painted blue ☆ deiji

Janine s'est mise à la peinture il y a une petite année environ. Elle a retrouvé parmi ses affaires de très anciens croquis de sa mère, ainsi que quelques toiles qui étaient auparavant accrochées dans sa chambre d'enfance. Elle avait laissé tout ça dans un carton, tout en haut de son cellier. Les avoir à portée, mais sans trop y penser. C'est en cherchant un maillot de bain qu'elle croyait avoir laissé chez Jezabel que Janine a fini par rouvrir ce carton, en ayant tout à fait oublié qu'il s'agissait des reliques de sa défunte mère. Les souvenirs lui sont revenus comme si elle ne les avait jamais mis de côté. Les toiles une fois raccrochées sur ses murs et les croquis disposés dans d'élégants petits cadres, Jan' a décidé qu'il était temps de retrouver un peu de sa chère maman. Peut-être que son talent l'avait touchée également ?
N'ayant pas l'impression de faire de jolies choses, Janine a préféré se tourner vers des tutoriels et autres astuces trouvées sur les réseaux. Mais sans oser montrer ce qu'elle fait, comment pourrait-on la conseiller...? A force de chercher diverses astuces, une publication sponsorisée locale a fini par l'atteindre, où des cours abordables étaient proposés au grand public, pour un loisir créatif comme un autre. Bien décidée à avoir de quoi être fière d'elle-même, Jan' s'est inscrite dès qu'elle en a eu les moyens. Elle a d'abord suivi un seul cours, puis s'est laissée aller à en suivre un second. Ce soir, c'est la cinquième fois qu'elle se rend à ce type de cours, et c'est toujours la même artiste qui enseigne et conseille. Janine lui trouve une voix douce et agréable, jamais dans la condescendance comme elle a déjà pu entendre lorsqu'elle était petite et que sa mère côtoyaient des dizaines d'artistes au melon surdimensionné. Elle trouve même qu'elle a fait quelques progrès.
"Bonsoir..." murmure-t-elle timidement lorsqu'elle arrive au cours, ce soir. Pas mal d'autres personnes sont déjà arrivées. Il y en a une ou deux que Jan' croit avoir déjà croisées ici, mais elle ne saurait l'assurer. Les gens ont tendance à venir ponctuellement, histoire de s'occuper. Elle s'installe derrière l'un des derniers chevalets libres, et commence à sortir son matériel, histoire de s'occuper les mains en attendant que l'artiste enseignante arrive et que le cours puisse commencer.

Lorsque l'enseignante débarque dans la classe, presque tous les chevalets sont occupés. Janine a pu discrètement observer chacune des personnes qui sont arrivées après elle, depuis le coin dans lequel elle s'est installée, non loin de la porte. Un adolescent aux cheveux longs, une femme un peu plus âgée, deux autres en train de papoter. Tout le monde y va de son petit coup de pinceau, pour passer le temps ou se perfectionner. Janine, elle, pour passer le temps, préfère amplement partir en quête d'endroits abandonnés de la région. Si elle est ici, c'est surtout pour travailler ses techniques afin de moins tâtonner lorsqu'elle a suffisamment d'inspiration pour se mettre à créer. "Bonsoir," répond Janine en écho à l'artiste. "En art, point de frontière," lit-elle au tableau une fois que les salutations et diverses présentations du cours sont faites. "Après la mort non plus..." pense Janine, sans réussir à réprimer le sourire qui lui vient. Elle fait le parallèle avec ses chasses nocturnes, et décide directement d'y puiser son inspiration pour ce soir. Le cours d'aujourd'hui traite de l'aquarelle, et c'est ce que Jan' préfère faire. Elle l'attendait avec beaucoup d'impatience.
Parce qu'elle n'aime pas commencer à peindre à l'aveugle, elle décide de tracer une légère esquisse au crayon. Un arbre aux branches dépourvues de feuilles -pour le moment - commence à prendre forme sur la toile de Janine. Puis une silhouette, et une autre, plus diffuse. Elle appuie légèrement sur les endroits où elle compte ombrer, et entreprend de mouiller son pinceau, lèvre inférieure mordue. Janine sait pertinemment que Deiji va déambuler au milieu des chevalets, au bout d'un moment, autant avoir quelque chose à lui montrer lorsqu'elle passera près d'elle.
Le rose pâle qu'elle applique pour faire un ciel de soir tombant est très peu délimité et déborde sur toute son esquisse mais Janine s'en moque, puisque c'est de l'aquarelle. Si elle y va avec une couleur plus foncée le rose sera tout à fait mangé. Elle pourra même s'en servir pour ses ombres. "Qu'en pensez-vous ?" se permet de demander timidement Janine lorsqu'elle sent la présence de l'artiste au-dessus de son épaule.

