when we first met (marshie)

Venir travailler devenait une angoisse. Trop de clients. Je ne voulais pas l’accepter, mais c’était ça la raison de mon mal-être. Trop de clients au restaurant et l’impression de mal faire. Un post de Julia sur les réseau sociaux et tout s’est enflammé. J’ai pas compris. De toute manière, j’y comprends rien à internet, ce n’est pas faute d’avoir des conseils de ma fille. D’ailleurs, c’est elle qui a fait passer l’annonce que je cherchais un nouveau cuisinier pour le restaurant. Cuisinier ou cuisinière, je m’en fichais, mais je préfère un garçon, comme ça Charlotte qui a la nature jalouse ne tournera pas dans mes pattes. J’aime ma femme, mais les idées qu’elle se met en tête la rendent parfois folle et ça m’énerve. Je ne veux pas qu’elle me surveille, surtout pas au travail. Moi j’avais mis un papier sur la porte, mais Julia a mis l’annonce sur internet. J’ai reçu quelques propositions, des CV intéressants, sans photo, je n’en voulais pas. Je m’en fiche du physique, je veux quelqu’un qui cuisine bien et qui fasse plaisir à mes clients. J’ai tout lu, j’ai fait des annotations et j’ai choisi Archie Perez. Il n’y avait pas grand-chose sur sa feuille, des études de cuisine et un travail dans un fast-food du coin. Mais ça m’a plu, c’est lui qui vient au restaurant aujourd’hui pour son premier jour.

Je suis anxieux, plus que je le devrais. J’espère de tout cœur qu’il ne va rien faire foirer. Si j’y connais rien en internet, je sais qu’un commentaire négatif peut tout de suite nous faire de l’ombre. Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit, Charlotte m’a dit que j’avais une mauvaise tête, mais je n’y peux rien. Elle a voulu me mettre de l’anti-cerne, j’ai refusé quand Julia s’est mise à rire à la proposition. C’est avec une tête tout juste passable que j’arrive au restaurant. J’ouvre la porte et j’allume les lumières. J’ai demandé à Archie de venir un peu avant dix heures, histoire d’avoir le temps de lui montrer le restaurant et la cuisine, de lui expliquer le fonctionnement avant de nous mettre au travail.

J’en avais marre, je perdais mon temps, comment voulez-vous avancer dans un endroit pareil, tous les jours c’était la même chose: poser la boulette, retourner la boulette, gratter la plaque, cuit le poulet, mets le moule, fait cuire l'œuf. Je sentais le gras à plein nez chaque fois que je sortais de là, mes vêtements même après lavage sentait encore le gras. Je n’en pouvais plus, j’avais un diplôme en cuisine et le seul endroit qui m’a accepté fut cet endroit de dépression. J'essayais tout de même de trouver une autre place, chaque fois que j’en avais l’occasion j’envoyais mon cv à la moindre annonce de restaurant. Après plusieurs tentatives, plusieurs entrevues, plusieurs refus, je fus finalement pris, un restaurant géré par un seul cuisinier et qui venait de faire sa réputation sur le net d’un message sur les réseaux sociaux. Je devais avouer vouloir travailler dans ce restaurant, en fait n’importe quel restaurant conviendrait, mais celui-là avait un petit quelque chose de plus, sauf que je ne savais pas quoi.  

Dix heures, l’heure que le chef avait demandé que je me présente, comme à mon habitude j’étais arrivé avec une vingtaine de minutes d’avance, je tournais un peu en rond devant le restaurant, ne voulant pas être de trop. Ce n’est que quand il restait cinq minutes à ma montre que je me présentais à l’entrée, gêné, perdu, pas du tout à mon aise et impressionné par l’endroit et par l’homme qui s’y trouvait. Mon cœur se mit à faire la course dans ma poitrine, mes joues chauffaient et pourtant je restais de marbre, pas question de me faire découvrir.

Bonjour ?

