What if I wasn't done loving you ? [Feat. Anna Wilson]

Depuis la découverte de son fils biologique, Sasha s'était posé beaucoup de questions sur tout un tas de sujets, mais malheureusement il n'avait obtenu aucune réponse. Après leur premier rendez-vous, les deux hommes avaient convenu de se retrouver à la cantine de l'hôpital le mardi, histoire de faciliter les choses si jamais Killian devait retourner travailler rapidement. L'italien avait accepté, ça ne lui posait pas de souci en soit, il avait juste fait en sorte d'arranger son agenda pour que ses rendez-vous clientèle ne tombent pas en même temps, sinon Killian aurait bien trouvé le moyen de le lui reprocher, c'est vrai qu'il ne faisait pas un métier utile contrairement à lui. Et oui, cette pique que le jeune homme lui avait lancé n'arrivait toujours pas à être digéré...

Quoiqu'il en soit, c'est à bord de sa moto qu'il se gara sur le parking visiteur de l'hôpital, bien rempli malgré l'heure du déjeuner, heureusement avec sa moto c'était plus simple de trouver une place. Il entra dans le hall avant de se diriger vers la cantine, là où se réunissaient la majorité des hommes et femmes en blouse blanche de cet établissement. Comme à son habitude, il avait un peu d'avance, c'en est presque devenu sa marque de fabrique.

Attablé, son casque de moto à ses pieds, Sasha avait préféré attendre l'arrivée de l'interne en chirurgie avant d'aller se prendre un sandwich ainsi qu'un café. Là aussi, il aurait sans doute trouvé le moyen de le lui reprocher. Perdu dans son téléphone à lire les différents mails qu'il n'avait pas encore trié, le bruit autour de lui s'était comme dissipé et il ne remarqua pas les différentes allées et venues des médecins comme des visiteurs, bien trop absorbé par son travail qu'il ne lâchait que rarement, même s'il avait réussi à décrocher un peu comparé à quelques années en arrière.

Depuis quelques semaines, et sans comprendre pourquoi, les collègues d’Anna la voyait compter encore moins ses heures. L’infirmière en chef était quasiment tout le temps-là, rentrait peu chez elle, dormait souvent dans une salle de pause, dépassait largement le temps réglementaire d’heures travaillées en continu. Les seuls moments où elle s’autorisait à partir lui servait à prendre une douche rapide chez elle ou à aller courir. Elle ne s’autorisait aucun répit. Si elle le faisait, elle savait qu’elle s’effondrerait. Sa dernière rencontre avec Sasha était loin d’être catastrophique, mais la froideur qu’elle avait ressenti lui avait fait clairement comprendre qu’il ne voulait plus d’elle dans sa vie. Et cette réalité là était, pour le moment, trop dur à confronter. Si elle se retrouvait seule, chez elle, à pleurer sur son sort, elle sait pertinemment ce qui arriverait : sa bonne vieille copine l’addiction à l’alcool, referait surface. Cela faisait des années qu’elle était sobre, qu’elle s’en était sorti, et elle se refusait à sombrer de nouveau. Alors oui, travailler encore plus que d’habitude, s’épuiser pour ne pas penser à autre chose, ça lui semblait être une bonne solution. En plus, elle aidait des gens, ça valait le coup de s’épuiser à la tâche, non ?
Entre la garde de cette nuit et l’amputation difficile de ce matin, Anna avait bien mérité une pause déjeuner. Celle-ci serait surement éclair mais aurait au moins le mérite d’exister. En se dirigeant vers la cantine, Anna se refaisait son programme dans l’éprès-midi, qui serait encore une fois bien chargé : après déjeuner, elle ira aider Monsieur Chase pour la rééducation de ses deux jambes ; puis elle avait rendez-vous avec la responsable des plannings pour organiser les présences de ses infirmiers au bloc ; et elle enchaînerait sur les urgences pendant plusieurs heures. Oui, cette journée serait encore bien remplie !
Arrivée à quelques mètres de l’entrée de la cafétéria, la blondinette sorti de ses pensées et leva les yeux. Elle se stoppa alors net lorsqu’elle le vit. Sasha était là. Sasha était là, blouson de moto sur le dos, devant sa cantine. Son cœur se mit à battre plus vite. Est-ce qu’il venait la voir ? Est-ce qu’il la cherchait ? Non, bien sûr que non, il ne fallait pas qu’elle soit ridicule. Il ne serait pas à la cantine s’il la cherchait. Il aurait demandé au bureau des infirmières et son bipeur aurait sonné parce que son équipe l’appellerait du coup. Donc non, ce n’était pas pour elle. Est-ce qu’il venait pour lui ? Est-ce qu’il avait un problème de santé qui l’obligerait à venir faire des examens ? A cette idée, l’inquiétude gagna l’infirmière en chef. Pourtant, il avait l’air d’aller très bien… Elle se décida finalement à bouger de nouveau, et marcha doucement dans sa direction. « Cette cantine est bien meilleure que celle de l’hôpital où nous nous sommes rencontrés, tu ne trouveras pas ici cette immonde bouillie verte qu’on te servait trop souvent » dit-elle avec un petit sourire lorsqu’elle arriva à sa hauteur. « Salut, Sasha »

