What are you doing here ? (Noam)

Sans s’en rendre compte, Noam avait dû passer sous un champ d’échelles ou croiser le regard de deux cents chats noirs. Les demandes qui lui parvenaient en ce moment étaient loin d’être exaltantes, mais il ne pouvait pas se permettre d’être exigeant. Non pas qu’il manquait d’argent, mais il ne voulait pas toucher à ses économies. Cette fois, il allait devoir jouer les jaguars passionnés d’art contemporain. Qu’est-ce qu’il en avait à cirer, lui, de l’art contemporain ? Il n’y connaissait rien et pire, ça l’ennuyait de trouver une signification à deux morceaux de plâtres empilés l’un sur l’autre. De toute façon, la cliente ne lui demandait pas de bouquiner la philosophie de ce courant artistique. Elle stipulait juste qu’il devrait rester à ses côtés et donner le change au besoin. Ca, il pouvait faire.

Pour l’occasion, il était allé récupérer un smoking qu’elle avait elle-même réservé. Il était plutôt bien taillé, mais Noam détestait ce genre de fioritures. Il était bien plus à l’aise dans les vêtements qu’il portait, mais la somme en jeu était bien trop importante pour être regardant sur les exigences de la cliente. Il avait fait l’effort et s’était présenté à la réception au bras de cette dernière, d’environ dix ou quinze ans son aîné, avec le sourire. Il suivit son rythme, tableau par tableau, et enchaîna les discussions dénuées d’intérêt avec ceux qui tentaient de lui faire la conversation par politesse. Il n’était clairement pas de ce monde. Dans sa tête, il avait envie de se mettre à chanter un morceau de rap ou de rock qui ferait en sorte de décomplexer tout ce beau monde. Le silence de mort qui régnait était encore plus pesant qu’une canicule assommante.

C’est alors qu’un imprévu vint perturber le cours de sa soirée. De façon inattendue, une jeune femme posa sa main sur son épaule pour éviter la chute. Il se retourna et glissa son regard vers une silhouette qu’il ne lui semblait pas inconnue. Merde, Holt murmura-t-il en reconnaissant le visage familier. Il fallait qu’il improvise. Il répondit avec une certaine insolence aux invités qui les fixaient du regard comme s’ils avaient planté un poignard dans l’un des tableaux exposés. « Salut, Alexie » répondit-il. Sans le savoir, elle était peut-être une bouffée d’air frais. Après tout, ce n’était pas la première fois qu’il devait bricoler. Il se retourna vers sa cliente sans tenir compte des propos d’Alexie. « Tu me pardonnes, chérie ? Je m’éclipse quelques minutes avec cette jeune femme et je reviens. » demanda-t-il sans attendre de réponse. Il s’adressa ensuite à l’homme qui accompagnait la sœur aînée de la famille « Je vous l’emprunte quelques instants » jura-t-il avant de l’inviter à passer devant lui. Alors qu’elle s’en allait à l’extérieur comme attendu, il l’attrapa par le bras et l’amena dans un couloir conduisant sûrement à un local technique. « Désolé, pour l’emprise. Et avant que tu fasses un scandale qui pourrait gêner ton amoureux coincé, j’aimerais que tu me laisses t’expliquer. » Il était dans de beaux draps, maintenant.

Des galas, Noam avait l’habitude d’en faire. Il foulait les expositions comme un acharné alors qu’il était aussi sensible à l’art qu’à l’élevage des escargots. Avec le temps, il avait eu l’occasion d’en apprendre plus sur les mouvements, mais il s’en fichait. L’art, ce n’était clairement pas son truc. Il n’avait pas imaginé pouvoir y rencontrer Alexie non plus. Alors certes, ils ne se connaissaient pas personnellement. Le peu de temps qu’ils avaient passé ensemble avait été éclipsé par sa prétendue relation avec sa sœur, mais il savait qu’Alexie n’était pas comme ça par nature. Elle accompagnait son petit-ami, un sacrifice d’amour, mais il semblait que partout ailleurs serait mieux qu’ici. En quelque sorte, rencontrer Noam était une bénédiction. En plus, ce dernier n’avait franchement rien à craindre du petit-ami présumé. Non seulement il ne semblait pas du genre à se battre, mais si toutefois il venait à essayer de mettre son poing dans la face de Noam, il viserait certainement à côté.

