may you always know you have my hand to hold (charli)

Assise à même le sol dans l’un des nombreux espaces verts de l’université de Wellington, Abby est penchée sur son ordinateur portable. De nombreux livres sont éparpillés autour d’elle car, en dépit de son jeune âge et des avantages de la technologie, elle est encore parfaitement capable de rester vieux jeu à ce niveau. Elle jette donc régulièrement un coup d’oeil à l’un ou l’autre des bouquins, ses doigts soulignant une phrase précise, ses yeux à la recherche d’un paragraphe en particulier. Et dès qu’elle repère quelque chose qui l’intéresse, la jeune femme le note sur son document ouvert, qui fait encore office de brouillon. De nombreuses idées ont ainsi été jetées sur l’ordinateur et, même si un schéma commence à prendre forme, Abby est encore loin de s’en sortir. Depuis le début de sa troisième année, quelques semaines auparavant à peine, elle a de plus en plus l’impression que la difficulté s’accroît de manière exponentielle. Ce n’était déjà pas du gâteau en première et en deuxième année, mais c’est de pire en pire et la néo-zélandaise appréhende de plus en plus la suite. En admettant qu’elle réussisse son année, il lui en restera encore une après ça avant de pouvoir espérer décrocher son diplôme. Si elle a déjà du mal, la suite promet d’être plus compliquée encore. Une énième fois, Abby regrette de s’être entêtée à entrer en cursus de droit. Son avenir est tout tracé, c’est vrai : une fois son diplôme en poche, elle pourra intégrer le service juridique de la célèbre entreprise Hallenstein, dont elle porte le nom avec fierté. Et elle a toujours eu le profond désir de rendre ses parents fiers d’elle, pour les rendre encore plus heureux de l’avoir choisie alors qu’elle était encore haute comme trois pommes. Mais ça demande forcément des sacrifices et la brune doit bien admettre que suivre un cursus qui n’est pas profondément son choix a un certain nombre d’inconvénients. Néanmoins, il faut bien s’accrocher et, en l’occurrence, elle a une très longue dissertation à rédiger. Mais elle a l’impression de ne pas s’en sortir et, quand une tête familière vient littéralement lui faire de l’ombre, c’est un sourire soulagé qui se dessine sur le visage d’Abby. « Salut bombasse ! » Elle a souvent des surnoms de ce genre pour elle, sa meilleure amie depuis la troisième année. D’ailleurs, ce coin de pelouse est un des endroits où ils se retrouvent régulièrement, avec les garçons. « Comment tu vas ? » La Hallenstein a trouvé la rousse avait l’air un peu préoccupée, mais c’est peut-être seulement un effet de son imagination. « En tout cas, je peux te dire merci, tu m’offres une agréable distraction… Je suis en train de m’arracher les cheveux sur cette foutue dissertation. » Abby n’a jamais caché que le droit n’a jamais fait partie de ses préférences premières, mais ces temps derniers, elle a peut-être été encore plus explicite. « Alors je vais en profiter pour m’offrir une pause bien méritée. J’ai de quoi grignoter, tu en veux ? C’est ma soeur qui les a préparés. » Tout en parlant, elle sort de son sac à main une boîte à cookies faits maison. Ils sont aux pépites de chocolat, les préférés de la métisse, qu’elle ne manque pas de s’envoyer allègrement à chaque fois qu’elle en a l’occasion. Autant profiter d’être encore jeune et d’avoir un métabolisme qui fonctionne toujours bien, non ? Glissant la boîte vers Charli, c’est seulement après en avoir proposé qu’elle-même se sert. « Ils sont trop bons. On va dire que j’ai besoin de sucre pour faire carburer mon cerveau, hein ? » L’excuse idéale, même si en réalité Abby n’a pas vraiment besoin d’en avoir une.

