Comme un air de déjà vu... Ft. Sasha

Ce jour-là, Anna avait rendez-vous avec son ex-mari, celui de qui elle était toujours folle amoureuse. Celui de qui elle n’avait jamais fait le deuil. Celui qu’elle avait perdu, il y avait des années de cela, après la plus grosse bêtise de sa vie. Mais surtout celui qui, encore aujourd’hui, la rendait nerveuse comme une adolescente de quinze ans. Elle avait passé des heures dans sa chambre, devant son armoire. Enfin, d’abord, elle était allée courir puis avait pris une bonne douche chaude. Et seulement après elle s’était immobilisée devant son placard grand ouvert en se répétant qu’elle ne savait pas quoi mettre. Ce n’était pas un rendez-vous, pourtant – elle aurait tellement aimé d’ailleurs – mais un simple brunch entre amis. Enfin, entre deux ex qui essayaient de se garder dans la vie l’un de l’autre après des années de silence radio, de rancune et de douleurs. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien mettre pour ce genre d’événement ? Il n’y avait pas de guide pour ça !
Elle sorti une robe noire d’abord, mais ce n’était clairement pas une bonne idée. Ça faisait bien trop habillé pour un brunch, ou trop enterrement. Elle la balança sur le lit. Un jean basique et une chemisette ? Non, loin d’être agréable à regard, loin d’être agréable à porter ! Un pull et une jupe longue ? Sympa, mais elle avait peur d’avoir trop chaud. Parce que oui, Sasha lui donnait chaud. En plus de faire devenir ses joues toutes rouges et ses pensées brouillonnes. Il déclenchait aussi l’accélération de son rythme cardiaque… Mais bref, elle avait un souci plus important pour déjà penser à tout ce que ça lui ferait de le voir tout à l’heure ! Après une bonne heure devant l’armoire grande ouverte, Anna avait sélectionné deux tenues. La première, composée d’un jean slim noir – qui mettait parfaitement en avant ses belles jambes et le galbe de ses fesses, elle ne courrait pas pour rien – avec un tee-shirt en col v blanc tout simple et une petite veste noire. Ça lui ressemblait, et ça la mettait en valeur, autant le slim que le décolleté. C’était simple, tout en étant assez marquant pour s’en souvenir… Et puis, la deuxième : une belle robe rouge cintrée au niveau de la taille et qui lui arrivait au-dessus des genoux, avec là encore un joli petit décolleté. Elle savait que, là-dedans, elle était « jolie ». Même « belle », ou « séduisante ». Mais peut-être que cela faisait trop rendez-vous ? Peut-être que c’était tout simplement trop, pour un brunch. S’ils se revoyaient, lors d’un dîner par exemple, une prochaine fois… Non, stop, elle se projetait trop. Encore. Elle devait apprendre à se satisfaire de ce qu’il lui donnait : une amitié. C’était déjà bien plus que ce qu’elle espérait. Et puis, il fallait qu’elle arrête de croire en ses rêves : jamais plus elle n’aurait la chance d’être plus que ça pour lui. Elle avait eu ce bonheur, mais avait tout gâché. Elle soupira avant de se laisser tomber sur son lit. Ce qu’elle faisait était idiot, elle le savait. Le fréquenter ne ferait que la faire souffrir davantage, elle en avait conscience. Elle l’aimait, plus que tout, et l’avoir si proche d’elle sans que ça ne puisse déboucher sur autre chose que de l’amitié… Non, c’était déjà bien. C’était tout ce qu’elle voulait, l’avoir de nouveau dans sa vie. Elle n’avait pas le droit d’espérer autre chose. Après un soupir, elle se releva et s’habilla rapidement. La tenue noire et blanche, ce serait parfait.
Elle sortie de son appartement avec un grand sourire, puis se dirigea vers le centre ville. Elle arriva rapidement au point de rendez-vous qu’elle avait proposé à Sasha : devant la petite librairie qu’elle appréciait beaucoup. Anna se sentait fébrile. Elle se souvenait parfaitement de leur tout premier rendez-vous, et les images lui revinrent en tête. Le jeune homme sortait à peine de l’hôpital, et il l’avait invité à dîner, il voulait la voir en dehors de cette chambre blanche et stérile. Ce soir-là aussi, elle avait mis du temps à choisir sa tenue, à se maquiller et à se coiffer. Là aussi, elle était arrivée la première, pleine d’impatience et de stess. Comme aujourd’hui… Anna se retourna, et elle le vit arriver. Son cœur rate un bond, peut-être même deux, et un sourire presque timide se dessina sur son visage. « Salut, Sasha » dit-elle d’une voix douce.

