9 to 5 → matthew

Après son jus d’oranges fraîchement pressées par les soins de Lindsey, son adorable fiancé, Marina s’autorise enfin à jeter un œil au programme de sa journée. Ce qui n’est pas toujours le cas puisqu’elle se contente généralement de se laisser conduire d’un endroit à un autre par Salomon, son chauffeur. Peu importe où elle va et ce qu’elle doit faire, la rouquine se donne toujours à cent pour cent dans ce qu’elle fait lorsque ça concerne son travail. Mais une fois n’est pas coutume, elle a envie de savoir où elle va. Et son planning du jour lui apprend que c’est à Pic’s Enterprise qu’elle doit se rendre. Tiens donc. Elle ne sait pas s’il sera là mais c’est l’entreprise où travaille ce cher Matthew. On pourrait croire qu’à chaque fois qu’ils se croisent, elle s’amuse à l’asticoter mais il n’en est rien ; c’est son travail de s’assurer qu’en tant que photographe, il respecte bien toutes les clauses du contrat si son ou sa cliente en ressent le besoin. En théorie, elle n’a donc rien contre cet homme. Du moins, ce n’était pas le cas avant un certain soir. Un jour, il y a de ça quelques semaines déjà, elle rentrait tranquillement chez elle quand un camion de pompiers avec à son bord deux excités s’était amusé à coller au cul de sa Rolls en klaxonnant comme un fou furieux. Et ça serait encore passé s’il n’y avait eu que ça mais pensez-vous… Non, ledit camion s’était amusé à lui balancer une bonne partie de son réservoir d’eau sur le pare-brise. Toujours pas de quoi rager cependant mais on y vient ; toute cette eau leur avait fait faire un peu d’aquaplaning, lui causant par la même occasion une certaine frayeur. Et il s’avère qu’un des énergumènes à son bord n’est autre que Matthew. Alors vous comprenez qu’une discussion s’impose. Enfin, s’il est là car ce soir-là, le photographe a quand même dû enfreindre pas mal de lois. Bref, Marina termine de se préparer en vitesse et claque la porte de son appartement. Une fois hors de l’immeuble, elle salue son chauffeur et monte en voiture qui, quinze à vingt minutes plus tard en raison du trafic, la dépose devant les locaux de Pic’s Enterprise. A l’intérieur, elle remarque que sa cliente n’est pas encore arrivée, mais qu’ô surprise, Matthew est déjà là, en train d’installer tout son matériel. L’air de ne pas y toucher, elle vient se planter à côté de lui et, en guise de bonjour, lui balance un :
« Tiens donc, je suis surprise de vous voir ici. Vous êtes en liberté conditionnelle, c’est ça ? »
Sourire en coin, elle pouffe. Evidemment qu’elle exagère et mine de rien, elle n’a pas tellement envie de lui attirer d’ennuis non plus alors c’est d’une voix relativement basse qu’elle lui a posé la question.

