Il allait devoir se contenter d’une toute autre réponse. « J’aurais bien aimé, mais ta sœur n’était pas libre. Et toi, tu te balades sous quelle identité, Bryan ou Adam ? Que j’sache à quelle personnalité j’ai à faire » avait-il envoyé. Pas que la guerre soit déclarée, non, mais il n’avait pas l’intention de se laisser intimider. Adam était plus vieux et il avait un passif qui pouvait impressionner, mais Teo n’était vraiment pas d’humeur à subir les états d’âme du frère d’Erin. Pas ce soir, pas en ce moment. « Pour ta gouverne, j’ai pas l’intention de laisser tomber ta sœur. La situation est déjà suffisamment compliquée avec son mariage et ma famille qui n’est pas fan du tout, alors évite de te rajouter à l’équation, tu veux ? » dit-il en s’approchant d’Adam avec une certaine désinvolture.

Les difficultés étaient nombreuses. Il y avait la différence d’âge qui soulevait un certain nombre de questions : leur relation durerait-elle toujours ? Auraient-ils toujours envie de vieillir ensemble ? Auraient-ils toujours les mêmes envies tout au long du chemin ? Il y avait également la famille de Teo, ses mères qu’il aimait plus que tout mais qui voyaient d’un mauvais œil sa relation avec une presque quarantenaire. Et puis, il y avait ce foutu divorce pas qui tardait à être prononcé et qui les empêchait de s’afficher ensemble pour de bon et qui ne faisait que mettre de l’huile sur le feu de la colère de ses mères. Rien n’était évident. Cela faisait des mois et des mois qu’Erin et Teo se battaient à leur façon. Ils avaient de multiples choses contre lesquelles se battre et se passeraient volontiers d’Adam comme nouveau problème.

Si la question de Teo avait l’air d’une pique, en réalité, il n’en n’était rien. Le médecin était juste fatigué d’entendre des remarques sur sa relation. Il en avait marre de devoir se justifier, de devoir exposer les raisons pour lesquelles il méritait le droit de passer du temps avec Erin. Il n’était pas question de jeu. Tant que le sujet tournait autour d’Erin, il ne s’agissait jamais de jeu. La susceptibilité l’emportait souvent sur la raison. Adam n’échapperait pas à la règle. Entre les deux hommes, l’hypocrisie n’était pas de mise. Teo n’avait pas la patience de jouer au petit-ami parfait, même pour Erin, il était incapable de faire semblant.

Evoquer le droit de sa famille était une ânerie. « Ma famille n’en n’a pas plus le droit que quiconque. Elle s’accorde le droit, mais je ne lui donne pas et je n’apprécie pas ». Au moins, le décor était posé. Les avis de ses mères, forcément biaisés, n’étaient pas bons à prendre et ne faisaient pas plaisir. Et vint le moment où Adam demanda à Teo ce que sa sœur lui apportait. Il aurait tellement aimé pouvoir se livrer librement, dire ce qu’il avait sur le cœur et répéter les quelques mots qu’il avait murmurés à Erin. Seulement, au milieu de la rue, cela lui semblait difficile. Pourtant, il savait que compter Adam parmi les alliés de leur relation ne serait pas un luxe. « Erin, je la trouve merveilleuse. J’ai jamais rencontré une personne sachant aussi bien me réconforter et me donnant autant envie de me lever le matin. C’est la femme avec qui j’ai envie d’être et Dieu seul sait à quel point les difficultés sont nombreuses, mais je ne compte pas bouger. Même si le monde venait à se liguer contre nous, il faudrait me séquestrer pour que j’arrête de me soucier d’elle. Et que ça ne te donne pas d’idées. J’me laisserai pas faire. » conclut-il avec un sourire détendu au coin des lèvres. Parler des sentiments qu’il ressentait envers Erin avait cet effet : le rendre éperdument heureux. C’est cette force qui lui donnait les armes pour se battre. « Et soyons honnêtes, de toi à moi, tu me poserais la question si c’était l’inverse ? Pourquoi ça semble si normal à tout le monde que des mecs plus vieux sortent avec des jeunettes et que ça alarme tout le monde qu’Erin s’intéresse à moi ? Pourquoi est-ce qu’on l’appelle « cougard » pour la blesser quand un homme, on va juste dire qu’il a du charisme, qu’il est mature et conneries ? Pourquoi ça semble si compliqué d’entendre qu’Erin et moi, on s’aime sincèrement ? »

Face à lui, Teo avait un adversaire de taille. Adam ne démordrait pas, mais celui qui s’avérait être son cadet de plus de dix ans non plus. Le médecin ne s’attendait pas à ce que le frère d’Erin lui donne sa bénédiction en un coup de baguette magique. Il savait que cela demanderait du temps et de l’entêtement. Il savait aussi que toutes les questions qu’il posait étaient légitimes. Il se les était posées avant de dire les trois petits mots qui faisaient qu’il ne pouvait plus reculer, avec Erin, cette fois. Il avait fait une introspection avant même de savoir qu’Erin avait été mariée à un goujat. Maintenant qu’elle lui avait raconté son histoire, il était encore plus conscient qu’il n’avait pas la moindre marge d’erreur et cela lui convenait parfaitement.