Le jour J était arrivé, c'était aujourd'hui que Sasha avait rendez-vous avec Anna afin de bruncher ensemble. C'était une date qui semblait lui correspondre puisque c'est elle qui l'avait choisi, l'italien savait très bien qu'avec son travail, elle n'était pas forcément disponible aux mêmes moments où lui-même l'était. Bien qu'il soit parfois obligé de se déplacer à droite ou à gauche chez un client, et que ses journées peuvent parfois rapidement se prolonger, il restait tout de même dans un emploi où il avait des journées "normales" et donc pouvoir facilement dégager du temps au besoin.

Bien sûr qu'il était heureux de pouvoir passer un moment avec son ex-femme, d'autant plus qu'elle lui avait expréssement dit qu'elle n'aurait pas son biper avec elle, donc ils ne risquaient pas d'être dérangés, en tout cas, pas par cet aspect-là. Le quadragénaire eut du mal à émerger et pour cause, la gueule de bois qu'il avait le plongeait dans un brouillard qui lui faisait perdre la notion du temps. Pourquoi avait-il autant bu alors qu'il savait qu'il devait voir Anna le lendemain ? C'était plus fort que lui, il en avait besoin tout simplement.

Après avoir pris une bonne douche froide pour tenter de dissiper le brouillard, il prit un médicament accompagné d'un verre d'eau. Pour ce qui est de son mal de tête en revanche, il fallait simplement attendre qu'il passe, c'est dans ces moments-là qu'il se rendait compte qu'il n'avait plus 20 ans et que ce genre de comportement n'était plus fait pour lui, il en avait déjà fait les frais en finissant aux urgences. Une fois un peu plus frais, Sasha se planta devant son armoire en réfléchissant à la tenue la plus appropriée pour ce type de situation. Un costume, bien qu'il aimait en porter ferait sans doute trop formel, un simple t-shirt et jean ferait sans doute trop décontracté, il fallait qu'il trouve un juste milieu. Il opta alors pour un pull gris ainsi qu'un pantalon blanc avec une paire de botines pour sublimer sa tenue. Un rapide coup de peigne dans sa tignasse pour essayer de la dompter un minimum, malgré une mèche rebelle qui tombait sur son front. L'italien pulvérisa un peu de parfum dans son cou avant de quitter la salle de bain sans quoi il allait réellement être en retard.

Il tâcha de s'assurer que son haleine ne trahirai pas l'alcool qu'il avait ingurgité pendant la nuit avant d'enfiler un perfecto de cuir noir de prendre ses clés et de se diriger vers sa moto. Quelques instants plus tard, il arriva en centre-ville où la circulation se faisait plus dense, même pour un dimanche. Malgré la fraicheur, le temps était clément, ce qui incitait les personnes à sortir. Il lui fallut un peu plus d'une dizaine de minutes afin de gagner la librairie où il avait rendez-vous. Un coup d'oeil à sa montre lui indiqua qu'il était un peu en avance, il s'octroya alors le plaisir de fumer une cigarette avant de se rendre à leur point de rendez-vous. Lorsqu'il écrasa ce qu'il en restait, il marcha quelques minutes avant d'atteindre la devanture devant laquelle Anna attendait déjà. Le premier mot qu'il lui venait à l'idée c'était "wahou". Il la détailla quelques instants de loin, et dire qu'à un moment donné, cette femme avait été à lui, il se réveillait tous les matins à ses côtés, aujourd'hui il partageait sa vie entre ses cigarettes, ses bouteilles de whisky et ses voitures, rien de très glamour par rapport à la femme qui se tenait devant lui.

" - Salut Anna, tu es ravissante." fit-il tandis qu'il tenait son casque de moto dans une main et se passait celle libre dans sa chevelure, visiblement déstabilisé par cette femme.