Quelle piètre idée il se fait d’elle s’il se figure vraiment qu’elle aimerait qu’il soit en liberté conditionnelle. Quand même pas. Qu’on lui ait donné une correction lui servant de leçon pour avoir inconsciemment mis la vie d’autrui en danger, ça oui, mais elle ne lui souhaite quand même pas de terminer derrière les barreaux. Surtout qu’elle sait qu’il vient d’avoir une petite fille – et qu’elle était un peu contente de pouvoir ennuyer un collègue à lui lorsqu’il était toujours en congé parental. Puis il prend cet air arrogant pour lui faire savoir qu’il préfère la décevoir et Marina ne se prive pas pour lever les yeux au ciel. Puis il continue à se vanter de ses exploits et elle ne peut que sauter sur l’occasion.
« Vous êtes quand même au courant que balancer des gerbes d’eau aussi conséquentes sur des véhicules en mouvement provoque l’aquaplaning, n’est-ce pas ? Pour quelqu’un qui se croit très malin, je trouve pas que ça le soit tellement de s’en vanter de la sorte. »
Puis Matthew lui demande qui a bien pu l’inviter ici et le ding de l’ascenseur retentit alors, ses portes s’ouvrant sur sa cliente qu’elle désigne du doigt.
« C’est elle qui a réclamé ma présence. Bonjour, Brianna ! J’espère que vous allez bien ? »
Brianna, dix-neuf ans, maigre comme un clou, un accent russe à couper au couteau n’est autre que sa cliente. Et détrompez-vous, ce ne sont pas ses parents qui ont engagé Marina pour s’assurer qu’on respecterait bien chacune des clauses de chacun des contrats de leur fille, non, c’est bien elle. Ce qui prouve qu’elle n’est pas une poupée sans cervelle. Tout sourire, la jeune fille répond qu’elle va bien et, se contentant de ne prendre qu’un demi-jus de pamplemousse, annonce qu’un petit tour en cabine et elle sera fin prête à débuter ce shoot. Quant à la rouquine, elle se prend un café, sort son contrat et se pose dans un coin ; le café dans sa main, le contrat sur ses genoux. Ce n’est qu’en entendant Brianna converser avec le photographe qu’elle relève les yeux sur eux pour voir sa cliente vêtue d’un bikini léopard… Quel manque de goût. Et elle ne le pense pas uniquement parce que ça ne lui irait pas mais parce qu’elle trouve les imprimés animaliers complètement dépassés. M’enfin bref, ce n’est ni de la faute de la jeune fille ni de celle de Matthew.

Qu’on se le dise, Marina n’est là qu’à la demande de Brianna. Celle-ci est encore très jeune et elle n’a peut-être pas le cran de dire non si quelque chose ne lui plaît pas et que c’est spécifié dans son contrat. Dans ce cas-là, elle peut tout à fait compter sur la rouquine pour prendre la parole à sa place. Elle n’a peur de personne. Peut-être bien qu’elle se berce d’illusions parce qu’elle est riche, parce qu’elle est toujours parvenue à régler la plupart de ses problèmes à coups de chèques, de billets ou encore de promesses d’achat mais toujours est-il que les photographes, les réalisateurs ou encore les producteurs gros cigares qui veulent soit faire de l’argent, soit faire de l’art, ne l’impressionnent pas le moins du monde. Cependant, si sa cliente ne fait pas appel à elle et est consentante pour faire quelque chose qui est pourtant marqué sur son contrat, alors elle n’interviendra pas. En vérité, elle est surtout là pour éviter qu’il y ait de l’abus. On connaît ; on fait miroiter plein de choses et notamment une carrière des plus prometteuses à une jeune écervelée et c’est ainsi qu’on retrouve des photos ou des vidéos pornographiques de ladite écervelée en vente sur le dark net.

C’est pourquoi Marina se retrouve assise dans un coin, à regarder tour à tour ses ongles puis l’écran de son portable histoire de s’occuper un peu car l’art, en règle générale, ça ne l’intéresse qu’à moitié. Et elle essaye de s’abstenir de juger certaines des poses qu’on fait prendre à Brianna. A un moment, elle observe l’échange entre Matthew et la jeune fille qui a l’air d’avoir un petit coup de mou. Elle tente de capter le regard de sa cliente pour lui faire savoir qu’elle est là si besoin mais Brianna ne prend pas la peine de faire appel à elle. C’est que tout va bien. Elle se rencogne donc dans son fauteuil et se retient de bâiller d’ennui. Jusqu’à ce que le photographe donne un ordre et qu’on fasse venir un cougar dans le studio. Un cougar… Marina sursaute de peur bien que celui-ci soit attaché pour le moment et le regarde passer bouche bée. Sa cliente quant à elle n’a pas l’air des plus rassurés non plus, en dépit de ce que Matthew peut bien lui dire. La rouquine relit en vitesse son contrat : aucune clause stipulant qu’elle ne veut pas poser avec des animaux sauvages mais peut-être n’y a-t-elle tout bêtement pas pensé. Elle bondit hors de son siège et se précipite vers la jeune fille.
« Une seconde s’il-vous-plaît, j’aimerais parler à ma cliente. »
Ce qu’elle fait, quoi qu’en dise le photographe et sa patronne qui prennent du coup un peu de retard. Brianna a l’air quelque peu terrorisée mais pas contre l’idée de poser avec le cougar. Cougar qui se trouve donc tout à côté d’elles, très calme. Pour être bien sûre que ça ne puisse pas se retourner contre elle, elle lui rappelle qu’elle est là pour ça, que si elle n’y tient pas, elle n’y est pas obligée. Mais le mannequin continue de dire que tout va bien, aussi Marina retourne-t-elle s’asseoir.

