Retour dans le passé. /ft. ANGUS.

Feu rouge. Une vieille Toyota attendait patiemment qu’il passe au vert. Pas le genre de voiture à être conduite par une personne de moins de quarante ans sans enfants. Et pourtant. C’était celle d’Angus. Il n’en était pas spécialement fier mais il n’avait pas honte non plus. Sa Toyota Carina T190 servait à l’amener d’un point A à un point B et jusqu’à preuve du contraire, elle n’avait pas besoin de ressembler à une Porsche Carrera GT pour savoir le faire. Lunette de soleil sur le nez, le garçon était de bonne humeur. Ses mains s’agitaient frénétiquement sur le volant. Il semblait taper le rythme. Vaguement. Sans doute celui de I Ran de A Flock of Seagulls qui passait alors à la radio. Sa tête accompagnait discrètement ses mains. Drôle de portrait que celui d’Angus dans sa vieille Toyota. Pas forcément ce que l’on aurait comme image d’un coach sportif. Le feu rouge s’éternisait. La patience du blond s’amenuisait. Il augmenta le volume. Ses mains et sa tête s’agitèrent un peu plus. Le feu passa au vert. Enfin. Le jeune homme embraya et repris sa route. A Flock of Seagulls laissa place à The Outfield puis Foreigner. C’est après les premières notes de Dancing with myself de Billy Idol qu’il se gara sur le parking de la superette d’East Bay. Il était presque déçu ; déception marquée par un long soupir. Il laissa encore la radio quelques secondes et la coupa ensuite, dépité, avant de descendre de sa voiture. La chanson continuait de jouer dans sa tête. Les mains dans les poches, les doigts du jeune homme se déplaçaient furtivement au rythme de la chanson qu’il avait quittée en cours de route. Les yeux toujours cachés derrière les verres teintés de ses lunettes, Angus pénétra dans l’établissement et attrapa un panier sur son passage. Il n’était pas du genre à faire des grandes courses d’un coup. Il ne se projetait pas suffisamment loin pour savoir ce qu’il allait manger trois jours plus tard alors bon… Des pâtes, de la sauce tomate, un paquet de céréales ainsi  qu’une brique de lait vinrent remplir le panier. Le coach sportif avait beau avoir une voiture de quarantenaire, il avait l’alimentation d’un enfant. Oh et du dentifrice ! Il lui manquait du dentifrice ! Le rayon de l’angoisse. Il y avait là plus de références qu’il y a de bouteilles d’alcool dans un bar. Sans exagérer. Un petit bar, certes. Mais c’était une petite superette aussi ! Enfin bref, il y avait trop de choix. Nouveau soupir. Il se saisit d’une boite de manière totalement aléatoire et tourna les talons d’un coup, comme s’il cherchait à fuir. Fuite loupée puisqu’il percuta la personne derrière lui, personne qui ne tarda pas à l’invectiver sans ménagement. Lui, n’eut même pas le temps de s’excuser qu’il reconnu le visage qui lui faisait maintenant face. Jude ?! Jude Hurley. Une personne un peu spéciale dans la vie d’Angus. Ce dernier retira ses lunettes et afficha un grand sourire. Quelle était la probabilité que je te croise ici, en dehors de l’Australie, en train d’acheter… il jeta un rapide coup d’œil à ce que la jeune femme tenait dans les mains. … des… tampons ? Il aurait peut-être mieux fait d’éviter de commentaire les achats de Jude pour éviter le malaise ambiant.

Par « une personne un peu spéciale » il faut comprendre « très spéciale ». Son rôle dans la vie d’Angus plus particulièrement. Les deux ne s’étaient pas vus depuis… disons… une éternité, mais rien ne pourrait jamais changer leur relation. Celle qu’ils avaient eue du moins. Même une attaque de requins prisonniers dans une tornade ne pourrait pas changer le fait qu’une personne est ce que l’on appelle communément votre première fois. Jude était la première fois d’Angus et réciproquement. Pas le premier baiser. L’autre première fois. Vous voyez ? Et c’est tout, ça c’était arrêté là. Comme si ça faisait partie des activités des vacances qu’ils avaient passées ensemble et qu’ensuite ils étaient passés à autre chose, retournés à leurs quotidiens. Angus avait souvent pensé à Jude, pour cette fameuse place qu’elle occupait dans sa vie, mais jamais la jeune femme ne lui avait réellement manqué. Il avait plutôt vécu ça comme une expérience. Une expérience folle. Déroutante aussi. Mais une expérience quand même. Il n’y avait pas eu de sentiments entre eux. Pas de son côté en tout cas. Et en la revoyant ce jour là, dans cette superette, il avait l’impression de revoir une amie de longue date, perdue de vue depuis des années. Il sourit en entendant la tentative d’explication de Jude au sujet des tampons et répondit à sa question. Ce que je fais là ? Et bien… j’étais en train de chercher du dentifrice avant de te bousculer mais j’imagine que ce n’est pas la réponse que tu attends. J’habite ici maintenant, terminé l’Australie. Pareil pour toi visiblement. Quitter une ville de taille moyenne en Australie pour s’installer en périphérie d’une grosse ville néo-zélandaise et y croiser, dans une supérette, une personne qu’on a croisée ailleurs en Australie et avec qui on a couché une fois, adolescent. C’était totalement improbable. Le blond était encore perturbé par ces retrouvailles. Merci ! répondit-il, tout sourire au compliment de Jude. Tu es venue ici pour le boulot ? Qu’est ce que tu es devenue d’ailleurs après ce fameux été où on s’est vus ? Dans les films, les retrouvailles se faisaient plutôt au coin d’une rue, lors d’une promenade dans un parc ou encore lors d’une soirée dans un bar branché à la déco sobre mais très pointue. Il n’y avait bien que la vie réelle pour que la discussion des retrouvailles se déroule au milieu du rayon hygiène, l’un ayant des pâtes et de la sauce tomate dans son panier, l’autre des tampons. Les charmes terre à terre de la vie.