what's going on ? (milo)

Felix m'avait demandé il y a quelques jours un petit service que j'avais accepté avec plaisir, même si une voix au fond de moi m'insultait d'hypocrite. C'était presque devenu compliqué de le voir seulement tous les deux parce que je n'arrivais pas à le regarder dans les yeux sans penser à ce qu'il se passait dans son dos. La vérité, c'est que je m'en veux terriblement. Mais je ne pouvais lui refuser de venir voir ses jeunes qu'il coach au foot. Ça me faisait même plaisir. Je ne devais apparaître qu'à la fin de l'entrainement pour ne pas les perturber. Je me suis glissé dans le bâtiment des vestiaires, attendant mon tour et lorsque j'entends le coup de siffler final, je sors de ma cachette pour rentrer sur le terrain de foot. Lorsque je vois le visage de certains jeunes presque émus de me voir, ça me fait chaud au coeur. J'essaye de donner de l'attention à tous, de répondre à toutes les questions dans la limite du raisonnable, je signe des autographes, prends des photos. Je me donne à coeur joie et même quand certains me demandent de faire quelques passes, je joue le jeu. Même si je n'ai pas fait carrière dans le sport, j'aimais ça quand j'étais plus jeune. On faisait souvent des parties de foot avec la bande après les cours, parfois de basket ou autre. Je n'avais pas le niveau de Felix, ça m'amusait juste d'en pratiquer mais je n'aurai jamais le temps de m'accorder autant d'heure de sport que lui. Une fois que les jeunes retournent dans les vestiaires, Felix me rejoint et je grimpe sur une barrière entourant le terrain pour m'asseoir. « Alors, ça ne te donne toujours pas envie de te mettre au sport plutôt que rapper je ne sais quoi ? » Je lâche un rire avant de secouer la tête. « Je pense que tu es le mieux placé pour savoir qu'on ne lâche pas une carrière quand elle commence à décoller. » Ce serait le meilleur moyen de se faire oublier et au final toutes les heures d'écritures, toutes les nuits que j'ai sacrifié, toutes les fois ou ma voix m'a lâché, ça aurait été du gâchis. « De toute façon, je n'ai pas vraiment le temps pour faire du sport. Et crois-moi, être sur scène, ça vaut bien une bonne séance. Quand je me donne à fond, je ressors sûrement plus transpirant que tes p'tits jeunes. » « En tout cas, merci d'être venu, ça leur a fait plaisir, j'en suis certain. » « Moi aussi ça m'a fait plaisir. J'espère qu'ils iront loin. Y'en a certains que tu penses qu'ils auront une grande carrière ? » J'essaye de rester naturel avec Felix, mais c'est compliqué. Je l'ai un peu évité ces derniers temps et quand je le voyais, c'était parce que toute la bande était là. Je devais me faire violence pour ne pas baisser la tête et partir loin, quand il allait savoir, est-ce qu'il pourrait me pardonner ?

Alors que je dis à Felix que dans mon emploi du temps, je n'ai pas le temps pour une séance de sport, celui-ci réplique qu'il y a toujours un peu de temps à trouver. J'y penserai peut-être plus tard, mais avec l'écriture de mon album, ce n'est clairement pas le moment. Surtout que je souffre du syndrome de la page blanche, la hantise de tous les écrivains, paroliers ou tout autre domaine artistique. J'ai beau m'obliger à rester devant une feuille, un stylo à la main, ça ne change rien. Les mots ne viennent pas. Enfin, pas comme je le veux. C'est terrible. Je finis par lui demander si ils pensent que certains de ses jeunes auront une grande carrière. « Un peu tôt à dire, mais certains ont beaucoup de potentiels. » J'hoche la tête. « Ce serait cool s'ils devenaient professionnel. Si ils rentrent dans une grande équipe, tu pourras te vanter de les avoir former ! » Et c'est toujours grisant de voir son travail être reconnu pour sa juste valeur. « Tout va bien ? Tu as l'air d'être dans tes pensées et ne me dis pas le contraire, on se connaît depuis assez longtemps pour savoir quand l'un de nous ne va pas très bien. » Je me fige et baisse la tête. Merde. Même si je savais que mon comportement vis à vis de lui avait changé, je ne pensais pas que ça se voyait autant. Automatiquement, je commence à me mordiller la chair de mon pouce comme je fais à chaque fois que je suis stressé. J'échappe un petit rire nerveux avant de secouer la tête et de poser mon regard sur la pelouse en face de moi. « C'est rien de bien grave... » Au contraire, mais je ne peux pas me résigner à lui dire comme ça de but en blanc alors que je n'en ai toujours pas parlé avec Jude. Et je ne sais même pas comment lui dire alors je préfère faire l'autruche et parler de mon second problème qui m'empêche de dormir. « Mon producteur me demande de rendre la maquette de mon album dans très peu de temps et je n'ai même pas encore la moitié des sons de fait... » Je m'enfonce dans le siege, avachi, la tête en arrière. Qu'est-ce qu'il se passera quand la prochaine date butoire arrivera ? Mon producteur a déjà repoussé deux fois la date de remise de la maquette. Je ne fais que retarder tout le monde et ça m'énerve. J'ai envie de me frapper et de me secouer. Mais l'inspiration ne vient pas comme je le voudrais. « J'ai beau m'enfermer dans ma chambre, avec les instrus que m'a préparé Alvaro, rien ne vient. Je fais que de la merde, c'est même pas exploitable. »

Oui, mon comportement a changé vis à vis de Felix. Et je m'en veux terriblement. Je sais que quand il l'apprendra, il nous en voudra à mort. Mais je n'ai pas le courage de lui dire. Je le trouve déjà à peine pour le regarder dans les yeux et je suis venu rencontrer les jeunes de son équipe avec la boule au ventre. Comment je vais faire quand je vais devoir lui dire ce qu'il se passe avec Jude ? Comment je vais trouver les mots juste pour tenter de ne pas trop le blesser bien que je ne peux pas vraiment l'éviter ? Alors quand il me demande ce qu'il se passe, je lui parle que de mon problème avec mon album. Mais au final, tout est lié. Je n'arrive pas à écrire correctement car il y a Jude et tout ce merdier derrière et que je ne peux m'empêcher de culpabiliser comme si j'avais tué quelqu'un. « Écoute, je suis certain que tu finiras par trouver de l'inspiration. Peut-être que tu devrais prendre le temps de te détendre et te changer les idées ? » Un léger sourire amusé se dessine sur mes lèvres. « Je peux pas vraiment m'accorder ce luxe. J'ai déjà dix mois de retard. » Et pourtant, j'ai essayé de trouver des solutions. J'ai fait chier Alvaro pour qu'il me fasse d'autres pistes dans d'autres styles, en me disant que peut être... Sauf que rien. « Trouve une muse, peut-être ? » Je me fige pendant que Felix rigole. Si il savait... Mon dieu, ce que je m'en veux. Mais je fais mine de rien et rigole avec lui. « Peut être... T'en as à me proposer ? » Et aussitôt les mots passés de mes lèvres, je les regrette déjà. Parce que j'ai déjà trouvé ma muse. Mais elle ne devrait pas l'être.