les fantômes du passé (ezra)

S’il y a quelque chose que je n’aime pas avec le fait d’avoir une fille, c’est bien les devoirs. Je n’étais pourtant pas mauvaise à l’école, mais ce temps-là remonte à plusieurs années maintenant et je me rends compte que j’ai facilement oublié certaines bases. Par chance, lorsque la brune me pose une question qui me met en difficulté, quelqu’un sonne à la porte. « Est-ce que tu peux aller ouvrir Mila ? C’est sûrement Victor qui a encore oublié ses clefs. » Ce n’est pas la première fois que cela arrive, je ne serais donc pas surprise de voir mon mari suivre la petite fille à leur retour. « Maman ! Il y a une dame à la porte ! » Une dame ? Je fronce légèrement les sourcils, alors que je réfléchis à qui cela peut-il bien être. De mes amies ou mes collègues, personne ne m’a prévenu d’une visite – remarquez, ça perdrait tout l’intérêt d’une visite surprise. Je me dirige vers la porte pour prendre la relève, espérant secrètement que ce n’est pas quelqu’un qui est là pour les papiers de Victor. Après les devoirs de primaire, je ne suis clairement pas d’humeur à pouvoir jouer la comédie. Surtout sans mon très cher mari. À ma grande surprise, je connais la personne qui se trouve là. Une personne que je ne pensais pas revoir un jour – pas de mon vivant. « Rentre Mila. Si tu veux, tu peux allumer la télé. » Dis-je, tout en déposant une main dans le dos de la petite fille. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour que nos enfants soient occupés le temps de quelques minutes, sans oreilles indiscrètes qui traînent un peu partout. Alors qu'elle s'éloigne de nous, je viens légèrement refermer la porte. À peine quelques secondes que je suis là et je sens pourtant ma mâchoire qui commence à se serrer. Onze ans.. ça fait plus de onze ans que je n'ai pas vu Ezra et vu comment les choses se sont passées entre nous, je trouve que la colère que je peux ressentir à ce moment précis est justifiée. « Tu es donc vivante. » Ça, je le savais déjà. Du moins, c'est ce que j'ai toujours supposé. Le cas échéant, en cas de décès ou de déménagement – pour ne pas basculer dans le drame trop vite, les lettres que je lui ai envoyées, des plus récentes aux plus anciennes, me seraient revenues pour cause de destinataire absente. Néanmoins, si ces mots sont sortis de ma bouche, c'est parce que je n'ai rien trouvé de mieux pour lancer la conversation. D'ailleurs, est-ce qu'une conversation entre nous est vraiment possible ? Qu'est-ce que nous pourrions bien nous dire ? De mon côté, pas grand-chose : si elle a lu tout ce que je lui ai écrit, avant de les brûler ou d'en faire je ne sais quoi, elle a une idée de ce à quoi ma vie ressemble aujourd'hui.

Les vingt-deux heures de voyage ont été interminables. Les quarante-huit heures les précédant encore pires. Devoir dire au revoir, précipitamment, à ma vie à San Francisco avait été plus éprouvant que ce que je pensais. Ma famille est au courant de mon retour et pourtant, personne n’était venu me chercher à l’aéroport. Le karma, sans doute. Après tout, j’avais fait la morte pendant plus de dix ans. À y penser, je ne pu m’empêcher de soupirer un peu. Dès mon arrivée à Island Bay, tout s’était passé rapidement : commande d’un taxi, direction l’appartement trouvé sur un site de location. État des lieux. Remise des clés. Bonjour, au revoir. L’appartement était plutôt spacieux pour moi seul, mais surtout désespérément vide. J’avais prévu de le meubler très vite, mais pour l’instant, j’avais tout autre chose en tête. Et par là, j’entends : la raison de mon retour. Elliott. Isaac. Assise au bord de la fenêtre de la pièce qui allait devenir ma chambre, mon regard se perd vers le ciel. Je me sens encore tellement honteuse de ne pas être revenue plus tôt. Pour lui. Pour elle. Pour ma famille. Ces quinze dernières années sont passées à une vitesse folle et j’ai l’impression d’avoir tout loupé. Spoiler, ce n’est pas tellement une impression… Je reste là, assise dans mon appartement vide pendant une trentaine de minutes avant de me bouger. Ça sert à rien d’attendre, Ezra. Bouge ton boule. T’as parcouru le globe pour ça. Je respire un bon coup, puis me lève afin de me préparer à repartir. Ma valise est au milieu du salon, et je la regarde en riant un peu nerveusement. J’aurai bien besoin de changer de vêtements mais… je n’ai même pas encore d’eau chaude. Bref. Je passe rapidement dans la salle de bain pour me passer un coup d’eau sur le visage. Ça réveille et ça remet les idées au clair. Il est temps de partir.

