congratulations (erineo #2)

Dix semaines. Dix semaines qu’ils avaient été visiblement imprudents, s’étaient joué des risques comme si ce n’étaient que des suppositions infondées. Sauf que voilà, cela n’arrivait pas qu’aux autres. Erin en avait fait les frais deux jours plus tôt, assise par-terre sur le carrelage de la salle de bain. Deux barres roses criardes. Elle avait beau lire la notice, refaire deux autres tests, il avait fallu se rendre à l’évidence. Elle n’était pas ménopausée, n’avait pas pris ses précautions, et Teo était un homme en parfaite santé. Bien évidemment que cela pouvait arriver. D’après internet, elle avait 8 % de chance de tomber enceinte. Pourquoi est-ce qu’elle n’avait pas plutôt gagné au loto, hein ? Et en même temps, la femme ne pouvait pas s’empêcher d’être sur un nuage, bien loin de la planète Terre. Ce n’était que le début, mais elle voulait être mère. Elle voulait désespérément l’être, et ce serait peut-être sa seule chance. Quelle importante, que cela lui arrive maintenant, et avec Teo ? Elle savait pertinemment qu’elle aimerait ce bébé plus que tout, quoiqu’il advienne. Elle allait être maman. La blonde aurait tellement aimé être juste heureuse, euphorique, pouvoir prévenir ses proches comme si c’était la plus belle nouvelle qui soit. Ce qui était vrai, dans un sens. Pourtant, elle ne pouvait pas s’empêcher d’être terrorisée. Et si Teo n’en voulait pas ? S’il la rejetait? Comment cela se passerait pour le divorce ? Et si elle était tout simplement incapable de gérer un enfant seule ? Et son boulot dans tout ça ? Ce serait inconscient d’entrer dans une prison avec un être aussi fragile dans son ventre. Les trois jours qu’elle venait de prendre loin de son lieu de travail n’y changerait rien.

A la place, elle avait cédé à l’hyperactivité pour ne pas laisser le doute d’installer. Elle avait fait les courses, le ménage de fond en comble, trié sa bibliothèque par ordre alphabétique, changé les draps, fait une machine, étendu le linge, cuisiné un gigot pour au moins dix personnes, tout ça pour finalement s’empiffrer d’une meat pie et se mettre à pleurer en se demandant ce que les hormones finiraient par faire à son corps. Il ne fallait pas se stresser pour le bébé, et la blonde savait que rester chez elle rendait le calme impossible. Alors en fin d’après-midi, elle se résolut à prendre la laisse de Charlie et emmener le chien dans une longue promenade. La plage, la rue passante, jusqu’au parc. Puis, ce fut le trou noir.

Quand elle rouvrit les yeux, elle était au sol, trois visages inconnus penchés sur elle, visiblement concerné, et un poids sur ses jambes. En redressant légèrement la tête, complètement groggy, elle reconnut le chien couché sur elle, oreilles baissées. « Ne bougez pas mademoiselle, on a appelé quelqu’un, ça va aller... » « Comment est-ce que vous vous sentez ? » « Vous avez des antécédents avec les malaises ? Vous avez pensé à consulter ? » Trop de questions à la fois, complétées par Charlie qui remonta vers elle avec la stricte intention de lui lécher le visage, ce qu’elle ne le laissa pas faire. « Ca va, c’est bon, c’est une baisse de tension, je n’ai pas mangé, c’est tout... » En réalité, il lui fallut une longue inspiration pour effacer cette puissante envie de vomir la meat pie du midi. « Si ce sont les pompiers que vous avez appelé, dites leur de faire demi-tour, c’est une perte de temps... » Elle se redressa en soupirant bruyamment, eut le réflexe d’attraper son sac pour le fouiller et en sortir sa bouteille d’eau. Quelques gorgées, et elle reprenait ses esprits. Quant au contenu de son sac… Tout semblait être là. Son porte-feuille, ses papiers, sa barre chocolatée, ses clefs, les biscuits du chien, un tas de bordel insignifiant. Il manquait juste… Son téléphone ? Qu’elle retrouva juste en levant le nez. La femme préoccupée par son cas lui tendit. « On a appelé votre dernier contact, il a tenté de vous appeler alors... » Evidemment, ils n’auraient pas pu utiliser son téléphone. Par contre, son dernier contact ? Qui est-ce qui aurait tenté de l’appeler ?

