first meeting (alice)

L'arrivée de ce bébé avait bouleversé notre vie. Avant sa naissance, avec ce déni de grossesse, et maintenant, avec toute l'organisation que cela impliquait. À l'arrivée d'Elliot, j'étais seule et même si j'appréhendais, ça c'était très bien passé. Mais aujourd'hui, les choses étaient un peu différentes, puisque nous étions trois dans cette famille avant de voir Leo pointer le bout de son nez. Je craignais que le passage d'enfant unique à grand-frère soit problématique, qu'il se sente délaissé, mais pour l'instant, Elliot reproche seulement à son petit frère de le réveiller de temps en temps en pleine nuit. Rien de bien dramatique, nous devons encore trouver le rythme parfait pour que tout fonctionne. Cela ne fait même pas un mois que nous sommes quatre, c'est normal d'en être là encore. Aujourd'hui, j'ai décidé de sortir un peu avec lui et de me rendre sur mon lieu de travail. Je n'ai pas encore eu l'occasion de revenir depuis que j'ai perdu les eaux. Je fais le choix de ne pas venir aux heures de pointes, je ne voudrais pas que ma présence gène plus qu'autre chose. Je pousse la porte du bâtiment et enjouée de me retrouver ici, je m'exclame. « Coucou ! » La poussette rentrée, je me dirige naturellement vers l’arrière boutique, la cuisine. Si c’est calme dans la salle, c’est que toute l’activité est là-bas. Bingo ! Je vise juste, puisque j’y retrouve Alice. « Je suis venue lui montrer l’endroit où il a décidé qu’il était temps de sortir. » Que ça se soit passé ici, je trouve cela assez amusant. Car finalement, en découvrant ma grossesse à Noël, c’est comme si j’avais dû gérer de front deux bébés : le vrai et ce projet de café-pâtisserie. J’avance un peu plus la poussette et baisse la protection pour le soleil de la nacelle. « Alice, je te présente Leo. Leo voici Alice, une personne que tu risques de voir assez souvent. » Bientôt, je reprendrais du service ici et parfois, le petit garçon m’accompagnera sûrement. Avec Natalia, nous n’avons pas vraiment abordé les questions de garde pour l’instant, alors si jamais c’est compliqué, pour quelques heures, le garder ici serait quelque chose d’envisageable. « Ça va ? Ce n’est pas trop la course en ce moment ? » Avec cette grossesse surprise, j’ai dû mettre le café un peu de côté et laisser gérer mes partenaires. Je m’en veux un peu, car au début, quand nous nous sommes lancées dedans, nous étions trois et non deux et demi.

Revenir ici, surtout après ce qu’il s’est passé, c’est assez étrange. Mais tout comme Leo, ce café est désormais mon bébé. J’y ai mis beaucoup de moyens et de forces, ce n’était donc qu’une question de temps avant que je ne revienne. Et puis, accoucher, c’est une belle chose, ce n’est pas comme s’il était arrivé quelque chose de dramatique. La porte de l’établissement poussée, je me dirige vers rapidement vers la cuisine, là où l’action semble être. En me voyant, Alice demande à ce que l’une des machines soit éteinte. Sans bruit, ce sera tout de suite plus agréable. « J’espère qu’il tient un peu de moi. » Si c’est le cas, cela voudra dire qu’il tient aussi de son grand-père. Des quatre Wade qu’a eu mon père, nous ne sommes que deux à avoir le même teint halé que lui. Deux filles. C’est peut-être un signe qu’il soit maintenant transmis à deux petits garçons. Même si je suis venue ici pour présenter Leo, je ne peux m’empêcher d’interroger la jeune femme sur ce qui se passe ici. Avec ce déni de grossesse, nous avons été prises par surprise et certains détails liés à l’ouverture du café ont dû reposer sur leurs épaules et exclusivement les leurs. Elle énumère alors les aléas du travail et à mon plus grand soulagement, il n’y a pas tant de négatif que ça. À sa proposition, je fais demi-tour avec la poussette et regagne la salle du café. « Ça va, ça va. En quatre ans, j’avais oublié ce que ça faisait d’avoir un nouveau-né. Mais heureusement, on reprend rapidement la main. » Avec Elliot, j’avais dû tout découvrir par moi-même. Étant mère célibataire, j’avais dû faire certains choix, notamment celui de prendre un travail me permettant d’être plus disponible. « Et puis, même si sa venue était une grande surprise, je n’échangerais cela pour rien au monde. » Nuits courtes, rythme bouleversé. Ce n’est rien à côté de la joie que je ressens lorsque je tiens le petit garçon entre mes bras. « C’est vrai que pour le café, cela aurait pu mieux tomber. » Apprendre cela durant les travaux, quelques jours avant l’ouverture, on a connu mieux comme organisation. « Mais je vais revenir très vite ! » Je parle là de manière officielle, pour pouvoir travailler en salle et épauler mes deux associées. Mais officieusement, je risque de revenir encore plus vite, pour un café, une viennoiserie ou simplement pour prendre des nouvelles. « Et si vous avez besoin de moi pour le côté administratif, n’hésitez surtout pas, je peux m’occuper de cela de chez moi. » La comptabilité, ça fait rarement envie, mais si en faisant cela je peux soulager mes amies, alors je le ferais. La poussette laissée à côté d’une table de la pièce, je me dirige vers l’arrière du comptoir. « Qu’est-ce que tu me suggères ? Avez-vous produit de nouvelles choses récemment ? » J’entends par là, pendant mon absence.

