blood tie ft. otis

Université de Wellington.
Kena O'Malley était dans tous ses états. Cela faisait des semaines que la jeune femme surveillait l'arrivée de son courrier, guettant le facteur à chaque passage. Les résultats du test ADN qu'elle avait fait avec Otis, lors de leur première rencontre allaient arriver chez ses grands-parents. Elle n'avait pas voulu courir le risque de donner l'adresse de sa mère et que cette dernière tombe dessus. Pour ce qui était du camping, la jeune femme n'était pas souvent à Island bay. En réalité, elle y allait surtout au moment de ses recherches paternelles ou quand elle trouverait son géniteur. Mais sa vie se déroulait à Wellington.
Ce matin, avant de partir à l'université, la jeune femme avait réussi à croiser le facteur avant de monter dans son bus. Son coeur avait complètement déraillé. Sous le choc de cette lettre, l'étudiante n'avait pas su quoi faire. Elle voulait l'ouvrir, elle y avait pensé dans le bus la menant à la fac, mais la peur, l'angoisse, le sentiment que sa vie pouvait totalement basculer après cela, avaient prit le pas sur tout le reste. Elle continuait de se sentir coupable envers sa mère. Elle s'en voulait d'avoir fait ça dans son dos, de ne rien lui avoir encore dit. Kena avait envoyé un message à Loris, son ami, pour lui dire et pour lui demander un peu de soutien.
Ce n'est que durant la matiné, que Kena su quoi faire. Otis venait de lui écrire, ils s'étaient échangé leurs numéros de téléphone après leur première rencontre. Il avait la lettre lui aussi. Il savait lui aussi, dans quel état elle était. En fait, personne de mieux placé que l'un et l'autre, ne pouvait comprendre ce qui se jouait pour eux. Ils étaient ensemble dans ce passage, dans ce tunnel, où peut-être au bout, prônait une réponse. Est-ce que Kena était prête à faire face à cette réponse? D'enfin pouvoir mettre un nom, un visage, une histoire derrière ce vide incommensurable qu'elle connaissait depuis toujours ? Ou bien d'avoir à tout recommencer dans ses recherches, tout en oubliant l'option à laquelle elle croyait depuis sa rencontre avec le pompier ? Au fond d'elle, elle avait le sentiment que c'était lui, mais peut-être qu'elle se trompait ? Peut-être qu'elle avait juste envie que ça soit lui ?
Après quelques sms, la jeune femme se senti un peu plus soulagée. Otis allait la rejoindre à midi, pour connaître la vérité à leur sujet. Il fallait attendre plus d'une heure, ça allait le faire. La jeune femme essaya de rester concentrée sur ses cours, mais quand vint l'heure du déjeuner, elle passa en mode pilote automatique. Le regard perdu, ses pensées fusant dans son esprit, elle traversa le campus comme un zombie, jusqu'à rejoindre l'entrée principale. Cherchant du regard Otis, elle retrouva ses esprits quand elle l'aperçu. Elle venait de lever sa main pour se dévoiler à lui, traversant la foule pour le rejoindre. Anxieuse, nerveuse, totalement à l'ouest, elle le salua "salut, ça va?" esquissant un sourire tourmenté.