Dire que Sasha était venu totalement serein à ce nouveau rendez-vous avec son fils biologique serait mentir, en réalité il l'appréhendait plus que de raison et il y avait de quoi quand on savait comment s'était passé le premier rendez-vous entre les deux hommes. Même si d'un côté Sasha souhaitait en connaître plus sur Killian, apprendre à le découvrir, à connaître ses goûts et le soutenir dans son avenir, il n'avait en revanche aucune envie de recevoir des piques en permanence dès lors qu'il se dévoilait, voilà où était sa plus grande crainte. Malgré ça, il était venu parce qu'il avait l'espoir que ce second rendez-vous ne soit pas aussi méchant que le premier.

Tandis qu'il pianotait sur son téléphone pour trier les mails qui saccumulaient et répondre à certains d'entre eux, ce n'est pas la voix de Killian qui lui fit relever la tête, mais bien une voix beaucoup plus agréable, beaucoup plus féminine aussi, celle d'Anna. En même temps, en venant à l'hôpital, il y avait bien une chance pour qu'il tombe sur elle non ? Est-ce que le destin était en train de lui faire un signe ? Un coup d'oeil à son téléphone lui indiqua qu'à cette heure-là, Killien ne viendra certainement plus, il avait sans doute eu un empêchement et n'avait pas eu le temps de le prévenir, ce n'est que partie remise. Un sourire aux lèvres, il lâcha son téléphone des yeux pour les planter dans ceux de son ex-épouse.

" - C'est vrai qu'elle était infecte, mais quand on a que ça à manger, on s'en contente !" répondit-il sur le ton de l'humour.

Il est vrai que la nourriture de l'hôpital n'a jamais été réputé pour être excellente, mais bon, quand on a que ça pour se restaurer, on est bien obligé de s'y résigner si on veut se remplir un minimum le ventre et récupérer des forces.

" - Salut Anna." fit-il avec un ton peut-être un peu trop enjoué et un sourire niais sur les lèvres.

En vérité, il était heureux de la revoir, il s'en voulait encore de son comportement de la dernière fois, et il devait s'excuser auprès de la jeune femme qui lui dirait certainement que ce n'est rien.

" - Ecoute avant toute chose, j'aimerai sincèrement m'excuser pour mon comportement lors de notre dernière rencontre. J'étais comme qui dirait sous le choc et perturbé de te revoir et mon cerveau à parler plus vite que je ne l'aurai voulu..." expliqua-t-il avec un air triste sur le visage, les yeux de nouveau baissés pour admirer la table à laquelle il s'était installé.

Le sourire de son ex-mari provoquait toujours le même effet chez Anna : une accélération du rythme cardiaque et un rougissement des joues. Souvent, tout cela s’accompagnait aussi d’un petit sourire stupide, et cette fois-là ne dérogea pas à la règle. Le bel homme rebondit sur la fameuse nourriture de cet hôpital italien qui avait vu naître leur idylle – infecte étaient clairement bien en dessous des mots qui surgissaient dans l’esprit de l’infirmière lorsqu’elle repensait aux repas de son patient – puis salua son ex-femme d’un ton enjoué et avec un petit sourire qu’elle trouva absolument craquant. Elle qui angoissait légèrement de le recroiser suite à la façon dont leur dernière rencontre s’était terminée, elle devait admettre qu’elle ne s’était pas du tout attendue à ce genre de sourire. Avait-il appris une bonne nouvelle à l’hôpital ? Ou peut-être attendait-il quelqu’un qui le mettait en joie ? Une infirmière, peut-être… Anna balaya cette idée et se raisonna intérieurement : ce n’était plus ses affaires, il n’était plus son mari, elle l’avait trompé et perdu tout ça par sa propre faute. Il ne lui devait rien, alors qu’elle lui devait tout.
Elle hésitait à prendre congé lorsqu’il ouvrit la bouche pour s’excuser suite à son comportement de la dernière fois. La blondinette secoua doucement la tête en l’écoutant et senti son cœur se serrer en voyant l’air triste sur le visage de l’homme qu’elle aimait toujours profondément. Il baissa la tête et elle eut envie de se précipiter pour le prendre dans ses bras, mais elle n’en fit rien. « Sasha non, arrêtes. Tu sais très bien que tu n’as pas à t’excuser, c’était une réaction normale. Me revoir après tout ce temps, après tout ce que je t’ai fait… » dit-elle alors que son sourire à elle s’effaçait. « Tu as le droit de m’en vouloir, et de réagir comme ça. C’est moi, je… Je ne sais pas à quoi je m’attendais, ce que j’espérais… C’était stupide et égoïste de ma part » continua-t-elle, baissant à son tour les yeux. C’était lui qui s’excusait alors que c’était elle qui était venue perturber encore une fois sa vie, elle qui avait espéré retrouver un homme amoureux alors qu’elle lui avait fait tant de mal… Encore une fois, Anna se dit qu’elle était une femme horrible, égoïste et inconsciente du mal qu’elle faisait à celui qui comptait pourtant plus que tout. « Je voulais te revoir, c’était un besoin, mais… ». Elle s'arrêta net et pris une grande inspiration. Elle finit par relever le visage avec un air triste et secoua doucement la tête. « Tu n’as pas à subir mes états d’âme en plus, pardon » dit-elle avant de faire un pas en arrière. « Je… Je devrais te laisser, tu dois attendre quelqu’un… »

