(tegan & milo) brain storming

Je n’ai pas dormi à la maison cette nuit. Comme souvent, en fait, en ce moment. On pourrait croire que je fuis cet endroit qui est pourtant mon chez moi douillet depuis presque un an maintenant, et on aurait probablement raison. La situation avec Marley s’est un peu compliquée – je commence à sérieusement douter que ce qui s’est passé ce soir-là était une bonne idée – et pour en rajouter une couche, ma sœur a décidé de pointer le bout de son nez. Je ne sais pas trop ce qu’elle attend de son séjour ici, mais sa venue a au moins eu le mérite de me rappeler toutes les raisons qui m’ont fait quitter l’Australie. Elle et moi, on n’a vraiment rien en commun ; et je n’ai même pas été surprise quand elle a décidé d’aller à l’hôtel, après seulement quelques jours sous notre toit. Je l’imagine mal dans autre chose qu’une chambre cinq étoiles de toute façon, et pour être honnête, je n’ai fait aucun effort pour la retenir. Ce n’est même pas contre elle, non ! C’est juste que… on est différentes. Vraiment différentes.
Par exemple, je suis du genre à découcher pour la nuit, passer chez moi en coup de vent le temps de prendre une douche, et repartir aussitôt pour mon rencard du jour. Enfin, ‘‘rencard’’, avec de grosses guillemets ; sachant que ce n’est même pas une fille qui m’attend. Mais ça n’en est pas moins important, puisque c’est le genre d’opportunités professionnelles qui n’arrivent pas souvent, et qui pourraient faire un bien fou à mon CV. Je n’ai toujours fait que du théâtre, et à part quelques rôles de figurante, je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de jouer devant une caméra ; alors, quand Milo m’a proposé de tourner dans son prochain clip, j’ai carrément sauté sur l’occasion ! Pour l’expérience, bien sûr, mais aussi parce que j’aime bien ce qu’il dégage en tant qu’artiste. Et parce que c’est un pote, aussi, accessoirement. Un pote que je connais depuis pas si longtemps que ça, mais suffisamment pour déjà connaître l’un de ses petits secrets les mieux gardés… Mais on aura l’occasion d’y revenir, parce que j’arrive enfin à la coloc.
‘La coloc’, c’est cet espèce de grand appartement dans lequel se retrouve la bande de potes que j’ai infiltrée il y a quelques semaines, complètement par hasard. Je ne les connais pas encore tous très bien, mais assez pour avoir déjà partagé quelques soirées mémorables avec eux. Et à en voir la tête de Milo quand il ouvre la porte, soit j’ai raté la dernière soirée, soit c’est son cerveau en boucle qui lui a fait passer une nuit d’enfer. « Un commentaire sur ma gueule, et tu sors. » Ah bah voilà, j’ai ma réponse. « Pourquoi ? Elle est différente de d’habitude ? » Ecoutez, j’étais obligée. De toute façon, entre mon air moqueur, et le fait que je n’ai moi-même pas l’air ultra reposée, je sais qu’il pourrait me renvoyer l’ascenseur s’il le voulait. Sauf que moi, j’ai passé ma soirée dans un bar, et ma nuit en charmante compagnie. Lui… J’ai une plutôt bonne idée de ce qui l’a tenu éveillé, même si je ne lui ferais pas l’affront d’aborder le sujet.
« Tu veux boire quelque chose ? J'ai des sodas, de la bière, du jus d'orange... De l'eau aussi. » Il me fait l’inventaire de son frigo, pendant que je réalise que j’ai oublié de prendre un café avant de venir. Ça aussi, c’est compliqué depuis que j’évite le café de ma coloc. « Y’a du redbull ? Je sens que je vais en avoir besoin. » Il va me chercher ma commande, et moi je m’affale sur un des fauteuils du studio. Quand il revient, il m’embarque directement dans le vif du sujet avec le premier morceau qu’il veut me proposer. A priori, ça va être à moi de choisir celui sur lequel on va bosser ; je trouve que c’est une grosse responsabilité pour ma petite personne, mais soit. La piste se lance, et je me laisse instantanément emportée par l’émotion transmise par le son de sa voix, et le choix de ses mots… C’est fort, et quand la dernière note retentit, je reprends une gorgée de ma boisson pour me remettre d’aplomb. « Okay… J’avais pas prévu de me tirer une balle ce soir, mais okay. » C’est vif, comme émotion. Et pourtant, je ne crois pas avoir jamais vécu de relation aussi toxique dans ma vie, alors ça passe uniquement par de l’empathie, sur ce coup-là. « C’est une bombe, j’en ai des frissons carrément ! » Mon regard tombe sur les poils de mon avant-bras qui se hérissent, j’hallucine ! Et je me caresse doucement la peau, histoire de faire redescendre un peu la tension. « La deuxième est aussi joyeuse ? » Finalement, je relève la tête en direction du jeune homme, avec mon petit sourire moqueur. C’est son style, Milo. J’ai vite compris qu’il était du genre à écrire avec ses tripes, et c’est probablement ce que son public apprécie chez lui, de toute façon. Alors si la deuxième est dans la même veine, il y a des chances que je sois toute aussi émue. Et si c’est à moi de choisir après ça, autant dire que ça va se jouer à pile ou face.