Le stress était présent, tout autant que l’impatience à retrouver Sasha et passer du temps avec lui. Depuis combien de temps rêvait-elle de ce moment ? Des années. Depuis qu’ils s’étaient recroisés, par hasard, à l’hôpital et qu’ils avaient partagés un repas, Anna ne pensait plus qu’à lui. Déjà qu’il n’avait jamais quitté son cœur, là c’était carrément gênant. On aurait vraiment dit une adolescente. Elle avait l’impression d’être revenue au début de leur relation. Alors forcément, quand elle l’avait vu arrivé, casque de moto à la main et tenue soignée, la mâchoire d’Anna aura très bien pu se décrocher tant il était magnifique. Elle se perdit quelques secondes à la contemplation de son ex-mari, peut-être pas très discrètement d’ailleurs, avant que sa voix – qu’elle aimait tout autant que le reste et qui déclenchait encore des frissons dans son dos – ne la sorte de son état second. Elle senti ses joues rougir sous le compliment, et elle baissa légèrement les yeux avant de finalement les relever vers lui, incapable de détourner trop longtemps son regard de Sasha. « Merci, et toi tu es… » commença-t-elle, en évitant soigneusement de trop s’extasier, ça ferait mauvais genre. « Toujours aussi beau » dit-elle pour terminer sa phrase alors qu’elle se battait contre son envie de le prendre dans ses bras et de l’embrasser, comme avant, ou de l’imiter et de passer sa main dans les cheveux de l’italien. Elle s’était penchée vers lui par réflexe, prête à poser ses lèvres contre celles de son ex-mari, mais elle avait rapidement repris le contrôle de la situation en déposant un rapide baiser sur sa joue. Elle devait se reprendre et vite, son sourire niais et ses joues rouges devaient aisément la trahir. Elle devait avoir l’air si bête…
« Allons-y, je passe devant » dit-elle d’une petite voix mal assurée alors qu’elle prenait la direction du petit restaurant auquel elle voulait l’emmener. C’était une petite adresse qu’elle avait découvert grâce à sa cousine : la décoration était très dépaysante, avec beaucoup de plante partout et une vue imprenable sur toute la ville, et notamment la plage. Un cadre idyllique dans lequel Anna venait souvent se ressourcer. « J’espère que ça te plaira, j’aime beaucoup cet endroit… C’est un spot un peu secret » dit-elle avec un petit sourire en le faisant entrer dans un grand hall et en le conduisant à un ascenseur. Une fois arrivée en haut, les portes s’ouvrirent sur la jungle Amazonienne. « Je viens ici pour oublier tout le reste… » précisa-t-elle avant qu’une serveuse ne vienne les accueillir pour les conduire à une table proche de la fenêtre et donc de la magnifique vue. Peut-être que ça leur ferait du bien, du s'isoler du monde, de la ville, de la vie aussi... C'était l'idée qu'elle avait eu en l'amenant ici. « Tadam » s’écria Anna en montrant la vue et en se retournant vers Sasha avec un immense et lumineux sourire.
Ils s’installèrent à table et Anna plongea son regard dans la carte, qu’elle connaissait par cœur, pour éviter de dévisager l’homme assis en face d’elle. Son cœur battait à vive allure, et ses joues étaient toujours aussi rose. Elle était tellement à la fois déstabilisée et ravie de ce moment… A dire vrai, elle avait peur de tout faire capoter. Après tout, c’était ce qu’elle avait fait à leur mariage, alors elle pouvait très bien recommencer à merder… Non, il fallait qu’elle respire, tout se passerait bien, après tout elle devait juste être une amie… Merde, elle ne savait pas être une amie avec lui, elle savait bien que ça se voyait comme le nez au milieu de la figure qu’elle l’aimait encore de tout son cœur… Il fallait qu’elle respire, et tout irait bien, non ? « Leurs pancakes sont délicieux, et ils font beaucoup de cuisine d’Amérique Latine, tu vas adorer » dit-elle pour rompre le silence, parvenant enfin à relever les yeux vers lui. Bon sang, à chaque fois qu’elle le regardait, son cœur s’affolait.

Sasha était heureux de se retrouver avec Anna, ça lui rappellait un peu les bons moments qu'ils avaient passés ensemble, mais tout cela était du passé maintenant, il essayait de ne pas trop y penser pour ne pas nourir ses espoirs qui ne demandaient que ça au fond. Quand elle le complimenta, il lui adressa un large sourire. Même si on lui avait souvent dit qu'il devait faire des ravages auprès de la gent féminine, l'italien n'avait jamais cherché à conquérir le maximum de coeurs, il n'avait pas la sensation d'être ce genre d'homme à claquer des doigts pour obtenir n'importe quelle femme et avec l'âge, il avait de plus en plus de mal à accepter que son physique change et qu'il soit moins attirant. Même si son âge ne le complexait pas tant que ça, malgré que comme tout le monde, il n'avait pas envie de vieillir, mais c'était plus les regrets qui lui pesaient sur les épaules en plus des années qui s'accumulaient. A la cinquantaine, on n'est plus bon à grand chose et les gens ont tendance à vous mettre dans le panier des vieux avec tout ce que ça implique.

Le baiser que la jeune femme déposa sur sa joue le rendit vulnérable, son parfum qui se diffusait dans ses narines, les yeux fermés ça le ramenait plusieurs années en arrière. C'était comme si rien n'avait changé alors qu'au contraire, tout avait changé. Même s'il avait envie de caresser sa joue, de lui dire de se détendre parce qu'il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir son stress, mais il n'en fit rien.