Sasha s'était promis que s'il était amené à recroiser la jeune femme, il s'excuserait pour son comportement, ce n'était pas digne de lui, et même s'il avait des circonstances aténuantes, ce n'était pas une raison suffisante pour avoir agit comme il l'avait fait. Et s'il était venu dans l'établissement pour tout à fait autre chose, le fait qu'il croise Anna ici, bien que ça semblait logique puisqu'elle y travaillait, c'était sans doute un signe du destin. Pour lui dire quoi ? Qu'il n'en avait pas totalement terminé avec elle ? Qu'il devait lui dire ce qu'il avait sur le coeur ? Il faut croire que son ex-femme lisait encore en lui comme dans un livre ouvert, puisqu'elle rebondit sur ses propos, tendant inconsciemment la perche à l'italien afin qu'il se lance enfin, peut-être qu'avoir une discussion à coeur ouvert, même si le lieu était loin d'être ce qui se rapprochait d'un lieu propice à ce genre de conversation, mais après tout, c'était là qu'avait débuté leur relation, alors peut-être qu'en fin de compte, il n'y a que dans les hôpitaux qu'ils arrivaient à avoir de vraies discussions.

" - Puisqu'on en est là, il faut que je t'explique, te revoir ça a été un choc pour plusieurs raisons. Il y avait une part de moi qui était content de te revoir après tout ce temps, après tout ce qu'on a partagé ensemble parce que tu n'étais pas qu'une simple conquête ou aventure, tu étais ma femme alors oui, une part de moi t'aimera toujours. Et puis, il y avait cette autre partie qui ne comprenait pas pourquoi tu étais revenue après toutes ces années, est-ce que c'était dans le but de me faire souffrir alors que je commençais tout juste à recommencer à vivre, est-ce que c'était dans le seul but de me voir sombrer à nouveau ? Il y avait tellement de questions dans mon cerveau que j'ai agis avec mon instinct de survie, et la meilleure solution c'était de te repousser parce que je n'étais pas prêt de souffrir à nouveau. Comprends bien, je ne te jette pas la pierre, c'est du passé mais nos actes laissent des cicatrices qui mettent parfois des années avant de se refermer et me retrouver face à toi, ça les a rouvert ses plaies que je pensais avoir réussi à refermer définitivement. Il faut croire que je me suis trompé."

Son discours n'était pas là pour blamer l'infirmière de ses actes passés, comme il le lui avait signifié c'était passé et on ne pouvait pas revenir en arrière, mais il voulait qu'elle ai toutes les cartes en main afin de comprendre le comportement qu'il avait eu à son égard. Tandis que la jeune femme était sur le point de le quitter, son téléphone vibra, il s'excusa et jeta un coup d'oeil sur l'origine de la notification. Killian ne pourrait pas honorer leur rendez-vous, il devait gérer une urgence et reporta leur rendez-vous à la semaine d'après.

" - J'attendais quelqu'un, c'était justement un message pour me dire que finalement la personne ne viendrait pas, alors j'ai tout mon temps, mais je ne suis pas certain que ce soit le cas de ton côté, tu dois avoir des patients qui comptent sur toi. Si toutefois, tu n'as pas encore mangé et que tu as un peu de temps, peut-être qu'on peut déjeuner ensemble ? J'étais venu pour ça initialement et je t'avoue que je commence vraiment à être affamé !" fit-il en gloussant. " - Et par la même occasion tu pourras également me raconter pourquoi tu voulais tant me revoir." dit-il avec un sourire qui se voulait rassurant.

