Un nouvel espoir ft Romi

La journée avait pourtant bien commencé. Joan était partie tôt prendre sa garde à l’hôpital. Il n’y avait pas de bouchons, elle avait trouvé sa place vide et avait même eu le temps de prendre son café avant de devoir galoper partout dans le bâtiment. La jeune femme s’était même un peu maquillé histoire de camoufler la sale nuit qu’elle avait passée. Les terreurs nocturnes pouvaient être assez violentes et laisser de grosses cernes sous ses jolis yeux. Alors, un petit trait d’eye-liner, un peu de fond de teint et le tour était joué.

Mais, la matinée avait été terriblement chargée. Entre deux accidents et une urgence psychiatrique, ce fut presque l’enfer sur terre. Presque, parce qu’il y avait toujours pire. Ça, Joan l’avait appris depuis le temps qu’elle courrait dans les couloirs de l’hôpital en tentant de sauver des vies. Alors, elle était vraiment fatiguée et il lui restait au moins encore dix heures de garde avant de pouvoir rentrer chez elle pour se vautrer dans son lit moelleux. Il y avait eu aussi cette gamine qui avait eu envie de se pendre après avoir été blessée. La pauvre voulait tellement faire sa carrière dans le tennis, mais la vie en avait décidé autrement.

Cette jeune femme ressemblait tellement à Maia que cela troubla plus que de raison la docteure. Elle avait dû partir peu après sa séance avec elle pour espérer ne pas faire de transition. Joan était fatiguée et presque désespérée de se rendre compte que le passé n’était finalement pas si loin dans sa tête. Elle s’en voulait presque de ne pas être assez professionnelle. Mais, peut-être était-ce pour ça qu’elle faisait si bien son travail ? Après avoir acheté le premier café au distributeur, elle s’était vite dirigée vers l’extérieur pour prendre une pause bien méritée.

L’air de la ville lui fit du bien, elle ferma les yeux, adossée au mur crasseux, et inspirait lentement. Parfois, elle se demandait pourquoi l’adolescente qu’elle était, avait choisi ce métier. Puis, le visage de la gamine qu’elle avait sauvé dans la matinée lui revint en tête. La réaction des parents, désespérés et le regard reconnaissant de la demoiselle la marquaient toujours au fer rouge. Et, elle avait un mal fou à se détacher. Alors, lasse, Joan finit par échouer sur les marches de l’entrée du personnel, bloquant légèrement le passage. Elle avait sorti son téléphone et jouait à un jeu à la con qui ressemblait presque à un vieux tetris.

Se rendant compte qu’elle gênait, Joan se poussa rapidement en souriant un peu. « Oh pardon ! Ah, je me rappelle de vous !... Romy, c’est ça ? Vous allez bien ? » Joan se rappelait de cette fille qui avait réussi à la perturber. Elles ne s’étaient que croiser, présentées par un membre de l’hôpital très rapidement. Mais, la jolie Romi avait laissé un bon souvenir à Joan et elle tentait de cacher le fait qu’étrangement, elle avait pensé à celle-ci depuis leur rencontre.

