merry christmas, everyone. (elliott #3)

Les fêtes de fin d’année sont arrivées à toute vitesse et je n’ai pas eu le temps de les voir venir. Mes retrouvailles avec Elliott, la rencontre avec Mila. Tout s’est passé rapidement, et me voilà désormais chez mes parents, en tenue festive pour fêter Chrismukkah. Lorsque nous étions enfants, avec Isaac, nous ne fêtions pas vraiment Noël. Ma famille étant de confession juive, nous fêtions plutôt Hanukkah mais mes parents ont fini par s’adapter aux coutumes culturelles et à fêter Noël. Après avoir discuté de ça avec ma mère, j’ai fini par comprendre qu’ils avaient arrêté de fêter les fêtes après mon départ aux États-Unis et que c’est l’arrivée de Mila dans la famille qui a fini par les réconcilier avec ces traditions. À l’occasion de mon retour, et de cette année un peu particulière, mes parents ont insisté pour inviter Elliott et Mila lors d’un repas tous ensemble. L’absence d’Isaac risque de se faire sentir, mais j’ai fini par accepter. De toute façon, Maman ne m’a pas vraiment laissé le choix. Ce jour est vite arrivé et je suis dans ma chambre d’ado, à finaliser les emballages cadeaux. Pour Elliott, j’ai choisi un livre sur les relations amoureuses et leur impact dans la vie quotidienne, et une bougie. C’est un livre que j’ai découvert aux États-Unis et que j’ai adoré, alors, j’imagine qu’il lui plaira aussi. Sous-entendu ou non, je n’oublie pas qu’elle est mariée -soit disant- mais j’imagine que ce livre lui plaira malgré tout. Pour Mila, le choix a été plus difficile. J’ai finalement décidé de créer un album photo avec des photographies d’Isaac et moi lorsque nous étions petits, puis des photos d’Elliott et moi… pour finir par des photos de Mila lorsqu’elle était bébé, que j’ai récupéré avec l’aide de ma mère. À côté de ça, j’ai trouvé malgré tout un jeu d’adresse et d'habileté qui lui plaira (type Perplexus), je l’espère. Après l’emballage, je remets une touche de rouge à lèvre assorti à ma robe rouge. Je suis prête, et un peu angoissée à l’idée de retrouver Elliott et Mila. Heureusement, Victor ne sera pas présent d’après les dires de ma mère, et tant mieux.

La sonnette de la porte d’entrée ne tarde pas à sonner et j’hurle à mes parents que je vais ouvrir. De toute façon, ils sont occupés à la cuisine à finir de préparer le repas. Je descends les escaliers à toute vitesse, dépose les cadeaux sous le sapin et me dirige vers la porte d’entrée. J’offre un immense sourire à mon amie et à ma nièce. “Hello ! Vous allez bien ?” Je souris à nouveau avant de me décaler sur le côté pour les laisser entrer. “Rentrez, ne restez pas dehors” Je laisse les deux rentrer avant de refermer la porte derrière elle, et me tourne vers Mila. Sa ressemblance avec Isaac est frappante à chaque fois que je la vois, c’est déstabilisant. “Si tu veux, Savta et Saba* sont dans la cuisine !” Je ne sais pas si la petite veut aller les voir seule, ou si nous devons l’accompagner. En fait, je ne sais pas quelles sont ses habitudes ici.


*En hébreu : Savta=Grand mère, Saba=Grand père

Il est arrivé, certaines années, que les fêtes avec la famille d’Isaac se fasse chez nous. Mais cette année, quand la mère de ce dernier a commencé à en parler, j’ai volontairement lancé l’idée de le faire chez eux : c’est plus grand et avec le retour d’Ezra en ville, je préfère éviter de l’avoir trop longtemps sous mon toit – ça voudrait dire vérifier que toutes les photographies de Victor et moi, jouant au couple parfait, sont à la bonne place et qu’il n’y a rien qui pourrait supposer que notre mariage est faux : autant dire, beaucoup de boulot. Et puis, si nous ne le faisions pas chez nous, cela évitait à mon mari de devoir faire acte de présence. Il les connaît et a déjà passé du temps avec eux, mais pour les fêtes de fin d’année, c’est un peu particulier : ça rend les choses beaucoup plus sérieuses. Par chance, son métier lui permet d’avoir des excuses facilement – surtout que nous ne sommes pas le vingt-cinq décembre – évitant ainsi d’éveiller les soupçons chez certains. Il faut aussi reconnaître que la responsabilité du repas en moins, ce n’est pas rien ! Je ne suis sûrement pas la plus à plaindre dans ce domaine, mais pour ce genre d’occasion, il faut toujours mettre les bouchées doubles et viser des plats qui se préparent sur plusieurs jours : quelque chose dont je n’ai pas l’énergie ou le temps. Ce fut déjà assez de tracas pour savoir ce que nous nous ferions à trois, pour le réveillon, alors pour toute une famille, je n’ose même pas imaginer ! Et puis, sans parler de la nourriture, il y a tout ce qui tourne autour des cadeaux.. un vrai casse-tête depuis que Mila ne croit plus au Père-Noël – à croire que ses attentes étaient moins élevées avant. Ou alors, peut-être qu’à travers de tout cela, je me cherche simplement des excuses pour ne pas voir que la présence d’Ezra a un certain effet sur moi. Nous nous sommes revues plusieurs fois depuis son retour, mais ce n’était jamais comme ça. Pas dans un endroit qu’elle connaît plutôt bien, un