Adam avait raison. Teo n’avait encore rien vécu. Sur le plan sentimental, il était loin d’être un expert. Il avait connu une seule vraie fille avant Erin et il n’était pas vraiment tombé amoureux d’elle. La blonde était son premier vrai amour. Peut-être qu’un jour, Erin en aurait marre de lui et de ses longues études pour arriver à une carrière décente, mais il ne pouvait pas s’auto-flageller et parler d’immaturité. La façon dont il gérait la situation avec elle était loin de relever de l’immaturité et le fait qu’il soit là, en face de son frère, à lui tenir tête comme s’il jouait sa vie montrait à quel point il pouvait tenir à cette histoire. Il n’était pas question d’égo. Il voulait juste qu’à défaut de les soutenir, on leur foute la paix. « Elle a été mariée à un type de son âge qui n’a pas été foutu de la rendre heureuse et de lui apporter ce dont elle avait besoin. Alors t’as raison, j’ai rien vécu. Erin, c’est ma vraie première histoire d’amour. Je suis parfois maladroit avec elle, mais je préfère ça qu’avoir un palmarès de conquêtes long comme le bras. Et c’est pas parce que notre couple est atypique qu’il est exceptionnel. Bien sûr qu’on aura des crises, mais on les traversera. J’ai un travail ici, une carrière devant moi, des responsabilités, donc je ne partirai pas du jour au lendemain. Et si Erin a un jour envie d’ailleurs, si elle n’est plus heureuse avec moi, alors je ne ferai pas comme Graham. Je ne m’accrocherai pas à des cendres. » dit-il en haussant le ton. Non pas parce qu’il avait une envie démentielle de coller son point dans la figure d’Adam, mais parce que Graham était ce qui posait réellement problème entre eux. Teo prit une grande respiration à l’évocation d’une « nana de son âge ». Ca, ça ne valait pas le coup d’être relevé. Il n’aimait pas Erin pour son âge, mais pour ce qu’il avait en commun et les centres d’intérêt et valeurs partagés n’avaient rien à voir avec l’âge. Il avait déjà réfuté cet argument auprès de ses mères et de ceux qui lui avaient sorti.

Né fin décembre, Teo était un capricorne. Il était réputé pour avoir une tête de mule et pour ne laisser aucune chance à quiconque voudrait le faire taire. De plus, étant fils d’avocate, il avait appris à argumenter de façon pertinente. Dans ce cas de figure, si le sujet lui tenait vraiment à cœur, il se battait jusqu’à avoir le dernier mot. Il n’était pas convaincu d’avoir marqué des points ce soir et ne savait dire si Adam battait en retraite parce qu’il en avait marre ou parce que le gamin qu’il avait face à lui lui en avait bouché un coin. De son côté, Teo avait compris qu’il n’avait pas le droit à l’erreur. Il en avait assez d’entendre qu’Erin était une femme mariée et qu’il se faisait balader. La seule erreur qu’il avait commise était de s’être laissé convaincre un jour. En dehors de ça, il l’avait toujours respectée. Il n’avait pas trahi sa confiance. Il s’était mis entre elle et ses mères. Il avait fait ce qu’il avait pu et s’il l’avait blessée, ce n’était pas sur commande.

En dépit de la difficulté qu’il avait à convaincre, Teo appréciait qu’Adam soit protecteur avec Erin. Ce qui lui brûlait la langue, en revanche, c’est qu’il ne soit pas aussi incisif lorsqu’il s’agissait de Graham, l’homme qui, au nom de la loi, était toujours le mari d’Erin. Il avait l’impression d’être le seul à être dérangé par cette histoire dans l’entourage de la blonde, ou bien les autres faisaient mine de ne pas comprendre. Cette solitude le laissait perplexe.

Il regarda derrière lui à la remarque d’Adam. Heureusement, personne n’était encore venu le chercher comme s’il était adolescent. Il décida de suivre le conseil de celui qui deviendrait peut-être un jour son beau-frère. Après tout, s’il s’en tenait à ce qu’il venait de dire, ils se reverraient forcément un jour. « Au cas où, je suis avec ma famille et j’aurais aimé qu’Erin soit là. J’aimerais vraiment que les choses soient plus faciles pour tout le monde » dit-il avant de tourner les talons « et s’il y a quoique ce soit que je peux faire pour toi qui ne soit pas quitter ta sœur, tu peux me trouver à l’hôpital » finit-il avant de se diriger vers le restaurant. Quelle soirée.