ça finira par passer (jody)

ça finira par passer
crédit/ tumblr ✶ w/jody

Notre garde est terminée depuis plusieurs minutes déjà et pourtant, je suis toujours là, à astiquer l'un des camions de la caserne. Je me suis déjà connue plus pressée que ça, mais aujourd'hui, quelqu'un doit venir ici et j'avais envie d'être là pour l'accueillir. En plus de ça, je n'ai pas à m'inquiéter d'aller chercher Lilly à la garderie : Toni l'a déjà fait et elles sont toutes les deux rentrées à la maison. Comment est-ce que je sais ça ? Comme d'habitude, j'ai eu le droit à la tonne de photos pour illustrer chacune de leurs actions. Le camion propre, je m'attelle à un peu de rangement au niveau de l'accueil. La seconde garde vient d'arriver, alors j'essaye de me faire discrète pour ne pas les déranger dans leurs habitudes. Après plusieurs minutes à m'occuper, la brune que je devais voir arrive à la caserne. Lorsque mon regard croise le sien, je ne peux pas m'empêcher de sourire un peu, sûrement dans l'espoir qu'elle le fasse aussi. « Jody ? Bonjour ! Je suis contente de te voir. » Ce qu'elle est en train de vivre est difficile, alors je trouve ça bien qu'elle sorte un peu et qu'elle accepte de venir ici, le dernier endroit où son petit ami est venu. Ça fait partie de notre boulot, nous le savons tous qu'il existe une possibilité pour que nous ne revenions pas et pourtant, nous signons pour ça. Pendant un temps, je l'ai regretté, mais je ne vois ma place nulle part ailleurs. « Suis-moi, les affaires de Clay sont par là. » Avec plusieurs de mes collègues, nous avons essayé de faire un peu de tri pour rassembler tout ce qui était à lui : il est préférable que ça revienne à sa famille et ses proches, plutôt que ça ne finisse à la poubelle. Ça faisait plusieurs années qu’il était à la caserne, alors forcément, il a accumulé plusieurs choses, au point que c’est la deuxième fois que l’on demande à la brune de revenir. Ce n’est pas l’idéal, mais au moins, ça nous permet de prendre un peu de ses nouvelles. Je prends les devants et l’accompagne dans une salle qui ne sert pas, à côté du bureau du chef. Il y a quelques cartons poussiéreux, avec des archives, mais ce n’est pas ce qui nous intéresse aujourd’hui. Elle, ce qui lui revient ce sont les cartons déposés à l’entrée. « Comment est-ce que tu t’en sors ? » J’aurais pu lui demander comment elle va, mais j’ai été à sa place et je sais que c’est une question à laquelle on ne veut pas répondre dans un tel moment. Elle ne va pas bien et ce ne sera pas le cas avant un certain temps. En réalité, les choses ne redeviendront jamais vraiment comme avant. Disons juste qu’à force, elle va apprendre à vivre avec ce vide et cette sensation d’être dans un monde parallèle, dans un monde où nous espérons pouvoir nous réveiller de ce cauchemar.