@Otis Wairua

L’enveloppe entre les mains, je la tripote comme si elle allait me brûler les doigts. Et en même temps, je ne peux m’empêcher d’être impatient de l’ouvrir. Je sais que ma vie va changer au moment où je découvrirai ce qu’elle contient. Soit je deviens père, soit je ne suis pas le géniteur de cette jeune fille, mais ma vie ne sera quand même pas la même. Cette rencontre m’a changé, je le sens déjà, quelque chose s’est comme ouvert dans mon coeur et je ne saurai l’expliquer. Comme s’il y avait une place pour elle, que je sois son père biologique ou non. Je sais que si ça n’est pas le cas, je lui proposerai mon aide pour l’aider à reconstruire le puzzle de sa vie. J’ai partagé une année de bonheur avec sa mère, et même si elle doit être la seule chose qui nous lie, je veux bien m’en contenter. Il y a quelque chose dans cette gamine qui me rappelle moi à son âge, et j’ai le sentiment que je ne peux plus la lâcher désormais, si tant est qu’elle accepte que je reste dans le paysage de sa vie, sans pour autant être son père biologique.
Mais au fond de moi, j’espère surtout que tout ça n’aura pas servi à rien que le bouleversement qu’elle a créé en entrant dans ma vie ne sera pas vain. Et si j’ai remis une bonne partie de mon existence en question depuis qu’elle a déboulé à la caserne, aujourd’hui, je crois être sûr de cette envie d’être son père. C’est fou la vie, quand on y pense. Je ne sais pas qui elle est, et il y a pourtant un lien indescriptible qui semble me lier à elle. J’ignore si elle le ressent aussi, mais je préfère pour ne moment ne pas lui en parler. En tout cas, pas avant d’avoir découvert la vérité sur notre potentiel lien biologique.
Je rejoins la jeune femme comme convenu à la sortie de la fac où elle étudie, à l’heure dite. Je ne suis pas un retardataire, de base, mais je le suis encore moins quand il s’agit de choses qui me tiennent à coeur. Je remarque Kena dans la foule et, comme la première fois, je lui adresse un signe de main pour me manifester. Elle en fait de même et nous nous retrouvons un peu plus loin. « salut, ça va? »  demande-t-elle d’un air très peu sûre d’elle. Je vois qu’on est dans le même état de stress. « Hum, j’ai connu mieux, j’imagine que toi aussi… »  Je lui adresse à mon tour un sourire, mais qui se veut plus complice, et peut-être un peu rassurant. Nous retrouvons le même endroit que la dernière fois, et nous nous installons, à la même place, comme un rituel étrange. Je retire ma veste et sors l’enveloppe au cachet du laboratoire. Mes deux mains à plat sur cette dernière, elle-même posée sur la table, je relève la tête vers Kena. « Je voulais te dire… peu importe le résultat, tu pourras toujours compter sur moi. J’veux dire… que je sois ton père ou pas, si tu as besoin, je serai là. »  Ma gorge est serrée, je ne sais pas si elle voudra de moi dans son paysage si jamais je n’ai pas le même sang qu’elle, mais au moins, j’ai lancé la proposition, elle verra quoi en faire. « Bon, on y va ? »  Je me pince les lèvres, stressé, et à son top, nous ouvrons chacun notre enveloppe, dépliant la lettre à la hâte. Les résultats sont clairs, la correspondance de nos ADN est annoncée comme 99,9%. Les larmes me montent aux yeux, et je repose la lettre sur la table, avant de regarder la jeune femme en face de moi. Ma fille. « Il y a quand même 0,01% de chances pour que je ne sois pas ton père… tu veux continuer à chercher ? »  Je choisis la carte de l’humour, sans doute pour éviter de m’effondrer, ou que la situation soit un peu trop pesante pour nous deux…

Elle le voit, il est là. Kena s'approche de lui, timide, nerveuse, stressée. Ses mains enssèrent les lannières de son sac à dos, son regard est fuyant, son coeur bat la chamade. Elle est en train de vivre l'un de ces grands moments, ceux dont elle se souviendra toute sa vie. Elle le sait, elle le sent. Elle peine à trouver ses mots, à les exprimer clairement à voix haute. L'étudiante préfère répondre silencieusement, en haussant les épaules et en esquissant un sourire au regard fuyant, en guise de réponse. Elle ignore comment elle se sent. Elle ne sait pas si elle va bien ou pas. Depuis quelques jours, tout est flou, ou presque. Depuis qu'elle a trouvé le nom et le prénom d'Otis. Depuis qu'elle a découvert son métier. Qu'elle est allée à sa rencontre. Depuis qu'il est entré dans sa vie, qu'elle cache tout cela à sa mère, qu'elle fait tout toute seule, comme un secret, comme son précieux secret. Comme si elle devait avoir honte, honte de tout ceci : cette situation qu'elle n'a jamais choisie.

Le pompier marche vers le café où ils avaient discuté à leur deuxième rencontre, Kena le suit sans réfléchir. Après tout, ce repère, c'est le sien. L'étudiante ne fait pas attention aux gens autour, déjà installés. En vérité, c'est comme si elle était dans une autre réalité, dans sa propre réalité, où le reste du monde n'a pas sa place. Hors du temps et de l'espace, il n'y a de la place pour aucune autre existence à l'heure actuelle. Son coeur bat fort, alors qu'elle prend place à table. Otis a l'enveloppe dans les mains, elle la sort de la poche de sa veste en jeans, où elle y était pliée en deux. Est-ce que c'est bien ce qu'elle est en train de faire? Est-ce qu'ils ont le droit de faire ça? Et si tout changeait après ça? Et si Otis allait créer des ennuis à sa mère? Et si tout changeait trop vite? Trop violemment? Kena avait mille questions, milles idées qui traversaient son esprit, à toute allure, lui donnant le vertige. Elle ne se sentait pas bien, c'était certain.