Une rapide vérification, et la blonde en fut sûre : le destin se foutait d’elle. Teo. Bien entendu. Merde.

Les semaines étaient passées et rien n’avait changé entre Erin et Teo. Elle était toujours mariée et visiblement, rien n’avait avancé dans son dossier. C’était ce détail qui rendait le médecin amer : il avait l’impression que rien n’évoluerait entre eux. Officiellement, il était toujours l’amant. Ce statut était bien loin de ce à quoi il espérait. Il était jeune, certes, mais il voulait bien plus que des cinq à sept avec la jolie blonde. Alors ils s’étaient contentés de quelques messages fuyants et ce malgré l’amour qui régnait entre eux.

Teo était parti pendant près d’une semaine en Australie, avec Amalya. Ils avaient profité de ces jours de congés et s’étaient rapprochés. Ce rapprochement, il l’avait tu. Il s’imaginait mal revenir à Island Bay et dire à Erin qu’il avait dépassé les bornes. Alors certes, ils n’étaient pas ensemble. Ils ne le seraient pas tant qu’elle ne serait pas divorcée, mais Teo se sentait coupable. Si toutes ces difficultés n’étaient pas, il n’aurait pas eu la moindre envie de se vider la tête. C’était bien ça le problème : cette situation faisait qu’il n’était plus lui-même. Il n’avait qu’une solution : mettre les choses au clair avec Erin. Jusque-là, il ne lui avait jamais fait part de ses vrais sentiments. Elle savait qu’il était amoureux d’elle et qu’il voulait vivre avec elle. Cependant, tout cela n’était que des déclarations qui ne changeaient rien à leur réalité. Il était temps qu’il se bouge puisque la vie ne semblait pas aller dans son sens.

Il profita de sa pause pour passer un appel. Erin. Il fallait qu’il lui fixe un rendez-vous et qu’ils se parlent franchement sans tomber dans le registre des mauvaises comédies romantiques. Dans sa tête, il avait préparé son discours : non, Erin, je continuerai pas comme ça. Soit tu fais en sortes que cette procédure de divorce prenne fin, soit c’est fini. Sans grande surprise, il tomba sur son répondeur et laissa un message demandant à la voir. Il décida de prendre son mal en patience : après tout, elle finirait bien par le rappeler. Quand il sentit son téléphone vibrer dans sa poche, il décrocha et avant même qu’il ait le temps de faire quoique ce soit, il eut le souffle coupé. Au bout de fil, ce n’était pas Erin, mais une femme qui lui expliquait qu’elle avait appelé son numéro car il était le dernier dans les appels manqués. Rapidement, il comprit que quelque chose était arrivé à Erin. Il balança sa blouse dans un vestiaire et se rua immédiatement sur à l’adresse que lui avait indiquée la jeune femme. Quelques minutes plus tard, il put rejoindre Erin. Elle semblait en bonne santé, mais les secours ne l’avaient toujours pas lâchée. « Bonjour, je suis médecin, qu’est-ce qu’elle a ? Vous appris la tension ? » lança-t-il sans prendre le temps de saluer la blonde. « Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? » demanda-t-il en s’asseyant près d’elle. Teo était la douceur incarnée ; chasser le naturel et il revient au galop.