" - Je te suis !" dit-il tandis qu'elle passa devant lui pour le guider.

Son regard s'attarda un peu trop sur les courbes de son ex-femme, il aurait eu vite fait de poser sa main au creux de ses reins mais il devait rapidement chasser ses idées s'il ne voulait pas être obligé de s'absenter quelques minutes avant que tout cela ne se voit. Après tout, c'est lui qui avait proposé à ce qu'ils restent en contact, c'était sans doute une mauvaise idée au vu de la réaction de son corps et des sentiments qui se battaient encore dans sa poitrine pour cette femme qui avait partagé sa vie.

Par chance ils arrivaient rapidement au restaurant où Anna voulait déjeuner, il l'observa, il n'avait pas souvenir d'avoir déjà mis les pieds ici, ça lui permettrait de découvrir l'adresse et qui sait, peut-être y revenir dans quelques temps.

" - En tout cas l'endroit a l'air vraiment sympa et dépaysant en effet !"

Il adressa un léger sourire à la serveuse tandis qu'elle les guidait jusqu'à leur table en leur laissant la carte pour qu'ils puissent faire leur choix avant de s'éloigner. L'italien s'extasia quelques instants devant la vue que proposait le lieu, il avait l'impression d'être à des centaines de kilomètres du centre-ville, loin de toute cette agitation, même si ce n'était que pour le temps d'un repas, ça lui ferait le plus grand bien ! Avant de plonger son regard sur la carte pour arrêter son choix, il hasarda un coup d'oeil vers la jeune femme concentrée sur la carte, un léger sourire se dessina sur son visage lorsqu'il la regarda. Il aura pu le faire pendant des heures, mais la serveuse n'allait plus tarder à revenir pour prendre leur commande alors il devait s'activer à se décider.

" - J'ai bien envie de me laisser tenter par leur risotto mais en dessert promis je goûterai leurs pancakes ! Tu as une suggestion à me faire pour le plat ? Tu prends quoi toi ?" demanda-t-il en relevant les yeux de la carte pour les plonger dans ceux de son ex-femme.

Le large sourire que Sasha lui offrit lorsqu’elle le complimenta désarçonna totalement la jeune femme, qui mis quelques secondes à réagir. Il était si beau, si doux, si lumineux… Ce sourire, elle l’avait chaque jours avant qu’ils ne se séparent, et elle se rendait compte aujourd’hui à quel point il lui avait manqué, à quel point il lui manquait toujours… Qu’est-ce qu’elle était en train de faire, là ? Pensait-elle vraiment pouvoir essayer d’être son amie ? Elle l’aimait, depuis des années, n’avait jamais réussi à l’oublier et à passer à autre chose… Comment pourrait-elle faire croire qu’il n’y avait que de l’amitié entre eux ? Il fallait être aveugle pour ne pas voir ses joues rouges, son sourire niais et sa respiration qui accélérait, tout comme son cœur, à chacun des regards que Sasha posait sur elle… Elle courrait droit à la catastrophe, mais elle le savait. Pire, elle y allait avec plaisir, si c’était pour le voir de nouveau.
Anna surpris son ex-mari en train d’observer la décoration du restaurant avec surprise, ce qui la fit sourire. Elle avait voulu l’amener ici pour le dépayser et le surprendre, ce qui semblait être une réussite au vu de ce qu’il lui répondit. Elle se détendit donc très légèrement, ça commençait bien, elle avait fait un bon choix, tout irait bien.
Après avoir passé quelques longues secondes à détailler la carte, pour reprendre ses esprits, la jeune femme avait enfin relevé les yeux vers l’homme qui l’accompagnait. Celui-ci lui demanda ensuite conseil avant de plonger son regard dans celui de la blondinette. Pendant quelques secondes, Anna oublia de respirer, subjuguée par le regard de Sasha, le fait d’être si proche de lui, comme avant lorsqu’ils allaient dîner entre mari et femme… « Je… Le risotto… » bégaya-t-elle avant de se reprendre, passant une main dans ses cheveux pour retrouver une certaine contenance. « Le risotto est délicieux, je le prends souvent » dit-elle avec un petit sourire. « Leurs salades aussi sont très bonnes, avec des ingrédients frais et très colorés. Je pense que je vais partir là-dessus » déclara-t-elle. Elle faisant attention à sa ligne, la jolie blonde, déjà au niveau de son alimentation mais aussi en faisant du sport. Elle voulait plaire, mais pas à tout le monde. Juste à lui, celui assis en face d’elle. Il aimait les femmes plus jeunes que lui, elle ne le savait que trop bien, et elle, elle commençait à prendre de l’âge. Bientôt, elle serait périmée, l’horloge biologique le lui rappelait assez régulièrement. Mais elle savait s’entretenir, se faire belle, travailler sur son corps. Elle aimait ça, en plus.
Anna abandonna l’idée que ses joues retrouvent leur couleur normale aujourd’hui. Elles resteraient rosées tant qu’elle serait face à l’homme qu’elle aimait, c’était certain. Tant pis. Une fois la commande passée, ils se retrouvèrent face à face, sans grande carte derrière laquelle se cacher. Anna glissa un regard vers la fenêtre, cherchant dans la vue magnifique de quoi reprendre les choses en main. Elle ne voulait pas qu’il pense qu’elle était complétement stupide, ou absente du rendez-vous, alors qu’elle avait juste du mal à rester calme face à lui. « J’ai cru comprendre que tu avais ta propre concession de luxe… » dit-elle en tourna le visage vers lui, un sourire tendre sur les lèvres. « C’était un de tes rêves, de pouvoir travailler tous les jours avec un costume élégant » murmura-t-elle avec un léger rire, des souvenirs heureux passant dans son esprit. « Je suis vraiment contente pour toi » souffla-t-elle. C’était vrai, il avait l’air bien, heureux, épanoui. Même sans elle. Peut-être même plus sans elle… Elle chassa cette mauvaise pensée d’un revers de la main avant de plonger son regard dans celui du bel italien. « Parle-moi de toi, Sasha » supplia-t-elle presque. Elle avait envie, ou besoin, de rattraper toutes ces années perdues, toutes ces années loin de lui.