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Ce n’est pas dans mes habitudes de me rendre à l’hôpital avec les victimes, je laisse cela aux ambulanciers. Pourtant, après la dernière fois et cette femme que j’ai aperçue, celle qui ressemblait à Alice, je ressens le besoin d’y retourner. L’accident de voiture de ce soir, bien que ce soit malheureux, m’aide dans ce sens. La passagère du véhicule qui s’est embouti dans un arbre semble avoir besoin d’une présence et c’est avec moi qu’elle arrive à trouver un peu de réconfort. Un lien créé entre elle et moi, je me suis naturellement invitée dans l’ambulance lorsqu’il fut temps de l’emmener à l’hôpital. Aux yeux de tous, c’était pour elle que je faisais cela, alors personne n’allait me le reprocher. Néanmoins, la vérité étant bien différente et mes supérieurs me l’auraient sûrement reprochés s’ils en avaient eu connaissance. Arrivée sur place, je ne suis pas autorisée à aller plus loin que l’accueil des urgences – après tout, je ne suis que pompière. Mes collègues le savent : quand ils auront terminé, ils n’auront qu’à me parler à travers la radio et je reviendrais vers eux. En attendant, je m’occupe comme je peux. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que leur travail s’éternise un peu et que je commence doucement à manquer d’occupation. Pour quelqu’un qui aime le mouvement comme moi, c’est compliqué. Finalement, peut-être que j’aurais mieux fait de revenir à la caserne avec les autres. Au moment où je pensais que les choses ne pouvaient plus s’améliorer, je tombe sur un visage familier. Peut-être trop familier même. « Bonsoir.. Docteure Leto ? » Même si la tournure de ma phrase est faite de façon interrogative, je connais déjà la réponse. Je connais même son prénom, mais je me dis que ce n'est peut-être pas très approprié de l'utiliser : nous nous sommes croisées qu'une seule fois, pourquoi est-ce que j'aurais retenu ce doux prénom qu'est Joan ? Même si elle, a visiblement bien retenu le mien – mais je ne devrais peut-être pas m'attarder sur ce détail, au risque de me perdre dans mes pensées. « Bien, merci. Et vous ? Vous êtes toujours de service ? » Quand on a l'habitude de travailler sous forme de gardes, la notion de temps est bien différente. Mais pour toute personne normale, il est déjà tard et être chez soi, avec ses proches, est la suite logique des choses. « Moi qui pensais que les psychologues se la coulaient douce, je me trompais. » Un sourire se dessine naturellement sur mon visage, pour montrer à la jeune femme que je plaisante. Dans un hôpital, il n'y a aucun boulot fait pour s'ennuyer. De jour, comme de nuit, il y a toujours du monde ici. Je suis plutôt bien placée pour le savoir. « Ça vous dérange si je m'assois avec vous ? J'ai accompagné les ambulanciers qui sont encore avec notre patiente et je ne sais pas pour combien de temps ils en ont encore. » Pour être honnête, je n'étais même pas obligée de venir jusqu'ici et pourtant, je l'ai fait. Mais maintenant, je ne suis pas vraiment utile pour eux, alors en attendant qu'ils terminent leur boulot, j'erre dans les couloirs ou à l'extérieur. Il y a une période où je venais beaucoup ici et petit à petit, j'ai appris à connaître les alentours. Et autant dire que je préfère le jardin devant que les couloirs blancs de l'hôpital.

Dire que Joan était heureuse de voir la femme pompier était un euphémisme. C'était un petit rayon de soleil dans son immense journée de merde. Il fallait appeler un chat un chat ! Alors, un franc sourire avait élu domicile sur le visage de la psy qui finit par ranger son téléphone dans sa poche de pantalon. Sa tenue blanche ne la mettait pas spécialement en valeur, il fallait bien l'avouer. Entre la blouse avec son badge placardé dessus ou le reste des vêtements qui étaient plutôt pratique qu'esthétique. Mais, elle se félicitait d'avoir mis un t-shirt à peu près potable en haut. « Oh vous pouvez m'appeler Joan. Sinon, je vais avoir l'impression de travailler. » Elle rit un peu avant de prendre une gorgée de son café fumant puis, la jolie médecin ouvrit de gros yeux avant de pouffer sous la blague de Romi.

« Il faut savoir lieutenant Romi, que je fais des gardes de vingt-quatre heures comme tout le monde ! Moi qui trouvais que le mythe des pompiers vaniteux étaient faux..... » Elle rit un peu avant de tapoter la place à côté d'elle gentiment. Pourquoi avait-elle envie de s'étriper à avoir l'air d'une adolescente qui se tentait à la drague ? En plus, elle était loin d'être novice dans ce domaine. Joan avait envie de se taper la tête contre les murs mais, elle faisait mine de rien.