L'atmosphère était nettement plus sereine et plus légère que lors de leur dernière rencontre.

Sasha lui parla alors, comme il ne l’avait plus fait depuis de nombreuses années. Avant même la fin de leur mariage. Son ex-mari ouvrit son cœur et lui expliqua les choses, calmement, presque sereinement même. Depuis quand n’avaient-ils pas communiqué comme ça ? Lorsqu’il affirma qu’elle avait été sa femme et que pour cette raison une partie de lui l’aimerait toujours, le cœur d’Anna loupa un battement. Ou peut-être plusieurs, d’ailleurs. Mais elle tenta de se calmer. Ça ne voulait pas dire qu’il l’aimait encore, juste qu’il tenait à elle parce qu’ils avaient partagé tant de choses ensemble, tant d’années et de bons souvenirs… Il continua ensuite de la possibilité qu’il souffre de nouveau, et ce à cause d’elle. Cette partie-là, par contre, lui déchira le cœur. Mais elle n’en montra rien également. Il évoqua ses cicatrices qui ne se refermaient pas, et elle se fustigea de nouveau intérieurement. Tout était de sa faute. Encore et toujours. Revenir après toutes ces années n’y avait rien changé, et sa culpabilité refaisait surface. Là, tout de suite, elle aurait bien bu un gin tonic. Peut-être plusieurs, en fait. Anna passa machinalement sa main sur son annulaire gauche, tripotant la marque laissée par son alliance. Comme toute infirmière, ses bijoux étaient dans son casier, puisque non stérile et porteurs de germes. Mais c’était comme si elle était là, sur son doigt, et qu’elle n’avait jamais bougé. Un peu comme son cœur qui, des années après leur séparation, continuait à battre pour cet homme et uniquement lui… « Je… Je suis désolée… » murmura-t-elle alors, ne sachant que dire de plus. Il avait raison, c’était stupide d’être revenue. Elle l’empêchait de passer à autre chose, et elle n’avait pas le droit. Les cicatrices qu’elle rouvrait chez lui étaient douloureuses, et elle en avait conscience. A quoi elle jouait ?
Le téléphone de Sasha vibra, et celui-ci sembla légèrement contrarié avant de reporter l’attention sur elle. De toute façon, elle allait le laissait. Les choses étaient claires, elle n’avait rien à faire ici, et aucune raison de revenir le tourmenter. Elle s’attendait à ce qu’il lui dise au revoir, mais l’homme lui proposa finalement de déjeuner avec lui. Anna fut prise de court, elle qui pensait prendra un sandwich dans une salle de garde, le tout en digérant les paroles de son ex… L’entendre glousser lui donna du baume au cœur, et elle hocha la tête. « Je meurs de faim aussi, et je ne reprends pas mon service tout de suite. Avec plaisir, Sasha » dit-elle avec un petit sourire avant de s’avancer vers le comptoir de la cafétéria.
Une fois leur nourriture en main, ils s’installèrent à une table sur le côté, un peu à l’écart du gros de la foule. Anna jouait avec son pain, ne sachant pas vraiment comme aborder les choses. Elle avait déjà joué cette scène des centaines de fois dans son esprit, celle des retrouvailles avec son ex-mari. Chaque fois, l’issue était différente. Et aujourd’hui, elle n’avait aucune idée de ce qu’elle pourrait lui dire, et de comment il réagirait… Soudain, un détail attira son attention : son ex-mari portait toujours son alliance. Si elle ne se trompait pas, c’était bien celle de leur mariage… Un petit sourire étira ses lèvres. Elle désigna du menton la bague avant de dire « La mienne est sur ma chaîne, dans mon casier… Difficile de s’en défaire, de ses petites choses-là, n’est-ce pas ? » Elle prit une gorgée d’eau, cherchant ses mots pour la suite. Il attendait des explications, et il en avait tout à fait le droit. « Je ne veux pas m’apitoyer, je sais que tout ce qu’il s’est passé est de ma faute » commença-t-elle pour que les choses soient claires : elle ne se plaignait pas, elle était factuelle. « Mais ces dernières années… Elles ont été très compliquées » avoua-t-elle dans un souffle. Ce n’est peut-être pas aujourd’hui qu’elle lui parlerait de son alcoolisme et de son isolement, de ses séances chez le psy pour aller mieux, de la culpabilité que la rongeait… « Et toi, Sasha, toi… Je le savais déjà, bien sûr, mais cette vérité m’est revenue en pleine face : tu es la meilleure chose qui me sois arrivée, dans ma vie. Je sais que j'ai tout gâché... Mais tu me manquais… Enfin, tu me manques… » osa-t-elle avouer, les yeux rivés vers son assiette. Elle but une gorgée d’eau. Elle aurait aimé se donner du courage avec une boisson plus forte. Les joues rouges, elle releva les yeux vers son ex-mari. « Très honnêtement, plus j’y pense et moins je sais ce que j’attendais, en revenant ici, parce que je n’ai rien à attendre de toi, tu ne me dois rien. Mais… J’avais envie… Non besoin, de te revoir. Au moins pour m’excuser encore de tout le mal que je t’ai fait. Et si jamais tu ne veux plus jamais entendre parler de moi, je respecterai ton souhait… » dit-elle, à contrecœur. Evidemment, elle le ferait. Elle lui devait bien ça. Et même si elle n’osait pas se l’avouer à elle-même, elle espérait qu’il lui dise qu’il avait autant qu’elle envie de la revoir.