Les rues d’Island Bay n’ont pas changé en quinze ans. C’est assez surprenant. Il ne me faut que quelques minutes de marche avant de me retrouver face à la porte de l’appartement d’Elliott. Secrètement, j’espère que sa fille… ma nièce, n’est pas présente. Je crois que je ne suis pas tout-à-fait prête à la rencontrer. J’ai pourtant eu neuf ans pour m’y préparer, mais non. Je reste là, deux ou trois minutes, plantée face à l’entrée. Légèrement terrorisée à l’idée de toquer. Finalement, je prends mon courage à deux mains et sonne. Mon cœur se met à battre la chamade. C’est le moment, je ne peux plus reculer. Je n’ai pas le temps de stresser que la porte s’entrouvre, laissant apparaître une petite tête brune. Inutile de préciser qui il s’agit. Elle a ses yeux. Et le foutu nez des Stewart. “Bonjour. Je… viens voir ta maman.” dis-je en souriant un peu. Ok, ça, c’est fait. Mila, c’est fait. Elle n’a pas l’air de me connaître. En même temps… La petite appelle sa mère, qui ne tarde pas à rappliquer. Quand je la vois dans l’encadrure de la porte, je déglutis légèrement. Très vite, Mila repart et nous nous retrouvons face-à-face avec Elliott. Je n’ose pas même un sourire, sa colère se lit sur son visage. D’ailleurs, ce qu’elle me dit me la confirme un peu. “J'irai pas dire que je suis vivante, mais oui, je le suis.” dis-je. Ça ne veut rien dire, c'est ridicule. “Salut Elliott.” Un léger froid s’installe. Mes paroles sont sans émotion, presque prononcées comme si j’étais un robot. Je n’ai rien préparé : je n’ai pas de plan. Pas de phrases pré-construites. Rien. Simplement l’instinct. “Elle lui ressemble. À toi aussi. Tu n’as pas changé.” Je tente un léger sourire, que je ravale aussitôt. En réalité, si, Elliott a changé. Un enfant, ça change. La perte du père de son enfant, ça change. Je souffle un peu pour me détendre, en espérant qu’elle ne me rejette pas trop… Même si après tout, je le mérite.

À ce moment précis, avec la brune face à moi, cette femme que j’ai tant aimée par le passé, les émotions que je ressens sont multiples. Multiples et quelque peu contradictoires. Il y a de la colère, c’est indéniable et je crois que mon corps tout entier essaye de le lui faire comprendre. Mais en même temps, je suis comme soulagée de la voir de nouveau ici, en chair et en os, et non pas dans mes rêves. Alors que Mila est envoyée à d’autres occupations – c’est plus simple comme ça, nous allons pouvoir discuter un peu avec Ezra. Ou du moins, essayer. La phrase que je prononce n’aide sûrement pas, mais elle traduit plutôt bien ce que je peux ressentir sur le moment. Elle est partie. Sans un mot, sans un au revoir, et je me suis retrouvée le cœur brisé. Une première fois que je n’aurais préféré pas connaître à ce moment-là, une première et unique fois, car si on y réfléchit bien, je n’ai jamais laissé personne d’autre entrer dans mon cœur comme elle l’a fait. Tant de première fois avec elle, des meilleures aux pires et me retrouver aujourd’hui face à elle me fait tout bizarre. « Qu’est-ce que tu veux Ezra ? Qu’est-ce que tu fais là ? » Je viens croiser les bras contre ma poitrine, histoire de rajouter une nouvelle barrière entre nous. Je ne relève même pas ce qu’elle dit au sujet de Mila, si elle avait vraiment quelque chose à faire d’elle et des ressemblances qu’il peut y avoir avec Isaac et moi – vive la génétique – elle s’en serait inquiétée un peu plus tôt. « Si tu veux voir ton frère, c'est un peu tard pour ça. Il n'est plus là. » Et voilà, une première pique est lancée. Un peu gratuite, je l'avoue, mais c'est au moins ce qu'elle mérite. Elle se pointe, onze ans après son départ, un an après le décès d'Isaac et elle s'attendait à se faire accueillir par un charmant sourire, une accolade et un "on oublie tout" ? « Putain Ezra, tu fais chier ! Onze ans sans nouvelles et tu débarques comme ça ? La bouche en cœur. » Cette fois-ci, je soupire. À l'époque, je lui aurais tout pardonné. Mais là, je ne sais pas. Je ne sais plus. Onze ans, quatre mille quinze jours. Des