« Oh, vous avez géré l'accident, c'est ça ? Je suis partie au moment où tout le monde arrivait. C'est ma première pause depuis sept heures ce matin. » Elle poussa un léger soupire avant de continuer de boire son café. La jeune femme sourit un peu avant de reprendre. « Je ne savais pas que les pompiers venaient avec les ambulanciers ? Non pas que ça me dérange, hein ! »

Mais quelle gourde, vraiment. Des claques qui se perdaient ! Joan se retint de rouler des yeux tellement elle s'exaspérait. Puis, elle finit son café pour reprendre contenance avant de regarder un peu ses collègues s'agiter à tout va. « Je dois vous avouer que je suis contente de vous revoir. La dernière fois, on ne s'est vu qu'entre deux portes et j'avoue que ça m'avait un peu frustré de ne pas pouvoir vous parler d'avantage. Je vous offre un café ? »

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Lorsqu'elle sourit à la phrase, mon cœur ne peut s'empêcher de rater un battement. Alice. Même si ce n'est pas elle que j'ai face à moi, je ne peux m'empêcher de la voir. Le ton de sa voix est légèrement différent, mais la fossette sur son visage, quand elle sourit, est exactement le même et ça me fait fondre. « Nous faisons un métier dangereux.. » Ne rien ajouter de plus, pour que la fin de la phrase soit volontairement laissée à son imagination. Bien sûr, avec ce que je fais, je pourrais vouloir que l'on me félicite, que l'on m'idolâtre. Ce n'est pourtant pas la réalité : je fais mon métier parce que je l'aime et non parce que j'attends que l'on m'applaudisse à chaque intervention. Certains sont spectaculaires, d'autres moins. Certaines nous obligent à mettre nos vies sur un fil, alors que d'autres ne durent que quelques minutes. Et pourtant, malgré toutes ces variations, je ne demanderais jamais à faire autre chose de ma vie — je me demande même comment font ceux qui sont obligés de s'orienter vers d'autres horizons. Lorsque je lui demande si je peux m'asseoir à côté d'elle, la brune accepte, profitant de l'occasion pour m'interroger sur l'accident qui m'amène ici. Je hausse légèrement la tête. « La jeune femme était enceinte, alors je crois qu'elle s'est sentie naturellement en sécurité avec moi. Comme nous n’avions pas d’urgence, j’ai proposé de l’accompagner jusqu’ici. » Bien sûr, je me garde bien de lui dire que l’éventualité de la revoir était aussi une source de motivation. « Je crois bien que d’ici quelques minutes, elle sera l’heureuse maman d’un petit garçon ou d’une petite fille. » Si tout se passe bien, bien sûr, mais je n’ai aucun doute sur le fait qu’elle soit entre de bonnes mains. « Avec plaisir pour le café, la nuit peut encore être longue. » Il y a des jours comme ça. Des gardes où le temps est long et d’autres où les interventions s’enchaînent. Je rentre chez moi dans une dizaine d’heures et pourtant, je ne peux pas assurer que je dormirais sur mes deux oreilles cette nuit. « Est-ce que vous avez un réservoir secret ? Certains mythes disent que le café est loin d’être bon dans les hôpitaux. » Pour être honnête, c’est une conclusion personnelle, suite au temps passé ici à la naissance de Lilly et à l’hospitalisation d’Alice. Mais ça, je me garde bien de lui dire, je ne voudrais pas qu’elle pense que je suis une habituée des lieux. Surtout que maintenant, hormis quelques trajets pour déposer des patients, ça fait un petit moment que je ne suis pas venue. « Vous travaillez jusqu’à quelle heure ? » Bien sûr, je m’intéresse à elle. Plus que vouloir faire la conversation pour qu’elle ne me trouve pas ennuyeuse, j’ai envie qu’elle me parle d’elle, qu’elle me laisse observer ce visage au moins quelques minutes encore.