« Ouais, laisse tomber la dissertation. J’envisage de plus en plus d’appeler ma maîtresse de stage du cabinet O’Hara, ne serait-ce que pour m’en sortir un minimum. » De toute façon, Charli et Abby n’étudient pas du tout dans la même filière. Elles ont chacune un domaine bien différent, donc pour s’entraider au niveau des devoirs, c’est déjà plus compliqué. « La chance que ton cours ait été annulé ! Enfin, j’imagine. Au moins, tu as ton après-midi de libre ou presque. » Tout en parlant, l’étudiante en droit sort une boîte de cookies faits maison - pas par elle, évidemment -, qu’elle propose à la sportive. Celle-ci a également quelque chose à manger, à savoir des amandes. « Pourquoi pas ! Merci. » Abby mange moins sainement, alors ce serait sûrement une bonne idée d’inclure davantage de noix, graines et autres choses de ce genre dans son alimentation. Et en ce qui concerne le reste, elle balaye les arguments de sa meilleure amie d’un geste de la main, juste pour ne pas culpabiliser. « Bien sûr que si, ça fonctionne comme ça. Les glucides sont le carburant du cerveau, non ? Bon… Je veux pas entendre parler de sucres rapides, d’accord ? » plaisante-t-elle. Mais en réalité, la métisse peut bien manger ce qu’elle veut. Se servir des faux prétextes est seulement une blague, d’autant plus qu’elle ne compte pas renoncer aux bonnes choses qui lui sont si gentiment offertes. Et elle est contente de voir que Charli prend un cookie aussi, tandis que la discussion revient sur les devoirs - et plus particulièrement sur le sien. « Pour atteindre le minimum de pages requis, il faut que j’écrive beaucoup plus. J’ai fait des recherches, c’est pas ça le problème. Mais pour argumenter, c’est une autre histoire. Visiblement, je n’ai pas assez d’éléments… Ou de convictions, à voir. » La jeune Hallenstein hausse légèrement les épaules. « Mais c’est vrai que le fait que ce soit du droit, ça n’aide pas beaucoup. » Poussant un soupir, Abby décide de fermer son ordinateur portable pour l’instant. Elle n’avance pas beaucoup de toute façon, et elle a envie de profiter de ces quelques instants de répit avec Charli. Qui sait, peut-être que la compagnie rafraîchissante de la rousse l’aidera à trouver un peu d’inspiration ? « Tu as déjà regretté le cursus dans lequel tu t’es engagé ? » demande-t-elle à brûle-pourpoint. La situation est différente et la brune le sait, mais elle ne peut s’empêcher de se demander si sa seule erreur a été de choisir un cursus qu’elle pensait que ses parents voulaient pour elle. Elle aurait pu faire du commerce aussi, mais l’idée est de rejoindre le service juridique de l’entreprise familiale. Et aujourd’hui, en dépit de ses difficultés, Abby se dit qu’elle n’est même pas certaine que si elle pouvait changer, elle ferait un choix différent. « Enfin je demande, mais je pense que si je revenais en arrière, je m’accrocherais quand même au droit. » Chez elle, le désir de rendre ses parents fiers est beaucoup trop ancré, comme si elle pensait devoir mériter leur amour sous prétexte qu’elle a été adoptée. Elle n’a jamais formulé ça à haute voix, mais ça ressort de beaucoup de ses actions. « Et puis le sport te va bien, à toi. » Beaucoup plus que si c’était elle, en tout cas - en-dehors des sports nautiques, elle n’est pas très douée. En plus, elle mange n’importe comment - ça ne doit pas aider -, témoin le fait qu’elle se ressert en cookies. « Tu dois me trouver déprimante, à parler d’école alors qu’on est en pause » plaisante-t-elle, même si à elle, ça lui fait du bien si elle peut en parler un peu.