endroit où nous étions amies et même un peu plus que ça. Après avoir enfilé un tailleur bordeaux et avoir passé quelques minutes dans la salle de bain pour me préparer, je presse un peu Mila pour qu’elle soit prête aussi. Par miracle, nous arrivons à l’heure chez mes anciens beaux-parents, plusieurs cadeaux sous les bras. « Bonjour Ezra. » Je suis quelque peu surprise de la voir derrière la porte. Je m’attendais plutôt à trouver sa mère, avec un tablier autour de la taille. Mais non.. et en plus d’être surprise, voilà que je reste bouche-bée lorsque mes yeux se posent sur la tenue de la jeune femme. « Je vais aller les voir. » Je secoue légèrement la tête, alors que je reviens à la réalité quand Mila prend la parole. « N’en profite pas pour grignoter ! » Je ne peux pas m’empêcher de jouer à la mère poule, mais je sais bien que cette phrase est rentrée par une oreille et ressortie aussi vite de l’autre. « J’ai apporté ça pour eux. Je ne sais jamais quoi prendre, Isaac était toujours celui qui s’occupait de ça et il était plutôt doué. » Dis-je, alors que je présente un panier rempli de produits artisanaux du coin. « J’ai aussi amené du vin. Victor m’a conseillé sur le choix de la bouteille. » J’aurais pu choisir par moi-même, mais il n’y a aucun doute sur le fait que le brun s’y connaît bien mieux que moi dans ce domaine. Ce n’est d’ailleurs pas l’alcool que je préfère boire quand j’ai l’occasion de le faire – ça n’aide sûrement pas.

La situation est un peu étrange pour les fêtes. Elliott et Mila seront présents ce midi pour un grand repas à la maison, et je ne peux m’empêcher d’appréhender un peu. Dans un monde parallèle, j’aurai dû arriver moi, au bras d’Elliott, et non pas être en train lui ouvrir la porte pour l’accueillir avec sa fille – ma nièce, la savoir veuve de mon frère et maintenant mariée à un autre. Tout ça est de ma faute, après tout, c’est moi qui suis partie. La situation est quand même carrément bizarre, mais j’essaie de ne plus y penser. J’offre un immense sourire à la jeune femme et à ma nièce avant de les faire rentrer dans la maison. Ma mère est dans la cuisine, tablier bien accroché, à préparer les derniers aliments de l’immense repas qu’elle a prévu. Mon père la supporte et je l’admire pour ça : maman a toujours été du genre à prévoir gros et grand pour les grands repas, et je n’en attendais pas moins d’elle pour ce jour si particulier. J’espère même au fond qu’Elliott a prévu des tupperwares, car sinon, je vais être obligée de revenir manger ici pendant des jours voire même des semaines. J’indique à la petite fille que ses grands-parents sont dans la cuisine, si elle souhaite y aller. Mila ne tarde pas à y courir et je souris en entendant sa mère la prévenir de ne pas faire la gourmande. Si elle tient d’Isaac ou pire, de moi, c’est plutôt mal parti. Nous voilà maintenant seules et je tourne la tête vers la jeune femme qui me présente le cadeau pour mes parents, un panier garni. Je souris face à ce choix. Papa et maman ont toujours aimé les bons produits, encore plus quand ils sont locaux, et je sais que ce présent va les ravir. Même si Isaac n’a pas pu l’aider cette année, la jeune femme s’est très bien débrouillée et mon frère n’aurait sans doute pas pu faire mieux. Elliott n’était même pas obligée d’offrir quelque chose, elle doit le savoir, mais son attention me touche, malgré tout. Elle fait partie de la famille, réellement maintenant, et ça a toujours été le cas. “C’est une super bonne idée, ils vont être vraiment contents.” Je lui souris à nouveau avant d’hocher la tête en entendant ses paroles sur le vin. Elle me parle de Victor, et je fronce un peu les sourcils. Qu’est-ce qu’il me prend ? J’hausse les épaules, le vin est une bonne idée et son mari a dû choisir une bonne bouteille, mais j’ai l’impression d’être un peu jalouse. N’importe quoi. “Ah c’est cool. C’est dommage qu’il ne soit pas là.” Je souris avant de lui indiquer de me suivre jusqu’au salon où la table est déjà dressée et les cadeaux, installés au pied du sapin. Je me tourne vers la jeune femme pour admirer à nouveau son tailleur bordeaux. Cette couleur lui va bien, même très bien. “Il te va bien ce tailleur. T’es belle.” Je fronce à nouveau les sourcils et me racle un peu la gorge pour tenter d’enterrer ce compliment un peu étrange. Dans une autre vie, ça aurait pu passer, mais là, n’importe quoi. “Ça va sinon ? On peut aller voir mes parents et Mila dans la cuisine, mais bon, je te déconseille, maman est du genre vénère si on est trop nombreux, ça va la stresser.” Je ris un peu. “Enfin, fais comme chez toi, tu connais la maison. D’ailleurs, ma chambre n’a pas changé, c’est dingue. Elle est plus grande que celle d’Isaac, je pensais qu’il aurait voulu la récupérer ou l’offrir à Mila.” Je soupire un peu. Ma chambre d’ado. Elle n’a vraiment pas changé, les posters sont toujours accrochés sur le mur, c’est la même parure de drap – que ma mère a lavé plusieurs fois, bien-sûr, les mêmes photos dans les tableaux. Comme si le temps s’était arrêté dans la pièce.