Lunettes de soleil fixées sur le nez pour cacher les oculaires fatigués par des jours de tristesse et d’insomnies, Jody prit le chemin de la caserne dans le quartier voisin du sien. La brise fraiche de la journée souleva sa chevelure de blé, entremêlant les mèches les unes aux autres, des mèches dans lesquelles Clay aurait pris plaisir à glisser la main pour les dénouer et trouver un stratagème pour la rapprocher de lui en rigolant comme un enfant pris au piège de son caprice. Les deux amoureux formaient un couple fusionnel, inséparable. Aux yeux de tous, ils représentaient la définition de l’amour idéal, de celui qui inspirait les autres à sauter le pas aussi. Ce n’était pas eux qui l’avaient décrété, c’était le constat de leurs familles, de leurs plus proches amis. Jody n’avait pas perdu que son compagnon, ni le père de son futur enfant. Elle avait perdu son meilleur ami, son complice, son âme sœur ; l’amour de sa vie. Une partie d’elle avait disparu avec lui et rien, pas même le temps, ne pourrait lui rendre ce qui lui avait été arraché. A présent, le moindre souffle de vent était capable de lui rappeler une anecdote reliée à lui comme aujourd’hui et c’était difficile à vivre. Difficile, parce qu’elle ne parvenait pas à penser à autre chose. Jody, la battante, avait juste envie de s’écrouler, de se terrer au fond de sa chambre, en-dessous de sa couette, à l’abri du monde extérieur, et de se laisser aller. Ce qu’elle faisait quand elle avait l’occasion de se retrouver seule la nuit. Le reste du temps, la kinésithérapeute s’efforçait de se relever parce qu’elle n’avait pas le choix. Elle n’était plus la seule impliquée avec cette vie qui grandissait en elle et elle devait continuer de se lever tous les jours. Sans Clay. Avec les jours qui passaient, Jody avait trouvé le temps et le courage de retourner à la caserne et aujourd’hui, c’était la seconde fois où Romi l’attendait pour lui remettre le reste des effets personnels de son petit-ami. C’est ainsi qu’elle arriva au moment convenu. La brune sentit les regards des pompiers présents dans son dos et les murmures qui les accompagnaient. C’était normal, même si on l’avait déjà revue une fois, tout le monde se demandait comment elle s’en sortait. La jeune femme salua ceux qu’elle connaissait, puis elle rejoignit Romi à l’accueil. « Salut. » Répondit-elle, en emboitant le pas de la pompière. « Ce sont les trois cartons qu’il reste ? » En jouant aux équilibristes et en utilisant toute la force qu’il lui restait, elle serait en mesure de les porter. A moins que Romi ne lui propose un coup de main mais Jody n’était pas encore sur le départ alors la question ne se posait pas dans l’immédiat. La collègue de Clay s’enquit plutôt de l’état de la future mère. Si une personne pouvait comprendre la situation, c’était bien elle, pour l’avoir vécue auparavant. « On fait pour un mieux. » La jeune femme n’avait pas envie de s’étendre, toutefois elle prit le temps de transmettre un message à Romi. « Je n’ai pas encore pris le temps de vous remercier pour l’hommage que vous lui avez rendu lors de la cérémonie… Je n’ai pas les mots. Il aurait été particulièrement touché, même s’il y est sûrement allé de sa petite blague de là où il nous regarde. » Les pompiers, notamment ses collègues directs, avaient formé une haie d’honneur et avaient aussi prononcé quelques mots, avec des discours à la fois drôles et touchants. La kiné retourna ensuite la question à Romi. « Et ici ? Je me doute que ce ne doit pas être facile de reprendre le travail dans des conditions normales après ça. » Parlant de travail, Jody n’avait toujours pas repris le sien mais en tant qu’indépendante, elle ne pourrait pas repousser beaucoup plus l’échéance, d’autant qu’elle n’avait pas envie de lâcher ses patients et que leurs soins ne pouvaient attendre.