Qu’on se le dise : Marina n’a strictement rien fait de mal dans cette affaire. Elle n’a une fois de plus fait que son job. Elle n’a même pas essayé de dissuader Brianna de poser avec ce cougar, elle lui a juste demandé si elle était okay avec cette idée, si elle ne voulait pas rajouter une clause spécifique à ce sujet dans son contrat étant donné qu’elle n’a pas songé à cette hypothèse – pourtant, elle sait que les photographes sont prêts à faire n’importe quoi et notamment à mettre parfois la vie de leurs modèles en danger pour obtenir le bon cliché. Non, elle ne parle pas en connaissance de cause, mais elle a quand même regardé plusieurs saisons d’America’s Next Top Model. Pourtant, voilà qu’on la foudroie du regard tout simplement parce que, suite à leur conversation, sa cliente n’est plus dans le mood. Allons bon, c’est évident que c’est de sa faute… Bien sûr. Pourtant, Marina les ignore tous autant qu’ils sont, ces regards noirs, telle la pluie glissant sur les plumes d’un canard. Puis Matthew met fin à la séance photo. Lui et sa patronne ont tous les deux l’air déçus. Il somme alors Brianna d’aller se rhabiller et, tendant l’oreille, elle parvient à entendre qu’il a deux ou trois mots à lui dire. A elle.

La rouquine s’y prépare mentalement ; ce n’est pas comme si c’était la première fois, elle fait généralement cet effet à presque tout le monde dans la sphère du travail. Elle le regarde ensuite débarquer avec ses gros sabots puis elle fronce les sourcils à sa première remarque. Et pourquoi ça, je vous prie ? Pense-t-il qu’elle lui en veut tellement pour le coup de l’aquaplaning qu’elle est présentement en train de se venger ? Ridicule. Une fois qu’il en a terminé avec son laïus, elle lève la main, comme pour l’arrêter.
« Je vous arrête tout de suite : je ne suis pas venue pour vous mettre des bâtons dans les roues suite à ce qu’il s’est passé l’autre soir. Ça ne serait pas professionnel de ma part et vous m’insulteriez en l’insinuant. Comprenez bien que je respecte votre travail ainsi que celui de toute l’équipe, mais vous ne respecteriez pas Brianna en lui imposant de poser avec un animal sauvage contre son gré. Il fallait que je m’assure qu’elle était d’accord avec ça, c’est mon travail et je ne suis là que pour ça, pas par plaisir comme vous semblez le croire. »
Et elle passerait sur le fait qu’en lui faisant ce genre de remarques, c’est elle qu’il ne respecte pas, parce qu’à quoi bon ? Il a déjà très clairement formulé qu’elle n’est pas la bienvenue ici.