Sasha n'était pas particulièrement fan des surprises, après vécu ensemble pendant plusieurs années, Anna devait être au courant, mais si elle avait jugé que l'endroit où elle avait décidé de l'emmener lui plairait, il lui faisait confiance, elle connaissait ses goûts, alors il y avait peu de chance qu'elle vise à côté. Et effectivement, elle avait vu juste, l'endroit était dépaysant, très sympathique pour un déjeuner en dehors de l'agitation extérieure.

Le fait d'être ici avec son ex-femme, bien sûr que la situation était tout sauf normal, mais il était heureux de l'avoir auprès d'elle, il avait l'intention de profiter de chaque seconde, peut-être que ce serait les dernières en sa compagnie. Et si leur séparation était été brutale pour lui, même si Anna ne souhaitait pas poursuivre, ça serait sans doute moins douloureux que leur divorce, quoique.. Le fait qu'ils déjeunent ensemble en tant "qu'amis" dans ce restaurant n'avait rien de très sain, mais il s'en fichait pas mal en réalité, sauf si ça tournait encore au fiasco, il ne pourrait s'en prendre qu'à lui d'avoir initié une telle chose.

Tandis que leur commande était passée, le jeune homme observa attentivement son ex-femme, le regard posé à l'extérieur. Il y avait toujours eu quelque chose dans ses yeux qu'il n'avait su décrire mais qui le faisait perdre le contrôle, aujourd'hui en était encore la preuve. Pour éviter de laisser s'installer un silence qui pouvait se révéler gênant jusqu'à l'arrivée de leur plat respectif, Anna décida de prendre la parole.

" - Oui effectivement, j'ai eu la chance de me trouver au bon endroit au bon moment comme on dit. J'ai travaillé avec un homme qui m'a appris beaucoup puis il m'a laissé sa boutique lorsqu'il est parti à la retraire. C'était l'occasion rêvée pour moi de pouvoir réaliser mon rêve, j'avais l'endroit je n'avais plus qu'à me lancer dans l'aventure." dit-il des étoiles plein les yeux en repensant à ce moment. " - Puis je me suis retrouvé à la tête de ma propre concession, malgré qu'il ai des modèles pour des personnes au porte-monnaie rempli, j'ai tenu à ce que tout le monde puisse trouver son bonheur sans se mettre sur la paille."

Ça avait rapidement été une évidence pour Sasha, bien qu'il était lui-même dôté d'un compte en banque généreux, il n'avait pas envie de se restreindre à un type de clientèle qui pouvait parfois être très exigeante et pas toujours très respectueuse, parce qu'ayant les moyens d'acheter tout ce qu'ils souhaitaient, ils estimaient être au-dessus des autres, tandis que la clientèle que l'on pouvait désigner comme "bas de gamme" avait toujours été celle que l'italien préférait. Ainsi, il avait réussi à réunir dans un même endroit des modèles accessibles à toutes les bourses, c'est aussi sans doute ce qui faisait que son affaire avait rapidement marché.

" - Que veux-tu savoir ? Tu sais que je n'ai jamais été très doué pour parler de moi, ce n'est pas le sujet que je maitrise le mieux... Et toi alors, toujours dans le médical à vouloir réparer tes patients ?" dit-il en rigolant mais sans méchanceté.