Bien loin de se rendre compte du trouble de celle qu'elle considérait comme une collègue, Joan était curieuse. Les pompiers, les ambulanciers et les urgentistes étaient tous dans le même bâteau, après tout. Il fallait sacrifier sa vie pour préserver celle des autres. Alors, la jeune femme hocha la tête, c'était certain que contrairement à elle et ses patients, Romi courrait beaucoup plus de risques. Enfin, elle avait déjà esquiver de peu une attaque au couteau, ça compte ? Joan observa les lieux encore une fois avant de retourner son regard sur celle qui l'intriguait tant. « On fait tous ce genre de métiers par passion ou par nécessité de guérir de vieilles blessures. Vous faites partie de quelle catégorie ? »

Son regard se faisait tendre et compatissante. Parce qu'elle-même faisait partie de la seconde sans doute. Mais, peu de personnes étaient au courant et c'était très bien ainsi. Puis, Joan se rappela de l'accident et questionna la raison de la venue de la jolie demoiselle à l'hôpital. « Oh, vous avez bon coeur. Je suis sûr qu'elle se rappellera de vous et qu'elle parle de vous à son enfant. Moi, c'est ce que je ferais à sa place. » Elle rit un peu avant de lui proposer un café, vieux prétexte pour passer un peu plus de temps avec la femme pompier. C'était un peu nul mais au moins, elle avait accepté ! Et..... La phrase de Romi la fit pouffer encore une fois, pire qu'une adolescente. « La vérité ? Il est immonde. Mais, il me permet de tenir jusqu'à la fin de la garde. Vous me semblez bien au courant ! Vous me cachez un travail de bénévole ici ? »

Joan lui fit un clin d'oeil et lui donna un coup de coude affectueux. Elle sourit en se relevant. La médecin essuya ses fesses et tendit la main à Romi pour l'aider à se lever. « Je finis à cinq heures demain. Et vous ? Vous comptez m'inviter à boire un verre ? » Petite pause, elle ouvrit la porte et l'invita à entrer. La machine à café était juste à côté et personne ne faisaient attention à elles, tout le monde était bien trop occupé. Elle plaça son badge dans la fente et laissa son invitée choisir. « Si vous voulez, on peut échanger nos numéros et on se mettra d'accord pour aller boire ou manger un morceau ? » C'était franchement cavalier de la part de Joan mais, elle avait envie de passer du temps avec cette femme. De la découvrir et d'apprécier encore ce temps passé avec elle. Vraiment, Joan, on dirait une ado.

Elle tendit le gobelet de café immonde à la femme pompier et choisit le sien. Avec un nouveau café, elle allait être une vraie pile électrique mais la fin de sa garde était encore loin. Et quelque chose lui disait que ce ne serait pas du luxe. Une fois son propre liquide prêt, elle attrapa le carton mou et invita Romi à retourner sur les marches, loin de l'agitation des urgences. « On pourrait se tutoyer aussi, on est trop jeunes pour rester formelles comme ça ! Enfin, jeunes, personnellement plus trop. » Elle rit un peu, Joan faisait très peu cas de son âge mais elle aimait bien faire genre. Et puis, les pattes d'oie de ses yeux ajoutaient un charme certain à son visage.