Pour sauver notre peau, à Victor et moi, mentir est devenu une habitude face à certaines personnes. Ce n’est néanmoins pas toujours simple avec tout le monde, notamment avec Ezra. Nous avons beau avoir été séparées durant plusieurs années – de nombreuses années – j’ai toujours l’impression qu’elle arrive à lire en moi comme dans un livre ouvert. C’est déstabilisant et assez énervant pour être honnête. Comment est-ce que ça se fait que, malgré le temps et la distance, elle me fasse encore cet effet ? Le premier amour est toujours particulier, je le sais, mais à partir d’un moment, il faut savoir passer à autre chose. « Il avait un gros chantier. Malheureusement. » Dis-je, alors qu’elle évoque l’absence de mon mari. Pour du boulot, surtout que nous ne roulons pas sur l’or, personne ne viendrait s’imaginer que c’est seulement une excuse. Après cet échange, nous quittons l’entrée pour rejoindre la pièce de vie. Je viens déposer les quelques cadeaux que j’ai au pied du sapin, avec les autres. « Merci, c’est gentil. » Je ne peux m’empêcher de rougir un peu face à ce compliment. Elliott.. respire. Je m’exécute – tout en essayant d’être un minimum discrète, il serait quand même dommage que la jeune femme comprenne que ses mots agissent sur moi, quels qu’ils soient. « Tu es très jolie aussi. » Mon regard accroche le sien et quand je remarque que mon cœur commence à s’accélérer, je décide de reporter mon attention sur le sol. Par chance, la jeune femme décide de changer rapidement de sujet et me demande ce que je souhaite faire. Aller voir le reste des invités à la cuisine, au risque de stresser et d’énerver légèrement sa mère ? Certainement pas. « Je ne m’y risquerais pas alors, je préfère rester dans ses bonnes grâces. » Dis-je, avant de sourire. Je me suis toujours bien entendue avec madame Stewart, il serait dommage que ça change – le fait que je lui ai donné sa première et unique petite fille, pour l'instant, aide sûrement. « Est-ce qu'il y a encore toutes les photos ? » Dis-je, alors qu'elle évoque sa chambre d'adolescente, après m'avoir invitée à faire comme chez moi. Je ne sais pas exactement ce que ça me ferait de les revoir, mais si elle dit que sa chambre est restée inchangée, malgré les années, alors elles doivent sûrement y être. « Je m'en souviens bien, on y passait beaucoup de temps. » Un peu nostalgique, un nouveau sourire se dessine sur mes lèvres. C'était agréable. C'était une belle époque. « Nous pouvons aller y faire un tour, si tu veux. » À la seconde qui suit ces propos, je regrette de les avoir dit. Est-ce vraiment une bonne idée ? Surtout si nous y sommes seules ? En réalité, il est déjà trop tard pour faire marche arrière, puisque la brune accepte et nous montons toutes les deux à l'étage. La porte poussée, je reconnais parfaitement la pièce. Comme elle l'a dit, rien n'a changé. Presque automatiquement, l'une de mes mains vient glisser sur l'un des meubles. « Mila aurait sûrement adoré dormir ici, mais ton frère lui a toujours bien vendu sa chambre. Ça lui faisait plaisir qu'elle suive ses pas. Il avait sûrement peur qu'elle te préfère.. » Pas littéralement, puisque Mila ne la connaissait même pas. Et puis, Isaac n'a jamais été du genre à être jaloux de quelqu'un, encore moins de sa sœur. Pourtant, s'il avait vraiment tenu à notre relation, alors peut-être qu'il aurait dû : si ça n'a pas fonctionné entre nous, c'est bien parce qu'il y avait Ezra. Si loin et pourtant si proche.. dans ma tête, au creux de mon cœur, toujours là à me hanter, alors qu'elle apprenait à vivre à des milliers de kilomètres d'ici.

