invisible string ☥ nyllian #3

Assise au volant de ma voiture, je contemple la grande bâtisse devant laquelle je me suis garée depuis cinq bonnes minutes maintenant. Pourtant, il est trop tard pour faire marche arrière, surtout que Jill est déjà au courant de ma venue, et qu’elle m’attend déjà probablement. Enfin… M’attendre est un bien grand mot. J’imagine que, comme toute hôtesse qui se respecte, elle n’est pas du genre à se laisser avoir par le temps, ni oublier un rendez-vous. C’est la seule chose que j’entends quand je parle de m’attendre, évidemment. Et le fait que je réajuste le col de mon tailleur avec nervosité n’a pas non plus la moindre signification, si ce n’est que c’est la première fois que je planifie de retrouver la chirurgienne pour une visite de courtoisie, sans autre raison que l’envie de passer un moment ensemble. Le début d’une belle relation amicale, rien de plus… Pas vrai ?
14h07. Je serre le volant entre mes mains, tout en recentrant mes pensées vers l’objectif du jour. Ce matin, j’ai décidé de lui avouer que j’étais mariée, sans trop bien comprendre pourquoi cet ‘aveu’ n’est pas sorti plus tôt. Et surtout, pourquoi parler d’aveu alors que je n’ai rien fait de mal qui le justifie ? J’ouvre enfin la portière, et m’empresse de sortir du véhicule en réajustant ma veste. Plus que lui avouer quoi que ce soit, je suis avant tout ici pour lui offrir un cadeau devant lequel je suis passée un peu par hasard, même si le ‘hasard’ n’est pas le seul fautif de l’histoire. Avec détermination, je récupère le paquet soigneusement emballé, posé sur le siège arrière du véhicule. Il n’est pas très grand, je suis presque sûre que ma description de ‘pas grand chose’ n’est objectivement pas un mensonge, si on s’en tient à la taille du cadre. Pour la valeur de l’oeuvre, par contre… je ne me prononcerais pas. Il m’a fait penser à elle, j’ai voulu le lui offrir, et c’est tout ce qui compte.
Arrivée devant la porte, je ne tarder pas à appuyer sur la sonnette, mon paquet pendu à mon bras. Je ne sais pas trop comment me présenter, alors je le passe d’une main à l’autre, fixant les rainures de la porte en bois avec nervosité. Ce n’est que lorsqu’elle s’ouvre enfin, et que le visage de Jill apparaît, que je me sens soudainement apaisée, comme par miracle. J’avais oublié l’harmonie de son visage, et à quel point son sourire était capable d’appeler le mien, comme il le fait exactement maintenant. « Bonjour, tu vas bien ? Excuse-moi pour le retard. » Je choisis de ne pas m’étaler davantage, surtout que je n’ai aucune raison valable d’être en retard, si ce n’est l’hésitation qui m’a clouée sur place pendant plusieurs minutes. « Je ne te dérange pas ? » que je lui demande en jetant un œil vers l’intérieur. C’est une question idiote, mais on dira que c’est de la politesse un peu trop zélée, voilà. « Tiens, c’est pour toi. Je suis passée devant et il m’a fait penser à toi… Je sais que Noël est passé depuis un moment, mais… tant pis, on dira que c’est pour te remercier de la dernière fois. Même si tu ne veux pas. » Je me pince les lèvres, tout en lui tendant le paquet encore emballé. Je ne sais pas pourquoi je me sens obligée de justifier d’une occasion pour ce cadeau, alors que je n’ai jamais eu besoin d’excuses pour faire des cadeaux à qui que ce soit, que je sache… Enfin bref. Ça me fait plaisir de le lui offrir, comme en témoignent les yeux brillants qui ne la lâchent pas d’un pouce. Je crois bien qu’elle m’a manqué, en fait.