Erin avait l’impression d’avoir un compte à rebours au-dessus de la tête. Elle ne savait pas depuis combien de temps ces inconnus avaient appelé Teo et en voyant une ambulance se garer à quelques mètres, elle sut qu’elle avait tourné de l’oeil assez longtemps pour que le temps imparti soit vraiment, vraiment limité. Tout ce dont elle avait envie, c’était de se lever, prendre son sac, son chien, et filer en vitesse avant que qui que ce soit ne l’atteigne. Sauf que c’était visiblement trop tard, qu’elle avait l’impression que si elle bougeait trop vite la meat pie ressortirait sur les chaussures de quelqu’un, et en plus de ça, la tête lui tournait désagréablement. Et si elle s’était cognée en tombant ? Machinalement, elle se toucha le crâne à la recherche d’une douleur, d’une bosse. Rien. De toute façon, les pompiers prirent bientôt le relais, s’agenouillèrent près d’elle avec leurs questions et les premiers examens. Le rythme cardiaque allait bien, la tension un peu basse, non, elle n’avait mal nulle part. La blonde ne parlait pas plus que nécessaire, leur répétait que tout allait bien, que ce n’était qu’un repas manqué. Elle n’avait pas envie de leur dire à tous, ce qu’il se passait. Il était hors de question que quelqu’un apprenne sa grossesse avant le principal concerné.

Et en parlant du loup… Ce fut Teo qui débarqua bientôt dans cette foule de gens fascinés par l’intervention. Enfin, il devint rapidement le centre de l’attention de la jeune femme qui l’avait appelé. Oui, il était canon comme médecin. Et Erin le voyait comme son sauveur, avait juste envie de le serrer dans ses bras et de s’enfuir avec lui. Ce qu’elle comptait vraiment faire. « C’est rien, c’était juste un petit malaise vagal. C’est rien de grave, je suis désolée qu’on t’ait dérangé pour rien... » Au sol, ses doigts glissèrent doucement sur la main du brun, la serra. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Si elle était encore trop pudique pour afficher en public la relation qu’elle avait avec le jeune homme, son amour pour lui était omniprésent, et il lui avait manqué. « Je vais mieux, regarde. » Avec une précaution infinie et une prière silencieuse pour ne pas flancher, elle se leva doucement, lui fit face. « C’était vraiment pas grand chose. Mon ami va me ramener. » Elle s’adressa aux pompiers avec un sourire rassurant qui sembla leur suffire. Oui, ils avaient d’autres chats à fouetter. Et Erin n’était pas une patiente docile, encore moins disposée à profiter de leur aide. Sac sur l’épaule, laisse en main, elle attendit que les derniers curieux s’éloignent pour enfin réussir à parler plus librement avec son amant. « Il y a quelque chose que je dois te dire. »

Teo fronça les sourcils. Comment ça, rien de grave ? Elle s’était évanouie en pleine rue et estimait que ce n’était rien ? Dans ces moments-là, il se rendait compte de combien il pouvait l’aimer, son Erin. Il n’allait pas lui faire de sermon devant les autres, mais il se chargerait bien de lui dire le fond de sa pensée plus tard. En bon chevalier servant, il l’aida à se relever et ne broncha pas quand elle décida de congédier les secours. Après tout, maintenant, Teo était là et il était hors de question qu’il la laisse se défiler. C’était une chance qu’on l’ait appelé lui. De son propre chef, il prit la laisse de la main d’Erin. Le tableau était assez troublant. Eux qui ne s’étaient jamais vraiment affichés en public étaient maintenant plus proches que jamais. A quelques détails près, ils avaient presque l’air d’une parfaite petite famille. Au passage, Teo observa le regard des passants qui croisaient leur chemin. Contrairement à tout ce qu’il avait pu entendre, aucun d’entre eux ne semblait perdre de temps à juger leur couple. La barbe donnait quelques années de plus à Teo et Erin ne faisait plus ses trente-neuf ans. « On va déposer Charlie à mon frère et je t’emmène à l’hôpital passer une radio pour vérifier que tu n’as rien de cassé. En tombant, tu t’es cognée et je préfère être sûr que tout va bien » dit-il d’un ton qui indiquait qu’il ne fallait mieux pas qu’elle essaie de négocier.