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Il existe un bon nombre de métiers ingrats sur Terre. Ce n’est pas comme cela que je considère le mien, mais il faut reconnaître que le rythme de vie et le danger qu’il impose au quotidien ne le rend pas forcément évident à faire. Certains le disent, il faut parfois être fou pour accepter de courir dans les flammes, sans broncher. « Celle par passion, je dirais. Je n’étais pas destinée à devenir pompier, mais quand j’ai croisé la route de certaines personnes et qu’elles m’ont montré ce qu’était vraiment ce métier, je suis tombée amoureuse. » Je n’ai pas à me confier de la sorte, pas à la deuxième rencontre. Mais je crois qu’au fond de moi, j’ai peur que la situation ne se propose plus. Lorsqu’elle me demande ce que je fais ici, alors que je devrais sûrement être à la caserne, les battements de mon cœur s’accélèrent. Et si elle comprenait que je n’étais pas ici que pour cette femme et son bébé ? Serait-ce vraiment mal ? Elle me propose un café et j’accepte, réalisant que je ne dois pas m’arrêter au fait qu’elle ressemble comme deux gouttes d’eau à Alice. C’est une femme et j’aime les femmes, alors il serait dommage de se priver. « Pas du tout. Je manque de temps pour ça. Mais comme nous l’avons dit tout à l’heure, pompier est un métier dangereux : il nous arrive d’arriver ici malgré nous. » Je continue de garder mon expérience pour moi, un semblant de vie privée pour l’instant. Pourtant, il y a une part de vérité là-dedans, puisque Alice est décédée suite à la pratique de son métier. Par curiosité, je demande à Joan quand elle termine son service et à sa réponse, je bloque un peu. « Vous accepteriez ? » Est-ce que cela serait si choquant ? Je ne sais pas exactement pourquoi, mais je ne pensais pas cela possible, pas de son côté en tout cas. Nous entrons à l'intérieur du bâtiment et pendant qu'elle glisse son badge dans la machine à café, je sors mon téléphone et lui tend. « Ce serait avec plaisir. Tenez, saisissez votre numéro. » Je crois que ce matin, je n'aurais jamais imaginé possible que quelque chose comme cela se passe. Pendant que je fais mon choix, elle saisit son numéro. Puis je récupère mon téléphone et c'est à son tour de choisir sa boisson. Rapidement, nous retrouvons nos places, à l'extérieur. « Plus trop ? Je ne sais pas quel âge vous.. quel âge tu as, mais tu me sembles relativement jeune. » Belle aussi. Mais je garde les compliments pour plus tard, pour cette soirée que nous pourrions peut-être faire un jour, si sa proposition n'était pas que du vent. « Avec de telles journées, qu'est-ce que tu fais pour te détendre ? » Ce n'est peut-être pas le moment pour s'intéresser à cela. Ou peut-être que si justement, c'est le moment parfait. J'attends que mes collègues reviennent et elle est en train de faire une pause, alors nous devrions peut-être arrêter de parler du boulot. « Supposons que nous nous retrouvions loin de ces murs fades, qu'est-ce que tu me proposerais ? » Jusqu'à ce que tout cela soit réel, l'imaginer est déjà une bonne chose. Surtout qu'indirectement, c'est aussi une façon pour en apprendre un peu plus sur elle. « Si ça peut te rassurer, il m'en faut beaucoup pour m'effrayer. Bowling, cinéma, simples verres, je suis ouverte à toutes les propositions. Même à la patinoire et pourtant, je ne suis pas très douée sur des patins. » Je ne devrais peut-être pas lui dire cela et rester sur des activités où je pourrais garder le contrôle de la situation – même s'il reste l'image des comédies romantiques et de leurs tours de piste, main dans la main sur la glace : ce n'est peut-être pas si désagréable finalement.

« Je vois ! Je pense qu'il faut une bonne dose de passion pour garder le cap. » Joan sourit un peu, se disant qu'en effet, même les blessures ne suffisaient pas à continuer dans ce genre de métiers. Les gardes étaient interminables et les patients franchement difficiles parfois. Alors, oui, la passion les habitaient tous plus ou moins, c'était certain. La jeune femme finit par la taquiner un peu, cette jolie Romi qui passait du temps avec la pauvre âme qu'elle était. Et, cela semblait marcher puisque la brune lui répondait plutôt au premier degré. « Tant que vous ne venez pas parce que vous êtes blessée, c'est l'essentiel. Vous ou vos proches. »

Encore un sourire, puis la proposition des numéros. Joan était sérieuse, cependant. Ça la tentait bien d'apprendre à mieux connaître Romi. Cette femme l'intriguait et elle avait envie de passer un peu plus de temps avec elle. Peu de personnes ne s'intéressaient à la psychologue et l'inverse était encore plus vrai. Mais, quelque chose rendait Joan curieuse. « Pourquoi refuserais-je ? Vous êtes gentille, magnifique et j'ai envie d'apprendre à vous connaître. » Alors, sans hésitation, elle saisit le téléphone, inscrivit son numéro et son prénom avant de lui rendre. Puis, elle sortit le siens et le tendit à Romi pour qu'elle fasse de même pendant que la boisson de la docteur coulait lentement.