ça finira par passer
crédit/ tumblr ✶ w/jody

Ma garde terminée, je pourrais rentrer chez moi et passer un agréable moment avec ma fille. C’est bien ce que je vais finir par faire, mais ce sera pour un peu plus tard. Car pour l’instant, je dois recevoir Jody afin de lui transmettre des affaires de Clay que nous avons trouvé en rangeant un peu la caserne. La jeune femme arrivée, je l’emmène directement là où nous avons stocké les boites. Ce n’est pas que je veux faire les choses rapidement, c’est surtout qu’ici, dans un bureau où personne ne va, nous serons plus au calme. « C’est ça. Même si rien ne dit que nous ne retrouverons pas encore quelques affaires à lui. » Si elle est ici aujourd’hui, c’est bien parce qu’en fouillant certains placards, nous sommes tombées sur des objets ou documents appartenant à Clay. Il a marqué la caserne de son passage et forcément, plusieurs années ici, ça laisse des traces et des affaires un peu partout. Rapidement, je me renseigne de l’état de Jody. Avec ce qu’elle traverse, je suppose – ou plutôt je sais de par mon expérience – que ce n’est pas évident. Un jour, tout va bien, et le lendemain, elle se retrouve plus seule que jamais. Par chance, elle est entourée et  semble s’accrocher, même si les souvenirs de son compagnon sont nombreux. C’est sûrement l’un d’eux qui la pousse à aborder l’hommage que nous lui avons rendu. Un fin sourire se dessine sur mes lèvres en repensant à ce moment. Même si c’était pour lui dire adieu, c’est resté une très jolie cérémonie, à la hauteur de l’homme qu’il était. « Tu as raison, ce genre d’événement est toujours compliqué. Nous mettons nos vies en danger ici, chaque jour, et nous le savons très bien. Mais très souvent, nous revenons indemnes de nos sorties et nous prenons une certaine confiance. Si ça s’est bien passé lors du dernier incendie, pourquoi ça changerait sur le suivant. » Je ne dis pas que nous nous pensons invincibles, mais à chaque sortie réussie, nous accumulons une certaine confiance qui pourrait nous être fatale un jour. L'expérience et le vécu de chacun sont différents et il faut savoir jongler avec. Même si nous essayons de faire au mieux, ce n'est pas toujours facile de rester impartiaux lors d'un incendie. Après tout, qu'est-ce que deux secondes supplémentaires dans le brasier quand on pense avoir entendu quelqu'un au loin ? Sûrement pas grand-chose pour beaucoup de personnes, mais en réalité, c'est suffisant pour ne pas en ressortir vivant. En étant devenue gradée, c'est l'une des responsabilités supplémentaires que j'ai dû accepter de prendre : ordonner à mes hommes de sortir, même si toutes les victimes n'ont pas pu être sauvées. Par chance, cette situation reste plutôt rare, comme celle de perdre l'un des nôtres. Mais rare ne veut malheureusement pas dire impossible et nous devons faire avec. « Je suis passée par là Jody, je sais ce que ça fait. Alors si tu as besoin d'aide ou simplement d'une oreille attentive, je suis là. » En plus de perdre un, ou plutôt des collègues comme ça, j'ai aussi perdu une épouse, alors je sais exactement ce qu'elle ressent en ce moment. Au quotidien, mais aussi en foulant le sol de cette caserne. « Surtout que tu n'es plus toute seule maintenant. » Dis-je, alors que mon regard se pose naturellement sur son ventre. Ce n'est pas encore très visible, mais ça le deviendra d'un moment à l'autre. Pour cette épreuve là aussi, je sais ce que ça fait. Même si dans mon cas, Lilly a eu la chance de connaître sa seconde maman : certes, ce n'était que quelques mois, mais c'est toujours mieux que rien. Cette grossesse sera une épreuve pour Jody, néanmoins, je sais aussi que ce sera une force. Elle ne sera plus jamais seule et une partie de Clay viendra illuminer ses futures journées.

Alors que Romi lui indiquait les cartons près de l’entrée, Jody s’approcha des boites et jeta un coup d’œil sur leur contenu. La majorité des effets personnels restants se résumait à des documents que la kiné prendrait le temps de lire un jour quand elle se sentirait prête de tout parcourir. Le casier personnel de Clay avait déjà été vidé et les objets principaux rendus à la famille ou à elle directement. Ne restait ici et là qu’une porte-clef marrant, une photo d’eux décrochée de son bureau, des petits éléments comiques aussi tels qu’un tablier de cuisine replié dans un des cartons. Blagueur, Clay avait marqué la caserne de son empreinte, à l’instar de cette habitude qu’il avait prise de préparer les repas pour ses compagnons de service quand il avait repris le travail sans pouvoir