Elliott a toujours été apprécié par mes parents. Elle doit l’être encore plus depuis que Mila est née, il faut dire qu’elle est la première petite fille de mes parents et qu’elle restera sans doute la seule. Je ne sais pas encore si j’aurai des enfants un jour, mais c’est moins certain que si Isaac était encore là. Elliott aura peut-être d’autres enfants, avec Victor, mais je préfère ne pas y songer. Il n’est même pas là ce soir et sa femme justifie son absence par un gros chantier, et je la crois sur parole. De toute façon, pour quelle autre raison il ne voudrait pas être présent ? Je n’ai pas envie de parler de son mari et je change rapidement de sujet pour offrir un compliment à la jeune femme. Elle est belle, dans son tailleur bordeaux, et dans un autre monde, j'aurais carrément pu la charmer. Mais elle est mariée. Elliott m’offre un compliment à son tour et mon cœur se met à battre la chamade. Un peu trop d’ailleurs. “Merci.” dis-je, simplement, avant de changer à nouveau de sujet pour lui demander ce qu’elle souhaite faire maintenant. Nous pourrions aller voir mes parents et Mila dans la cuisine, mais c’est une mauvaise idée et je le fais comprendre à mon amie. Je ris un peu face à sa réaction puis le sujet dévie sur ma chambre d’adolescence. “Ouais, elles sont encore toutes là. Comme la dernière fois.” J’offre un sourire un peu charmeur à la jeune femme. La dernière fois que nous nous sommes retrouvées dans cette chambre d’ado, nous avons vécu notre première fois. Un acte intense, qui a encouragé ma fuite, mais qui reste sans doute l’un des plus beaux de ma vie. Nous décidons d’aller faire un tour dans ma chambre et prenons la direction de cette dernière. J’ai un peu la boule au ventre, c’est étrange. Comme si j’étais à nouveau une adolescente. Je pousse la porte de ma chambre et mon cœur manque un battement. Ça me le fait à chaque fois que j’entre dans cette pièce depuis mon retour. J’aurai pu retirer les posters, les photos, changer des choses, mais je suis comme paralysée. Et puis, c’était une belle époque, malgré tout. J’avance un peu dans la pièce avant de me tourner vers Elliott. Celle-ci affirme qu’Isaac préférait que Mila dorme dans sa chambre, peut-être de peur qu’elle me préfère. Je fronce un peu les sourcils. C’est peu probable, Isaac n’a jamais été jaloux, c’était même plutôt l’inverse. “Ou alors, il avait peur qu’elle fasse les mêmes conneries que moi.” Je souris légèrement, amusée. Je n’ai pas toujours été très sage dans la vie, il faut bien l’avouer. Personne ne souhaiterait ça pour son enfant. Je n’ai pas fait d’énormes bêtises, sauf peut-être fuir ma famille et mes sentiments. Être adolescente n’est pas facile, Elliott le sait et le découvrira peut-être avec Mila. La petite a l’air d’avoir un fort caractère malgré tout, et avec des parents comme Elliott et Isaac, j’ai hâte de voir la suite. “Il s’en est passé des choses ici.” dis-je avant de m’asseoir sur mon ancien lit. Une vague de frisson parcourt mon corps et je soupire un petit peu. C’était certes, une belle époque, mais une époque tout aussi compliquée. Affronter mes sentiments, ne pas en avoir peur… et puis fuir. “Je n’ai jamais regretté, tu sais. C’était une bonne chose. Je suis contente de l’avoir vécu avec toi. J'y pense, souvent.” Je lève les yeux vers la jeune femme. Je me livre à elle, doucement. Sans trop rentrer dans les détails, j'aimerais qu’elle ne m’en veuille plus trop d’être partie. Qu’elle comprenne, et qu’on puisse en discuter librement, sans que la rancœur s’invite entre nous. Mon regard se perd un peu dans le sien, j’ai un peu chaud, mais j’ai du mal à savoir si c’est à cause du fait d’y repenser, ou si c’est pour une autre raison. Peu importe, de toute façon. Elliott est mariée, et il ne se passera plus jamais rien entre nous, jusqu’à preuve du contraire.

Ils sont déjà bien occupés et suffisamment nombreux en cuisine, alors il est inutile pour nous de nous y rajouter. Mais que pourrions-nous bien faire en attendant que tout soit prêt et que nous levions tous nos verres à l'occasion de ce repas ? Les choix sont divers et variés, quoique pas si variés que ça puisque nous nous retrouverons sûrement à parler un peu dans tous les cas, peu importe l'endroit où nous allons. Je dois quand même reconnaître que choisir sa chambre, comme premier choix, n'est peut-être pas la meilleure des idées que j'ai pu avoir ces dernières années. Malheureusement, il est maintenant trop tard pour faire marche-arrière.. et puis, finalement, n'est-ce pas le meilleur moyen pour se dire que c'est désormais quelque chose qui fait partie du passé ? Nous verrons bien. Arrivés à l'étage, les souvenirs ne tardent pas à refaire surface et je me retrouve bien moins forte que ce que je l'avais imaginé. Lorsqu'elle évoque le choix de chambre de Mila, quand elle a l'occasion de dormir ici, je ne peux m'empêcher de relever qu'Isaac l'a influencé. Il a toujours apprécié qu'elle soit une fille à papa, mais Ezra semble avoir un avis différent sur la question. Les mêmes conneries ? On ne peut pas vraiment dire que la jeune femme était une enfant et une adolescente à problème. Il lui arrivait de faire des bêtises, ici et là, de temps en temps, mais rien qui ne lui aurait valu un chapeau de cancre et une nuit au poste de police – ou alors je n'en ai pas connaissance. « Tu vivais, il aimait ça. » Elle est partie, sans prendre le temps de revenir pour le voir, même lorsqu'il était