« Ah, les débats avec Oskar… Toujours intéressants. » Étudiante en droit, Abby apprend forcément à argumenter, à défendre, à plaider. Et à vrai dire, pour les débats en groupes, elle demande régulièrement de l’aide à ses amis pour s’entraîner - ça peut donner des situations comiques en plus, en vérité. La vie étudiante n’est pas facile tous les jours et, comme à l’instant précis elle sent une profonde lassitude l’envahir, la brune évoque ses doutes avec Charli. D’emblée, la réponse de sa meilleure amie est rassurante. « C’est vrai que… Parfois, on a de quoi se poser la question, qu’on aime ou pas. » Et puis se poser des questions au sujet de son avenir, n’est-ce pas le quotidien d’une jeune femme ou d’un jeune homme un minimum réfléchi ? Normal certes, mais pas toujours agréable à gérer pour autant. « Tu as raison. On est là quasiment tous les jours, sauf le dimanche. Et même si on n’a pas de cours, on a des recherches à faire, des pistes à explorer à la bibliothèque, des devoirs à rédiger… » Forcément, ça prend une place importante dans leur vie. Et ce sera le cas jusqu’à ce qu’ils aient terminé, probablement même que ça ira en empirant. « C’est compliqué, c’est sûr. » Abby ne veut rien faire peser sur les épaules de sa meilleure amie. Elle se contente d’exprimer un peu ce qu’elle a sur le coeur, mais elle ne veut pas non plus alourdir son fardeau en quoi que ce soit. « Bon, eh bien… Au moins, on est deux. On était vraiment faites pour s’entendre, hein ? » sourit-elle. Ce n’est pas toujours le beau fixe entre les deux jeunes femmes, c’est vrai. Parfois, la Hallenstein a l’impression que la rousse lui cache des choses et il faut avouer que oui, ça l’agace. Mais elle comprend bien que puisque chacune a son jardin secret - meilleures amies ou pas -, il est inutile d’essayer d’envahir celui de l’autre. Alors elle fait de son mieux, tout simplement. Et quand Charli finit par s’allonger dans le sable, elle l’imite. « On est quand même bien, ici. C’est le reste qui est… Un peu plus compliqué. » C’est clair qu’il y a pire : c’est une belle journée en dépit de la fin de l’été. Le soleil brille, il n’y a pas trop de vent et le ciel est relativement bien dégagé. Alors pendant quelques secondes, Abby reste silencieuse pour en profiter, avant de reprendre la parole. « Un jour, peut-être. Des fois… Des fois, je me demande ce qu’aurait été ma vie si j’avais choisi de faire autre chose. De la couture, par exemple. Peut-être que dans dix ans, j’aurais dessiné des robes de mariées pour l’une des boutiques spécialisées du pays. Alors oui, à vingt et un ans, tout est encore possible… Mais je me vois mal tout recommencer. Déjà la troisième année à la fac, t’imagines bien que j’ai pas fait tout ça pour rien. » Mais d’ici quelques années ? La métisse n’en sait rien, en réalité. « Et puis des fois… J’ai peur de décevoir mon père si je ne rejoins pas l’entreprise familiale. C’est une chance pour nous d’être certains d’avoir du travail tant qu’on fournit un minimum d’efforts. Et en même temps… Quand on se met des attentes à soi-même, je me demande si c’est pas aussi une prison. » Décidément trop bavarde, Abby attrape un autre cookie pour arrêter de parler. Elle n’a envie d’embêter personne, juste peut-être besoin de s’ouvrir un peu aujourd’hui. C’est un autre moment quelque peu privilégié qu’elle partage avec sa meilleure amie et, lentement, elle fait glisser le Tupperware de cookies maison entre elles pour que Charli puisse continuer à en profiter aussi si elle veut.