Otis croise son regard, tout en lui avouant qu'il serait là pour elle, peu importe le résultat. Kena trouve cela étrange. Après tout, si cette lettre leur annonce qu'ils ne sont rien l'un pour l'autre, il n'aurait aucune raison de vouloir garder contact avec elle. Elle n'était personne pour lui. Quant à elle, elle désirait retrouver son père, c'était cela, sa motivation. Silencieuse, elle observa les mains du pompier ouvrir sa lettre, tandis que son coeur tambourinnait contre ses tempes. Elle l'imita, ouvrant la lettre, essayant de voir vite, les informations principales. C'était écrit à la machine, en gras, le pourcentage était.... élevé. Ses yeux fixaient les chiffres.

Alors il s'agissait de ces ciffres, ces malheureux chiffres et d'une virgule bien placée, pour déterminer à la fois son passé, son présent et son avenir? Un sentiment de soulement s'empara d'elle, retirant un poids de ses épaules. Un poids qu'elle ressentait depuis toujours, le poids d'une absence, d'un manque, d'un vide, d'un trou qu'elle n'avait jamais réussi à combler. Ses mains s'accrochaient à ce papier, qu'elle n'était pas sûre de comprendre. Le papier qu'elle tenait était en train de lui dire que l'homme assis face à elle était son géniteur, son père, l'homme auprès duquel elle aurait du grandir. Alors qu'un sentiment de soulagement et d'apaisement était en train de se faire ressentir en elle, il fut écrasé bien vite par le sentiment de culpabilité. Kena avait trahie sa mère, sa vie privée, sa vie amoureuse, sa volonté de ne pas partager cela avec elle. Comment allait-elle garder le silence? Ne pas partager cela avec elle? Comment pourrait-elle mentir à sa mère, ou faire comme si ce moment n'avait jamais existé? Kena n'en savait rien, elle n'en serait sûrement même pas capable. Rien que l'idée de se retrouver face à sa mère à cet instant, lui donnait envie de vomir. Le sentiment de tristesse arriva enfin, en dernier. Un profond sentiment d'une tristesse absolue. Celle d'être passée à côté d'une enfance auprès d'Otis, auprès d'un père, auprès d'une famille, auprès d'une histoire, de souvenirs. C'était douloureux, alors qu'elle releva les yeux vers celui qui était son père. Otis essaya de faire une blague, Kena aurait voulu y rire, mais jamais elle n'aurait pu prédire cette réaction. Parce que personne n'imagine ce qu'on peut ressentir à ce moment précisément. Son coeur était en train d'exploser, et de se recoller en même temps. Elle ne savait pas quoi dire, elle n'était pas sûre de vouloir parler. Elle ne savait juste, pas comment réagir.

Sa vie était en train de changer. Sous le choc, elle garda le silence. Avant de sentir quelque chose chatouiller sa joue, puis l'autre. Des larmes silencieuses perlaient sur ses joues, sans même qu'elle ne s'en rende compte. Bientôt, elle les essuya presque violemment d'un revers de la main. Observant les gens autour, se rendaient-ils compte de ce moment? De ce qu'il se passait vraiment à cette table?

Un serveur s'approcha pour les saluer et prendre leur commande et Kena, lorsqu'elle croisa son regard, senti l'air lui manquer. Elle ne trouvait plus d'air pour respirer, pour reprendre son souffle, pour se relier à la réalité du moment. Le bruit bourdonnait dans ses oreilles. Alors, sans crier gare, elle s'effondra en larmes. Après toutes ces années de recherches, de questions, de doute, d'imagination, de fascination, de croyance, elle avait enfin sa réponse. Elle avait prié si fort pour ce moment. "Je suis désolée" s'excusa t-elle. Elle n'avait jamais pensé réagir comme ça, elle s'était tout imaginé sauf ça. "Je pensais pas que ça m'ferait ça" essaya t-elle d'expliquer à Otis. Elle pleurait comme une enfant, cherchant à essuyer ses larmes au fur et à mesure. "C'est juste que..." elle releva honteuse, les yeux vers Otis "j'te cherche depuis si longtemps" d'une voix qui tremble. Putain, elle en voulait tellement à sa mère. Tellement.