jours où j'ai imaginé ces retrouvailles et clairement, c'était bien mieux dans ma tête. Peut-être parce que les premières imaginées remontaient à notre adolescence, là où j'espérais encore un miracle, où je me disais qu'elle était simplement partie en vacances, qu'elle reviendrait et qu'on reprendrait là où nous nous étions arrêtées. Mais non. Les jours sont passés, les mois, les années même et ma rancœur a grandi avec. J'ai été conne, tellement conne, au point même de me dire que des lettres pourraient lui faire changer d'avis. Il faut croire que finalement, je ne la connaissais pas tant que ça. « Tu ferais mieux d'aller chez tes parents, ils seront contents de te voir eux. » Involontairement, ou peut-être que non, justement, j'insiste sur ce dernier mot. Elle est partie, sans se retourner et elle doit comprendre que cela m'a affecté, que ça m'affecte toujours aujourd'hui.

Elliott est en colère et son corps le montre pour elle. Je la comprends, elle est même très gentille de me laisser lui parler. Après tout, je l’ai abandonné du jour au lendemain, j’ai fuis notre amour naissant comme on fuit la peste. Même en pire. La brune croise ses bras contre sa poitrine, marquant une nouvelle distance entre nous. Je déglutis un peu lorsqu’elle lance sa première pique. J’ai envie de tout lui expliquer, de lui dire que je n’ai pas compris ce qu’il se passait dans mon corps, que j’ai eu peur d’aimer des femmes, de l’aimer elle, de gâcher notre amitié, de la perdre, de faire face aux jugements de nos familles. Nous étions adolescentes, et ce qu’il s’est passé a été un vrai chamboulement. N’importe qui le comprendrait. Sauf que, voilà, je reviens, onze ans plus tard, et je suis tout sauf une adolescente. J’ai été absente lors de la maladie de mon frère. Absente lors des obsèques. La pique lancée par Elliott me fait mal, et je baisse un peu les yeux. “Je…” dis-je, avant qu’Elliott continue de parler. Elle est vraiment vénère. En même temps, je m’attendais à quoi ? J’ai abusé et j’en ai conscience, si bien que là, je commence à ressentir de la colère moi aussi. De la colère contre moi-même et mon foutu comportement à la con. Pénélope m’avait prévenu : je reviens trop tard. C’était couru d’avance. Elliott évoque mes parents et je fronce mes sourcils. Ok, j’ai compris, elle n’est pas contente de me voir. Sans réfléchir, je lui lance simplement : “Ce n’est pas pour eux que je suis revenue.” J’entends déjà mon père s’énerver à m’entendre dire des choses pareilles. Ils m’ont supplié pendant longtemps de revenir, eux aussi, ne comprenant pas pourquoi j’étais partie si soudainement. Mais je n’ai jamais voulu. Ils n’ont pas à savoir que je suis de retour à Island Bay pour Elliott et non pas pour la famille, ils en souffriraient trop. “Écoute Elliott, je sais, j’ai abusé. J’ai pas vu les années passer. Onze ans ça passe vite.” Mensonge. Arrête de te foutre de sa gueule. Elles ont été les années les plus longues de ma vie. Bien-sûr que je les ai senti passer. Onze ans à recevoir sans cesse des messages de mes parents, d’Isaac. Puis des lettres -pas pendant onze ans, mais quand même- de la part d’Elliott. Ces foutues lettres auxquelles je n’ai jamais répondu, pas officiellement. Elliott a de quoi me détester et vouloir m’envoyer balader. “J’ai reçu tes lettres. Excuse-moi. J’aurai dû revenir avant.” Je baisse un peu les yeux, honteuse. Je déteste m’excuser, ce n’est pas dans mes habitudes, j’aime vraiment pas ça. Mais à un moment, faut assumer, et puis blouille. Malgré tout, je doute qu’Elliott me laisse lui expliquer quoi que ce soit. Je ne sais même pas si elle a réellement envie de comprendre pourquoi je ne suis jamais revenue. “On peut discuter. Je peux t’expliquer.” dis-je, en la regardant dans les yeux. Je suis sincère. Je ne suis pas là pour l’embêter, pas volontairement. J’ai juste besoin de réponses, autant qu’elle en a besoin, si elle était honnête dans ses lettres, elle aussi. La vie d’Elliott a l’air d’être un sacré bordel, en partie par ma faute.