Au moment où les jeunes femmes s’interrogent naturellement sur leur avenir, Charli évoque Sofia et la nécessité d’aimer son activité du quotidien pour assumer un emploi du temps chargé. Abby hoche la tête en signe d’assentiment. « Je veux bien te croire. Dans un domaine médical aussi poussé, il vaut mieux. » Et c’est assurément admirable. La brune sait qu’elle serait incapable d’assumer un métier avec autant de responsabilités. Le juridique dans l’entreprise familiale, ce serait déjà bien suffisant à ses yeux, alors autant ne pas imaginer le reste… « Oui, j’imagine qu’il vaut mieux tard que jamais… » Abby sait bien qu’à vingt-et-un ans, sa vie est loin d’être figée, même si en théorie elle est plus ou moins tracée pour l’instant. Et si douter et se questionner n’a rien d’agréable - en dépit du fait que c’est probablement normal à cet âge-là -, elle imagine aussi que ce n’est pas facile d’être l’interlocutrice. Charli l’écoute attentivement, mais elle ne doit sans doute pas très bien savoir quoi conseiller. Et est-ce vraiment étonnant ? La métisse est reconnaissante d’avoir une meilleure amie à l’oreille attentive à ses côtés. En plus, la rousse suggère une idée qui s’apparente à un entre-deux. « Tu sais quoi ? Je crois que c’est une bonne idée. Je rêve devant des magazines, mais ça fait longtemps que j’ai plus touché à ma machine à coudre ni à mon carnet à esquisses. Je devrais peut-être surfer un peu moins et m’y mettre un peu plus. » Les deux activités sont pour elles une passion et un exutoire. Et si elle se consacrait à davantage à la couture, alors peut-être qu’elle y verrait plus clair, au final. Charli propose même d’être cobaye mannequin. « Avec un physique comme le tien, ce serait le rêve ! » Néanmoins, la sportive met un holà : pas de robe de mariée dans l’immédiat, de préférence. Un rire s’échappe des lèvres d’Abby. « Pourtant, je suis certaine que ça t’irait à ravir ! Je t’avoue que j’adorerais avoir un aperçu à l’avance… » Bien sûr, elle la taquine un peu. Mais ce n’est pas tout à fait faux. Évidemment, c’est un événement majeur dans la vie de quelqu’un et elles sont probablement bien trop jeunes pour y penser. La réalité, c’est qu’elles ont déjà plusieurs préoccupations dans leur petite tête, insignifiantes ou pas. Finissant son cookie, la Hallenstein écoute Charli lui poser une question qui semble importante. Pendant quelques secondes, elle reste silencieuse, car le sujet mérite réflexion. Mais en réalité, au plus profond d’elle-même, la réponse lui paraît évidente. « Quelque chose sur lequel j’ai de l’emprise, oui, je pense que ce serait mes études. Mais si tu me demandais dans l’absolu… Un truc sur lequel je n’ai aucun pouvoir… Je choisirais d’être née dans ma famille. Je me souviens pas des cinq premières années de ma vie, donc je pourrais pas parler de traumatisme. Et même si je me suis parfois posé des questions, le besoin de retrouver mes parents biologiques ne s’est pas fait ressentir encore. En plus, dans ma famille il n’y a aucune différence, liens de sang ou pas. Mais… Je sais pas, c’est moi… Je me sentirais plus légitime, je crois, si tu veux ce que je veux dire. » Abby sait que c’est un peu bête, mais c’est plus fort qu’elle. En plus, elle ne s’attendait à parler de sujets aussi profonds aujourd’hui, en pleine pause sur un devoir de droit. « Et toi ? Tu changerais quelque chose, si tu le pouvais ? » Charli non plus n’a pas toujours eu une vie facile. Et quitte à se faire des confidences, elle s’intéresse toujours aux sentiments de sa meilleure amie.

La question posée par Charli était inattendue et, en même temps, Abby connaît instinctivement la réponse. Se confier, allongée dans l’herbe, la face tournée vers le ciel, a quelque chose de plutôt facile. En dépit du fait qu’elles sont à l’université, c’est presque comme si elles étaient dans leur univers à toutes les deux. En tout cas, sa meilleure amie semble être sur la même longueur d’ondes, puisque elle finit par s’ouvrir à propos de sujets comme elle ne l’avait jamais fait auparavant. Au moment où Charli affirme que si elle pouvait changer quelque chose, ce serait elle-même, la brune se redresse légèrement, surprise. Elle n’est pas certaine de comprendre où la rousse veut en venir, mais heureusement cette dernière commence à s’expliquer. Et au fil de ses paroles, Abby commence à sentir son appréhension monter d’un cran. Que peut-il bien se passer, pour que l’autre jeune femme se sente aussi mal depuis longtemps ? Quand elle évoque sa grand-mère, l’étudiante en droit reste silencieuse, la gorge serrée. Elle ne s’est jamais sentie en partie responsable de la mort d’un proche, mais elle se doute que ça doit être très difficile à vivre. Et immédiatement, elle s’en veut de n’avoir rien vu, rien compris, rien deviné. Quelle meilleure amie en carton faut-il être ?

