excessive mood, bad timing /ft. VESPER

Estomaquée. Il n’y a pas d’autres mots pour décrire l’état d’esprit dans lequel se trouve Vesper en arrivant à la marina ce matin-là et en voyant que son bateau, son bébé, son Billy a disparu. Volatilisé. Pfiou, comme par enchantement. Sauf que ça tien bien plus de malédiction que de l’enchantement pour la texane. Petit arrêt à la capitainerie pour signaler un vol. Encore heureux que ce n’est comme avec les gens et qu’il ne faut pas attendre quarante-huit heures avant de pouvoir en parler comme d’une disparition. Non, là, ce n’est pas son petit Billy Blue qui a décidé tout seul d’aller faire un tour en mer, il s’agit de quelqu’un qui est monté à son bord et qui l’a kidnappé. Sauf que tout ce qu’on trouve comme réponse à lui fournir, c’est de ne pas avoir trop d’espoirs et de voir avec son assurance. Hum hum une réponse de lâches, si vous voulez son avis. Une réponse dont la blonde ne va certainement pas se contenter. Jamais de la vie. Par chance, sa mère lui a toujours appris à se débrouiller seule et à ne surtout pas compter sur un homme pour s’en sortir. Elle avise alors un couple de touristes – prompt est le jugement pour quelqu’un qui ne connaît pas encore si bien que ça la région – à l’air parfaitement ridicule, engoncés dans leurs gilets de sauvetage, s’apprêtant à aller faire un tour en jet-ski. Elle s’en approche tout sourire et leur propose en deal : un de leur jet-ski contre les quelques billets qu’elle a dans sa poche. Et elle le leur rapportera en temps et en heure, c’est promis. Bien sûr, elle aurait aussi pu en louer un mais pas le temps, il fallait que les recherches commencent maintenant, sinon Dieu seul sait si elle le retrouverait un jour.

Encore une fois par chance, les deux pigeons acceptent le marché, estimant que ça serait de toute façon plus romantique de se balader sur une seule de ces bécanes. Ouais, c’est ça, bien sûr, quelle bande de couillons. Ni une, ni deux, la blonde saute en selle et s’amuse à jouer à saute-mouton avec les vagues. Tout d’abord elle longe la côte avant de prendre à son tour le large. C’est là qu’elle le voit, tout seul en pleine mer. Enfin, pas tout seul ; même si elle est encore trop loin pour le voir, il y a forcément quelqu’un à bord. Elle verrait bien une fois sur place. Ce qui ne tarde évidemment pas à arriver, à une telle allure. Elle attache le jet-ski afin qu’il ne dérive et se rue sur le pont. Une mini-brune s’y trouve. Sans autre forme de procès, Vesper la chope par le col.

« Je vais t’apprendre à me piquer mon bateau, moi. Je vais te balancer à la flotte et t’auras plus qu’à rentrer à la nage ! »

C’est qu’elle ne plaisante pas avec son bateau ; elle n’a rien contre l’idée de partager n’importe quoi d’autre mais son bateau, personne n’est autorisé à y toucher.

Chose étrange pour Vesper, la voleuse de bateau n’a pas peur d’elle. Pourtant, quelqu’un qui vous porte à bout de bras est tout à fait capable de vous balancer par-dessus bord. Au lieu de ça, elle se libère et commence à lui débiter un tas de trucs auxquels la texane ne comprend rien. Ses sourcils se froncent sous l’effet de la perplexité. Emprunter, océanographe, ça elle comprend. Même si, à en voir l’espèce de puce qui sautille sur son bateau en tenant à tout prix à lui montrer qu’elle est belle et bien océanographe, elle n’est pas du tout sûre qu’elle ait jamais eu l’intention de lui ramener son Billy. De plus, cette personne ne cadre pas le moins du monde avec l’idée qu’elle se fait des chercheurs. A moins bien sûr qu’ils aient fait une découverte incroyable. Elle la suit donc dans la cabine et découvre tout son attirail de chercheuse, à savoir un ordinateur. La brune s’emballe à tel point que Vesper est encore un peu plus perdue.

« Okay j’ai une question : est-ce que t’es défoncée ? »

Et cette question n’a rien d’un jugement ; après tout, elle avait eu sa phase. Et l’avait toujours, soit dit en passant. Mais ça lui semble être une explication valable à cet… état.

Quoi qu’il en soit, la blonde n’a pas d’autre choix que de la suivre tandis que l’inconnue parle de sonde et veut à tout prix lui montrer ça aussi. Soit elle est défoncée, soit c’est une originale. Toujours est-il qu’elle ne ment pas : l’ordinateur, maintenant la sonde. Sonde qui s’est décrochée et prend maintenant le large. Ce qui fait que Vesper se retrouve à la regarder se pencher pour essayer de la récupérer. Merde, si ça se trouve, elle ne va même pas avoir besoin de le jeter à l’eau, elle va sans doute y tomber toute seule ! Difficile de ne pas jubiler dans ces circonstances. Et pourtant, elle ne peut s’empêcher d’éprouver un soupçon de pitié à son égard, à la voir galérer ainsi.