À en croire les propos de la jeune femme, le petit garçon tient de moi et entendre cela m’arrache forcément un sourire. Au final, les pères font quoi ? Je l’ai porté neuf mois, je lui ai apporté tout ce qu’il fallait pour grandir correctement, je mérite de me retrouver complètement en le regardant. Surtout quand le père est Archie, quand il est absent la plupart du temps. Très vite, nous quittons la cuisine pour rejoindre la salle où nous accueillons les clients. Pour un bébé, ce sera sûrement mieux. Pour moi aussi d’ailleurs, si un jour je dois passer du temps avec les pâtissiers, cela arrivera quand j’aurais repris le travail et pas lors d’une visite de courtoisie. Lorsque je lui demande les nouveautés qui ont vu le jour depuis mon départ, Alice me répond avec beaucoup de passion. Il est facile de voir qu’elle aime ce qu’elle fait. « Tout ça ? J’ai l’impression d’être partie pendant trois mois ! » Elle avoue ensuite que les deux garçons qui l’aident y sont pour beaucoup. C’est une bonne chose, ça nous montre que l’on a fait le bon choix en les embauchant. On voulait de la nouveauté, quelque chose qui sort du lot et on l’a. « Un croissant à la pâte de pistache et chocolat pour moi aussi, avec une tartelette aux fraises, s’il te plaît. » Je n’ai plus l’excuse de la grossesse pour manger plus que je ne le devrais, mais j’ai envie de me faire plaisir un peu. La serveuse dépose sur un plateau ce que nous lui avons demandé. Alice le récupère et nous allons nous installer à une table. « Pour l’instant, ça va. Il se fait réveiller certaines nuits et il ne comprend pas trop, il n’a pas l’habitude. Mais heureusement, il arrive à se rendormir assez vite. » En plein milieu de la nuit, dans un état situé entre l’éveil et le sommeil, je ne sais pas si nous serions capable de gérer deux enfants qui peinent à se rendormir. « On essaye de le faire participer au maximum. Il est fier de son rôle de grand-frère, alors il prend du plaisir. » Il aime le faire et il aime aussi le raconter. Quand j’ai ma mère au téléphone, il se sent obligé de lui dire qu’il a donné un bain à son petit-frère la veille. « On doit en profiter, ça ne va sûrement pas durer. Il va sûrement avoir une phase où il aura envie de redevenir fils unique. » Cette vie à quatre est encore récente, ce sont les bons moments qui ressortent, mais avec le temps, Elliot voudra sûrement retrouver les moments où il était tout seul, où il était le centre d’attention. Alors que je croque dans mon croissant, Leo commence doucement à s’agiter dans la poussette. « Il se réveille, tu veux le prendre ? » Dis-je, alors que je pose l’une de mes mains sur son ventre pour essayer de le calmer un peu. J’ai l’occasion de l’avoir contre moi à longueur de journée, si elle veut pouponner un peu, autant qu’elle en profite.