Sasha avait jugé le moment opportun pour dire ce qu'il ressentait, s'il ne le faisait pas, alors il risquait de le regretter et surtout, de rester avec ses questions qui le tourmentaient depuis le jour où leur chemin s'était de nouveau croisé et qu'il se demandait pourquoi maintenant et pourquoi ici. Bien sûr son intention n'était pas de blâmer son ex-femme, elle avait fait des erreurs certes, mais lui aussi, chacun portait sa part de responsabilité et c'est de ça qu'avait résulté leur divorce. Quand la jeune feme s'excusa, l'italien sentait son coeur se serrer, il avait peut-être été un peu dur dans ses propos, peut-être qu'il aurait pu essayer d'être plus diplômate, même si ça n'avait jamais vraiment été son point fort.

Toutefois, puisqu'il était sur place pour son repas avec Killian, qui finalement ne viendrait pas, autant profiter de l'occasion non ? Et puis c'était aussi le moment pour obtenir les réponses à ses questions et peut-être même plus que ce qu'il espérait. Sa proposition de déjeuner avec son ex-femme semblait la ravir, ce qui le ravit à son tour. Ils allaient acheter leur repas à l'endroit prévu avant de regagner une table libre. Pour sa part, il avait opté pour un plat tout prêt à base de poisson et des légumes verts. Non, bien que cela puisse être synonyme de régime, c'est surtout le seul plat qui lui inspirait confiance, alors il s'était laissé tenter.

Ses joues se teintèrent de rosé quand Anna remarqua qu'il porta encore son alliance, il s'attendait à ce qu'elle le lui reproche mais au lieu de ça, sa confession lui fit aussi plaisir que bizarre. Si quelqu'un d'extérieur les voyaient ici même, il jugerait sûrement qu'ils étaient ensemble. La situation pouvait être risible dans un certain sens, les deux amants étaient divorcés depuis des années, chacun avait pris son chemin et pourtant, Anna portait toujours son alliance, tout comme son ex-mari, qu'est-ce que tout cela pouvait signifier ? Malgré leur divorce, ils avaient gardé ce souvenir qui représentait énormément puisque symbole de leur engagement mutuel qui aurait dû durer jusqu'à la fin de leur vie, comme ils l'avaient énoncé dans leurs voeux. Une étincelle se mit à briller dans le cerveau du quadragénaire, si elle avait son alliance alors, elle tenait toujours à lui ? Qu'espérait-il ? Repartir comme si tout cela n'était jamais arrivé ? Non, il devait se protéger même si son cerveau et son coeur voyaient les choses sous un angle totalement différent.

" - J'ai essayé une fois de la retirer, pour pouvoir tenter d'avancer, mais c'était comme s'il me manquait une part de moi-même.." avoua-t-il dans une énième confession, ça commençait à faire beaucoup, il s'ouvrait beaucoup trop, il suffisait d'un grain de sable pour qu'il retombe aussi bas qu'il l'avait été il y a quelques mois. " - Alors je t'arrête tout de suite, on étaient deux, on a tous les deux notre part de responsabilité dans la situation, j'aurai dû être plus présent, ne pas laisser passer le travail avant notre couple, alors je suis tout aussi responsable que toi."

Même s'il avait toujours du mal à comprendre comment son ancien meilleur ami avait pu autant profiter de la situation dans son dos. Cette trahisson le hantait et il avait dû mal à accorder de nouveau sa confiance à quelqu'un. Il écouta son discours avec attention et chaque mot qu'elle prononça lui allaient droit au coeur. Il était stupéfait par tant d'honnetêté qu'il posa ses couverts l'instant que sa femme, ou plutôt son ex-femme finisse son dialogue. Puis avec un sourire accroché à ses lèvres, du bout de son index, il remonta le menton d'Anna afin qu'elle relève la tête et le regarde dans les yeux.