partir en intervention. Lui, l’un des moins cordons bleu de la bande. Tous des petits exemples et des moments qui reflétaient un esprit de camaraderie qui resterait gravé dans les lieux et dans la mémoire de ses collègues. Emue, Jody releva les yeux vers Romi. Les lunettes de soleil cachaient judicieusement son émotion et elle en profita pour remercier la pompière de l’hommage que le groupe avait rendu aux funérailles de son petit-ami. La trentenaire lui expliqua qu’à force d’enchainer des interventions sans souci, chacun accumulait un capital confiance qui les poussait sans doute parfois à repousser les limites raisonnables si cela impliquait de sauver une personne de plus. C’était exactement ce qui était arrivé. Clay était resté et avait donné sa vie pour en protéger deux autres, il avait disparu en véritable héros. A présent, il n’aurait jamais le bonheur de voir son enfant grandir mais Jody se tournait vers la maigre consolation selon laquelle, au moins, il avait appris qu’il deviendrait père avant de les quitter. Il avait ressenti cette joie, ce bonheur à l’état pur, associé à celui de fonder une famille. Perdre un de leur collègue avait aussi été un dur retour à la réalité de leur travail pour les pompiers de la caserne. Jody ressentait le même abattement qui planait alentours, à un degré plus subtil que chez elle. La voix de Romi la ramena dans l’instant présent. Elle était évidemment bien placée pour comprendre sa douleur. Non seulement, elle avait trouvé les ressources de se relever, que ce soit pour elle ou pour sa fille, mais aussi de reprendre le travail dans le même endroit où sa femme avait perdu la vie. « Je ne sais pas où tu as trouvé la force de recommencer ici, c’est juste… impressionnant. Maintenant que… Maintenant que je sais ce qu’on ressent. » Cependant, ce n’était pas le propos. La pompière lui offrait son aide et son écoute en cas de besoin. « C’est gentil, merci. » Quand Romi évoqua ensuite le bébé, Jody abonda dans son sens. « C’est vrai. Pour être honnête, c’est ce qui me tient debout pour l’instant. » Elle n’était pas la seule à se prendre en considération, l’enfant à venir n’avait rien demandé. « Je me dis… qu’une partie de lui est toujours là avec moi ». La main de la future maman effleura son ventre. Tout le monde n’était pas encore au courant de la nouvelle, toutefois elle en avait informé la famille de Clay et leurs amis proches. Cette annonce était tombée comme une providence pour la plupart d’entre eux, une bénédiction qui les avait encouragés à croire que la vie ne leur avait pas tout pris de lui. C’était un sentiment assez étrange à définir.

ça finira par passer
crédit/ tumblr ✶ w/jody

Même si ça fait maintenant plusieurs années que je suis passée par là, je sais ce que la jeune femme ressent et c’est bien pour cela que je lui apporte mon soutien. Encore touchée par tout cela, Jody se demande où j’ai pu trouver la force pour revenir travailler ici après le décès d’Alice, là où elle a perdu la vie. Pour être honnête, revenir a toujours été une évidence pour moi. Bien sûr, il m’a fallu un peu de temps pour y parvenir, mais je ne me voyais pas faire autre chose de ma vie. Il est vrai que j’aurais pu partir, changer de ville et de caserne. Cependant, à Island Bay, j’ai ma famille et mes amis, des personnes qui ont été essentielles pour moi durant mon deuil. Et puis, c’est ici que j’ai rencontré Alice, que les choses ont commencé entre nous, alors même si cela a été compliqué au début, venir à la caserne à chacune de mes gardes m’a permis de garder un certain lien avec elle. Pour beaucoup de personnes, il est important de passer à autre chose et de refaire sa vie rapidement. Ce n’était pas mon point de vue, surtout que la jeune femme a été pour moi beaucoup de première fois et forcément, il était inconcevable de vouloir mettre cette histoire aux oubliettes. Et puis, quand Lilly sera un peu plus grande, la caserne sera aussi l’occasion de lui apprendre qui était la femme qui l’a mise au monde. En parlant d’enfant, celui qu’attend Jody l’aide à traverser cette dure épreuve : elle n’est pas seule et n’a pas la possibilité de se laisser aller. « Que ce soit une fille ou un garçon, ce sera quelqu’un de très courageux. Entre Clay et toi, ce bébé aura de qui tenir. » Bien sûr, ça ne sera pas simple. Mais entre les membres de sa famille, de sa belle-famille, de leurs amis et collègues, Jody sera bien entourée, que ce soit avant l'arrivée de cet enfant ou après. Dès qu'elle aura un petit coup de mou, elle aura alors la possibilité de s'appuyer