J’ai raté plusieurs jours avec mon accouchement et pourtant, à en voir les pâtisseries, salées ou sucrées, dans la vitrine, j’ai l’impression d’avoir manqué plusieurs mois. « Non, non. Ne t’en fais pas. » Dis-je rapidement, ne voulant pas l’inquiéter plus que nécessaire. « Il y a beaucoup de choix et ça peut mettre la pression aux heures de pointe, mais quand l’une de ses gourmandises deviendra le coup de cœur de quelqu’un, alors nous serons ravis de les avoir proposées. Aussi nombreuses soient-elles. » Et si jamais nous remarquons que certaines fonctionnent moins bien, alors nous les retirerons. Nous n’avons rien à perdre à essayer, surtout que c’est le début pour nous, nous devons encore apprendre à connaître les habitudes de nos clients réguliers et charmer de nouveaux clients. Je ne peux m’empêcher de sourire lorsqu’elle mentionne l’excitation des pâtissiers à produire de nouvelles friandises. Une chose est sûre, nous avons fait les bons choix lors du recrutement de l’équipe. Nos pâtisseries récupérées, nous prenons place à une table et très vite, le sujet s’oriente vers mes deux garçons. Pour l’instant, l’aîné vit plutôt bien l’arrivée de son petit-frère, mais rien ne dit que cela va durer. Comme elle le mentionne, rapidement, il pourrait comprendre la différence qu’il y a entre eux : avant que Leo puisse jouer avec lui, il va falloir attendre plusieurs mois. Lorsque le petit garçon commence à s’agiter dans la poussette, je demande à mon amie si elle désire le prendre. Je suis venue ici pour faire les présentations, alors autant qu’elle en profite au maximum, surtout qu’on ne sait pas encore quand est-ce qu’ils auront l’occasion de se revoir. Bien qu’hésitante au départ, Alice ne se fait pas prier longtemps et prend Leo contre elle. Elle commence à lui parler et je me laisse attendrir par la scène qui se déroule sous mes yeux. Ma famille a eu l’occasion de le voir déjà, mais en dehors d’eux, la jeune femme est la première à faire sa connaissance. Lorsqu’elle évoque le rêve qui risque d’occuper sa nuit, je ne peux cacher ma surprise. « C’est un rêve récurrent ? C’est peut-être l’occasion de se lancer. » C’est plus facile à dire qu’à faire. « Tu as un prétendant ? Sinon, je peux m’en charger. J’ai du temps à perdre un peu, donc je peux jouer l’entremetteuse. » À défaut de travailler. Quand Leo dort, j’ai de quoi m’occuper. « Tu me donnes tes critères et je ferais des recherches. » Un large sourire se dessine sur mes lèvres. Je ne me suis jamais vue comme entremetteuse, mais je peux peut-être être douée. « Attention à ce que tu dis. Je suis seule ici, mais il a une vraie garde rapprochée en dehors. » Dis-je lorsqu’elle mentionne le fait de le kidnapper. Elle ne dit pas cela au premier degré, j’en suis bien consciente. Mais avec une petite amie qui travaille dans les forces de l’ordre, deux sœurs et deux frères, autant la prévenir que du monde viendra cogner à sa porte si cela arrive un jour. « Mais je note que si jamais j’ai besoin, je peux t’appeler. Un petit entraînement pour plus tard. » Alice est une femme agréable, charmante et drôle, je n’ai aucun doute sur le fait qu’elle aura sa propre famille dans quelques années.

Avant cette collaboration, nous ne nous connaissions pas vraiment. Je n'ai pourtant jamais douté de la jeune femme. Dès le début, j'ai fait le choix de lui faire confiance et grâce à cela, nous sommes le café de la ville qui innove. Nous avons des habitués, comme partout, mais chaque jour, nous voyons aussi de nouveaux visages, des personnes qui ont envie d'essayer de nouvelles choses. La conversation dévie ensuite sur la vie amoureuse de mon amie et ce qui semble être une envie de fonder une famille. Je me propose pour jouer les entremetteuses : je suis en congé maternité et j'ai du temps à perdre, autant l'utiliser à bon escient. « Je pense que c'est quelque chose qui se trouve. » Je pourrais bien ajouter "facilement", mais depuis quelques années, les choses ont changé, les mentalités aussi et il est sûrement moins évident de trouver une personne qui désire des enfants, ou plutôt qui en veut dans un futur proche. Plus compliqué, mais pas impossible. Ce qui aurait sûrement été le cas si la liste d'exigence de mon amie était plus longue. La proposition de la brune pour garder Leo ne tombe pas dans l'oreille d'une sourde. Depuis l'arrivée du petit garçon, Natalia et moi n'avons pas vraiment eu l'occasion de nous retrouver toutes les deux, rien que toutes les deux. Elliot et Leo ne sont jamais bien loin et autant dire que pour la brune, depuis la naissance de son fils, je passe au second plan dès qu’il commence à faire du bruit. Doucement il commence à