Sur les quelques mètres qui les séparaient de la nouvelle voiture de Teo, ils croisèrent une poussette dans laquelle le jeune médecin manqua de se prendre les pieds. Il s’excusa poliment et le passager lui fit un sourire charmeur qu’il ne put s’empêcher de le faire rêver. « Tu vois, c’est pour ça que je veux vérifier que tu n’as rien de cassé, il faut que dans quelques années, tu puisses être une pilote de compét de poussette et qu’on puisse faire la course » lança-t-il en regardant sa chère et tendre. Ils en étaient loin, mais l’espoir était l’une des seules choses qu’il leur restait.

Il ouvrit la porte côté passager et aida Erin à s’y installer tout en tenant fermement le chien de l’autre main. Bon, certes, la Tesla noire dans laquelle il avait investie avait davantage un charisme de sportive que de familiale, mais il allait de côté sa maniaquerie pour le moment. Il fit grimper le chien et vint occuper le siège conducteur. Il démarra le moteur et pris le chemin de la maison des Marìn. Elle était sur leur route pour aller à l’hôpital et Esteban serait ravi de s’improviser dogsitter. « Tu voulais me dire quelque chose ? » dit-il en glissant sa main de levier de marche sur sa cuisse. Lui aussi devait lui dire quelque chose, mais pour l’instant, ils n’étaient pas dans un contexte propice aux confidences. S’il lui révélait ce qu’il s’était passé pendant son escale australienne à ce moment-là, Erin serait capable de descendre de la voiture en marche et il voulait éviter une telle situation. Après tout, il se demandait s’il ne pouvait pas passer les choses sous silence. Il avait dérapé à une période où leur relation n'était pas au beau fixe et ne semblait pas avoir le moindre avenir. Il ne voulait pas prendre le risque de la perdre. Même si rien n'était réglé, sa décision de s'installer seul était une brèche et il comptait là-dessus pour qu'ils avancent.

Les gens autour d’eux se dispersaient, les secours étaient remonté dans leur camion. Plus personne ne s’intéressait au couple qui se tenait sur ce trottoir, et pourtant, Erin se sentait encore davantage embarrassée face à Teo. L’occasion était rêvée pour lui annoncer, surtout en sachant que l’homme avait rappliqué illico pour venir à son secours. Elle aurait dû être heureuse, lui sauter au cou, oser l’embrasser puisqu’elle en mourrait d’envie. Mais ce n’était pas prévu comme ça, et son sac pendant au bout de ses mains liées, la blonde paniquait intérieurement. Elle n’arrivait toujours pas à se convaincre que ce bébé était une bonne idée pour le médecin. Il avait déjà tellement à faire avec l’hôpital, avec sa famille et sa vie sociale. Lui offrir un enfant serait lui amputer tout ça. Est-ce que ce ne serait pas juste égoïste de la part d’Erin, de garder un bébé juste parce qu’elle savait que ses chances étaient désormais très limitées ? Et en même temps, il était hors de question de lui mentir. Il faudrait qu’elle lui annonce, qu’elle lui donne ce coup de massue. Advienne que pourra. « Je t’assure que l’hôpital est pas nécessaire... » Mais il ne l’entendait pas de cette oreille, partait déjà en direction de sa voiture avec le chien. Ce qui lui coûta de manquer de heurter une poussette. La mère ne broncha pas face aux plates excuses du brun, et celui-ci ne s’en formalisa pas. Erin, en revanche, fixa l’enfant un peu plus que de raison. Ce serait à son tour dans quelques mois de pousser un berceau avec sa progéniture devant. Sauf qu’elle ne parvenait pas encore à l’imaginer, ne savait pas si le jeune homme serait à ses côtés. « Dans quelques années... » Elle répéta, se forçant à sourire. Dix semaines de grossesse. Bordel.