" - Pourquoi je ne voudrais plus entendre parler de toi ? On est des adultes, on a souffert c'est vrai, mais après tout ce qu'on a vécu on peut sans doute se soutenir mutuellement, non ? Je ne te dis pas que ça sera simple, mais on peut toujours essayer ? Et si ça devient trop dur pour l'un de nous, on avisera. Ça serait bête de se perdre de nouveau de vue."

Il n'était pas certain que ce soit la décision la moins douloureuse pour lui, mais il ne supporterai pas que la jeune femme quitte une deuxième fois sa vie, mais il était trop tôt pour le lui avouer.

Continuer à porter son alliance n’était pas anodin, la preuve, Anna la portait et ce pour une bonne raison : elle était toujours éperdument amoureuse de son ex-mari. Elle n’avait jamais pu se résoudre à jeter cette bague ou à la ranger de manière définitive dans sa boîte à bijoux. C’était trop difficile, et trop irrévocable. Sasha ressentait-il les choses de la même manière ? Avait-il, comme elle, encore des sentiments ? Il ne fallait pas qu’elle se lance là-dedans, qu’elle se fasse des films, qu’elle espère… Peut-être était-ce juste une question d’habitude. De confort. Elle devait garder la tête froide. Néanmoins, lorsqu’il avoua qu’il avait tenté de la retirer sans succès, le cœur de l’infirmière rate un battement. Une part de lui-même… Ses joues rosirent surement à ces mots, parce qu’ils étaient beaux et porteurs d’un espoir nouveau. Et parce qu’elle ressentait la même chose. Et que cela faisait des années maintenant qu’il lui manquait une part d’elle-même… Son aveu révélait aussi une chose : il avait utilisé le verbe « tenter ». Il avait tenté, mais pas réussi donc, à avancer. Anna peinait à se calmer, à arrêter son cerveau qui tournait à plein régime, qui cherchait à analyser, à comprendre, mais surtout à trouver de l’espoir dans chacune de tournures de phrases de l’italien. Elle devait se protéger, arrêter de croire au conte de fée. Elle l’avait eu, sa chance, et elle avait tout foutu en l’air. Comment pouvait-elle imaginer qu’il puisse encore l’aimer alors qu’elle l’avait trahi ? Elle était ridicule. Complétement idiote.
Il eut ensuite la gentillesse de la reprendre sur son aveu de culpabilité, déclarant qu’ils avaient tous les deux leur part de responsabilité dans l’échec – aie, ce mot – de leur mariage. Anna n’était pas franchement d’accord avec lui, parce que c’était elle qui avait trahi, elle qui avait trompé. Même si son psychiatre lui disait pareil, qu’il fallait être deux pour divorcer, elle portait encore sa culpabilité comme un prisonnier porte son boulet. Il lui faudrait du temps pour changer d’état d’esprit, du temps et peut-être l’aide d’un bel italien…  
La blondinette n’était pas revenue dans la vie de son ex pour lui mentir ou lui cacher des choses. Si elle avait fait ses recherches, si elle avait déménagé, c’était bien pour être la plus honnête possible avec lui. Il n’était pas question de ne pas lui ouvrir véritablement son cœur. Alors oui, elle était honnête. Elle n’avait pas tout dit – ce n’était pas le lieu et surement qu’il s’en ficherait bien de savoir en quoi sa vie avait été un désastre depuis leur séparation – mais elle avait dit l’essentiel. Enfin l’essentiel qu’elle pensait utile de lui dire. Le contact de son doigt sur sa peau fit s’accélérer le cœur d’Anna, qui releva un regard brillant d’émotion sur son ex-mari. Le sourire qu’il avait à ce moment-là… Ce sourire pour lequel elle pourrait se damner… Il remua beaucoup de chose en elle. Les mots de Sasha, comme un pansement sur une plaie, adoucirent les sentiments d’Anna. Il voulait essayer. Non pas de revenir avec elle –c’était ridicule jamais il ne pourrait souhaiter ça – mais de revenir dans la vie l’un de l’autre. C’était déjà ça. En fait, c’était déjà énorme même. Mieux encore, il n’avait pas envie de la perdre de vue encore une fois, et cette dernière révélation finie par faire exploser le cœur de la jeune femme. « Oui, on pourrait essayer… J’en ai envie, en tout cas » déclara-t-elle d’une petite voix, presque timide. « Merci » murmura-t-elle avant de reprendre ses esprits, de se râler la gorge pour se donner une contenance et d’enfin commencer son plat. Elle avait le cœur bien plus léger, maintenant. C'était si agréable...
Avec un petit sourire aux lèvres, satisfaite de cet échange fort en émotion mais aussi rempli d’espoir et de positif, elle demanda à Sasha « Parles-moi un peu de ta vie, maintenant. Dis-moi ce que j’ai râté, ce qui est au cœur de ta vie… Dis-moi tout, en fait » demanda-t-elle. Ils avaient tellement de temps à rattraper. « Quoi que… » dit-elle en regardant autour d’elle, « Ce n’est peut-être pas le meilleur lieu… On devrait sortir, un jour. Dîner, ou juste marcher » proposa-t-elle. Elle mourrait d’envie de le revoir, de prévoir des choses avec lui. N’importe quoi, tant que c’était avec lui.