Décidément, ces deux-là ne sont pas du tout faits pour s’entendre et Marina a un peu l’impression de participer à un dialogue de sourds. Pourtant, elle sait parfaitement que Matthew est un bon photographe et qu’il n’est pas du genre à forcer ses mannequins à faire quelque chose contre leur gré – et ce n’est d’ailleurs pas ce qu’elle a voulu dire non plus, comme en témoigne le fait qu’elle soit en train de secouer la tête en écoutant sa tirade – mais elle sait aussi que pour un photographe de la trempe de Matthew, il en existe neuf autres bien plus vicieux. Brianna est jeune et elle débute tout juste sa carrière ; il ne faudrait pas qu’elle tombe sur ce genre de personnes mal intentionnées car elle pourrait alors consentir à tout ce qu’ils lui demanderaient juste parce que ce sont de grands noms du milieu et qu’on ne refuse rien à ces gens-là.
« Oh allez, ce n’est quand même pas à vous que je vais apprendre ça, monsieur Braithwaite : vous savez très bien comment ça peut se dérouler dans le milieu et si vous, vous n’êtes pas du genre à forcer la main, combien d’autres y sont totalement prêts ? »
En tout cas, la rouquine a très bien compris qu’il ne veut pas d’elle dans ce studio, mais à moins d’appeler la sécurité pour la mettre à la porte, bon courage à lui pour la déloger de là.

Quoi qu’il en soit, voilà qu’il a déjà tourné les talons, coupant court à la conversation. Bon. Elle ne va tout de même pas revenir sur l’autre soir pour lui expliquer qu’il ne s’agit pas de ça. Non, elle le laisse retourner à son shooting mais décide de ne pas rester assise et se lève, au cas où il déciderait de revenir à la charge. Tout ça pour dire qu’en ce qui concerne Brianna, celle-ci se sent manifestement un peu coupable et assure qu’elle peut continuer la séance et prendre la pose aux côtés du cougar et bien sûr, Marina n’intervient plus, elle n’est pas là pour dire quoi faire à sa cliente mais pour s’assurer que ses conditions sont respectées. Elle regarde donc la jeune mannequin se mettre en position et s’efforcer d’avoir naturelle aux côtés d’un animal sauvage. Qui la mord. Ah. Pour une prise de risque, c’en est une. Toujours est-il que Marina reste en dehors de ça et se garde bien de dire à qui que ce soit qu’elle l’avait bien dit étant donné que c’est faux, déjà, et qu’ensuite, ce n’est pas vraiment de son ressort. Brianna pleure, Matthew a l’air au bord de la crise de nerfs, bref, c’est le chaos. Mais c’est sur le cougar que son regard tombe ; elle espère qu’on ne va pas le punir pour ça parce qu’au fond, sa place n’est pas du tout dans un studio photos. Elle hésite une seconde mais se décide à s’approcher du photographe.
« Ecoutez, ce n’est pas votre faute, c’est un de ces fameux risques. Puis vous avez vu la taille de ses crocs ? Elle a de la chance, elle n’a pas perdu la main. »
De mémoire, il lui semble qu’on survit assez peu souvent à une attaque de cougar, notamment parce qu’ils sont silencieux, on ne les entend ni ne les voit pas venir, alors en l’occurrence, on peut dire que le cougar s’est contenté de leur faire savoir à tous que c’était trop long à son goût.

Au fond, Marina ferait mieux d’arrêter les frais puisque, quoi qu’elle dise, quoi qu’elle fasse, elle a l’impression de s’adresser à un mur. C’est qu’il est sacrément buté, ce monsieur et la rouquine n’aimerait pas être à la place de la personne qui partage sa vie s’il est comme ça aussi au quotidien. Mais bon, chacun son truc, hein. Et puis elle préfère ne pas trop imaginer ce genre de choses et ne s’en tenir qu’à un cadre très professionnel. La vie privée des autres ne l’intéresse pas, elle a déjà bien assez à faire avec la sienne. Bref, elle aurait pu essayer de lui faire comprendre que sa présence n’était pas inutile et qu’elle n’était pas là par plaisir mais bel et bien parce que Brianna le lui a demandé mais à quoi bon ? Soit il ferait la sourde oreille, soit il comprendrait encore seulement ce qu’il voulait. Mais si elle se tait, la rouquine ne peut se retenir de pouffer en entendant parler des lois fondamentales du mannequinat. Sans déconner, c’est quoi, ça ? Un truc qui se mange ? Puis elle pince bien vite les lèvres pour s’empêcher de rire. C’est que le Matthew serait encore capable de mal le prendre. Peut-être s’est-il levé du pied gauche ce matin. Mais non, ce n’est pas la première fois qu’elle le croise et elle sait qu’il est toujours comme ça avec elle, c’est juste qu’il ne l’aime pas. Qu’à cela ne tienne, on ne peut pas plaire à tout le monde.