Tellement obnubilée par cette réalité, elle ne s’embarrassa pas de la superbe voiture qui lui servirait de taxi, du fait que Charlie pourrait mettre des poils sur la banquette arrière. Son regard se figea juste sur la route, sur les bâtiments qui défilaient. Elle devait lui dire pour le bébé. Maintenant. Ils ne pouvaient pas aller à l’hôpital. Et elle ne pouvait pas faire ce genre d’examens avec une crevette qui grandissait dans son ventre. Ils devaient faire demi tour. Rentrer chez elle par exemple, s’asseoir et discuter autour d’un thé. Chaque seconde lui semblait menaçante, tant ce secret lui pesait. Qu’il lui demande ce qu’elle voulait lui dire la plongea dans un mutisme affolé. Qu’est-ce qu’elle pouvait dire ? Elle était enceinte. De lui. Merde. « Arrête toi. » lui ordonna-t-elle d’une voix blanche. « S’il te plaît. » Quand Teo finit par obtempérer, ce fut juste à temps. Elle sortit brusquement de la voiture, n’eut que trois pas à faire pour arriver sur un coin de pelouse et se plier en deux. Les nausées, cette joie de la grossesse, eurent le dessus sur la meat pie et sur ses nerfs. Elle eut le bon sens se mettre dos à la voiture quand elle se mit à vomir tripes et boyaux. Si elle avait été mal à l’aise lors de son malaise, être dans cet état en présence de Teo était le pire qu’elle puisse faire. Les mains sur les cuisses, les yeux fermés et les poumons cherchant désespérément à insuffler de l’air frais, elle avait maintenant juste envie de s’enterrer.

« On va chez moi, pas chez ton frère ou à l’hôpital. » supplia-t-elle en remontant dans la voiture, yeux baissés et sa main dans le sac pour attraper la bouteille d’eau. Encore combien de semaines à tenir, déjà ?

La réaction d’Erin à l’évocation d’une future grossesse était parlante. Elle ne semblait pas y croire. Pourtant, et Teo en était sûr, elle voulait devenir mère, mais visiblement, elle ne l’envisageait pas avec lui. Etait-ce vraiment une question d’âge ou de volonté ? Plus les semaines passaient et plus les preuves allaient dans le sens de la deuxième possibilité. Elle continuait de le voir, de l’embrasser et de le traiter comme s’il était son avenir alors que les moments difficiles montraient tout l’inverse. Quoiqu’il en soit, il ne la laisserait pas sur le bord de la route. Pas alors qu’elle était encore plus blanche que d’habitude. Quelque chose ne tournait pas rond et il ne tarderait pas à savoir ce qui la taraudait.

En lui demandait ce qu’elle avait à lui dire, Teo avait espéré renouer le contact autrement qu’en lui donnant des ordres. Seulement voilà, il s’était planté en beauté et Erin s’était plongée dans un mutisme gênant. Du moins, jusqu’à ce qu’elle lui demande à son tour de s’arrêter de façon autoritaire. Il ne pouvait le faire à tout moment, la route était particulièrement peuplée et il ne voulait prendre aucun risque. Quand il eut enfin l’opportunité, il eut à peine le temps de tourner les yeux qu’Erin sortit de la voiture pour se libérer d’un poids qui lui pesait sur l’estomac. Aussitôt, Teo pensa que cette réaction était liée à ce qu’elle avait à lui dire et que l’angoisse était trop grande. Qu’avait-elle fait ? Avait-elle finalement décidé de redonner une chance à son mariage comme le voulait son ex-mari ? Cette pensée fit accélérer le cœur du brun. Malgré ça, il se leva et rejoignit Erin. Autrefois, il aurait eu un haut-le-cœur et se serait peut-être joint à la fête, mais depuis qu’il travaillait à l’hôpital, il était comme immunisé. Il la laissa remonter dans la voiture sans un mot. La distance qu’elle mettait entre eux était plutôt parlante. Elle n’avait rien de bon à lui annoncer et tenait à le mettre au parfum. Lui n’avait pas la tête à tourner autour du pot. Il posa sa main sur la carrosserie et ne lâcha pas le morceau. « Si tu veux que je te lâche, il va falloir que tu me dises ce qu’il y a. Je vois bien que t’essaies de me fuir. C’est quoi le souci ? Tu veux repartir avec Graham, c’est ça ?! » dit-il avec un soupçon de colère. En réalité, il était plus inquiet qu’en colère. Il avait peur de devoir affronter une réalité qui ne lui allait guère. « Si c’est pas ça, qu’est-ce que tu me caches, Erin ?! » demanda-t-il en fronçant les sourcils. Lui qui pensait avoir une occasion de renouer avec elle dans un contexte qui lui donnait l’avantage, voilà qu’il était désormais dans l’attente d’une réponse qui ne fasse pas trop mal. Il avait l’impression que ce moment allait déboucher sur une situation qui changerait tout à leur relation. Il ne lui restait plus qu’à attendre que la langue de la belle blonde se délie.