Tandis qu'il termina sa phrase, la serveuse apportait leurs plats, risotto pour lui, salade pour elle. Il la remercia et tandis qu'elle s'éloigna, il souhaita bon appétit à Anna avant de s'emparer de ses couverts.

" - Est-ce que tu veux goûter un morceau ?" demanda-t-il avant de commencer à manger ce qui se trouvait dans son assiette. Peut-être qu'un peu de risotto ne déplairait pas à Anna, surtout qu'elle avait avoué peu de temps avant qu'elle en prenait de temps en temps, donc il n'avait pas de doute sur le fait qu'elle aimait ce plat.

Sasha n’était pas une personne particulièrement friande des surprises, au contraire même. Son ex-femme le savait pertinemment, elle l’avait toujours su. Mais, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle lui avait toujours, tout au long de leur relation, fait des petites surprises par-ci par-là. Parce qu’elle adorait ça, préparer en secret quelque chose pour l’homme dont elle était amoureuse, lui faire des petites attentions sans raison… Et il s’en était toujours accommodé. Peut-être justement parce que c’était elle, et qu’il savait que ça lui faisait plaisir. Peut-être même qu’au fond, ses surprises à elle, il les aimait bien. Donc ce jour-là, avec ce choix de restaurant, Anna savait qu’elle faisait le bon choix, et que ça lui plairait. Elle en était sûre. Enfin, à quatre vingt pour cents, parce qu’après tout, les goûts changent, et les personnes aussi.
Anna était sur un petit nuage. Evidemment, elle stressait beaucoup et avait peur de tout faire capoter, comme elle l’avait fait pour leur mariage, mais avoir la chance de déjeuner de nouveau avec lui… Elle avait du mal à réaliser. Elle savait bien que ce n’était pas grand-chose, et que ça ne voulait surement rien dire pour lui, mais à ses yeux à elle, c’était déjà beaucoup. Enorme, même. Alors elle voulait en profiter au maximum et, qui sait, remettre ça après ? Mais pour le moment, il fallait qu’elle se concentre sur l’instant présent et sur la joie de l’avoir de nouveau à ses côtés, même si pour cela elle devait jouer à l’amie et non à la femme folle amoureuse.
Il avait eu de la chance, voilà comment il pouvait résumer sa nouvelle vie professionnelle. Le patron de concession expliqua à l’infirmière comment il en était arrivé là, et surtout sa motivation principale : celle de pouvoir offrir un service de qualité pour toutes les bourses. Sasha avait toujours été comme ça, généreux et altruiste. C’était une des nombreuses choses qui l’avait fait tomber amoureuse de lui, à l’époque. « Ça ne m’étonne pas de toi » murmura Anna en souriant, se perdant un instant dans la contemplation de son visage, et de ce sourire qui la faisait tant craquer. « Tu dois être fier d’avoir réussi à faire tout ça » dit-elle, pensant qu’elle en tout cas était fière de lui, même de loin. Elle ne savait pas s’il s’en rendait compte, mais il était le genre d’homme que tout le monde veut devenir : droit, intègre, généreux… Sasha était un homme profondément bon, et elle espérait sincèrement qu’il le savait. Il lui demanda ensuite ce qu’elle voulait savoir, rappelant qu’il n’était pas le plus doué pour parler de lui, avant de contourner la question pour lui parler d’elle, demandant en riant si elle tentait toujours de réparer ses patients. Elle laissa échapper un rire avant d’hausser les épaules, regardant les plats arriver sans avoir le temps de répondre.
Une fois la serveuse partie, ils se souhaitèrent bon appétit et Sasha lui proposa de goûter son plat. Anna leva les yeux vers lui avec un grand sourire. « Avec plaisir, mais goûte moi ça d’abord » dit-elle en prenant un peu de chaque élément dans son assiette et en tendant la fourchette vers lui, pour lui donner à manger.
Une fois les plats goûtés, Anna reprit la parole pour se redonner une contenance : « Tu me connais, si je ne sauve pas au moins cinq personnes par jour je me sens inutile » dit-elle avec un petit sourire. « Mais oui, comme tu l’as vu, je suis toujours à l’hôpital, à courir partout sans compter mes heures, à prendre des gardes qui ne sont pas les miennes, et à m’investir toujours plus auprès des patients… La routine ! » soupira-t-elle. En réalité, elle était passionnée par son métier. Aider les autres, c’était une vocation. Quelque chose qui la prenait aux tripes, et qui la faisait se lever tous les jours. Quand elle était au plus mal, c’était son métier qui l’avait maintenue debout, même difficilement. Elle ne se voyait pas faire autre chose, même si c’était difficile. « Et ce que je veux savoir… » murmura-t-elle en plongeant son regard dans celui de l’homme qu’elle aimait. « Tout, en fait » dit-elle en riant. « J’aimerais rattraper toutes ces années perdues, savoir ce qu’il s’est passé d’important dans ta vie, ce qui a changé ou non, et savoir en quoi tu as changé » avoua-t-elle en rougissant légèrement. Elle n’avait pas la légitimité à vouloir savoir tout ça, et elle le savait. Mais c’était sorti tout seul, et maintenant, elle le regrettait un peu. « Enfin, tu vois ce que je veux dire… »