malade et malgré cela, Isaac a toujours aimé sa sœur, d'une façon qu'il est difficile de comprendre quand on ne l'a pas soi-même dans son entourage. Par chance, avec la relation que j’entretiens avec Sienna, j’ai souvent réussi à me mettre au niveau de son point de vue et ainsi éviter de lui demander de tirer un trait sur sa sœur, même si cela aurait certainement été préférable pour ses derniers moments de vie. Pour en revenir au présent, tout semble avoir été figé ici. C’est comme revenir dans une chambre que je connais par cœur, où j’ai passé de nombreux bons moments – un en particulier. Alors forcément, quand elle évoque le fait qu’il se soit passé des choses ici, je ne peux m’empêcher de hocher la tête en signe d’approbation. Je n’ose même plus la regarder, car si je le fais, je comprendrais rapidement que nous pensons à la même chose, à cette nuit passée ensemble, cette nuit-là qui a entraîné sa fuite. Si je préférerais éviter d’aborder ce sujet, ce ne semble pas être le cas d’Ezra. « Moi non plus. » Dis-je, presque timidement, alors qu’elle m’avoue ne jamais avoir regretté. Son départ ne donnait pas vraiment cette impression à l’époque. Mais depuis, j’ai appris qu’elle l’avait fait pour d’autres raisons, donc.. « Je n’aurais pas dit non à l’idée de réitérer l’expérience, d’ailleurs. » Là, c’est peut-être la phrase de trop, mais tant pis. « À l’époque. » J’ajoute cette nuance assez rapidement, histoire d’éviter que tout cela ne devienne trop bizarre. Mais est-ce vraiment vrai ? Est-ce seulement une envie de l’époque ? Il ne serait pas raisonnable de se poser la question. « Personne de cette maison n’a jamais su ce qui s’était passé ici. » Ce soir-là, ils n’étaient pas là. Ses parents étaient sortis tous les deux, si je ne me trompe pas, et Isaac était avec des amis. Sans ça, peut-être que ça ne se serait pas passé. « Est-ce qu’ils sont au courant pour toi ? » À son retour en ville, ils ignoraient encore qu’elle aimait les femmes. Mais depuis, peut-être qu’elle a sauté le pas et a fait son coming-out.

Je n’ai jamais été une enfant ni une adolescente à problème. Je faisais des bêtises, comme tout le monde, mais je n’ai jamais été du genre rebelle, à fuguer ou à être exclue de ma scolarité. Il est vrai que mes parents ont eu de la chance me concernant, tout comme avec Isaac d’ailleurs. Finalement, ma seule grosse bêtise, ou plutôt erreur, a été d’abandonner ma famille et de m’enfuir à l’autre bout du monde. C’est à cela que je fais allusion lorsque j’évoque l’éducation qu’Isaac veut donner à Mila… Elliott semble le comprendre et je souris à sa réponse. Je vivais, c’est vrai. Profiter de la vie au présent, c’était ma devise et mon leitmotiv. Peut-être même un peu trop. Maintenant, tout est différent, je vis dans le passé et d’être dans cette chambre me le confirme. Tout a changé lors de ma dernière nuit dans cette chambre, avec Elliott. Un baiser, puis un deuxième et puis une nuit d’amour qu’il est impossible d’oublier. Cette même nuit, sans doute l’une des meilleures de ma vie, qui m’a encouragé à fuir mes sentiments. Malgré tout, je suis heureuse que ça se soit passé et je ne peux m’empêcher de le dire à la jeune femme. Elliott doit savoir que je veux aller de l’avant, que ce moment ne doit plus être tabou et qu’il appartient au passé. J’ai besoin de revenir dans le présent et retrouver ma joie de vivre qu’aimait tant Isaac. La réponse de la jeune femme me surprend un peu. Est-ce une proposition ? L’entendre dire ces mots me fait sourire, niaisement et je tourne un peu la tête vers la fenêtre pour qu’elle ne le voit pas. Nous ne revivrons jamais ce que nous avons vécu, elle est mariée maintenant… “Je ne dirais pas non, non plus.” Volontairement, je laisse un léger suspens après ma réponse. Je n’aurai pas dit non pour recommencer autrefois, ni même là, maintenant, en réalité. Elliott est une belle femme, toujours aussi attirante qu’autrefois, et il est difficile de lui résister. Malgré tout, nous n’en sommes pas là, pas du tout. “Mais tu es mariée. J’ai loupé ma chance, tant pis pour moi.” Je lâche un léger rire nerveux avant d’écouter la suite des paroles d’Elliott. Cette nuit d’amour est restée secrète, nous sommes les seules à en connaître l’existence. À l’exception de Penelope, mon ancienne colocataire, mais là n’est pas la question. Je me contente d'hocher la tête puis de soupirer lorsqu’elle évoque mon potentiel coming out à ma famille. “En effet, ils sont au courant.” Je soupire à nouveau. L’annonce n’a pas été aussi simple que j'aurais pu l’imaginer. “Mon père m’a dit que je voulais attirer l’attention et que je l’avais déjà fait assez en partant pendant plus de dix ans.” Mon père est ouvert d’esprit, mais sur ce sujet-là, sa sévérité m’a surpris. Je ne m’attendais pas à cette réaction de sa part. Quant à ma mère… “Maman a pleuré… mais m’a dit qu’elle préférait avoir un fils décédé plutôt que ce genre de nouvelles mais qu'elle n'avait pas le choix, alors, je ne sais pas trop comment le prendre.” Je baisse un peu les yeux. C’est encore un peu douloureux… “J’en ai pas reparlé avec eux depuis et ils n’abordent pas le sujet alors je verrai.” Je hausse les épaules. “Ce n’est pas pour eux que je suis revenue.” Je lève les yeux vers Elliott. J’adore mes parents, je m’entendais bien avec eux mais malgré tout, ça n’a pas suffit à mon retour antérieur. La seule raison de ma présence ici est en face de moi, et elle ne doit pas l’oublier.