Elle avait envie de disparaître, s’enterrer sous terre. Une fois remontée dans la voiture, elle se frotta les yeux, tenta de respirer lentement pour se calmer et ne pas se mettre à pleurer. Boire un peu et croquer dans un bonbon à la menthe pour faire passer la sensation nauséeuse n’aidèrent pas le calme à revenir. Elle avait juste envie de rentrer désormais, aller s’allonger et dormir. Essayer d’oublier cette journée. Cela lui pourrissait le moral qu’une si bonne nouvelle lui semble aussi compliquée. Dans sa vie, chaque fois où elle s’était imaginée devoir annoncer sa grossesse, il n’y avait jamais eu de situation semblable. A chaque fois, elle était souriante, heureuse, et son compagnon l’état tout autant. Sauf que pour le moment, Teo n’était pas heureux. Elle sentait son regard lourd, sentait sa présence à côté d’elle. Il ne remonterait pas au volant, ils ne bougeraient pas tant qu’elle n’aurait pas craché le morceau. Il la menait à l’impasse, la mettait dos au mur. Le fait qu’il commence à s’attaquer à elle, à imaginer qu’elle ait pu faire quoique ce soit avec Graham l’horrifia, la fit pivoter sur son siège pour qu’elle affronte son regard. Un instant, cela la dissuade ne serait-ce que d’ouvrir la bouche. Elle le fixe silencieusement, la tristesse prenant le pas sur la révolte. « Tu crois que je serais capable de te faire ça. » Ce n’est même plus une question à ce niveau là. Juste une constatation fataliste.

Il voulait savoir, et si elle ne se sentait pas prête à balancer la bombe, elle avait peur de ce qui pourrait traverser l’esprit du brun, peur de découvrir les craintes et pensées profondes de son amant. Alors elle inspira profondément, se leva du siège passager pour se retrouver face à Teo. Ils étaient proches. Aussi, ne trouvant pas les mots sur le moment, elle choisit d’attraper la main du médecin, la faire glisser sous son pull, jusqu’à son ventre plus arrondi qu’à l’accoutumée. « C’est ça, que je te cache. » Depuis deux jours. Elle ne se sentait pas coupable de rien ne lui avoir dit encore. « Tu vas être papa. » Dans sa poitrine, son coeur s’affola, effrayé de vivre la suite. De voir Teo la rejeter, de le voir fuir. Terrorisée à l’idée que sa grossesse ne puisse pas être une bonne nouvelle du tout et qu’elle ait à tout assumer seule. Par crainte, elle retira la main du jeune de son ventre, baissa les yeux en continuant. « On n’a pas à en parler maintenant si tu ne le souhaites pas. Pour le moment je veux juste rentrer ... »

De l’extérieur, on aurait dit qu’Erin voulait maintenir le suspens. Teo, lui, était en train de bouillir sous la pression. Pour la première fois depuis qu’ils étaient intimes, le médecin ne pouvait rien lire dans les yeux de la blonde. Néanmoins, il ne fallut que quelques secondes pour qu’il soit rassuré. Elle n’était pas à nouveau avec Graham et ne semblait pas enclin à revenir vers lui. Il poussa un soupir de soulagement. Pour lui, c’était une bonne nouvelle. Elle était toujours à lui et il n’aurait pas à se battre pour la convaincre de ne pas le fuir.