A quelques minutes de l’entretien, c’est moi qui stresse et qui me demande si j’ai fait le bon choix. Je le saurais quand je le verrai, quand il commencera à travailler. Je ne peux pas savoir avant. Quand je repense aux CV que j’ai eu, je me dis que ce n’était pas le meilleur d’entre eux. Certains avaient déjà travaillé dans de grands restaurants, ils auraient été plus sûrs. Si Archie n’a qu’une place en fast-food, peut-être qu’il le mérite. Mais peut-être qu’aussi personne ne lui a donné l’opportunité de montrer qui il est. Ce qui me plaît aussi, c’est son jeune âge. Il va ramener du sang frais au restaurant.

Ces derniers jours, il y avait du monde à midi, j’espère que ce sera plus calme aujourd’hui. Normalement oui, on est jeudi. C’est plutôt un jour creux, il y a surtout les travailleurs du quartier autour qui passent mangé un plat. Ce sera bien pour qu’il se mette dans le bain et qu’il ne soit pas trop paniqué. Ni même moi, je le serai moins. Car je peux peut-être m’imaginer son stress, mais jusqu’à présent, je n’imaginais pas le mien. Comment je vais travailler en équipe ? J’ai toujours bossé tout seul, enfin, depuis le départ à la retraite de l’ancien proprio. Si ça se trouve, je suis mauvais pour le travail à deux. Avec Charlotte, on est incapable de monter un meuble tous les deux par exemple. On est trop perfectionniste, mais pas le même tous les deux. Lui, Archie, sait travailler en équipe.

Mon esprit se torture et je ne vois pas le temps passé, ce qui est plutôt bien. Cependant, je suis surpris quand j’entends la porte du restaurant. Je relève la tête et me redresse quand je remarque un jeune homme. Est-ce que c’est lui ? Sûrement, car je ne le connais pas. Ce n’est pas un habitué qui vient squatter avant même que le restaurant ouvre. Il me salue et un large sourire se met sur mon visage. Je m’avance vers lui, lui tend ma main et le salut à mon tour.
— Bonjour ! Vous devez être Archie Perez ? Je suis Marshall Frazier, le propriétaire du restaurant. Je suis content que vous soyez là.
Un coup d’œil rapide à ma montre pendant que je lui sers la main et je remarque qu’il est là avec de l’avance. Tant mieux. Il vaut mieux que ça commence comme ça. J’avoue que plus dix heures arrivait, plus j’avais peur qu’il ne vienne pas.

Bordel, il était canon, surement plus âgé que moi, mais ça n’a pas d’importance, je n’ai jamais porter attention qu’au physique ou aux autres détails, j’ai toujours voulu avoir quelqu’un avec qui je m’entend bien, qui ne me juge pas et tout le tralala qui va avec. Sauf que je n'ai regarder personne depuis des années, comment voulez-vous que je sois en relation, je n’aime pas les femmes et je ne me vois pas arriver à la maison avec un homme. Ma vie était si compliquée et en plus il va me falloir travailler avec cet homme ! Homme qui d’ailleurs me tend la main, je la pris rapidement, gênée, surtout lorsqu’il me dit tout souriant qu’il est heureux que je sois là, pourtant il en a pas l’air.

Vous êtes certains de ça ?

Je m’en voulais aussitôt, j’aurais dû fermer ma grande gueule, mon oncle n'arrête pas de me le dire, chaque fois, j’ai tendance à être trop franc selon lui, il ne sait pas que je ne dis pas tout, mais je le laisse parler c’est mieux. Mon regard dévia sur le restaurant, un peu campagnard, vieux, rustique, chaleureux, les tables avaient l’air d’avoir de l’âge et en même temps non, j’aimais beaucoup les couleurs et la texture, j’avais hâte de me mettre aux fourneaux. Sans trop demander, je pris en main un des menus, étudiant les repas proposer, certains me plaisait plus que d'autre, j'avais envie de manger maintenant, j'avais un peu passé outre le petit dej en me levant et mon estomac, me le faisait savoir maintenant, quel idiot.

Merci de me donner ma chance, mais vous ne donnez jamais d'entrevu avant de prendre quelqu'un ?

Je n'en avais pas passé une seule, juste un coup de téléphone pour me dire que je suis pris et de me présenter à tel heure, un peu étrange, mais je ne pouvais être difficile. Je le suivis donc au travers du restaurant, écoutant ce qu'il avait à me dire sur le fonctionnement, je n'enregistrait pas grand chose, je suis plus à apprendre sur le tas, mais écouter une première fois aide tout de même.