Pendant que l’enseignante déambule entre les chevalets, Janine laisse traîner son oreille histoire de se saisir de tout ce qui s’offre à elle. La dénommée Deiji est en train de donner des conseils à l’adolescent non loin de la chasseresse. Des conseils que Janine a déjà pu recevoir de sa mère, lorsqu’elle l’observait peindre sans y comprendre grand chose. Elle avait pris l’habitude de lui expliquer tout ce qu’elle faisait, suscitant à chaque nouveau coup de pinceau l’émerveillement dans le regard de sa petite fille. A l’époque, Jan’ n’en avait que faire, mais elle a tout de même enregistré deux ou trois choses malgré elle, dont elle peut se servir aujourd’hui. Celles-là sont d’ailleurs bien plus faciles à réutiliser que ce que Janine a pu entendre dans les dernières vidéos Youtube qu’elle a regardées. Elle a plus de mal à retenir lorsque la personne n’est pas en face d’elle.
Se reconcentrant sur sa toile parce qu’elle remarque que l’enseignante est en mouvement, Janine commence à appliquer un rose pâle sur son semblant de ciel, dans un mouvement délicat qu’elle stoppe lorsqu’elle sent la présence de l’artiste au-dessus de son épaule. ”Oui et non… J’ai grandi là-dedans, mais je ne m’y suis mise que l’année passée,” explique la rouquine avant de reprendre la course de son pinceau. Passant près de l’arbre, elle entend la question de Deiji à ce sujet. ”Je ne sais pas, j’avais pensé en ajouter, mais… non, finalement, il sera sans feuillage,” fait Janine. Elle hoche la tête au conseil suivant, puis l’incline, sans cesser de fixer sa toile. ”J’hésite un peu sur le procédé à utiliser pour rendre cette silhouette très floue, et celle-ci plus nette… Mais je vais bien trouver !” confie-t-elle en montrant les éléments dont elle parle. La silhouette floue, qui flotte au-dessus du niveau du sol non loin derrière la celle en avant-plan, sera une sorte d’entité. Si l’artiste n’avait pas inscrit cette phrase au tableau, Janine serait partie vers tout autre chose. Nouveau hochement de tête de sa part, ainsi qu’un sourire, lorsque l’artiste annonce qu’elle repassera. Avec la sensation d’être une bonne élève attentive, Jan’ peut continuer à peindre à loisir. Aura-t-elle terminé d’ici la fin du cours ? Pas sûr, mais elle pourra peut-être reprendre sur une prochaine séance, ou chez elle, en fonction de ce qui sera annoncé pour la suite…
Quelques instants plus tard, Janine estime que son fond est plus ou moins terminé pour l’instant. Elle a laissé de la place pour faire quelques nuages, ainsi qu’une limite très peu distincte entre le sol et le ciel, histoire de pouvoir travailler la délimitation dans un enchevêtrement d’herbes. Mais pour cela, il lui faut attendre que la toile sèche un peu ! La rousse la trouve trop humide, et qui dit humidité, dit également diffusion de la couleur… En attendant, elle se saisit de sa gourde dans son sac et boit quelques gorgées d’eau, yeux fixés sur sa toile. Peut-être qu’il est temps de s’occuper de l’arbre, puisqu’elle a appliqué la couleur autour il y a un moment… Les branches seront les premières à apparaître, c’est décidé. Se saisissant du noir et d’un autre pinceau, Janine commence à doucement l’appliquer pour créer une première couche, qui constituera la base de l’arbre aux branches qui seront finalement décharnées. Elle voulait quelque chose de plus poétique, à la base, mais aime beaucoup le contraste qui se présente entre l’arbre nu très noir et le crépuscule.