Malgré lui et malgré la complexité de la situation, Noam ne put s’empêcher de se moquer de ce « Paul ». Il se demandait bien pour quelle raison Alexie était avec lui. Il ne connaissait pas leur vie et leurs goûts, mais de l’extérieur, ils paraissaient tout sauf correctement assortis. Être ensemble relevait presque de la faute de goût. Le brun garderait cette remarque pour lui. Ce n’était pas le moment pour donner son avis. Néanmoins, quand il vit la jeune femme prête à appeler sa sœur, il sentit bien que la situation pouvait lui échapper. Qu’elle l’appelle, ce ne serait pas un problème. La principale intéressée trouverait sûrement une parade. Mais sa cliente du moment n’était pas suffisamment au courant de la situation pour donner le change. Il était temps de trouver une réponse qui soit à la hauteur de la colère de l’aînée des Holt. « Ma... mais non ! » il desserra le noeud de sa cravate. Ils étaient à l’abris des regards, mais ce local technique manquait clairement de ventilation. « Ecoute, ce n’est pas à moi de te livrer des explications sur la situation. La seule chose que tu dois retenir, c’est que je ne suis ni en train de fricoter dans le dos de ta sœur, ni avec ma mère ou je ne sais quelle autre figure vieillissante. Je suis là dans le cadre de mon travail. » conclut-il. Il n’était vraiment pas bien placé pour expliquer tous les détails de sa relation à Alexie. « En revanche, ton amoureux devrait faire appel à une de mes collègues. Ou tu devrais le faire. Parce que j’ai rarement vu un couple aussi mal assorti. Je crois même que vous faites de l’ombre aux chaussettes qui perdent la moitié après une machine et qu’on range avec une autre âme solitaire pour dire de dépanner ». Il finirait bien par l’avoir, sa gifle, mais au moins il n’avait pas menti. Ni sur la raison de sa présence, ni sur le merveilleux petit couple qu’Alexie formait avec Paul. Pour une fois qu’il était parfaitement honnête...

Un instant, Noam se demanda même si Alexie ne le faisait pas exprès. Il avait été subtil, certes, mais de là à ne pas piger que quelque chose n’était pas clair… Il se sentait meilleur acteur que jamais. Il la regarda bredouiller quelques mots au sujet de ce fameux « Paul ». Bizarrement, la jeune femme se sentait obligée de justifier son couple. Enfin, si toutefois on pouvait appeler ça un couple tant ils semblaient distants l’un de l’autre. Même en ayant rencontré sa sœur une seule fois, ils étaient parus plus convaincants que la mascarade entretenue par Alexie et Paul. Qui sait, il pourrait peut-être leur glisser quelques conseils, s’ils le souhaitaient…

Malgré le caractère légèrement dramatique de la situation, le jeune homme ne put s’empêcher de sourire quand Alexie comprit enfin ce qu’il tentait de lui dire. Il en aura fallu du temps, mais l’heure était venue. Il se mordit la lèvre un instant puis releva la tête en glissant sa main dans ses cheveux. « Je suis acteur, oui. Ta sœur avait besoin de présenter quelqu’un pour des raisons qui la regardent, elle m’a contacté et j’ai dîné avec vous ». La bombe était lancée. Il avait révélé tout ce qu’il se refuse d’habitude à mettre sur la place publique. Certes, il avait rompu l’une des clauses du contrat qu’il proposait à ses clientes, mais il n’avait pas vraiment eu le choix. D’autant plus que cette fois, il ferait en sorte de faire parler sa bienveillance. « Mais si ta sœur n’a pas eu le courage de vous en parler ou de venir seule, c’est qu’elle avait de bonnes raisons de craindre votre réaction ou de vouloir prétendre que tout allait bien ». Au fond, Noam n’avait pas tort. C’était la façon dont il concevait les choses : il ne jugeait pas ses clientes, non, il savait que dans toute requête se trouvait une raison suffisante. La sœur d’Alexie n’y échapperait pas.

Les minutes passaient et en étant enfermé avec Alexie, Noam ne pouvait assurer la mission qu’il avait en cours. Il fallait qu’il y retourne même si cela lui vaudrait quelques remontrances méritées. « Et c’est sûr qu’il est pratique, Paul. Sa présence semble te faire autant d’effet que cette exposition » lâcha-t-il avec un sourire. Certes, ce n’était pas gentil, pas comme Paul, mais c’était de bonne guerre. « Et maintenant, si tu n’y vois pas d’inconvénient, j’ai une mission à assurer. Mais si un jour tu veux échapper à l’ennui mortel que respire ton Paul, tu peux trouver mon numéro en tapant mon nom sur Google. En attendant, je vais migrer vers le buffet » dit-il avant de quitter la pièce. Quel insolent, ce Noam.