« Bon d’accord, je vais t’aider. »

Pourquoi ? Elle n’en a pas la moindre idée ; sa gentillesse toute naturelle, sûrement. Ou alors le fait qu’elle avait été élevée avec cette idée stupide : entre femmes, il faut s’entraider. Pourtant, elle a vécu des années durant à Los Angeles, là où les femmes ne s’entraident pas mais se tirent plutôt dans les pattes. Bref, la blonde se penche à son tour et tend le bras. Par chance, elle est un peu plus grande alors elle n’a aucun mal à atteindre la sonde qu’elle ramène à bord et tend à la brune.

« Super. Et maintenant ? »

Cette voleuse a beau lui assurer qu’elle n’est pas défoncée, Vesper reste sceptique. Elle le connaît bien cet état ; il vous pousse à faire des choses irrationnelles telles que voler un bateau, par exemple. Ou emprunter puisqu’elle insistait aussi quant au fait qu’il s’agisse d’un emprunt plutôt qu’un vol. D’instinct, la blonde sent tout de même qu’il y a un truc qui cloche chez cette jeune femme. Quoi exactement ? Aucune idée mais elle le sent. Sûrement parce qu’elle en a déjà rencontré tellement des gens bizarres : des drogués, des personnes atteintes de sérieux troubles mentaux qu’on laisse pourtant dans la nature parce qu’ils ont de l’argent ; bienvenue à Hollywood ! Une vraie jungle dans laquelle elle a évolué pendant longtemps. Sûrement trop de temps pour son propre bien. Après, elle n’est pas là pour juger, son credo a toujours été « mêle-toi de tes affaires, je me mêlerai des miennes » alors c’est tout naturellement qu’elle aide l’océanographe à récupérer sa sonde. Elle la lui tend et là, bim ! Absence. Ou quelque chose qui y ressemble énormément en tout cas. Comme s’il n’y avait plus personne à l’intérieur de cette enveloppe corporelle.

« Hé, ça va ? »

Ça sent les embrouilles à plein nez, cette histoire. Et Vesper qui s’estime toujours en cavale a surtout peur que ça n’attire trop d’attention sur elle ; une mort mystérieuse en pleine mer avec une cascadeuse autrefois assez renommée à bord d’un bateau, ça fait toujours jaser, c’est certain. Elle tend la main au moment où la sonde tombe à terre pour la secouer doucement par le bras et, si jamais, la rattraper avant qu’elle ne se fasse mal si malaise il y a. Quand, tout à coup, la lumière se refait à tous les étages. Mais Vesper ne s’attend pas à la violence de cette réaction, ce qui explique qu’elle reste d’abord bouche bée puis sans voix lorsque la voleuse lui hurle soudain de la laisser tranquille et de dégager, la poussant ensuite. Elle aurait dû s’énerver, répliquer que c’est son bateau et que si quelqu’un doit dégager ici, c’est elle mais la surprise l’en empêche.Ce à quoi elle s’attend encore moins, c’est que la brune glisse et lui atterrisse dessus, les faisant choir à la mer. Ça, pour le coup, ça a le don de lui remettre les idées bien en place, à Vesper. Refaisant surface, elle crache l’eau qu’elle a dans la bouche et se met à nager rageusement vers son bateau.

« Complètement siphonnée ! Fini les conneries, je me barre. »

Elle avait bien dit qu’elle la laisserait à la flotte car, pour l’instant, tout du moins, il n’est pas question qu’elle la laisse remettre un pied sur le pont de son bateau. Malade ou pas, elle n’est la putain de Mère Thérésa non plus !

Si elle mourait de froid ? Alors ça, ça serait bien la dernière chose dont Vesper se soucierait. Du moins, c’est ce dont elle essaye de se convaincre en nageant rageusement en direction de son bateau. Elle remonte sur le pont en tapant plus fort des pieds que nécessaire tandis que l’autre jeune femme très étrange la suit, continuant d’essayer de la culpabiliser. Bien sûr que non, elle ne voudrait pas avoir sa mort sur la conscience, celle de personne, d’ailleurs, mais le fait de s’être vue éjectée de son propre bateau lui reste en travers de la gorge. D’un air très déterminé voire même presque buté, la blonde s’empare de l’ordinateur qu’on lui réclame et s’apprête à le faire lui aussi passer par-dessus bord avant de se souvenir à temps des données qu’il contient. Des données qui pourraient être utiles, voire même de première importance. Comment pourrait-elle le savoir ? Elle n’y connaît rien et ne peut que se fier aux dires de la propriétaire. Puis elle arque un sourcil des plus dubitatifs en entendant qu’elle ne connaissait même pas son nom. Cet argument est-il censé finir de la convaincre ? Non parce qu’elle a connu mieux…