C’est un faux sûr de lui. Un peu comme moi. Il se donne un genre pour faire croire que ça va. Sur son visage, on lit de l’assurance, mais ses yeux le trahissent. Je suis pareil, je ne peux rien contre mes yeux qui ne sont que le reflet de mon âme. Ce matin, il y a aussi ma voix qui joue contre moi, alors que j’ai imaginé ce dialogue de longues minutes. C’est moi le chef, le patron ici, je n’ai pas à être intimidé par quelqu’un que je ne connais pas. C’est pas dans mon habitude non plus.

Je lève un sourcil à ce qu’il me dit. Je ris nerveusement quelques secondes avant de me reprendre. Bien sûr que je suis content qu’il soit là. Je sais à présent qu’on va être deux sur le coup et ça devrait me rassurer. J’avais juste peur qu’il ne se pointe pas. Certains se seraient défilé, pourquoi pas lui ? Surtout qu’il n’a jamais travaillé dans ce genre d’endroit, il aurait pu rebrousser chemin. D’ailleurs, je ne serai pas étonné qu’il ne vienne pas demain. Je préfère me dire ça pour ne pas être déçu de penser avoir trouvé la bonne personne.

— Je suis certain oui. J’aime bien les gens qui se présentent à l’heure à leurs rendez-vous, vous semblez en faire partie. Je vous attendais.

Si j’ai horreur de quelque chose, c’est des gens qui ne sont pas ponctuels. Je sais qu’on peut rapidement avoir un problème sur la route, un bouchon, un accident devant nous, mais il faut prévoir. Partir plutôt, s’assurer de prendre les bonnes routes.

Je le vois regarder le menu qui trône sur l’une des tables. Le bout de papier me gêne pour voir l’entièreté de son visage. Est-ce qu’il sourit ou pas ? Il relève le regard vers moi et reprend la parole. C’est vrai, je ne l’ai pas vu avant de le mettre derrière les fourneaux et de le donner à mes clients.

— Est-ce que j’aurais dû vous en donner une ?

J’ai un sourire narquois aux lèvres.

— On est en cuisine ici, ce n’est pas en discutant que je vais voir ce que vous valez. De quoi auriez-vous aimé parler ? De votre expérience ? Autant oublier votre passage au fast-food, on va parler de la vraie cuisine maintenant, c’est ce qui vous intéresse, non ?

Peut-être qu’il ne vaut pas le coup et je le saurais en le voyant travailler. Si on est fort, on peut réussir à faire croire beaucoup de choses avec les mots, mais les gestes et les retours des clients ne mentent pas.

— Je vais vous présenter un peu le restaurant. Comme vous pouvez le voir, il est assez simple, pas très grand. On fait une trentaine de couverts à chaque repas, mais on monte à cinquante certains week-end. Le restaurant est ouvert entre onze heure et quatorze heures, on a des clients sur toute cette plage. Le soir, il ouvre à dix-huit ans et ferme à vingt-heure, à part le week-end où on termine à vingt-trois heures. On a rapidement accès à la cuisine, puisqu’elle est ouverte. Les clients peuvent vous voir travailler, il faut être irréprochable à chaque minute. Vous pensez pouvoir tenir ?

Il y a de la pression en cuisine, celle de bien faire, autant que je vois si par les mots, il est prêt à se lancer.  

Je n’avais pas l’habitude de ce genre d’endroit, il semblait assez ‘’cozy’’ en fait et moi je n’avais que travailler dans un fast-food où tout devait sortir en moins de cinq minutes, je peux vous dire que pour une perte de temps ça n’était une grosse, travailler avec du précuit était un cauchemar de tout bon cuisinier. Et j’étais là devant cet homme, charmant, nerveux qui montrait une face incertaine et des yeux qui en disait plus long, j’avais tendance à être nerveux et là, non, je me sentais bien, finalement à ma place. J’essayais de la jouer sur la blague, chercher à savoir pourquoi il n’avait pas donné d'entrevue et sa réponse fut tout ce que j’espérais, la blague parfaite avec cette mimique, je me mis aussitôt à rire.