J’ai l’impression d’être dans la vie de quelqu’un d’autre, je ne réalise toujours pas ce qui est en train de se passer. Tout est allé si vite, et en même temps, je crois que nous avons bien fait de ne pas attendre pour avoir le verdict. L’attente aurait été affreuse, et après être sûrs du résultat, on pourra adapter le cours de nos vies. Séparément, ou ensemble. Lorsque la jeune femme me rejoint, je vois qu’elle n’est pas dans son assiette. Je ne la connais pas encore, mais je n’ai pas besoin de ça pour le comprendre, n’importe qui pourrait le ressentir. Le sourire presque à l’envers, je crois que je ressens son stress plus que je ne l’aurai imaginé. Et alors ajouté au mien, autant dire que ça rend les choses encore plus tendues. Mais je suis l’adulte de nous deux - même si techniquement, c’est une adulte aussi - et je fais le choix de prendre les devants. Je nous guide vers le café de la dernière fois en espérant que cet endroit ‘cocon’ pour elle puis l’aider à se rassurer un peu. enfin, j’imagine que tant que les enveloppes ne seront pas ouvertes, rien ne va vraiment changer.
C’est pour cette raison que je ne perds pas de temps. Nous n’avons toujours pas commandé, mais je n’ai pas envie d’attendre que le serveur fasse son apparition, il y a plus urgent. J’essaie de lire en elle pour savoir si ceste bon moment, si elle veut attendre, mais je crois qu’il est difficile de savoir. Alors je choisis de sortir mon enveloppe, elle en fait de même, et nous ne tardons pas à l’ouvrir. Le résultat est sans appel, il n’y a aucun doute, je suis son père. C’est surréaliste, et pourtant, c’est la vérité. Notre vérité désormais. Mon sang coule dans ses veines.
Je relève la tête et tente un trait d’humour, sûrement parce que je me sens désemparé, mais visiblement pas autant qu’elle. Disons que pour moi, tout a été très vite, je n’ai pas vraiment eu le temps de me passer le milliard de questions qu’elle a pu se poser elle, depuis qu’elle est en âge de faire fonctionner sa matière grise.
Son silence est significatif, et je vois déjà des larmes rouler sur ses joues. Elle a beau les essuyer rapidement, je les ai vues, et mon coeur se serre immédiatement. Est-ce qu’elle est déçue ? Est-ce qu’elle aurait préféré un autre père que moi ?
Le serveur se manifeste et de toute évidence, ce n’est pas le meilleur moment. De mon côté, je n’ai pas quitté la jeune fille des yeux, je sens qu’elle est sur le point d’exploser, et moi, je ne sais juste pas comment me comporter. Et voilà qu’elle lâche les armes, s’effondrant en larmes sans plus tarder. J’adresse un regard au serveur qui, d’un haussement de tête, me signifie qu’il repassera. « Je suis désolée » « Hey, non, ne t’excuse pas… » Ma voix est serrée, je me sens perdu, j’ignore si je dois la rassurer, lui laisser de l’espace, du temps. Je ne sais pas ce dont elle a besoin, je ne sais pas ce que c’est que d’être le père d’une jeune adulte. « Je pensais pas que ça m'ferait ça » Mais ça quoi ? Est-elle émue mais heureuse ? Ou déçue ? Je déglutis avec difficulté, toujours perdu face à toutes ces émotions, les miennes et les siennes mélangées. « C'est juste que…j'te cherche depuis si longtemps » Une larme roule sur ma joue et je ne cherche pas à l’essuyer. Maladroitement, je déplace ma chaise sur le côté de la table carrée pour me rapprocher d’elle et dépose tendrement une main sur son épaule. J’ai beau être génétiquement son père, on ne se connaît pas, et je n’ai aucune envie de lui faire peur, d’être intrusif ou quoi que ce soit. « Je me doute oui. Mais on prendra le temps dont tu as besoin. Si tu veux qu’on se voit souvent ou qu’on se voit plus jamais… je respecterai ton choix tu sais. Maintenant que tu sais que je suis là, tu pourras faire ce que tu veux. » Lorsqu’elle relève le regard dans ma direction, je lui offre un sourire tendre. J’ai envie de la prendre dans mes bras mais je n’ose pas, j’imagine que si elle a envie, elle viendra vers moi, et il est certain que je ne refuserai pas cette étreinte à… ma fille.