« Mouais, t’en avais rien à faire de comment je m’appelle quand tu m’as poussée ! »

Même qu’on peut pousser la réflexion plus loin encore : elle se fichait de si elle mourait de froid, de si elle se noyait et de son ordinateur ! Enfin, peut-être pas pour l’ordinateur, je m’emballe. Levant les yeux au ciel, la texane pousse un profond soupir las avant de se décider et de tendre la main. Décidément, elle mérite une médaille.

« Par contre je te préviens, ose seulement essayer de réitérer cet exploit et ça sera tant pis si tu meurs de froid. »

Vesper a l’impression de passer son temps à la menacer depuis tout à l’heure. Ce qui n’est pas vraiment son genre, elle est plutôt du style zen. Enfin, lorsqu’il n’est pas question de mettre sa vie en péril sur un tournage, bien sûr. D’ailleurs zen n’est pas le bon mot mais rares sont les moments où elle se sent impliquée. Tandis que là, on parle quand même de son bateau, ce qui explique que l’implication soit au max. Mais peut-être n’irait-elle pas jusqu’à laisser mourir quelqu’un en pleine mer non plus. Une fois que cette drôle de nana est à bord elle aussi, elle coupe court à la conversation et s’en va prendre la barre.

Je te ? Le regard de Vesper se durcit. Je te quoi exactement ? Elle a beau être non-violente, il ne vaut quand même mieux pas jouer avec ses couilles embryonnaires non plus. Qu’elle essaye seulement pour voir et elle risque d’être surprise. Mais cette nana n’est clairement pas en position de la menacer et elle semble s’en rendre compte. Ce qui l’empêche de terminer sa phrase, c’est certainement mieux comme ça. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle l’aide à grimper sur le pont de son bateau mais la garde à l’œil et se tient prête en cas de nouvelle saute d’humeur, cette fois. Mais la demoiselle semble se tenir à carreau désormais et finit même par se présenter. Lucy. Super, ça lui fait une belle jambe. Puis elle enchaîne sur une potentielle explication de son comportement et va même jusqu’à s’excuser. Hum hum, Vesper en a rencontré des gens bizarres dans sa vie alors elle ne moufte pas mais quand même, de tous les bateaux du port, il avait fallu que ça tombe sur le sien. Lunatique, oui, c’est une façon de voir les choses même si elle aurait plutôt parlé de bipolarité dans ce cas. Mais sans savoir de quoi elle parle. Tout le monde est atteint par au moins une maladie mentale quelle qu’elle soit, de ça, la texane en est persuadée – oui, elle y compris -, mais tout le monde ne se soigne ou ne se fait pas diagnostiquer alors elle va s’abstenir de jouer les psy. Sans quoi ça finirait bien un jour ou l’autre par se retourner contre elle et ça, c’est une perspective qui ne la réjouit bizarrement pas.

Lucy la sort de ses réflexions en lui demandant s’il y a moyen de connaître son identité. Elle a l’air attachée à cette information. Sa voyante lui aurait rappelé que donner son nom à un étranger, c’est lui donner un pouvoir sur sa personne mais Vesper ne craint pas grand-chose étant donné qu’elle ne se sert pratiquement plus que de son nom de scène. Et puis elle n’y pense même pas, elle se dit que c’est peut-être pour lui envoyer un petit truc en remerciement plus tard. Ouais, c’est naïf de sa part. Quoi qu’il en soit…

« Vesper. »

Comme toujours, elle s’attend à une remarque quant à l’originalité de ce prénom puis ajoute :

« Viens dans la cabine, tu vas finir par te transformer en glaçon si tu restes là. »

Ce qu’elle trouve bizarre car si elle a froid, ce n’est pas non plus à ce point. Pourtant, on rappelle qu’elle vient d’une contrée sauvage où il n’est pas rare qu’il fasse dans les quarante degrés. Elle lui rend son ordinateur et prend les commandes du Billy Blue. Les yeux fixés sur l’océan, elle demande :

« Ça t’arrive souvent ce genre de… choses ? »

Par-là elle entend vol, rencontre avec les personnes lésées également mais elle ne prend pas la peine de le préciser et la laisse libre de son interprétation.