Quoi qu’il en soit, elle le laisse retourner à son travail. Ou plutôt à son chaos puisque c’est alors la débandade ; le cougar, en ayant marre d’attendre, décide de croquer le bras de sa cliente. Et… Le fait est que ce n’est pas le problème de Marina. C’était un risque dont Brianna devait se douter et dont elle aurait pu se protéger par une clause dans son contrat mais ce n’est pas le cas. Du coup, difficile de savoir qui est responsable dans tout ça : cette tête de linotte, le photographe ou encore le dresseur qui n’a même pas été capable d’anticiper et prévenir la réaction de son animal ? Sans doute les trois. Mais qu’il se rassure, la responsabilité ne retombe pas que sur les épaules de Matthew. Et la rouquine est gentille, elle essaye de le lui faire comprendre. On se demande bien pourquoi parce qu’elle est certaine que lui n’aurait pas fait le quart de ça si les rôles avaient été inversés.
« Ne vous minez pas trop, compte tenu des circonstances, ça ne va pas non plus vous coûter votre travail. »
D’ailleurs, l’entreprise est tout aussi responsable que lui puisqu’elle a accepté de faire entrer un animal sauvage dans ses locaux. Sans être avocate, le droit, c’est son truc après tout. Il fait ensuite savoir à tout le monde que la séance est terminée et envoie Brianna à l’hôpital. Puis, comme à son habitude, lui envoie une pique.
« Je vais m’en aller, ne vous en faites pas, je n’ai pas que ça à faire. Mais après un petit café, oui. Vous savez que j’aime bien vous enquiquiner. »
Ce qui est de bonne guerre puisqu’il n’est pas vraiment le dernier non plus.

Juste un café… Y en a qui manquent quand même pas de culot. Surtout quand ce sont eux qui vous le proposent. Mais en toutes franchise, ça ne l’étonne pas le moins du monde du photographe anglais. Que tout le monde dit toujours charmant. Pas avec elle, en tout cas. Avec elle, il est même plutôt assez irrévérencieux. Rien à voir avec l’idée qu’on se fait communément d’un british, donc. Bref hochement de tête avant de le suivre dans l’ascenseur. Ascenseur dans lequel aucun mot n’est prononcé. Si ça dérange Marina ? Pensez-vous ! Ça l’amuse plus qu’autre chose de remarquer qu’il a cette aversion pour elle alors qu’elle ne l’a même pas cherché. Encore une fois pour les gens du fond de la salle qui n’auraient pas entendu : elle ne fait que son travail. D’ailleurs, Matthew est loin d’être le seul dans ce cas-là. Professionnellement parlant, les seules personnes qui aiment bien la rouquine ne sont autre que les clients qu’elle représente. Eux pourraient aller jusqu’à lui ériger une statue tant elle leur est bénéfique dans leur carrière. Mais les autres… Tant pis. De toute manière quand on est riche, on n’attire assez peu la sympathie. A l’exception des gens qui veulent vous emprunter un peu de fric.