Elle rit un peu en écoutant Romi, elle semblait jeune, en effet et parfois, ça lui jouait des tours. Joan posa ses fesses par terre avant de hausser les épaules et de prendre une gorgée de café. « J'ai trente-cinq ans. Et toi ? » Ce café était décidément imbuvable mais elle s'en contentait bien. Il fallait faire des concessions pour pouvoir tenir vingt-quatre heures réveillé et alerte. « Ce que j'aime faire ? Jouer du violon, lire, DORMIR ! Me balader aussi. J'adore passer du temps avec Napoléon même si souvent, il ne partage pas trop cette passion... Sinon, le mieux, c'est la cuisine. Et toi, alors ? Que fait la grande lieutenant durant son temps libre ? »

Joan la regardait, ses yeux tentant de mémoriser les traits qui lui semblaient parfaits, de sa collègue. Elle était une femme magnifique et cela faisait bien longtemps que la docteur ne s'était pas laissée aller à ce genre de remarque. Elle qui passait la plupart de son temps à travailler, se surprenait à ne pas avoir envie de retourner au charbon. « Qu'est-ce que je t'emmènerais faire... Mmmh... » Tout en réfléchissant, la belle jouait avec sa lèvre inférieure, la pinçant un peu avec ses doigts tout en tapotant sur le gobelet qu'elle tenait de l'autre main. « J'aime bien la fête foraine, les trains fantômes  et les barbes à papa. Sinon, si tu aimes cuisiner, on peut aussi se concocter un bon repas avant de regarder un film, c'est pas mal aussi. » Elle sourit et haussa encore les épaules. Depuis combien de temps n'avait-elle pas fait un date ? Franchement, elle se sentait passablement idiote. Au moins, elle n'avait pas parlé de trucs louches. « Après, la patinoire, ça fait très comédie romantique, il faudrait réserver ça pour le deuxième ou troisième rendez-vous, non ? » Elle avait envie de se taper la tête contre les murs. TROIS RENDEZ-VOUS ? Et si Romi n'en avait aucune envie ? Elle allait sans doute trouver Joan ennuyante au possible dès le premier date, justement. Mais quelle idiote, franchement !