Non, à l’évidence, Vesper ne parle pas de prendre un bain de bon matin ; après tout, elle provient du Texas, un coin parfois aride alors se baigner dans une eau qui lui paraît gelée au petit matin, très peu pour elle mais qui sait ? Peut-être que Lucy n’a même pas remarqué son accent. Ou qu’elle le fait exprès de tourner autour du pot. Ce qui lui semble tout de suite plus probable. La blonde ne trouve rien à dire là-dessus et la laisse donc poursuivre, arquant un sourcil en apprenant qu’elle n’a pas l’habitude de pousser d’autres gens que ses frères à la mer. Il fallait donc que ça tombe sur elle. Incroyable. Pourtant, la texane sait que si ça lui est arrivé, ce n’est pas un hasard. Il n’existe pas de hasard en ce monde, voilà ce qu’elle croit. Il y a une raison si c’est son bateau que Lucy a décidé de voler, il y a en a également une si elle a décidé de les retrouver elle et ledit bateau et encore une si elles ont toutes deux terminé à l’eau. C’est juste qu’elle ne connaît pas quelles peuvent être ces raisons. Peut-être même qu’elle ne les connaîtra jamais mais elle est convaincue qu’elles existent.

Vesper garde les lèvres closes jusqu’à ce que la jeune femme réitère ses excuses. Non, elle n’irait pas jusqu’à dire que ce n’est rien car il ne faudrait pas qu’elle la prenne au mot et qu’elle croit que ça lui donne le droit de recommencer mais la colère est retombée. Un peu. Pas mal. Elle hausse alors vaguement les épaules.

« Je comprends. Mais je préfère qu’on me demande d’abord mon accord. »

Bon, peut-être bien qu’elle n’aurait pas accédé à cette requête, surtout de la part d’une parfaite étrangère, mais ç’eut été avec plaisir qu’elle lui aurait proposé de l’emmener en mer, en revanche. Vesper était toujours ravie de pouvoir mettre les voiles. La blonde étire un faible sourire non pas à la phrase qui suit mais à sa question.

« Oui, c’est le Billy Blue. »

Une référence qui lui passerait sans doute au-dessus de la tête comme c’est le cas de bien des gens, tout simplement parce que les fans de slashers, ça se perd aujourd’hui mais qu’importe. Puis elle hoche la tête en réponse à sa question. Oui, elles rentraient, notamment parce que ça serait des plus bizarres qu’elle lui propose d’aller faire une balade. Par contre…

« Ouais. Sauf si t’as encore besoin du bateau tant qu’on est là ? »

Décidément, sa gentillesse la perdrait.

Oui, sa réaction est bien normale. Vesper est contente que Lucy lui donne raison sur ce point. Même si au final, c’est elle qui l’a mise dans cette situation. Mais elle ne lui en tient pas – trop – rigueur car elle a l’air complètement paumée, cette jeune fille. Et la blonde a toujours été quelqu’un d’assez sympathique. On n’ira jusqu’à dire altruiste parce qu’il faut pas pousser non plus mais sympa, en tout cas. Et cette nana, en dépit du fait qu’elle lui ait volé son bateau – pardon, « emprunté sans demander la permission » - lui fait un peu de peine. Raison pour laquelle elle ne l’a pas tout de suite jetée par-dessus bord, elle et ses données. Ce qui fait que, maintenant, elles sont en train de discuter de la pluie et du beau temps comme si rien ne s’était passé.

« Tu connais le film Souviens-toi l’été dernier ? De là. »

Tous les gens qui ont connu l’époque de sa sortie – et on dirait à vue d’œil que c’est le cas de Lucy sans qu’elle puisse pour autant lui donner un âge précis -, doivent s’en rappeler, de ce film. Non pas parce qu’il est très bon – même si Vesper l’aime quand même beaucoup -, mais parce qu’à l’instar des Scream et autres Urban Legends, il a quand même fait pas mal parler de lui à l’époque. Tout ça pour dire que le Billy Blue, c’est le nom du bateau de Ray, un pêcheur supposé tueur du film.

Par gentillesse, quand Lucy lui demande si elles rentrent, Vesper lui propose alors de lui prêter son bateau encore quelques instants si elle en a besoin pour ses recherches. Sa question lui fait tout d’abord hausser des sourcils circonspects avant de la faire marrer. Des planches ou des skis nautiques ? En quoi ça peut bien l’aider pour son boulot, ça ? Non parce que c’est pas le genre d’activités qu’on fait entre potes, ça ? A moins d’être payé pour, bien sûr. Lucy n’est peut-être pas sa pote mais elle ne manque pas de cran, il faut au moins lui reconnaître ça.

« Non, mais j’ai encore le matos de plongée qu’on m’a prêté, si ça t’intéresse. »

Il faudrait tout de même qu’elle pense à s’en acheter un à elle, un de ces quatre, parce que la plongée, ça branchait toujours tout le monde. Elle y comprit.