Sasha avait tenté de retirer son alliance à plusieurs reprises, notamment quand il avait commencé à avoir une relation un peu plus sérieuse que les autres, mais la réalité était rapidement revenu sur le devant du tapis, aucune femme ne pourrait égaler Anna, même si elles l'ignoraient,  elles devaient se battre contre un fantôme du passé contre qui elles n'avaient pas la moindre chance de victoire. Il avait commencé à passer à autre chose quand il s'était engagé avec une jeune femme pendant plusieurs mois, jusqu'à ce qu'il apprenne que ce n'était qu'une escort girl qui travaillait dans un réseau et qui avait pour seul objectif d'extorquer de l'argent aux plus chanceux. Il était rapidement retombé plus bas que terre, et depuis il s'en tenait exclusivement aux relations d'un soir lorsqu'il en ressentait le besoin. Pour faire court, lorsqu'il avait tenté de retirer son alliance, c'est comme s'il lui manquait une partie de lui-même, et en soit c'était un peu ça. Ce n'est pas lui qui avait demandé le divorce, et son union avec Anna lorsqu'elle s'était terminée avait été compliqué à digérer, alors oui, une partie de lui-même était partie ce même jour.

L'italien était dans un autre état d'esprit que lors de leur première rencontre, peut-être parce qu'il était mieux préparé à recroiser la jeune femme à chaque coin de rue maintenant qu'il la savait en ville. Dans ses propos le quadragénaire se voulait rassurant, non pas pour faire plaisir à son ex-femme mais qu'il le pensait sincèrement. Un couple était composé de deux personnes, et en cas de faute, les deux portaient leur responsabilité respective sur leurs épaules, même si la part n'était pas forcément la même chez chacun. Dans le cas présent, ils avaient tous les deux leurs tords. Sasha d'avoir fait passer son travail avant son couple et Anna de s'être laissé consoler par le meilleur ami de l'italien, qui lui aussi avait une grosse part de responsabilité dans leur divorce aujourd'hui.

A l'issue de son discours, l'ancien militaire proposa à la blonde de se côtoyer de nouveau, non pas en tant que mari et femme, mais en tant qu'amis. Certes la situation pouvait paraître compliqué et leurs sentiments respectifs pourraient sans doute être le grain de sable qui allait mettre la machine à mal, mais, autant essayer pour ne pas avoir de regrets, vous ne pensez pas ? L'idée sembla ravir la jeune femme qui se trouvait face à lui en tout cas, il était donc heureux en retour.

" - Oui pourquoi pas, as-tu des impératifs de jour ou d'horaires afin que l'on puisse planifier ça ? De toute façon, de mon côté je peux me libérer plus tôt s'il y a besoin, alors je te laisse voir ça de ton côté puis me contacter quand tu auras trouvé le jour qui te correspond le mieux." répondit-Il en esquissant un sourire.

De son côté, il était son propre patron et il n'avait pas véritablement d'urgence à gérer. Du moins, si urgence il y avait, ça pouvait attendre le lendemain, contrairement aux vies qui étaient entre les mains de son ex-femme. Alors autant que ce soit elle qui choisisse le créneau qui lui convenait le mieux. Il est vrai que de son côté, Sasha avait pas mal de choses à faire rattraper à Anna, est-ce pour autant qu'il lui raconterait tout en détail ? Non sans doute pas, du moins c'était encore trop frais pour qu'il lui déballe tout sur un plateau. Entre le fait qu'il avait rencontré Nina qui pensait être sa fille biologique, puis que grâce à elle il avait accepté de se faire opérer du cerveau, que suite à ça, il avait toujours des pertes de mémoire au quotidien, qu'il était devenu alcoolique même s'il refusait de l'entendre et que suite à leur première rencontre il avait même fait un coma tellement il s'était saoulé pour out oublier. Et cerise sur le gâteau, il s'était découvert un fils biologique pour qui il était venu aujourd'hui ici même, et qui semblait le hair du plus profond de son cœur. Il y en avait des choses à lui raconter mais il se contenterait sans doute de quelque chose de plus simple, et puis, il n'avait jamais été à l'aise lorsqu'il s'agissait de parler de lui, de ses problèmes, ce n'était plus à son âge qu'il allait changer désormais !