Faire des gaffes, je suis capable d’en faire à la pelle. Avant, auprès d’Ezra, ce n’était pas vraiment dérangeant puisque nous plaisantions de tout. Mais maintenant, c’est un peu différent.. puisque même si nous affirmons le contraire, depuis cette nuit-là et son départ précipité, les choses ont forcément changé. Pour être un minimum raisonnable, il aurait sûrement été mieux de ne pas venir ici, dans cette chambre où les souvenirs sont nombreux, et de ne pas parler de l’envie que j’avais d’aller plus loin avec elle. Que j’avais seulement, n’est-ce pas ? Ce serait trop compliqué aujourd’hui et puis, là, on serait loin du raisonnable. Et si elle part de nouveau ? Certaines personnes ont déjà dû me ramasser à la petite cuillère il y a des années, ce serait dommage de recommencer. Pourtant, quand elle évoque le fait que l’idée de remettre cela ne la dérangerait pas, mon cœur s’emballe légèrement. Tant d’années a essayé d’oublier pour finalement retomber bien bas en quelques battements de cils.. Mais comme elle le dit, je suis mariée aujourd’hui et nous sommes passées à côté de l’occasion. Il faut dire que si elle était restée dans le coin, les choses auraient sûrement été différentes. Ou peut-être pas.. après tout, nous ne le saurons jamais. Pour éviter d’aller sur des chemins que je ne maîtrise pas, je décide de changer de sujet – même si on sait très bien que ça reviendra sûrement très vite : même si ce fut court, ce qui s’est passé entre nous était intense et ça ne pourra jamais être effacé. Je lui demande comment les choses ont évolué depuis son retour en ville, si elle a eu le courage d’aborder sa sexualité avec ses parents. Visiblement, oui. Mais les choses ne se sont pas passées comme je m’y attendais et sûrement pas comme elle l’espérait – même si le fait qu’elle prenne la fuite à la fin de son adolescence laissait peut-être penser qu’elle ne serait pas acceptée si elle restait ici. « Je suis désolée.. j’aurais préféré que les choses se passent autrement. » Que les choses se passent comme avec moi, comme une lettre à la poste. C’est à peine si ma mère a pris le temps de s’installer pour m’écouter quand je lui ai annoncé. Elle a souri, rigolé un peu et puis elle est repartie à ses occupations, comme si je venais seulement de lui annoncer les courses que je venais de faire. Au fond de moi, je savais qu’elle réagirait comme ça, c’est sûrement pour cela que je n’ai pas cherché à trop tourner autour du pot quand j’ai compris que j’étais bisexuelle. « Laisse-leur peut-être un peu de temps. » Maintenant, elle est leur seul enfant, alors peut-être qu’ils changeront d’avis, qu’ils seront un peu plus ouverts quand l’information aura été digérée. Ça ne devrait pas en arriver là, mais c’est sûrement mieux d’attendre que de se dire qu’ils tourneront le dos à leur fille tant qu’ils le pourront et qu’ils éviteront le sujet jusqu’à ce que, peut-être, elle change d’avis. Même si pour l’instant, éviter le sujet semble être l’option choisie. Les fêtes passées, les choses s’apaiseront peut-être naturellement. Je lui souhaite. Pourtant, à entendre sa dernière phrase, je comprends sans trop de mal qu’elle n’est pas revenue ici pour avoir l’approbation de ses parents. Je me racle la gorge et pose mon regard dans le sien. « Qu’est-ce que tu es vraiment venue chercher ici ? En revenant. » Mon pardon, déjà. Mais est-ce qu’elle a une autre idée derrière la tête ? Après quelques bruits dans les escaliers, une petite tête brune débarque dans la chambre. « C’est prêt ! À table ! » Sauvée par le gong ? Peut-être.