Même si Sasha n'avait jamais été très surprise, il savait qu'Anna aimait le surprendre et elle avait toujours fait les bons choix, alors dans le cas présent, il était pour ainsi dire certain que cette nouvelle surprise ne pourrait pas le décevoir, parce qu'elle venait justement de son ex-femme et qu'elle avait toujours su viser juste.

S'il y a encore quelques années en arrière, on aurait dit à l'italien qu'il posséderait sa propre concession automobile, il aurait sans doute rigolé au nez de ceux qui tenaient de tels propos. Pourtant aujourd'hui, c'était bel et bien la réalité. Il avait sa concession dans laquelle il mettait un point d'honneur à rendre chaque modèle de voiture accessible à tout, parce que c'était important pour lui de fournir un service à toutes les personnes qui en avaient besoin, il n'avait pas toujours eu cette somme sur son compte en banque, il savait aussi ce que ça faisait que de devoir calculer chaque dépense afin de ne pas finir dans le rouge à la fin du mois.

" - Fier est un bien grand mot pour moi, disons simplement que je suis heureux du chemin parcouru jusqu'alors et de pouvoir offrir ce que recherche certaines personnes, j'ai l'impression de contribuer un peu à leur bonheur." fit-il avec un léger sourire qui s'étira sur ses lèvres.

Tandis que le quinquagénaire proposa à la jeune femme de goûter son plat, elle accepta et lui fit goûter le sien à son tour. Au moment où la fourchette arriva à hauteur de sa bouche, l'italien l'ouvrit tout en plongeant ses yeux dans ceux de la femme qui lui faisait face.Ce geste était à la fois innocent et incroyablement romantique voire sexy, ce qui perturba l'ancien militaire quelques secondes.

Sasha savait qu'Anna avait toujours été fait pour ce métier, elle se donnait corps et âme et sa conscience professionnelle faisait que ses actions pouvaient parfois dépasser le cadre de ses attributions. Après s'être confié sur ses journées à rallonge, elle rebascula sur lui, pour savoir tout ce qui avait pu se passer dans sa vie ces dernières années. Allait-il tout lui avouer ? Il y a parfois des sujets du passé qui sont mieux dans le passé plutôt que de raviver la douleur, et en même temps, il avait envie de lui montrer que son chemin n'avait pas été tout rose depuis leur divorce, ce n'était pas dans l'optique qu'elle s'en veuille, mais simplement pour lui montrer que pour arriver là où il était aujourd'hui, il avait dû se battre en plus de la blessure qui essayait toujours de cicatriser au niveau de son coeur.

" - Et bien il y a quelques années, j'ai dû subir une opération du cerveau pour tenter de retirer les éclats de la balle qui y étaient logés parce qu'ils menaçaient ma vie, même s'ils n'ont pas réussi à tout retirer, ils ont enlevé le plus gros. Et pour faire un peu plus joyeux selon le point de vue, quasiment en même temps que tu es venu me voir pour la première fois, j'ai également découvert que j'avais un fils adoptif d'une vingtaine d'années. Hormis ça, je dirai simplement la routine."

Il avait passé sous silence sa relation amoureuse qui s'était soldé par un échec après avoir subi un chantage pour lui soutenir de l'argent. Il avait également omis de préciser qu'il avait fait quelques séjours à l'hôpital suite à des pertes de connaissance liées à sa grande consommation d'alcool, à ses pertes de mémoire ainsi que ses maux de tête toujours présents que l'opération aurait dû éradiquer mais qui impactaient toujours autant son quotidien.