sur quelqu'un. Comment est-ce que je sais cela ? Parce que je l'ai vécu, mais aussi parce que je serais la première à me proposer s'il y a besoin. « As-tu déjà eu ta première échographie ? » Je sais que parler de son petit ami est encore un peu compliqué, alors je fais le choix de parler de sa grossesse. Bien sûr, ce n'est pas non plus évident, puisque cet enfant est lié à lui, mais elle va devoir être forte pour pouvoir aborder les six prochains mois d'une manière plus sereine. « Ça me fait penser que Clay avait commandé quelque chose et que c'est arrivé ici après l'accident. » Malheureusement, avec les différents événements, le courrier a été laissé dans le bureau du chef de la caserne et n'a pas été ajouté aux affaires récupérées par la famille de notre collègue. Durant un court instant, je laisse la jeune femme dans la pièce et file récupérer le colis dans le bureau d'à côté. « Tiens. » Un fin sourire se dessine sur mon visage au moment où je lui tends le sachet. Clay était tellement enthousiaste à l'idée de ce cadeau pour sa petite amie qu'il en a parlé pendant plusieurs jours – avant et après l'envoi. Qu'est-ce que c'est ? Un petit body avec le logo du département des pompiers d'Island Bay. Il imaginait déjà son enfant dedans et était déjà emballé par l'idée. Malheureusement, il n'aura pas la chance de le voir.

Enceinte de trois mois, Jody ne savait pas encore si l’enfant serait une fille ou un garçon. Peu lui importait du moment que la grossesse se passait bien et que le bébé arrivait en bonne santé. Hélas, en dépit des émotions que le petit être devait commencer à ressentir de sa mère, elle ne parvenait pour l’instant pas à surmonter le deuil et la tristesse. La disparition de Clay était encore trop récente. C’était encore difficile pour elle de se projeter et d’imaginer leur vie de famille sans lui. Par chance, elle était bien entourée et ne manquait pas de soutien. « Il faudra que je sois forte pour nous deux d’ici là. » Après une observation positive sur l’enfant à venir, Romi demanda à la kiné si elle avait été à sa première échographie. « Oui. Pour l’instant, le bébé se porte bien. » Le spécialiste s’était montré plus prolifique et lui avait expliqué que l’enfant serait grand. Il ou elle mesurait déjà neuf à dix centimètres. La mère de Jody l’avait accompagnée au rendez-vous, non sans émotion, puisque Clay n’en avait pas eu l’occasion à cause de ses gardes et puis de son accident fatidique. Soudain, Romi lui annonça que son compagnon avait commandé un colis et que celui-ci était arrivé après sa disparition. Dans l’entrefaite des différents événements, il avait été oublié dans un autre bureau. Surprise, Jody attendit que la pompière revienne avec le sachet. « Merci. » D’une main fébrile, la jeune femme déballa le paquet et découvrit un body avec le logo des pompiers de la caserne. Bouchée bée, la future maman admira le vêtement avant de percuter tout ce que celui-ci représentait. L’enthousiasme de Clay à l’idée de devenir père et d’offrir ce body à son enfant contrebalancé par le fait qu’il ne serait plus là pour le voir. « Olala, mais c’est… » Emue, Jody en perdit ses mots. A la fois touchée par l’attention et frappée par la situation, elle s’emmura dans un silence éloquent. Une nouvelle vague d’émotions la submergea, son corps se mit à frissonner légèrement tandis qu’elle replia machinalement le body contre elle. Les perles salées roulèrent doucement sur ses joues, en partie masquées par les lunettes de soleil qu’elle portait toujours au-dessus de son regard marqué par les cernes. La kiné avait mis un point d’honneur à ne pas craquer en venant à la caserne mais ce cadeau la percutait en plein cœur, c’était au-dessus de ses forces. Chaque visite comportait son lot de surprises et celle d’aujourd’hui ne faisait pas exception. Pourtant, Jody sentait que c’était la toute dernière de la liste, le dernier message que Clay lui envoyait comme s’il cherchait à la rassurer et lui dire que tout se passerait bien, qu’elle n’était pas seule. Remettant le body dans son emballage, la jeune femme sortit un mouchoir de son sac-à-main et se tourna légèrement de côté pour s’essuyer les yeux avant de remettre les lunettes sur son nez. « Merci, je le garderai précieusement. » Souffla-t-elle, après avoir retrouvé un peu ses esprits. « Tu me disais qu’il restait cette pile de cartons à l’entrée du local et puis c’est tout ? » La kinésithérapeute indiqua les trois boites, peu désireuse de s’éterniser dans les environs, le cœur alourdi par ce moment bouleversant pour elle.