s’agiter dans les bras d’Alice, alors elle ne tarde pas à me le donner. Je le pose contre moi, ce qui lui permet de sentir les battements de mon cœur. C’est quelque chose qui a tendance à le calmer bien rapidement. Pendant ce temps, la pâtissière s’éclipse, sans que je comprenne vraiment pourquoi. Je regarde la personne qui nous a servi, espérant peut-être un indice de sa part. Si elle s’active de son côté aussi, c’est peut-être qu’il se passe quelque chose en cuisine, mais rien. Lorsqu’elle revient, elle baisse la tête et son regard me fuit. J’ai beau être déconnectée du monde depuis plusieurs jours, dans une bulle de bonheur avec ma famille, je ne suis pas idiote : il se passe quelque chose. « Alice ? Est-ce que tout va bien ? » J’ai peut-être dit quelque chose qui ne fallait pas. J’essaye toujours de ne pas être maladroite, mais finalement, avec la jeune femme, on ne se connaît pas depuis très longtemps. Il y a sûrement des choses que j’ignore sur elle, quelque chose que j’ai peut-être accidentellement évoqué. « Tu sais que si tu as besoin, je suis là. Maintenant ou plus tard. De jour comme de nuit. » Naturellement, j’aurais une préférence pour l’aider en journée, mais parfois, il est impossible de contrôler quand l’envie de parler arrive. Surtout quand on fait des rêves précis, qui semblent nous retourner, la nuit. « Tu m’appelles et je viens à ta rescousse. » Je suis une amie loyale et j’ai grandi dans une grande famille : si elle a besoin d’une oreille attentive, je suis la femme de la situation.

Voir mon amie craquer face à moi, sans que je puisse faire quoique ce soit, ça me rend dingue. Depuis toute petite, je suis confrontée à ce genre de choses : au surplus d’émotions des gens, m’obligeant à développer le côté empathique de mon caractère. Je suis devenue empathique très jeune, mais beaucoup de personnes l’ont été avec moi aussi. Bien sûr, pour cela, je devais leur parler un peu, exprimer ce que j’avais. C’est ce que j’attends de la part d’Alice, même si je ne peux pas la forcer à parler. Si elle ne le veut pas, pas aujourd’hui, alors j’attendrais sagement qu’elle le fasse un jour. Tant qu’elle sait que je serais toujours là pour elle, alors il y a de l’espoir. Après plusieurs minutes, une ouverture semble se faire. La jeune femme reste néanmoins sur ses gardes, de peur que je puisse la juger. Instinctivement, je fronce légèrement les sourcils. La juger ? C’est mal me connaître. Elle ne pense pas à mal en disant cela, je le sais. J’ai moi aussi été dans une telle position. Lorsque j’ai appris qu’Archie avait une femme et que je n’étais que sa maîtresse, j’ai eu du mal à en parler à certains membres de ma famille, de peur qu’ils aient un avis bien tranché sur la question. D’ailleurs, c’est en partie pour cela que certaines personnes ignorent encore les détails de notre histoire. « Bien sûr ! Je t’écoute. » Autour de nous, plus rien ne compte. D’ailleurs, j’en oublierais presque que le café est ouvert, qu’il y a des employés, ainsi que des clients. Il n’y a qu’elle et l’histoire qu’elle s’apprête à me raconter. Ne dit-on pas qu'écouter est une attitude du cœur, un désir authentique d'être avec l'autre qui attire et guérit à la fois ? Si parler un peu peut aider Alice à se sentir mieux, alors je me dois d'être la personne attentive dont elle a besoin. Elle sort son téléphone, y choisit une photographie dans ses fichiers et me le temps. Je m'attarde un peu dessus, la reconnaissant facilement, avec quelques années en moins. C'est alors qu'elle m'explique ce que j'ai sous les yeux. Tout de suite, tout fait sens : avoir Leo dans ses bras l'a ramené à un souvenir douloureux, à la sensation que lui avance, fait sa vie, alors qu'elle, elle le fait plus lentement. « Si ce n'est pas indiscret, qu'est-ce qu'il s'est passé entre vous ? » Je suis loin d'être une experte en histoire d'amour, les miennes étant un peu chaotiques et qui sortent de l'ordinaire. Mais en fonction de ce qu'il a pu arriver entre eux, toute cette histoire peut faire mal à différents niveaux. « J'espère qu'il n'est pas parti parce qu'il ne voulait pas d'enfant, c'est un connard sinon. » Mes mots sont un peu crus, c'est vrai et sûrement peu appropriés. Après tout, je ne le connais pas, c'est peut-être quelqu'un de bien. Mais l'idée même de voir mon amie souffrir à cause de tout cela, ça me fait rentrer dans un mécanisme de défense. "Touche à mes amies et tu verras de quel bois je me chauffe". Je ne sais pas si la jeune femme va continuer sur sa lancée, si elle va me donner un peu plus de détails, mais c'est déjà un pas de fait en avant. Maintenant, je sais qu'entre Leo et elle, je dois y aller doucement.