Oui, en dépit du fait que Charli essaye de la rassurer, Abby se fait quand même du souci. « Je… Je suis désolée. Je savais pas. » Et elle était là, à faire des blagues sur la ligne, sur la nourriture, sur toutes ces choses qui peuvent être des sujets sensibles. « Tu n’y es pour rien, pour les problèmes de santé de ta grand-mère. Il y a peut-être des choses sur lesquelles on a de l’emprise, mais ces choses arrivent même si on voudrait de tout coeur que ce ne soit pas le cas. » La Hallenstein ne veut pas prononcer de paroles creuses et de propos bateau, mais elle a quand même l’impression de ne pas pouvoir passer à côté de ce que la Lindström lui a confié. Le fardeau qu’elle porte sur ses épaules depuis longtemps, Abby voudrait l’aider à le porter en partie. « J’espère que ton rendez-vous au centre de soins te sera utile, pour lutter contre tes troubles alimentaires. » Elle n’est pas très bien renseignée à ce sujet, mais il faudra désormais qu’elle le fasse, pas seulement pour éviter les boulettes, mais aussi pour apporter une aide pratique si possible.

« Est-ce que tu veux en parler ? » À défaut d’avoir des conseils à donner, la métisse peut au moins être une oreille attentive. « Si c’est le cas, tu sais que ma porte est toujours grande ouverte. Et si jamais tu préfères pas… Alors je peux aussi essayer de te changer les idées. Si on allait se promener quelque part ? » Et en même temps, Charli serait peut-être plus à l’aise pour continuer à se confier si elles étaient ailleurs. Maintenant, Abby ne pense plus du tout à son devoir, ni à ses préoccupations toutes universitaires. Elle a simplement envie d’être là pour sa meilleure amie, rassemblant déjà ses affaires (ordinateur, cookies et autres). « Allez viens, ça nous fera du bien de toute façon d’aller nous promener… » Glissant une main vers la sienne, elle l’aide à se relever, l’entraînant plus loin à ses côtés.


Les deux jeunes femmes se mettent d’accord pour aller se promener un peu, comme si la marche facilitait les confidences. Les espaces verts ne manquent pas à l’université de Wellington, ce qui fait qu’elles ont tout le loisir de déambuler dans l’herbe sans être gênées par d’éventuelles indiscrètes. Sans grande surprise, Charli commence par dire qu’Abby n’a pas à être désolée. Un mince sourire se forme sur ses lèvres, même si elle n’est pas trop convaincue en réalité. En son for intérieur, elle s’en veut un peu de ne pas avoir été capable de voir les signes qui ne sont pas censée tromper et d’être passée à côté de la détresse de celle qui est pourtant sa meilleure amie depuis maintenant trois ans. « Je peux te poser une question ? » Bien sûr, la brune en a beaucoup en tête. Mais l’explication de la rousse, à l’instant précis, fait converger ses pensées vers une interrogation une en particulier. « Pourquoi tu as tout fait pour que ça ne se sache pas ? » Ça l’intrigue beaucoup. Est-ce que c’était par sentiment de honte, par souci de se préserver ? Y a-t-il d’autres raisons, plus complexes peut-être ? Car forcément, Abby aurait voulu la soutenir plus tôt et, même si ça n’aurait peut-être pas changé quoi que ce soit au résultat final, ça ne peut jamais faire de mal d’être entourée. Mais elle n’est pas vexée (il ne s’agit pas d’elle, après tout, mais d’une maladie bien réelle contre laquelle sa meilleure amie lutte), elle essaye simplement de se mettre à sa place. « Je comprends. Peut-être que les secrets aussi, ça finit par ronger de l’intérieur. »