C’est étrange de se remémorer ensemble les choses qui se sont passées dans cette chambre. Elle, moi, et puis ce moment fatidique. Notre première fois commune, un moment que je ne peux pas oublier et qui a chamboulé mon existence entière. La raison de ma fuite, mais aussi la raison de mon retour. C’est étrange de me dire que Elliott est désormais mariée, et que ce moment restera dans le passé. Je n’aurai pas dit non à l’idée de recommencer, et je ne peux m’empêcher de le dire à la jeune femme. Malgré tout, sa situation actuelle rend la chose impossible. Finalement, ce n’est peut-être pas plus mal. Peut-être que nous n’étions pas compatibles ensemble. Je n’en sais rien, en tout cas, ni elle ni moi n'avons envie de continuer sur le sujet alors la conversation change pour évoquer mon coming out à mes parents. Il est très récent, et je lui explique les difficultés que j’ai rencontré. Elle s’excuse et je me contente de hausser les épaules. Ce qui est fait et fait, je suis qui je suis et n’importe ce qu’il se passera, je suis prête à l’assumer désormais. Mes parents finiront bien par l’accepter. S’ils étaient contre, je ne serais pas ici aujourd’hui, c’est sûr. Malgré tout, ils sont ouverts, ils ont sans doute besoin de temps pour accepter l’idée, et c’est ce que me confirme Elliott. “Oui, certainement. Je verrai bien, je ne me mets pas la pression.” Je lui offre un léger sourire. Quand Elliott me demande ce que je suis vraiment venue chercher ici en revenant, mon sourire s’estompe peu à peu tandis que mon cœur s’affole. Au fond, elle a raison, elle doit bien se douter que je ne suis pas seulement revenue parce que j’en avais envie. Mais que répondre ? Je ne sais même pas moi-même. Je suis venue pour elle, sans doute pour retrouver ce que j’avais laissé ici. Peut-être pour tenter de commencer une histoire avec elle. L’attirance envers Elliott est toujours présente, même si j’ai du mal à me l’avouer. Mais tout cela est impossible, à la fois à faire mais surtout à dire. Elle est mariée, dix ans ont passé et elle ne doit certainement pas ressentir la même chose que moi. Volontairement, je croise son regard, tentant de lui faire comprendre ce que je ressens. Heureusement, Mila termine par arriver dans la chambre en précisant que le dîner est prêt. Sauvée par le gong. Ouf. “Ah, super ! On arrive alors !” J’offre un sourire à Mila et relève ma tête vers Elliott, avec un léger sourire, un peu crispée. Je ne lui adresse aucun mot et me contente de suivre la petite fille jusqu’à la salle à manger où nous attendent mes parents, installés à table. Ma mère indique à Mila et à Elliott leur place, et commence à servir le repas. “Merci maman, c’est super bon.” dis-je en prenant une première bouchée de l’entrée. “Qu’est-ce que vous faisiez là-haut vous deux ?” demande ma mère. Elle me regarde, puis regarde Elliott en fronçant les sourcils. J’espère qu’elle ne s’imagine rien. Je me contente de soupirer un peu. “On discutait, de souvenirs d’ado. Ma chambre n’a pas changé alors Elliott voulait voir ça.” J’hausse les épaules. La question d’Elliott tourne en boucle dans ma tête, ce n’est pas simple de penser à autre chose.

Si dans cette chambre, j’espérais avoir une réponse, à je-ne-sais-trop quoi pour être honnête, c’est raté. À ma question, concernant la raison de son retour ici – la raison exacte, Ezra reste longuement silencieuse. Et finalement, à trop attendre, Mila fini par débarquant, privant un ou plusieurs mots de sortir de la bouche de sa tante. Et merde.. Mais peut-être que c’est mieux comme ça. Elle n’avait encore rien dit que je m’imaginais déjà des choses. Mon cœur s’est mis à battre la chamade, pendue à ses lèvres, perdue dans son regard, je me revois des années en arrière, lorsque j’étais prête à décrocher la lune pour elle. C’est bien pour cette raison que le retour à la réalité n’est pas une si mauvaise chose et le fait qu’elle ne m’ait pas donné de réponse non plus, cela évitera de partir dans des conversations trop profondes, à faire des hypothèses sur des choses qui n’arriveront sûrement jamais. Précédées par la petite fille, nous quittons la chambre d’adolescente d’Ezra et rejoignons la table où sont déjà installés ses parents. Laisser ces dernières minutes là-haut, comme si elles n’avaient jamais existé, c’est sûrement mieux. Malheureusement, Sara ne semble pas forcément de cet avis, puisque après avoir servi tout le monde, elle s’intéresse à ce que nous faisions seules. Sa fille prend les devants et donne une première réponse, avant que je n’enchaîne. « J’ai l’impression que c’était hier et pourtant, quand je vois Mila, je me dis que de l’eau est passée sous les ponts. » Avec une fille de dix ans, il est facile de prendre un peu d’âge. « Merci pour le repas, c’est vraiment délicieux. Ça l’est toujours de toute façon. » Dis-je, un large sourire sur les lèvres, après avoir pris plusieurs bouchées du repas, préparé avec beaucoup d’amour. « C’est la moindre des choses, c’est un plaisir de vous recevoir. Isaac aurait adoré être ici aujourd’hui. » Un silence s’installe presque naturellement à l’évocation de ce prénom. Ça fait désormais plus d’un an qu’il est parti et pourtant, le manque de sa présence se fait toujours ressentir – cela a d’ailleurs longtemps été compliqué pour Mila d’accepter la situation. Il était gentil, drôle et tout le monde l’appréciait. Alors forcément, le perdre comme ça, aussi jeune, c’est toujours difficile à accepter. « Est-ce que tu dors encore dans ta chambre, maintenant que tu es revenue ? » S’il y a bien quelqu’un qui pouvait rompre ce silence, c’est bien elle. Quand on est jeune, on n’a pas forcément conscience de ce que cela veut dire – pourtant sans un mot. Mais pour le coup, j’aurais sûrement préféré qu’elle le fasse d’une autre façon. D’ailleurs, je ne me prive pas pour lui lancer un regard gris – noir, mais pas trop quand même. Il faut croire qu’être indiscrète, ça peut finalement se transmettre de génération en génération.. peut-être que c’est sa façon à elle d’en apprendre un peu plus sur sa tante, malgré les années passées loin l’une de l’autre, où les récits de son père étaient les seules choses qu’elle pouvait avoir d’elle. Sentant que ce n’était peut-être pas la question à poser, la petite fille se reprend. « Quand est-ce qu’on ouvre les cadeaux ? » Indiscrète et impatiente, super.. après, comme son assiette est vide, ça se comprend.