ça finira par passer
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Même si Clay n’est plus là aujourd’hui, Jody ne doit pas se laisser aller. Elle ne peut tout bonnement pas, puisque maintenant, elle a une vie qui se crée en elle et elle doit penser pour deux. Forcément, ce n’est pas comme cela qu’elle imaginait les choses, mais un jour, ce bébé lui donnera la force nécessaire pour affronter toutes les épreuves qu’elle pensait faire avec Clay. Là, si proche de l’accident qui a ôté la vie de son petit ami, c’est compliqué à concevoir. Cependant, avec les mois, ça va doucement se faire. Lorsque ce petit être viendra la rejoindre, elle ira sûrement un peu mieux et elle abordera d’une meilleure manière cette nouvelle vie à deux qui les attend. Ce point-là, c’est ce qui nous différencie. Quand Alice est décédée, Lilly était déjà là et elle a été obligée de partager les premiers mois compliqués avec moi. Entourée par ma famille et par celle de mon épouse, j’ai heureusement pu m’appuyer sur eux. C’est d’ailleurs à ce moment-là que Toni, ma petite sœur, est venue vivre chez moi. Sa présence m’aidait et quand j’avais besoin de relâcher un peu la pression, elle prenait le relais avec la petite fille. Même si je connais un peu Jody, j’ignore si elle aura un tel soutien. Je suppose et si ce n’est pas le cas, elle pourra toujours venir ici : chaque pompier qui a connu Clay se fera un plaisir de lui venir en aide. En parlant de pompier, je me souviens d’un cadeau que le jeune homme avait prévu d’offrir à sa petite amie. Je m’éclipse quelques minutes, le temps de le récupérer dans une autre pièce. Connaissant déjà ce qui se trouve dans le sachet, je sais que ce cadeau fera son petit effet. Néanmoins, même si c'était prévisible, je ne m'attendais pas à ce que la jeune femme craque face à moi. Le départ de Clay est encore récent, trop récent, j'aurais peut-être dû attendre. « Oh non. Je ne faisais pas cela dans cette optique. » Je ne sais pas exactement comment réagir face à cela, quoi faire. Mais pour lui montrer ma présence et appuyer une nouvelle fois sur le fait que je suis ici pour elle, je viens naturellement poser l'une de mes mains sur son avant-bras. Pour le reste, je la laisse gérer à sa façon et après plusieurs minutes, ainsi que ses larmes essuyées, la brune me refait face. « Est-ce que tu as besoin de quelque chose ? » C'est vrai pour son quotidien, mais là, je parle plutôt sur le moment précis. Peut-être qu'elle désire un verre d'eau ou quelque chose à grignoter pour se remettre d'aplomb. Néanmoins, rapidement, son attention se reporte sur la pile de carton qui l'a amené ici aujourd'hui. « Oui c'est ça, ce sont les dernières affaires que nous avons trouvées. » La prochaine fois, si jamais nous retrouvons des choses, peut-être que je m'arrangerais pour les amener chez elle. À bien y réfléchir, pour l'instant, ce sera sûrement plus simple. « Tu es venue en voiture ? Je vais t'aider à les charger. » Je ne lui laisse pas vraiment le choix. Mes bras devraient suffire et au besoin, je ferais appel à des pompiers de la seconde garde. Mais il est hors de question que je la laisse se débrouiller seule avec tout cela, surtout après la vague d'émotions qu'elle vient de vivre.