Sasha était un homme profondément bon, qui avait des rêves et que fonçait pour les atteindre. C’était une des choses qui avait fait tomber Anna amoureuse de lui. Donc, de son côté, elle était fière de lui. Du chemin qu’il avait parcouru pour arriver jusqu’à la tête d’une concession, et ce même s’il lui manquait des bouts de la vie de l’italien. La modestie de ce dernier était également tout à son honneur, et était encore une fois un modèle pour la blondinette. Il était heureux de contribuer, ne serait-ce qu’un peu, au bonheur des gens, et c’était réellement beau. Anna aurait bien répondu qu’il avait toujours contribué au sien, mais elle se retint. Ce n’était ni le lieu, ni le moment de faire étalage de ce qu’elle ressentait toujours pour lui. Peut-être d’ailleurs que ce ne le serait jamais… Mais elle s’était fait une raison. Après tout, elle était encore persuadée de ne pas avoir le droit d’espérer quoi que ce soit avec cet homme qu’elle avait tant blessé, qu’elle avait trahi… Mais c’était une autre histoire.
De manière plutôt innocente, à la base, l’infirmière tendit sa fourchette à son ex-mari, un peu comme au bon vieux temps. Elle ne savait pas s’il allait saisir le couvert, ou se laisser donner à manger, mais ses joues se mirent à rosir lorsque l’italien plongea son regard dans le sien avant de prendre la fourchette entre ses lèvres. Une douce chaleur s’insinua au creux de son ventre ainsi qu’au niveau de son cœur, et il fallut bien quelques secondes à la jeune femme pour se reprendre et penser à autre chose que ses lèvres qu’elle connaissait si bien, mais dont le contact lui manquait tant…
Après avoir évoqué son travail toujours aussi prenant, l’infirmière en chef relança son ex-mari sur ses dernières années de vie. Elle brulait de savoir ce qu’elle avait pu manquer. Allait-il lui annoncer qu’il était tombé fou amoureux ? Qu’il avait refait sa vie ? Non, ou en tout cas pas forcément comme ça. Déjà, il portait encore son alliance – comme autour, qui l’avait autour de sa chaîne ce jour-là – et aucune femme ne pourrait se projeter avec un homme portant encore la bague de son ex-femme. Anna chassait cette idée de sa tête, ne voulant pas se pencher dessus, et ne s’y autorisant pas non plus d’ailleurs. Puis elle le laissa parler, et un trou béant sembla s’ouvrir sous ses pieds. Sasha avait failli perdre la vie. Encore une fois. Mais cette fois-ci, elle n’avait pas été à ses côtés. Elle avait tellement merdé leur histoire, qu’elle aurait pu définitivement perdre l’homme qu’elle aimait sans le savoir. L’aurait-elle appris, un jour ou l’autre, s’il avait dû y passer ? Sa gorge se serra, mais elle tenta de ne rien montrer. Elle devait se ressaisir, mais une autre bombe tomba au même endroit. Un fils. Sasha avait un enfant. Cette information la sonna, comme un coup de poing en plein ventre. Elle cessa de respirer quelques secondes. Elle l’avait imaginé tellement de fois avec un bébé dans les bras… Leur bébé. Anna aurait tellement rêvé de lui donner un enfant, de former une famille avec lui, remplie d’amour et de rire. Mais ça n’avait jamais eu lieu, parce qu’elle avait tout gâché. Mais une autre, avant elle, le lui avait donné ça. Elle tenta de garder une certaine contenance, dissimulant ses émotions derrière un masque qu’elle savait assez peu efficace. « Waouh, tout ça… » laissa-t-elle échapper d’une petite voix, avec un sourire poli, bien qu’un peu crispé. « Je… » commença-t-elle, mais les mots et les pensées se bousculaient dans son esprit. C’était beaucoup d’informations en peu de temps, et elle ne s’y attendait pas. Là, tout de suite, elle aurait bien pu une grande gorgée de vodka. « Excuse-moi Sasha, je reviens tout de suite » s’excusa-t-elle avant de se lever rapidement et de filer aux toilettes.
Elle s’appuya sur le lavabo quelques secondes, prenant une grande inspiration, face au miroir. Ne pas penser à l’alcool. Ne pas penser au confort illusoire qu’une bonne bouteille pouvait créer. Ne pas imaginer Sasha, seul, dans un lit d’hôpital. Ne pas non plus l’imaginer père, avec une autre femme. Anna passa de l’eau fraîche sur son visage, avant de respirer longuement une dernière fois, et de repartir. Elle revint s’installer à table avec un petit sourire. « Désolée, tu nous connais, moi et ma vessie » murmura-t-elle avec un petit rire gêné. Puis, avec douceur, elle posa sa main sur celle de Sasha, sur la table, pour la serrer chaleureusement. « Je suis désolée d’apprendre, pour ton opération… Tout est bon, maintenant ? Tu es rétabli ? Ou tu es encore à risque ? » demanda-t-elle, sincèrement inquiète. « Quant à ton fils, c’est une nouvelle incroyable, Sasha ! Tu dois être tellement heureux, bien qu'un peu étonné... »