"On peut dire ça comme ça..." souffle Jan', non sans un léger sourire. De repenser à sa défunte mère la met toujours dans un état relativement trouble. Elle lui manque affreusement, et même si elle n'a pas passé autant de temps avec elle que Jezabel, elle en garde de nombreux souvenirs agréables. Dans cette toile, Janine essaie de mettre un peu de l'énergie que sa mère mettait dans les siennes et dans sa vie en général. La citation inscrite au tableau l'a beaucoup inspirée, et même lorsque l'enseignante propose à ses élèves d'un soir de se dégourdir les jambes, Janine ne bouge pas d'un poil. Ses doigts et ses bras, eux, continuent de courir le long de la toile, de haut en bas et de droite à gauche. Sa tête se penche de temps à autre pour avoir une autre perspective, ce qui fait que lorsque Deiji revient vers elle au bout d'un quart d'heure, Jan' en est presque à la fin de sa peinture. "Je ne pensais pas que j'aurais autant avancé !" Elle profite de la visite de l'enseignante pour marquer une légère pause, comme si elle devait reprendre son souffle. "J'espère ne pas avoir raté ma silhouette !" fait-elle, lèvre inférieure mordue. Elle cherche l'approbation de Deiji, seule figure créative présente aujourd'hui dans sa vie -même si ce n'est que de temps en temps pour une heure de cours-. "Je pense qu'il manque encore une couche à mon arbre, il n'est pas assez foncé à mon goût... Qu'en pensez-vous ?" demande Janine, visage levé vers l'enseignante derrière elle.

"Pas mal, oui..." Autant que son emploi du temps le lui permet, en tout cas. Janine a parfois des montées d'inspiration difficiles à contenir, qui peuvent lui ternir une journée si elle ne peut pas en faire usage. Elle se base énormément sur ce qu'elle voit et ressent en exploration, ce qui ne rend pas toujours ses toiles joyeuses et colorées comme l'étaient celles de sa mère.
La dénommée Deiji a le temps de lui donner encore un conseil, avant d'annoncer la fin imminente du cours peu après. Janine est plutôt satisfaite de ce que ce donne sa toile, et estime qu'elle n'aura plus à y toucher pour l'instant ; à moins qu'elle veuille s'y remettre et ajouter des détails auxquels elle n'a pas pensé sur le moment. Durant les quelques dernières minutes, elle observe les autres élèves autour d'elle. Certains se hâtent à ajouter de la couleur ou des formes, tandis que d'autres remballent leur matériel dans l'intention de reprendre leur toile lors d'un cours prochain. Lorsque Deiji reprend la parole pour déclarer qu'elle a toujours trouvé l'aquarelle plus amusante, Janine hoche vivement la tête derrière sa peinture. La fin du cours a officiellement sonné, il est l'heure pour elle de ranger ses pinceaux. Plutôt que de bêtement surveiller le planning des cours à venir afin de s'inscrire à celui de cette artiste, Janine choisit d'aller timidement lui demander la date de sa prochaine intervention. "Vous savez quand se déroulera votre prochain cours ?" questionne-t-elle, en mettant sa sacoche contenant ses pinceaux et ses aquarelles sur son épaule.

Sa toile étant encore un peu humide, Janine préfère la laisser le plus possible se reposer avant de quitter la salle. Elle a déjà prévu un petit linge à l'arrière de la voiture afin de la poser en sécurité. De toute manière, elle devait s'enquérir de la date de la prochaine intervention de l'artiste afin de pouvoir directement s'inscrire. "Super, je m'inscris dès que je rentre alors," fait la rouquine dans un léger sourire. Même si elle n'a pas pour ambition de faire quoique ce soit d'autre avec ses toiles que de les accrocher chez elle ou en faire cadeau à ses proches, Jan' n'est jamais contre le fait d'apprendre de nouvelles techniques, ne serait-ce que pour se rapprocher indirectement de sa mère qui lui manque tant. "Oui, il est écrit dans mon petit carnet personnel," confie Jan'. Elle n'a encore jamais fait usage de cet email, mais peut-être qu'elle le pourra si son syndrome de l'imposteur s'atténue un jour, qui sait ? "Bon, eh bien je peux vous dire à dans deux semaines alors... A moins qu'on se recroise au café, comme la dernière fois !" Jan' fait référence à une matinée, il y a quelques semaines, où Deiji était passée chercher un café et que Jan' l'avait reconnue. Elle lui avait d'ailleurs timidement signifié qu'elle faisait partie de ses élèves ponctuels. Dans un sourire, la rouquine récupère sa toile en faisant bien attention à la prendre sur les tranches, et salue Deiji d'un signe de tête. "Bonne soirée à vous, et encore merci pour vos précieux avis !" Comme Janine l'avait prédit, sa toile n'est pas encore bien sèche, et même si elle la saisit par les côtés, elle doit bien prendre garde à ne pas mettre ses doigts sur la partie tendue, au risque d'apposer une grosse marque de doigt disgracieuse. Un peu plus légère que lorsqu'elle est arrivée, la jeune peintre peut quitter la salle pour rejoindre son petit studio, satisfaite d'elle et de ce qu'elle a appris ce soir.