Au début de son histoire, je suis loin de me douter de ce qui va suivre. Pour moi, c'est James qui est en tort, ce ne peut être que lui. Je tire des conclusions hâtives : je suppose qu'il ne voulait pas d'enfants à l'époque où ils étaient ensemble et là, de savoir qu'il va devenir père, c'est ce qui blesse la blonde. Mais non.. elle continue son récit et évoque son avortement. Un geste dont l'homme n'a pas eu connaissance. Petit à petit, mon cerveau commence à faire les connections et je comprends ce qui la met dans cet état là aujourd'hui. Cette photographie de James, puis Leo, pour quelqu'un qui a toujours voulu des enfants, ça fait forcément beaucoup. Et puis, tout à l'heure, sans le vouloir, j'en ai rajouté une couche avec cette idée de lui trouver l'amour. « Hé Alice.. » Avant de poursuivre et pour accompagner mes mots, je viens poser ma main libre sur les siennes. « Je suis là, d'accord ? » Un sourire se dessine sur mes lèvres, un sourire attendrissant qui essaye de la rassurer. Si les choses s'étaient passées autrement pour Leo, si je n'avais pas appris aussi tard pour ma grossesse, tout serait peut-être différent aujourd'hui. Lorsque j'ai eu Elliot, malgré la situation dans laquelle je me trouvais avec Archie, je voulais cet enfant. Ce n'était pas idéal, c'est vrai, mais contrairement au mariage, devenir mère a toujours été une chose que je désirais. Seulement, de voir le petit garçon grandir en ne voyant que très rarement son père, ça m'a fait mal au coeur. Qu'il ne quitte pas sa femme, c'était une chose, mais qu'il brise de plus en plus les espoirs d'Elliot au fil des années, s'en était une autre. Imposer cela à deux enfants, c'est un peu monstrueux, non ? Je rêvais d'une famille parfaite, comme celle de mes parents, mais au final la mienne est bien différente. Différente, mais je ne l'échangerais pour rien au monde. Malgré les doutes et les difficultés, ils sont aujourd'hui ce qui m'est le plus précieux. « Parfois, même si c'est difficile, nous sommes obligées de prendre des décisions qui changeront le reste de notre vie et personne ne doit te juger pour cela. » Ici, je ne le fais pas et ce James n'aurait pas eu le droit non plus, que cette décision lui plaise ou non. Mais ça, il n'a même pas eu l'occasion de le faire puisque la blonde a préféré garder cela pour elle. Ce qui n'est pas forcément mieux, car un tel secret est lourd de conséquence. Enfin.. je suppose. Ce n'est pas comme si elle lui avait caché l'endroit où elle avait mis leurs friandises communes. On parle là d'un avortement, quelque chose qui brise une partie de toi, que ce soit voulu ou non. « Tu ne lui as jamais dit la vérité ? Même plus tard ? » Si elle m'en parle des années plus tard, même si on ne se connaissait pas à l'époque, c'est que ce sujet est toujours difficile pour elle. Ce qui me donne la réponse à mes questions. « Et aujourd'hui ? » Je me trompe peut-être, sûrement même, mais garder ce poids pour elle, ce n'est pas une bonne idée. Elle vient de se confier à moi, c'est vrai et peut-être qu'elle l'a déjà fait avec d'autres personnes. Cependant, au fond de moi, j'ai envie de croire qu'en parler au principal concerné est la meilleure des choses à faire pour l'aider, pour se libérer de tout cela. « Tu as déjà pensé à le recontacter ? Pour cela ou simplement pour le revoir. » En ce qui concerne les anciennes relations, il y a toujours deux équipes. Celle qui est contre le fait d'établir un contact et l'autre, celle qui suppose que ce n'était juste pas le bon moment, mais qu'une histoire est toujours possible à écrire. Personnellement, je ne sais pas dans laquelle je suis, je n'ai jamais été confrontée à cela. Peut-être la deuxième.