C’est ce qui m’a toujours intéressé, juste pas le bon parcours.

Le fast-food, non on en parle pas. Il me présenta la place. Petit, simple, cuisine ouverte, rien de nouveau pour moi, les heures ne me dérangeaient pas. Je ne parvenais pas ainsi, mais j’avais de l’expérience, ma mère avait tenu le restaurant familial et le tenait encore, plus petit que celui-là, mais tout aussi demandant, je n’avais pas peur du tout.

Aucunement peur. Votre menu, semble assez simple à retenir, les plats efficace pour la rapidité, tout semble s’accorder parfaitement niveau cuisson. Changez-vous de poissons selon la pêche au marché ?

On faisait souvent cela à la maison, les clients ne s’en plaignait que rarement et puis ce n’est pas comme si nous allions acheter le poisson au marchée du coin, non il faut le produit frais du marché au poissons, lever avant le soleil pour avoir le meilleur. Je regardais l'heure sur ma montre, si ce qu'il m'a dit est exacte, le restaurant ouvrait et nous étions encore là à discuter dans nos acoutrement civil, pas bon.

Vous me montrez où je peux me changer, je crois qu'on est ouvert non ?

C’est fou, car il m’inspire confiance. J’ai généralement un bon instinct et là je le sens bien. Je suis persuadé qu’il va faire du bon travail, que c’est juste un gamin qui n’a pas eu la chance qu’il méritait. Pour les autres CV, je n’avais pas ressenti ça. La plupart d’entre eux travaillaient déjà dans de bons restaurants et je ne voyais pas ce que j’allais leur apporter en plus. Avec Archie, c’est différent et peut-être que je me trompe sur toute la ligne. Si ça se trouve il vaut moins le coup et j’aurais dû en prendre un autre. Alors, mon instinct se serait foutu de moi. Cependant, je souris à ce qu’il me dit. Pas le bon parcours. J’ai envie de rajouter que maintenant il est dans la bonne voie, mais ce ne serait pas modeste de ma part.

Je lui présente rapidement le restaurant, lui donnant les grandes lignes de ce qu’on fait, des horaires et des clients en général. Il en apprendra plus aujourd’hui. De toute manière je reste là, à disposition pour la moindre question. Je ne manquerai pas de lui dire tout à l’heure, avant de commencer. Je souris à ce qu’il dit sur le menu.

— J’ai gardé principalement le menu du propriétaire d’avant et j’en ai rajouté un ou deux que j’aime bien. Les clients avaient leurs habitudes ici et en le gardant, ils ont continué à venir. Je pense que si je veux faire de nouvelles choses, il faut y aller en douceur et leur proposer au fur et à mesure. Et comme vous le dites, il faut que tout s’accorde, surtout que je suis seul ici à cuisiner. Si vous faites l’affaire, pourquoi pas rajouter des choix dans le temps, annoncé-je avec un haussement d’épaule.

Il m’interroge sur le poisson et je grimace.

— J’essaie, mais je dois vous avouer que ce n’est pas souvent le cas malheureusement. C’est surtout pour les fruits et les légumes que j’y veille, à respecter les saisons.

Manque de temps ? Manque de connaissance ? Sûrement un peu des deux.

— Vous vous y connaissez ?

D’un coup d’heure discret, même si je le vois, il regarde l’heure et m’avertit que dix heures est à présent dépassé. On discute, on discute et le temps défile sans que je m’en rende compte.

— Bien sûr, venez avec moi.

Je tourne les talons et le devance pour lui montrer la petite salle qui me sert de repos. Une petite table trône au milieu, des casiers jonchent les murs.

— C’est ici qu’on peut se poser, il y a trois casiers, dont un qui est libre, celui de droite.

De toute manière, sur les autres, il y a des photos des propriétaires, donc la mienne et celle de ma fille qu’elle partage avec la serveuse qui travaille en mi-temps ici. J’ouvre le troisième casier, qui sera le sien et en sort un tablier qui n’attendait que d’être mis.

— A côté, il y a une petite pièce, vous pouvez vous y changer. N’oubliez pas ça, c’est le plus important, dis-je en riant en lui tendant le tablier.