Bien gentiment, je l'envoie voir ses parents : il faut croire qu'avec les années, j'ai appris qu'il était important de me protéger aussi et avec elle face à moi, j'ai bien peur de laisser mes anciens sentiments prendre le dessus à un moment ou à un autre. Pourtant, sans aucune hésitation, elle m'affirme que si elle est revenue, ce n'est pas pour eux et forcément, cette nouvelle a un peu de mal à passer. Si elle est devant ma porte aujourd'hui, si vite après son retour, je suppose qu'elle est ici pour moi, ou alors pour Mila, et dans les deux cas, j'ignore comment réagir. Dire que cela ne me fait pas plaisir serait mentir, mais en même temps, les choses ne peuvent pas être aussi simples, pas après onze ans d'absence. Et ça, pour le coup, je ne me prive pas de lui dire, un peu vulgairement même. Mais il semblerait qu'Ezra ait réponse à tout. Des réponses pas toujours censées, néanmoins. Car quand elle me dit que ces onze dernières années sont passées vite, au point même qu'elle ne les a pas vues passer, je ne peux m'empêcher de laisser échapper un rire nerveux d'entre mes lèvres. Elle se moque de moi en plus ? Comment est-ce que plus de dix ans d'une vie peuvent passer rapidement pour elle, alors qu'elles ont semblé durer une éternité pour moi ? Bref.. si je commence à m'énerver pour ce genre de détails, nous ne nous en sortirons pas. Je la laisse poursuivre et si je pensais que c'était déjà suffisamment douloureux de la voir face à moi, ce n'est finalement rien face à la révélation qu'elle me fait : elle a reçu mes lettres et pourtant, elle n'y a jamais donné suite. Je me suis trompée.. mes mots ne pouvaient pas arranger les choses. Pourquoi est-ce que ça serait différent aujourd’hui ? Il s’est passé tellement de choses depuis son départ, que finalement, des explications n’y changeraient rien. Ou alors, ça ne ferait plus de mal que de bien. Car selon moi, ça ne peut se finir que comme ça, sinon elle ne serait pas partie comme ça. « Qu’est-ce qu’il y a à expliquer ? Rien. Tu ne ressentais pas la même chose que moi, tu es partie et voilà. » Point barre. Il n’y a que ça pour justifier ce départ sans un mot et ce silence interminable. « Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tu n’es pas revenue pour lui ? » Me voir était peut-être trop compliqué, comme voir ce qu’était devenue notre amitié à cause de ce baiser, de cette nuit-là, mais elle s’est toujours bien entendu avec Isaac et du jour au lendemain, il en payait les frais. « Il n’a rien demandé dans cette histoire et tu es partie à des milliers de kilomètres de lui. Pire encore, quand il a vraiment eu besoin de toi, tu as fait comme si de rien était et tu l’as laissé seul ici. » Je n’ai jamais été mise au milieu de leurs échanges – s’il y en avait – alors j’ignore ce qui s’est dit. En réalité, je crois que son frère a voulu me préserver. Même s’il ne connaissait pas toute l’histoire, il savait que le manque d’Ezra était compliqué. Il était là, il a fait partie de ceux qui m’ont ramassé à la petite cuillère. « Il n’allait pas bien. Il avait besoin de toi. »