Légère grimace sur le visage, la métisse continue d’avance, pensive. Après coup, il y a peut-être des choses qu’elle saisit mieux maintenant, des épisodes passés qui lui reviennent en tête et qu’elle est mieux à même de comprendre désormais. « C’est pour ça que des fois, tu avais l’air de disparaître, ou de faire des cachotteries, ou je sais pas trop quoi ? » Car cela a parfois été un sujet de discorde entre les deux étudiantes. Abby s’agaçait d’avoir l’impression que Charli ne lui disait pas tout, même si elle avait déjà conscience que ce n’était pas très mature comme ressenti. « Sofia est au courant ? » Après tout, elle est dans le domaine médical. Peut-être qu’elle est capable de l’aider, même si ce n’est pas non plus sa spécialité. Et sinon, encore une fois ça lui fait une alliée de taille, ce qui n’est jamais négligeable. « Je peux faire quelque chose pour t’aider ? » La Hallenstein n’en est pas certaine, car c’est un sujet sensible et délicat, d’autant plus qu’elle n’est absolument pas calée en la matière. Mais humainement parlant, elle est là, elle peut faire des choses, elle est à même d’apporter un minimum de soutien et au fond, c’est peut-être le plus important ou du moins, c’est ce qu’Abby a envie de croire et d’espérer. « Je me doute que c’est une lutte de longue haleine, mais… Tu vas mieux, quand même ? »


Réfléchissant à la réponse donnée par Charli, Abby hoche la tête en signe d’assentiment. « Je veux bien te croire. » Elle-même, est-elle capable de comprendre ? Peut-être pas vraiment, étant donné qu’elle n’est jamais passée par là. Mais elle veut bien essayer en tout cas, parce qu’elle saisit que la compréhension des troubles alimentaires de sa meilleure amie favorisera la compréhension de sa meilleure amie tout court. « Moi, je te jugerai pas en tout cas. » La Hallenstein a beaucoup de défauts, mais elle ne trouve pas ça difficile de ne pas juger les gens qu’elle aime (les autres, en revanche, c’est potentiellement une autre histoire). Elle compatit, ne serait-ce que parce qu’il doit être plus difficile encore de traverser seule une épreuve de ce genre à un âge aussi jeune. C’est pour ça que quand la Lindström affirme être désolée d’avoir parfois disparu ou gardé ses secrets, Abby fait un vague signe de la main, comme pour signifier que ce n’est pas très grave. Tout ce qu’elle voit, c’est que Charli souligne des épisodes de crises et des moments compliqués. « J’imagine… Je comprends mieux. » Et elle aurait aimé comprendre avant bien sûr, mais pourrait-elle seulement blâmer la rousse ? Après tout, il s’agit de confidences difficiles et les troubles alimentaires (ou autres d’ailleurs) sont toujours délicats à évoquer. Même Sofia ne l’a appris que récemment, ainsi que Charli l’informe… Et apparemment, par des circonstances hasardeuses : un malaise, les urgences, la présence de sa petite-amie. La brune hoche la tête un signe d’assentiment. Ça a dû faire un choc à Sofia, mais elle ne demande rien à ce sujet : si sa meilleure amie veut se confier à propos de sa relation, elle le fera d’elle-même. Quoi qu’il en soit, il semble y avoir du progrès. Car en dépit du fait que ce soit un combat de longue haleine, Charli semble déterminée. Elle affirme qu’en parler à ses proches est déjà une bonne chose et, au-delà de ça, Abby connaît la jeune femme. « Et tu es forte. Je le sais. Bien entourée, et dotée d’une belle volonté, même si ça peut arriver à tout le monde de flancher. » La métisse tient à glisser cette précision, parce qu’elle ne veut pas non plus risquer de mettre la pression à sa meilleure amie. Le chemin peut être long et semé d’embûches, mais elle espère que l’essentiel ce soit de continuer d’avancer bravement malgré les obstacles. Et il y a aussi les belles choses, qui aident. « Je suis contente de savoir que ça se passe bien pour Sofia et toi. Tu mérites d’être aussi bien entourée… Et vous êtes sacrément canons ensemble. » Sourire sincère et malicieux adressé à la sportive, Abby effleure sa main comme un signe de réconfort. Elle aura peut-être besoin d’un peu de temps pour se remettre de ses émotions, mais pour l’instant elle a surtout envie de lui changer les idées. « À quelle heure, ton rendez-vous ? On a peut-être le temps d’aller faire un vrai tour avant ? » Au jardin botanique qui est proche, près de l’observatoire, ou même plus près de la mer. Peu importe au fond, elle se dit simplement que c’est peut-être le moment de changer de sujet de conversation et d’aider sa meilleure amie à se distraire et à penser à autre chose, pour passer un bon moment ensemble avant son rendez-vous.