De retour au rez-de-chaussée, il lui demande de l’attendre dehors. Ce qu’elle fait, se trouvant une place à une table de pierre à l’ombre. Oh, c’est sûr que si sa peau de rousse a survécu au soleil de Cuba, ce ne sont pas les quelques rayons timides du soleil néo-zélandais que risquent de lui faire beaucoup de mal mais il s’agit d’une vieille habitude. Voire même d’un réflexe. Puis elle attend sagement, en espérant quand même qu’il n’en a pas profité pour se barrer en la laissant en plan. Mais non, voilà que Matthew revient avec deux tasses de café. Il a plus de couilles qu’elle ne l’aurait cru, elle l’admet. Et c’est tout à son honneur.
« Merci ! »
Il vient de poser une vraie tasse et non un gobelet de café fumant devant elle et prend ensuite place à son tour. Puis il sort un paquet de cigarettes et a la délicatesse de lui demander si ça ne la dérange pas avant de s’en griller une. L’a-t-on échangé avec un clone le temps de verser le café ?
« Pas du tout, je vous en prie. »
D’autant qu’ils sont dehors alors même si elle était vraiment contre la clope, ce qui n’est pas le cas, elle n’aurait rien à dire.
« J’imagine que je vais vous surprendre, mais beaucoup, oui. »
Il fallait du cran pour faire ce qu’elle faisait et ça tombait bien, puisqu’elle en avait. Marina remet une mèche de cheveux en place, puis casse son sucre en deux avant de faire tomber une moitié dans sa tasse puis de s’enquérir aussi :
« Je ne vous demande pas si c’est votre cas, ça se remarque assez bien. Ça vous arrive souvent de faire venir des animaux sauvages dans votre studio ? »
Là non plus, ce n’est pas un tacle, juste une innocente question afin de savoir si ça se passe mieux les autres fois.

L’avantage avec Matthew, c’est qu’il ne joue pas la comédie. Il ne l’aime pas et ne fait absolument rien pour le cacher. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça a quelque chose de rafraîchissant ? Oui, c’est le mot. A force d’évoluer dans un milieu de requins où il est monnaie courante de se faire des grands sourires par devant avant de se poignarder dans le dos, on a tendance à croire que tout le monde est pareil. Mais pas lui. Ce qui pourrait être blessant, mais pas pour quelqu’un de la trempe de Marina. La rouquine n’en a jamais rien eu à faire qu’on l’apprécie ou non ; s’il lui faut sacrifier une amitié pour un contrat, elle n’hésitera pas une seule seconde. Ce qui, de prime abord, peut sembler un peu moche mais c’est également le seul moyen de tirer son épingle du jeu dans un métier comme le sien. Allez donc demander aux avocats, aux acteurs, aux sportifs, ce qu’ils pensent de ça, vous verrez que la plupart sont de son avis. En tout cas ceux qui ont réussi, pas ceux qui sont restés sur le carreau. Pour autant, ça ne fait pas de Marina quelqu’un de mauvais ; elle ne se plaît pas à écraser tout le monde sur son passage, elle le fait parce qu’il faut bien passer par-là. Sans se départir de son sourire, elle prend une gorgée de café – pas mauvais, d’ailleurs – et le fixe quelques instants. Le temps de reposer sa tasse.
« Dites donc, je savais que vous aviez une bien piètre opinion de moi, mais je ne savais pas que c’était à ce point. Du plaisir, vous dites ? Je ne prends de plaisir qu’à défendre mes clients, pas à vous embêter, croyez-le bien. »
S’ensuit un haussement d’épaules :
« Eh bien j’aime prendre la défense de personnes qui me font confiance pour les mener là où elles veulent aller. Et puis, entre nous, je proviens d’une famille où tout le monde est plus ou moins dans les affaires alors on peut dire que ça coule dans mes veines, en un sens. »
Puis elle l’écoute lui expliquer que non, le studio ne fait pas souvent appel aux animaux sauvages pour l’un ou l’autre photoshoot – sage décision -, mais que ça sera encore moins le cas suite à cet incident – voilà qui est dommage, tout de même. Acquiesçant, elle est encline à partager un peu de ses propres expériences :
« Ça se comprend : on peut dire que Brianna s’en sort très bien, il est déjà arrivé des trucs bien plus moches sur d’autres photoshoots ou tournages… »
C’est alors qu’elle se rend compte que ce n’était qu’un prétexte pour le photographe de lui balancer une nouvelle pique. Et comme toujours, Marina y sourit.
« Haha, vous êtes un petit marrant, vous. Mais je suppose que vous n’avez pas tort. »
Non, il ne parviendrait pas à la mettre en rogne.