En entendant la brune me dire que nous ne ressentions pas la même chose à l’époque, je ne peux m’empêcher de soupirer un peu. Ce n’était pas vraiment ça. Bien sûr que je ressentais la même chose. Je n’ai simplement pas pu le dire. J’ai eu la trouille, sacrément la trouille. Aimer une femme, moi ? Et que penserait ma famille ? Mes parents ? Isaac ? Était-ce normal de ressentir des sentiments pour une personne du même sexe ? Pour sa meilleure amie ? Ces questions m’ont chamboulé et m’ont encouragé à prendre la fuite. Fuir cette situation compliquée que je ne voulais pas assumer… ou affronter. J’ai été lâche, c’est vrai. L’adolescence est difficile et pour le coup, je n’ai pas été très forte. “Ce n’est pas aussi simple que ça, Elliott. Je ne ressentais pas rien, c’est plus compliqué que ça.” dis-je, en soupirant. Je n’ai pas envie de lui livrer totalement ce que je ressens maintenant. J’ai des explications à donner à Elliott, mais ce n’est pas si simple que je le voulais. Cette rencontre, ces retrouvailles sont difficiles. Elle est en colère et j’ai du mal à me contenir moi aussi. Surtout lorsqu’elle me lance des piques. Après tout, elle a raison : je devrais aller voir ma famille plutôt que de me trouver sur son palier. Cette famille que j’ai abandonné, elle aussi, en même temps que la jeune femme. Je sais que mes parents en ont souffert, Isaac aussi. D’ailleurs, Elliott ne tarde pas à me le rappeler. Ses mots sont difficiles mais je sais qu’elle a raison : Isaac ne méritait pas ce que je lui ai fait endurer. Partir, sans retour, sans répondre à ses messages. Faire la morte, sans l’être. Refuser de venir le soutenir. Sans lui dire, ce qui est pire. Je m’en veux, la culpabilité est grande, mais c’est ainsi. “Je sais. J’ai été lâche, pas besoin de me le dire, j’ai compris.” Je souffle, ça m’énerve. Je n’ai pas envie de parler d’Isaac et encore moins de penser au fait que tout est fini entre lui et moi maintenant. Il a emporté mon silence dans sa tombe et je ne pourrai jamais lui expliquer pourquoi je suis partie. À lui, je ne peux pas, mais à Elliott, c’est possible et je pense que cela commence par des excuses. “S’il-te-plait Elliott, je ne te demande pas d’essayer de comprendre. Ça sert à rien. Ce qui est fait est fait.” Je hausse les épaules. “Je m’excuse, vraiment. J’ai été conne, si c’est ça que tu veux entendre. Je mérite même pas ton pardon, ni même celui d’Isaac s’il avait pu le faire. Mais je peux vraiment t’expliquer. On peut mettre la situation au clair, non ?” Je détourne un peu le regard. “Et puis, je pouvais pas savoir que ma meilleure pote avait des sentiments pour moi. Qu’on allait vivre ce qu’on a vécu. Merde Elliott, je sais que je suis coupable d’être partie, mais arrête de penser que tout est simple pour moi aussi.” Je soupire. J’abuse carrément, j’ai envie de me barrer en courant.