Quand sa main attrapa la sienne pour se poser sur son ventre, Teo mit quelques secondes à réaliser. Pourquoi faisait-elle ça ? Qu’est-ce… ? « Tu vas être papa ». A cet instant précis, le monde s’arrêta de tourner. Son cerveau cessa d’être oxygéné et sa vision se brouilla, non pas d’angoisse, mais d’émotion. Ils étaient sur le bord de la route, les voitures allaient et venaient, l’odeur de vomi au soleil commençait à se faire sentir et voilà qu’il apprenait qu’ils étaient désormais liés à jamais. Sur chacune de ses joues, des larmes ruisselèrent jusqu’à la naissance de sa barbe. Pas de tristesse, non, il était à des années lumières d’être malheureux. Les perles salées qui foulaient sa peau témoignaient de son bonheur. Imprévu, certes, mais il s’en fichait. Il s’accroupit, passa la main sous le menton d’Erin et posa ses lèvres sur les siennes avec une bienveillance inédite. Sans un mot, il remonta le pull et déposa un tendre baiser sur le ventre arrondi de la future maman et déposa ses mains de chaque côté de celui-ci. « Bonjour toi, c’est moi, ton papa. La situation te semble peut-être un peu étrange pour le moment, mais ta maman et moi, on s’aime très fort et je te promets qu’on va tout faire pour que tu puisses arriver dans les meilleures conditions possibles ». Cet enfant, il ne s’y attendait pas, ils ne l’avaient pas franchement désiré, mais c’était un cadeau du ciel dont rien ni personne ne pourrait le priver. Il releva les yeux pour plonger son regard dans celui de la blonde tout en glissant sa main sur la sienne « On peut en parler autant que tu veux ». Elle n’avait pas à avoir peur, il ne partirait pas en courant. Non, il ne la laisserait pas seule. Il ne rechignerait pas à prendre ses responsabilités. Elle pourrait compter sur lui et ils élèveraient cet enfant ensemble. C’était sans doute ça, la preuve ultime qu’il attendait en silence, le signe qui devait lui montrer qu’ils ne s’étaient pas battus en vain, qu’ils avaient un bout de chemin à faire ensemble. Son bonheur était indescriptible. Son cœur, rempli d’amour pour ce qui n’était encore un fœtus et pour sa mère. Il se fichait bien de ce qu’il allait devoir affronter maintenant. Dès l’instant où Erin avait eu le courage de lui annoncer sa grossesse, il était devenu père et il ne laisserait rien contrarier son bonheur.

C’était à peine si elle osait le regarder dans les yeux après cette annonce. Elle était terrorisée à l’idée qu’il s’en aille, qu’il lui montre du mépris, de la déception, de la peur. Qu’il ne se sente pas concerné. Alors bien sûr, elle était capable de s’occuper d’un bébé seule. Mais ce n’était pas ce qu’elle souhaitait, avoir le fruit de leur amour sans Teo. Cependant, quand son regard croisa à nouveau celui du brun, c’était pour y voir des larmes, pour voir ses lèvres s’approcher des siennes et les embrasser tendrement. Elle n’eut même pas à trouver les mots, à s’exprimer, le futur père prit de lui-même les initiatives. Le voir relever son pull et s’approcher de son ventre qui abritait leur enfant était aussi étrange qu’agréable, incroyablement réconfortant. Elle n’avait pas encore réussi à se faire à l’idée qu’un petit être grandissait en elle, que ce ventre juste arrondi grossirait jusqu’au jour où elle donnerait naissance à un bébé. Le leur. Ils s’aimaient, resteraient ensemble. Ils seraient parents et auraient un enfant formidable, quand bien même les circonstances n’étaient pas idéales. Peut-être bien que c’était une chance, finalement. « Et on t’aime déjà très fort, bébé. » Elle se sentait juste émue, posa à son tour la main sur son ventre, jusqu’à ce que ses doigts soient récupérés par Teo. Alors c’était dit, c’était acté. Ils se lançaient dans cette nouvelle aventure ensemble.