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Lorsque la jeune femme évoque le fait de venir pour mes proches, je résiste à l'envie de grimacer. Je suis déjà venue ici pour ça, pour la pire épreuve de ma vie. Mais aussi pour certains de mes collègues, amenés suite à des interventions compliquées et où il était important de vérifier leur état de santé avant qu'ils ne puissent rentrer chez eux. Il y a tant de choses à aborder qu'il est peut-être mieux d'éviter de parler de cela pour l'instant. L'idée de se revoir, en dehors de cet endroit, est amené sur le tapis et je ne peux m'empêcher d'être surprise. Un sentiment que ne partage pas mon interlocutrice, pour qui cela semble évident. Après un rapide passage à l'intérieur du bâtiment pour récupérer deux cafés et un échange de numéros, nous revenons prendre place sur les marches où se trouvait la jeune femme à mon arrivée. Jeune. C'est d'ailleurs le terme qui me traverse l'esprit lorsqu'elle m'annonce avoir trente-cinq ans. Si nous sommes optimiste sur son espérance, Joan n'a même pas passé la moitié de sa vie sur Terre, alors oui, elle reste jeune à mes yeux. « Trente-deux. Nous ne sommes pas si loin l'une de l'autre. » Mais voilà l'une des premières différences avec Alice, qui aurait fêté ses trente-quatre ans cette année. Histoire de faire la conversation, je l'interroge sur ses passe-temps et sans aucune hésitation, la psychiatre répond – il est plaisant de la voir aussi ouverte, mais il faudra peut-être que j'apprenne à être un peu moins curieuse avant de la rendre mal à l'aise. « Napoléon ? Le vrai Napoléon ? Je pensais qu'il était décédé depuis longtemps. » Je ne suis peut-être pas calée en histoire, encore moins celle des autres pays, mais il faut croire que j'ai réussi à garder en tête certains noms évoqués lors de mes cours – lycée ou autre. Mais bien sûr, avec cette réponse, je plaisantais : j'ai bien conscience qu'elle ne parlait pas de ce militaire. Si je prends plaisir à écouter chacune de ses réponses, je dois aussi jouer le jeu des questions. « Quand je ne suis pas à la caserne, je suis en charge d'une petite fille, ma fille. » Au moins, c'est dit. « J'ai une grande famille aussi, alors je passe pas mal de temps avec mes frères et sœurs. » Au point même d'en avoir une qui vit sous le même toit que moi, mais là encore, on serait ramenée au sujet d'Alice et je préfère éviter pour l'instant. « Tout comme toi, j'aime bien cuisiner. Ou alors, sortir avec mes amis ou encore faire du sport. Un corps de pompier, ça s'entretient. » Pour accompagner ces mots, je lui offre un large sourire. Ce n'est pas une obligation sur le CV pour être honnête, mais c'est quelque chose qui me plaît et qui me permet de me défouler un peu. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais après avoir évoqué ses loisirs, je l'interroge sur ce que nous pourrions faire en nous retrouvant ailleurs qu'ici. Je l'écoute, attentive à chacun de ses mots, et je dois reconnaître que ce qu'elle annonce est alléchant. « Des rendez-vous ? » Sans même parler du nombre, c'est le terme utilisé par Joan qui me marque. Un rendez-vous, ce n'est que dans l'espoir de quelque chose de romantique, non ? Sinon, ce ne sont que des sorties – ou alors, je me prends trop la tête. « Je suis désolée d'être surprise. Pour être honnête, je t'ai remarqué à l'instant même où mon regard s'est posé sur toi. » Je suis peut-être un peu trop honnête pour le coup. « Mais je ne sais pas, je ne pensais pas que ce serait réciproque. » Est-ce que ça l'est vraiment d'ailleurs ? Peut-être que je me fourvoie. « Va pour un rendez-vous alors. Un premier déjà et nous verrons bien où cela nous mène. » La tournure des choses est bien différente de ce que je l'avais imaginé, mais c'est loin de me déplaire. En réalité, à l'idée même de pouvoir passer un peu plus de temps avec elle, avec cette silhouette que j'ai déjà tant aimée, je sens une certaine chaleur s'installer dans mon corps.

Joan remarqua bien que Romi n'évoquait pas franchement ses raisons de venir à l'hôpital. Mais, pouvait-elle l'en blâmer ? Après tout, elles ne se connaissaient que de vue au détour d'un couloir. C'était la première fois que les deux jeunes femmes parlaient vraiment sans avoir un autre interlocuteur ou sans être interrompus pour le moment. Et, la docteure était curieuse. Cette femme pompier l'intriguait sans arriver à mettre le doigt sur la réelle raison. Alors, Joan se faisait cavalière, ce qui était très loin d'être dans ses habitudes d'éternelle casanière. « Oh, je te voyais plus jeune. Mais, ça te rajoute encore plus de charme. » Mais quelle idiote... Il fallait vraiment qu'elle retrouve son cerveau, c'était URGENT là.

« Napoléon est presque aussi chiant que le vrai, mais le miens a d'avantage de poil. En plus, le vrai ne doit pas être très frais... » Elle ricana un peu avant de reprendre, plus sérieuse. « C'est mon gros chat, je l'ai appelé Napoléon. » Elle sourit à l'évocation de son potit bébé qui ronronnait. La jeune femme écouta finalement Romi et elle était ravis d'en apprendre plus sur sa belle partenaire de discussion. Donc, elle avait une fille, Romi. Intéressant ! Et une grande famille aussi. Ça en faisait du monde, alors que elle, elle était très seule, finalement. Mais, cela ne la dérangeait pas des masses.

« Comment s'appelle ta princesse ? C'est vrai que ton corps est très bien entretenu ! » MAIS BORDEL ! Joan avait envie de fuir dans un trou de souris. On lui avait dit que les psy étaient aussi bizarres que leurs patients, et finalement ça se vérifiait bien... Elle cligna plusieurs fois des yeux avant de sourire un peu. Joan avait été cavalière de prétendre avoir plusieurs rendez-vous avec la magnifique jeune femme. Mais... Visiblement, elle n'était peut-être pas si loin de la vérité que ça. La docteure rougit un peu en l'entendant, flattée et surtout rassurée.

