Il y a des jours comme ça - Spencer

Il y a des jours comme ça où l’on sent que le karma n’est pas de notre côté. Ces jours-là, on a plutôt tendance à vouloir rester cloitré dans le lit, à ne pas sortir de sous les couettes histoire de se préserver de divers incidents. Il n’était pas spécialement croyant niveau des coïncidences ou même superstitieux, ce genre de choses-là. Il lui était déjà arrivé de passer sous une échelle sans que rien ne lui arrive, mais il n’aimait pas forcément ça. Bref, il y a de ces jours,  quand dès le réveil on se rend compte que son téléphone n’a pas donné l’alarme pour montrer qu’il était l’heure de se lever, on se dit que ça va être vraiment être une journée pourrie. Alors, il s’était dépêché Esteban, histoire de ne pas être à la bourre. Un passage dans la salle de bain presque éclair, pas de petit-déjeuner, il s’était contenté de prendre un ou deux petits gâteaux histoire de ne pas finir en hypoglycémie avant le repas de midi. Il ne manquerait plus qu’en plus il tourne de l’œil pendant un cours à cause d’un manque de sucre ! Fort heureusement, il était arrivé à manger les gâteaux sans se salir ni s’étouffer. Finalement peut-être que la journée n’allait pas si mal se passer, s’était-il avec l’ombre d’un espoir  qu’il se soit juste levé du mauvais pied. Espoir qui se brisa rapidement, lorsqu’il se prit la porte des toilettes en pleine tronche. On a tendance à croire que ça n’arrivait que dans les films, que c’était drôle : pas du tout. Heureusement, dans son malheur, il avait eu de la chance, il ne s’était pas réellement fait mal, il avait juste été ridicule. Et comme on dit, le ridicule ne tue pas, alors il allait survivre, même si à cet instant précis, il se disait que la journée allait mal finir. Il n’était pas réellement poissard d’habitude, juste les emmerdes de la plupart des gens, il n’était pas non plus spécialement maladroit, mais de temps en temps, il y avait de ces journées où il lui semblait que le destin avait juste décidé de l'ennuyer profondément. Certains verraient probablement cela comme la loi de Murphy. Dans ces moments-là, il se rappelait douloureusement combien ses amis de New-York lui manquaient. Plaie mal refermée, à vrai dire, elle n’avait jamais réellement cicatrisée depuis toutes ces années, même si ça allait mieux qu’au départ.

S’ils étaient restés là-bas où est-ce qu’il en serait aujourd’hui. Pensée rapidement balayer. Il ne devait pas aller dans ce chemin-là. Il ne devait pas se faire du mal. De toute manière ses mères avaient fait le meilleur choix possible pour leur famille, surtout pour Teo. Et Teo était plus important que ses amis. C’était aussi simple que cela.

La suite de la matinée s’était quand même plutôt bien déroulée. Il n’y avait pas d’autres incidents à déplorer.  La poisse semblait être passée. Ça allait bien rire chez eux ce soir quand il allait leur raconter ça, il s’apprêtait d’ailleurs, tout en allant vers la cafeteria, à envoyer un message à son frère pour savoir si sa journée se passait sans encombre –sait-on jamais, peut-être une malédiction d’une journée chez les enfants Marìn-  lorsque soudain… une de ses amies s’entrava et tomba dans les escaliers.  Le karma avait tourné, il avait passé sa poisse à une de ses camarades, dommage pour elle, tant mieux pour lui. Méchante pensée, mais il était bien heureux de ne pas avoir fait cette chute.

Rapidement, il était quand même allé voir comment elle allait, elle n’avait pas perdu connaissance, c’était un bon point, mais elle semblait s’être fait mal à la cheville et/ou au genou. Il n’était pas certain, et vu qu’elle n’était pas claire dans ses propos, il préféra appeler une ambulance. «Je viens avec toi, ne t’inquiètes pas. » lui souffla-t-il doucement. Il pourrait peut-être passer faire un coucou à Teo si ce dernier n’était pas trop occupé. Il n’avait pas cours l’après-midi ce qui tombait plutôt bien, on sait quand on rentre à l’hôpital, on ne sait pas quand on en sort.


Quatorze heures passées, il commençait à crever de faim. Son ventre gargouillait et d’une façon pas franchement discrète,  à un tel point qu’une des secrétaires l’avait regardé plusieurs fois bizarrement. C’était à croire qu’elle avait jamais eu la dalle ! Promis, il n’avait pas de soucis intestinaux ! Son amie étant en train de passer un examen et risquant d‘en avoir pour un certain, il décida d’aller se chercher à manger à la cafet de l’hôpital et de ramener aussi un truc à grignoter à sa comparse par la même occasion. Il  envoya un texto à cette dernière en lui disant où est-ce qu’il allait et qu’il revenait au plus vite.   Heureusement à cette heure-ci il fut ravi de voir qu’il n’y avait plus grand monde,  et la file d’attente n’était pas spécialement longue. Parfait.  Et puis, un garçon qui devait bien avoir une dizaine d’années de plus que lui fit son apparition devant lui et il n’avait pas l’air en forme. Normal, petit gars t’es dans un hosto. Il hésita quelques instants, on lui avait toujours appris les bonnes manières : laisser sa place dans le bus aux personnes âgées et enceintes par exemple. Alors son premier instinct fut de vouloir le laisser passer devant lui, malgré une véhémente protestation de son estomac, seulement il craignait également que le garçon le prenne mal. Délicate situation, il ne voulait pas qu’il se sente mal, blessé, ou infantilisé, mais en même temps l’ignorer purement sans vérifier qu’il ne voulait pas passer est-ce que c’était mieux ? Pire ? Encore quelques instants d’hésitations, un nouveau gargouillis de son ventre et il se lança.

«Heu… excusez-moi, Monsieur,  est-ce que… vous voulez ma place ?! »

Voilà, une jolie question, avec plein de politesses, sans trop en faire, sans se montrer insistant, c’était la seule chose dont il se sentait capable pour l’instant. Un compromis en quelque sorte.