Elle ne ressentait pas rien. Elle ne ressentait pas rien ? Mais pourquoi était-elle partie sans rien dire, me laissant supposer que c’était de ma faute, que je lui avais fait peur, que je l’avais faite fuir. Et même après, pourquoi ce silence si ce n’était pas pour me briser le cœur ? Un peu malgré moi, de multiples questions de créent dans mon esprit, des questions où Ezra est la seule à avoir les réponses. Alors finalement, si je veux les obtenir, je crois que je vais devoir les écouter. Elle et son explication. « Pas ici. Pas aujourd’hui. » Pas sur le pas de la porte, avec une petite fille qui pourrait être en train d’écouter aux portes ou avec un mari qui pourrait revenir d’une minute à l’autre. Oui, ce n’est clairement pas le moment. « Ta niè.. » Je m’arrête brusquement, avant de me reprendre. « Mila est juste derrière. » Que ce soit pour l’une ou pour l’autre, il n’y a aucune relation. La petite fille ne sait même qui est cette femme d’ailleurs — la faute à qui — alors il est peut-être mieux d’attendre avant d’employer ce genre de mots. Ezra s’excuse, même si ce n’était peut-être pas nécessaire : avec les années, il y a prescription, non ? Loin de moi l'idée de la couper pour autant, je vais prendre ce qu'elle me donne et puis on verra bien. Elle évoque ensuite ses sentiments, ou plutôt les miens, qu'elle ne pensait pas connaître. C'était pourtant évident, selon moi. « J'avais des sentiments pour toi. T'embrasser, passer cette nuit avec toi, ça voulait vraiment dire quelque chose pour moi. Je pensais que c'était clair, avant que tu ne partes ou après, dans mes lettres. » Mais peut-être qu'elle ne les a pas lues, pas complètement. Je ne sais pas comment j'aurais pu être plus claire qu'avec les mots que j'ai utilisés dedans et puis, la durée sur laquelle j'ai pris la peine d'écrire et d'envoyer ce courrier montre aussi à quel point j'étais attachée à elle. Je me serais vite lassée sinon, passant à autre chose d'un simple revers de la main. « Tu devrais vraiment aller voir tes parents. » Dis-je, cette fois-ci sur un ton peut-être un peu moins dur. Je ne sais pas ce qu'ils savent, s'ils savent quelque chose même, mais je me dis que ça devrait leur faire plaisir de la revoir — même s'ils auraient sûrement aimé la voir un peu plus tôt, comme moi. « On se reverra une autre fois. » Parce que finalement, digérer son retour en ville n'est peut-être pas une si mauvaise idée. « Tu sais où me trouver. Tes parents savent comment me joindre sinon. » Techniquement, je n'ai pas changé de numéro de téléphone, donc elle devrait l'avoir. Et c'est sans parler des réseaux sociaux. Mais dans le pire des cas, je sais qu'elle trouvera un moyen pour me joindre et me dire où elle veut que l'on se voit et quand.

Elliott m’en voulait, et je m’en voulais à moi-même d’être partie. Cela n’avait pas été simple pour moi non plus, et je voulais que mon amie le comprenne. Après tout, fuir est parfois aussi difficile qu’affronter la réalité. J’ai des explications à lui donner, mais Elliott précise que ce n’est pas le bon moment pour le faire. Elle a raison, ma nièce – c’est étrange d’écrire cela, n’est pas loin et il vaut mieux que nous soyons seules pour cela. J'acquiesce de la tête avant qu’elle poursuivre à propos de ses sentiments. Nous étions adolescentes, et je dois bien avouer avoir eu du mal à comprendre ce qu’il se passait entre nous. Cela a l’air différent pour Elliott. Elle avait conscience de ses sentiments, alors que moi, je me voilais la face. “Oui. Tu as raison, nous en reparlerons à un autre moment.” Je soupire légèrement. Je ne vais pas faire la même erreur deux fois et fuir à nouveau. Et cette fois-ci, je préparerai un minimum mon discours pour éviter de dire des bêtises. La brune m’encourage à aller voir mes parents, en me précisant qu’en effet nous aurons une prochaine discussion. Mes parents savent comment la contacter. Malgré tout, je sais que je peux la contacter sur les réseaux sociaux et j’ai gardé son ancien numéro alors, avec un peu de chance, elle n’en a pas changé. Dans tous les cas, je préfère garder mes parents en dehors de tout cela. Ils n’ont pas à savoir que je souhaite avoir à nouveau des contacts avec Elliott. “Oui, ça marche. On se tient au courant. Merci Elliott, et désolée du dérangement.” Je lui offre un léger sourire, sincère cette fois-ci. “J’imagine que Mila ne sait pas qui je suis mais j’ai été heureuse de l’apercevoir.” Je ne sais pas trop quoi dire à ce propos, mais j’ai quand même été heureuse de la rencontrer. Il était temps. Malgré ma honte d’être partie, et même si je sais que le temps n’est pas rattrapable, je me sens prête à tenter d’assumer ma fuite. J’adresse un dernier sourire à Elliott avant de quitter son palier afin de rentrer chez moi. Le jetlag commence à piquer sévère, et il est temps pour moi de meubler cet appartement vide, au moins d’un lit histoire de me reposer. Une nouvelle vie m’attend maintenant.

fin du rp