La demoiselle hocha la tête en souriant presque jusqu'aux oreilles, bien loin de deviner le réel intérêt de Romi. « C'est vrai que je ne donne pas trop envie d'engager la discussion avec moi, habituellement. Les collègues me disent que je suis aussi aimable qu'une porte de prison sauf avec mes patients. » Au début, cette remarque la peinait un peu mais maintenant, ça la faisait rire. Elle était souvent dans la lune et très peu prompt à réellement parler de la pluie et du beau temps. Elle n'avait pas le temps, Joan. « Je suis ravis que tu sois venue me parler quand même, Romi. »

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Plus la conversation avance et plus Joan me flatte. Je ne sais pas si c’est honnête ou si c’est juste pour être gentille, mais cela a peu d’importance pour l’instant : je prends ce qu’elle me donne, quitte à faire gonfler légèrement mon égo. Lorsqu’elle évoque le nom de Napoléon, je ne peux m’empêcher de plaisanter un peu. Cela ne peut pas être le militaire célèbre, mais j’étais comme obligée de souligner cette similitude. De son chat, nous passons à ma fille – il y a sûrement plus de points communs entre eux qu’on ne le pense. « Lilly. Elle vient d’avoir quatre ans. » Après le prénom, c’était la suite logique des choses pour les questions de Joan. Alors naturellement, je prends les devants. Si la brune souligne le fait que mon corps est bien entretenu, je suppose que c’est lié à une éventuelle grossesse. Généralement, après, il faut un certain temps, qui change selon les femmes, pour retrouver une silhouette proche d’avant. L’avantage qu’il y a eu avec l’arrivée de Lilly, c’est que je ne suis pas celle qui l’a porté, alors je n’ai pas eu à me soucier de ça – même si j’ai quand même pris quelques kilos, un peu comme un soutien à Alice. Nous évoquons ensuite les activités que nous pourrions faire ensemble et si je reste un peu flou sur la nature de ces futures retrouvailles, Joan n’hésite pas une seule seconde pour parler de rendez-vous. Après autant d’honnêteté de sa part, je décide d’en faire autant. Une porte de prison ? C’est plutôt dur. La première fois où nous nous sommes vues, nous n’avons pas vraiment eu l’occasion d’échanger. Mais là, depuis quelques minutes, je trouve que Joan est plutôt agréable, très agréable même : elle parle de tout et n’a même pas pris peur avec mes questions. Peut-être que je suis spéciale.. ce ne serait pas déplaisant, même si ça n’arrangerait sûrement rien à la situation. Avant même que j’ai le temps d’entamer un nouveau sujet, des bruits se font entendre. « Je crois que c’est pour moi. » Bien sûr que c’est pour moi, les bruits viennent de la radio qui est accrochée sur mon abdomen. « Le bébé a sûrement dû voir le jour, peut-être une mini Romi. » Si les parents n’avaient pas encore choisi de prénom, alors peut-être que le lien que j’ai pu créer rapidement avec la nouvelle maman lui donnera une certaine inspiration. Si jamais ce n’est pas le cas, il n’y a pas d’inquiétude à avoir, je ne me vexerais pas. « Je vais devoir y aller. » Si je dis ça, c’est aussi pour convaincre mes jambes de m’aider à  me redresser. Lorsque c’est chose faite, je me tourne vers la brune. « On se revoit très vite. » Un large sourire, honnête, se dessine alors sur mes lèvres. « Merci pour le café. » J’ai connu meilleur, mais il faut savoir prendre la compagnie en compte aussi et elle, elle était très agréable. En rejoignant l’endroit où nous avons garé l’ambulance, je jette mon gobelet vide. Même si la distraction a été bonne pendant quelques minutes, je dois maintenant retrouver mon sérieux pour retourner à la caserne et potentiellement sauver des vies en cas d’interventions.