Et comme si les dérèglements hormonaux ne lui avaient pas déjà perturbé la journée, elle finit par se mettre à pleurer à son tour, se réfugier dans les bras de Teo. Elle s’y serra fort, enfouit son visage contre le cou du brun. Elle y resta pendant plusieurs minutes à se retenir de sangloter, à se calmer en respirant le parfum du médecin. « On va être parents. » murmura-t-elle en caressant longuement son dos, jusqu’à se reculer, respirer un bon coup et essuyer ses yeux encore humides. « Je ne crois pas que les radios ou autres soient une bonne idée, du coup… Tu pourrais plutôt me raccompagner chez moi, et me surveiller s’il le faut. Et j’en profiterai pour prendre rendez-vous pour la première échographie. Je... » Elle se mordit la lèvre, ne sachant plus trop que faire. C’était comme si subitement, tout était devenu plus réel, qu’il fallait qu’elle prenne des décisions. Alors qu’après cette journée, elle méritait bien de se reposer et de penser à autre chose. « Merci, Teo. »

A cet instant, Teo n’avait rien d’autre que sa future paternité en tête. Il ne pensait plus à toutes les raisons pour lesquelles Erin et lui devaient vivre plus ou moins séparément. Il avait oublié les querelles avec ses mères et les conséquences que cela avait eu sur sa vie de famille. S’il aimait Erin déraisonnablement, il savait aussi que l’arrivée surprise de ce petit être allait compromettre la tranquillité à laquelle il aspirait. Il allait devoir se responsabiliser davantage, mais ça encore, il s’en sentait capable. En revanche, devoir annoncer à sa famille qu’il allait être père relevait de la mission. Déjà que sa relation avec Erin était désapprouvée alors là, il craignait le pire. Quoi qu’elle en dise, ça ne changerait rien pour lui, il camperait sur ses positions et assumerait son rôle de père, mais il espérait être soutenu dans ce nouveau rôle. Et ça, il en doutait fortement. Quand bien même un mur de difficultés se dressait devant lui, il n’avait pas l’intention de reculer. Il prendrait un peu plus d’élan et surmonterait chaque obstacle le bébé dans les bras sans que ce dernier n’ait à subir le moindre dégât. Foutu instinct paternel.

Erin avait raison. Il fallait mieux se passer de radiations pour le moment. Pour une fois, il pouvait entendre son avis médical à elle. En remontant dans sa voiture, il repensa au fait qu’elle était peu adaptée à l’arrivée d’un bébé. Tant pis, ils trouveraient une solution. Il leur restait sûrement un peu de temps avant de devoir faire le tour des magasins pour trouver un siège auto qui correspondrait à leurs attentes. Avant ça, ils allaient avoir une montagne de choses à régler, à commencer par prendre ce premier rendez-vous médical. « T’es déjà allé voir un médecin pour une prise de sang et tout le tintamarre ? Parce qu’il faudrait surtout commencer par là » dit-il en espérant naïvement qu’elle le mettait au courant rapidement et qu’elle n’avait pas commencé à vivre toutes ses choses sans lui. « Je te ramène et tu m’offres un chocolat pour qu’on en discute ? Il faut que je fasse la liste de tout ce qu’on doit faire, à commencer par le check-up médical. En plus, à ton âge, il faut qu’on soit prudents avec tous ces détails. » assura-t-il. Au moins, Erin ne se sentirait pas seule sur le long chemin des prochains mois. Elle allait pouvoir compter sur l’expertise médicale de Teo et ce au risque de se voir rappeler qu’elle approchait tout doucement la quarantaine – ce qui semblait être une sorte de date de péremption fixée par les spécialistes de santé. « Pas que tu sois bonne à mettre en maison de retraite, mais bon, il y avait plus de chance pour que tes fuites urinaires soient provoquées par l’âge que par la grossesse, quoi » dit-il avec un énorme sourire avant de se tordre de rire à sa propre attaque gratuite. Voilà qui les mettait dans l’ambiance idéale pour parler de choses sérieuses.