Le bruit de la chaise tirée sur le sol de ce café résonne, tandis qu'Otis se déplace pour se rapprocher. Kena en profite pour essuyer ses dernières larmes, sentant alors que celles-ci ne s'arrêteront pas de sitôt. Il pleure également, Kena ne se pose pas encore toutes les questions qu'elle pourrait se poser. Est-ce qu'il est triste d'apprendre cette nouvelle ? D'être père ? D'être son père ? Ou alors ressent-il une profonde tristesse, comme Kena, à l'idée d'être passé à côté d'une vie à ses côtés ? On leur avait retiré ce droit, on les avait privé de cette vie et c'était injuste, impardonnable même. C'était ce qui rendait Kena la plus triste. Kena sent alors une main lourde, chaude et protectrice se poser sur son épaule. Elle ressent ce contact chaud et rassurant, qui l'invite presque à venir plus près de lui encore. Instinctivement, alors qu'Otis prend la parole, Kena s'appuie sur ses mots pour séparer brutalement l'espace qui les maintenait à distance l'un de l'autre. Se jetant presque dans ses bras, comme l'enfant qu'elle était à présent pour lui, elle chercha à y trouver le réconfort dont elle avait cruellement manqué toute son enfance. Ses bras venant s'ouvrir naturellement pour encercler le cou et les épaules de ce père, qu'elle découvre alors ce que cela fait. Pouvoir enserrer le corps de son père. Ce n'était plus un rêve, ni même une idée ou un fantasme. C'était devenu la réalité, sa propre réalité. Elle sentait son corps, fort et droit, qui venait retenir le sien. Elle sentait ses mains chaudes, ses bras rassurants, démontrant une présence masculine puissante dont elle avait manqué toute sa jeunesse.
Kena s'effondra alors totalement. Laissant son corps réagir de la seule manière dont il était capable : se laisser submerger par la tristesse qu'elle avait cherché à enfermer dans un coffre secret, au plus profond de son cœur d'enfant. Les larmes coulaient, des larmes de joie bien sûr à l'idée de terminer enfin le combat de toute sa vie : celui de trouver son père. Mais également, des larmes de désespoir à l'idée de constater la réalité. Kena avait passé sa vie entière à chercher un père qui était finalement, tout près d'elle. Il avait toujours vécu à deux pas de chez elle, elle avait grandi à quelques kilomètres de lui, il avait loupé toute sa vie, toutes les étapes de sa vie alors qu'ils avaient tous deux été si près l'un de l'autre. Kena en voulait terriblement à sa mère et là, tout de suite, maintenant, elle se sentait incapable de lui pardonner ce qu'elle lui avait fait. Elle ne s'en sentait tout bonnement pas capable à l'heure actuelle ni même dans un futur proche. En faisant ses recherches, jamais Kena ne se serait doutée qu'elle en voudrait à ce point à sa mère. Elle n'aurait jamais pu imaginer que son père aurait été si près d'elle tout ce temps, qu'il n'y avait apparemment aucune raison à son absence toute sa vie durant, à part un choix intime et personnel de sa mère uniquement.
"Je lui en veux" essaya-t-elle de dire, en larmes, contre le corps de son père. "Elle nous a empêché d'avoir une relation" pleura-t-elle à nouveau. "C'est injuste" dit-elle encore en larmes, reniflant grossièrement. "J'aurai pu avoir un père toutes ces années" et cette phrase-là, lui déchira le cœur. Voilà, c'était dit. Si sa mère avait agi différemment, Kena aurait eu une vie différente. Otis aurait assumé son rôle, ils auraient été une famille, elle aurait pu avoir des frères et sœurs. Kena le sentait, elle le voyait même dans son esprit. Des images d'eux, des images où lors de tous les manques qu'elle avait ressenti, de la présence d'un père, se voyait comblés. Au petit déjeuner, au dîner, lors de ses spectacles de sciences, de ses fêtes à l'école, tous ces soirs où sa mère travaillait et où elle était partie chez ses grands-parents… en pensant à eux, elle senti la déception et la rage l'enivrer. Elle n'avait aucune envie de les voir, de faire semblant, de faire comme si elle n'avait pas rencontré Otis. Elle ne voulait pas y retourner. Elle ne voulait pas participer à leur jeu "du silence" dont ils jouaient si bien depuis toutes ces années. Kena en était incapable. Kena s'accrochait à Otis, comme n'importe quel enfant s'accrochant à son père, morte de trouille, cherchant du réconfort et du soutien. Elle avait voulu savoir, elle savait. Elle avait le sentiment d'être seule, sans sa mère, qui était-elle ? Est-ce qu'elle allait pouvoir s'en sortir sans elle ? Pourrait-elle vivre sans lui parler ? Sans lui dire ? Kena était perdue, désorientée, complètement submergée.