Anna n’avait jamais essayé de se séparer de son alliance. Bien sûr, pour son travail, elle était forcée de la retirer, mais jamais elle ne l’avait quitté. Dans sa poche, dans son casier, autour de sa chaîne en or, parfois même à son doigt : la petite bague traînait toujours quelque part autour de sa propriétaire. C’était trop difficile de la laisser ailleurs, de l’oublier. Même si elle comprenait aisément que c’était Sasha qu’elle ne parvenait pas à oublier en fait, Anna se raccrochait à cette bague comme à son histoire d’amour perdue : avec espoir et culpabilité. Elle savait bien qu’il fallait être deux pour ruiner un couple, dans l’idée, mais elle ne parvenait pas à s’ancrer dans l’esprit qu’elle n’était pas la seule fautive, et ça n’arriverait pas tout de suite, ça faisait déjà des années que son psychiatre tentait de le lui faire comprendre et accepter… Mais bon, elle était sur la bonne voie, comme il disait. Elle avait arrêté tous les comportements autodestructeurs qu’elle avait adopté après son divorce. C’était déjà ça. Une petite victoire après l’autre… Peut-être qu’un jour, sans crier gare, elle ne ressentirait plus cette culpabilité qui la rongeait de l’intérieur, ou cette colère envers elle-même qui la poussait parfois à se détester. Elle avait bon espoir. Le chemin de la guérison pouvait être long, mais rien que de voir un sourire sur le visage de son ex-mari – visage qu’elle trouvait encore plus beau que dans ses souvenirs – cela la soulageait d’un poids.
Sasha lui proposa de continuer à se voir, pour garder contact et ne pas se perdre de nouveau. Anna accepta avec entrain, sentant son cœur battre la chamade. Elle n’était pas au bout de ses peines, et elle en avait parfaitement conscience, mais savoir qu’elle pourrait de l’avoir de nouveau à ses côtés, même en tant qu’ami, lui faisait extrêmement plaisir. Evidemment, elle aurait aimé qu’il l’aime encore, tout comme elle, et qu’ils essaieraient de reprendre leur histoire… Mais elle savait que tout n'était pas tout rose, qu’elle avait surement encore beaucoup de choses à se faire pardonner, et que son ex-mari, depuis le temps, devait être passé à autre chose. Amis, c’était déjà pas mal, non ? Déjà mieux que rien en tout cas, ça, c’était certain. Mieux encore, l’italien proposait déjà qu’ils essayent de trouver une date pour planifier leur prochaine entrevue, puisqu’Anna en parlait. Il lui indiqua qu’il pouvait se libérer plus facilement qu’elle, et qu’il s’adapterait donc à son emploi du temps compliqué. Elle pourrait le contacter dans elle aurait trouvé, mais la blondinette voulait trouver tout de suite. Peut-être qu’elle avait besoin de se raccrocher à du concret, et que planifier cette date l’aiderait à réaliser qu’il était bien là, qu’elle l’avait retrouvé, au moins en partie… « Ce week-end ? » proposa-t-elle en commençant à rassembler ses affaires. « Un brunch, dimanche matin ? Je ne suis pas de service, je n’aurais même pas mon bipeur ! » précisa-t-elle, faisant la promesse sous entendue qu’ils ne seraient aucunement dérangés. Peut-être même qu’ils pourraient passer la journée ensemble… Non, Anna, il fallait se calmer. Une étape après l’autre. Déjà, il acceptait de la revoir. Il ne fallait pas mettre la charrue avant les bœufs. La fameux bipeur, accroché à sa blouse, sonna à ce moment-là. Avec un petit sourire contrit, elle se leva de table. « On se dit dimanche alors, on à qu’à se rejoindre devant la librairie du centre-ville, je t’amènerai dans un petit restaurant qui fait des brunchs délicieux ! Vers 11h ? » proposa-t-elle en jetant les restes de son repas dans une poubelle à côté. « Je dois filer. A dimanche, Sasha » dit-elle, avec un plaisir non dissimuler à dire cette phrase. Elle fit quelques pas avant de se retourner vers lui. Un dernier regard. « Merci, je suis vraiment heureuse de te voir, tu sais… » Puis elle fila en direction des vestiaires, un grand sourire étirant ses lèvres.