Je parle un peu sans réfléchir, mais Alice me ramène bien vite à la réalité en me rappelant que l'avortement était passible d'une peine de prison il y a encore un an. Quelque chose qui me dépasse. Cependant, cela ne change rien à mes yeux. Que son geste soit interdit ou non, à l'époque comme aujourd'hui, l'important est qu'elle ait pu faire ce qu'elle désirait vraiment. « Ce n'est pas pour autant que tu dois te sentir coupable d'avoir fait cela. À ce sujet, le pays a un train de retard. D'ailleurs, personne ne devrait être puni pour cela. Que ce soit ici ou ailleurs. » Si maintenant la Nouvelle-Zélande ne punit plus l'avortement, ce n'est pas le cas partout et des femmes mettent parfois leur vie en danger en se retrouvant obligée de faire cet acte dans des cliniques clandestines où les mesures sanitaires ne sont pas forcément bonnes. Alors que je lui demande si elle a déjà essayé de recontacter son ancien petit ami, la blonde me répond à la négative. Comme elle semble l'expliquer, elle lui a brisé le cœur et forcément, il n'est jamais simple de revenir suite à cela. Malgré les explications qu'elle pourrait lui donner, avec la rancune et la colère, il serait bien incapable de comprendre son geste : à vingt-cinq ans, Alice n'était pas prête à devenir mère et même si j'arrive à la comprendre, ce ne sera pas le cas de tout le monde. « Pour un monstre ? Mais ça ne va pas. Jamais de la vie ! » Même dans le cas où je n'arriverais pas à la comprendre, je ne pourrais pas la voir comme cela. « Si tu ne te sentais pas prête, c'est comme ça. Si tu l'avais gardé à contre cœur, les choses seraient peut-être pires aujourd'hui. » Loin de moi l'idée de dire qu'elle n'aurait pas réussie à l'élever, mais peut-être qu'elle n'aurait pas pu tisser ce lien si particulier avec son enfant. Cela arrive parfois, rarement heureusement. Ou alors peut-être que tout se serait bien passé, que l’envie de devenir mère se serait construite au fil des mois de sa grossesse. Mais ça, nous ne le saurons jamais. « Il y a toujours un moment dans nos vies où on fait quelque chose qu’on ne devrait pas. Un égarement qui fait ce que nous sommes aujourd’hui. Je ne suis pas fière de tout ce que j’ai fait dans ma vie et pourtant, je ne reviendrais jamais en arrière si on me laissait la possibilité de changer quelques choses. » Je suis plutôt bien placée pour dire cela. Il y a une période, rares étaient les soirs où je ne me remettais pas en question. « Si tu te considères comme un monstre d’avoir fait cela, je ne suis sûrement pas mieux. » Elle a pris son courage à deux mains aujourd’hui et s’est livrée à moi. Elle s’est mise à nue et je pense qu’il est temps que je lui dévoile un peu plus de ma vie aussi. « J’ai eu une aventure avec un homme marié. » Rien à voir avec un avortement, mais selon le point de vue des gens, je suis loin d’être une bonne personne. Pour beaucoup, entre Archie et moi, je suis sûrement la méchante, même si c’est lui qui a trompé sa compagne. « Quand les choses ont commencé entre nous, je n’étais pas au courant. Quand je l’ai appris, j’ai pris mes distances.. un certain temps. J’ai fini par revenir vers lui. » Chaque fois que cela arrivait, je me sentais bête et pourtant, c’était comme vital. « Aujourd’hui, nous avons deux enfants ensemble et il n’est jamais là pour eux. » Ma famille est au courant de tout cela, enfin.. sauf Noah, et quelques amis aussi. Mais avec l’honnêteté dont elle vient de faire preuve et notre collaboration, je pense qu’elle mérite de savoir aussi. « En réalité, il n’a pas connaissance de l’existence de Leo. Pas encore. » Mon regard se pose sur le petit garçon, installé dans mes bras, qui doucement s’est endormi. « Je n’aimais pas l’idée d’être au milieu d’un couple. J’aurais pu fuir avant qu’il ne soit trop tard et pourtant, je ne l’ai pas fait. » J’avais des sentiments pour lui et il était difficile de m’en défaire. Mais si je lui raconte cela, ce n’est pas pour m’apitoyer sur mon sort ou quoique ce soit d’autres, je veux juste qu’elle sache qu’un geste de sa part ne doit pas contrôler sa vie pour les jours futurs. « Tu ne dois plus t’en vouloir et avancer. » C’est sûrement plus facile à dire qu’à faire, c’est vrai, surtout si elle a encore des sentiments pour James. Mais s’il a refait sa vie, elle devrait sûrement en faire autant.