Finalement, je suis heureuse que nous soyons interrompues par Mila. Cette petite fille vient presque de me sauver la vie. Qu’aurais-je pu répondre à la question d’Elliott ? Dire la vérité et mettre un froid entre nous ? L’embrasser et prendre le risque de me faire abandonner à mon tour ? Je n’en sais rien, et je n’ai pas trop envie de le savoir. Nous ne nous éternisons pas dans cette chambre forte en souvenir et rejoignons mes parents et Mila à table. Il y a une tonne de choses à manger, cela ne me surprend pas vraiment. Ma mère adore recevoir et met toujours les petits plats dans les géants. Très vite, ma mère ne tarde pas à nous interroger sur ce que nous faisions dans ma chambre. Je prends les devants et Elliott surenchérit après moi. Ma mère n’a pas besoin de savoir les détails – elle n’aura jamais à savoir ce qu’il s’est réellement passé dans cette chambre. Elliott tente de changer un peu de sujet et lorsque ma mère évoque Isaac, je ne peux m’empêcher de baisser la tête pour cacher ma peine. Il aurait adoré être ici, avec nous. Me savoir de retour, assumer – enfin, essayer, mon rôle de tante. Malheureusement, ce n’est pas le cas et il restera à jamais déçu de sa sœur et de mon comportement stupide. Très vite, je sens mes yeux se remplir de larmes et je tente d’être discrète pour les ravaler au plus profond de moi-même. Qu’est-ce qu’il m’arrive, enfin ? Le silence à table n’aide pas vraiment. Heureusement, encore une fois, Mila le rompt pour s’adresser à moi. La fin de sa phrase me fait sourire, elle a visiblement bien compris la situation. Je me râcle la gorge et relève la tête vers elle en souriant. “Non, je n’habite plus ici. J’ai ma maison à moi maintenant, et une nouvelle chambre, encore plus grande !” Je souris un peu. Je pourrai lui proposer de dormir dans ma chambre ici, maintenant, mais à y penser, ça serait un peu étrange. Finalement, cette chambre est bien comme elle est, vu ce qu’il s’y est passé. “Si tu veux, tu pourras venir voir ma nouvelle chambre avec maman.” dis-je en souriant. Une invitation dissimulée, tout-à-fait. Après tout, de l’eau a coulé sous les ponts et ça ne sert à rien de faire semblant. J’ai envie d’aller de l’avant et Mila est ma nièce après tout. Ça me ferait plaisir d’en savoir davantage sur elle, d’apprendre à la connaître et tisser une relation avec elle. Je ne suis pas trop douée avec les enfants, mais Mila n’a pas l’air très difficile à gérer. Elle me ressemble pas mal quand j’étais gosse, ça aide. Cette dernière ne tarde pas à réclamer les cadeaux et je lance un immense sourire. “Ah ouais ! Très bonne idée Mila, on peut commencer ?!” Je tourne le regard vers ma mère qui acquiesce en hochant la tête. Je me lève afin d’aller récupérer les cadeaux que j’ai emballé, et donne ceux à Mila, puis ceux à Elliott. “J’espère que ça vous plaira.” Je souris à nouveau. J’ai hâte de voir la réaction d’Elliott, face au livre ; puis celle de Mila avec l’album photo. J’espère ne pas me tromper, mais ça devrait leur plaire, enfin, je crois.

Finalement, à bien y réfléchir, il y a tous les ingrédients pour que ce repas ressemble à un repas de Noël classique. Chez beaucoup de personnes, c’est au moment où toute la famille est réunie qu’il y a les plus grosses histoires. Bien sûr, ici, chez mes anciens beaux-parents, avec Mila, ce n’est pas ce que je souhaite, mais avec ce court épisode dans la chambre d’Ezra – sans vraiment être sûre de ce que c’était – je me dis que ce n’est pas complètement impossible. Et puis, lorsque Sara commence à parler d’Isaac, je me dis que ça continue sur cette lancée, même si ses intentions ne sont pas mauvaises : son fils lui manque et elle aurait aimé pouvoir passer plus de temps, plus de Noël, avec lui. L’intervention de Mila vient doucement alléger les choses, comme quoi, ce n’est pas une si mauvaise chose d’avoir des enfants lors de ce genre de repas. Pourtant, elle est curieuse et impatiente, ce qui ne renvoie pas forcément une bonne image de l’éducation qu’elle a pu avoir. Mais je crois que là, je me passerais de toute leçon, surtout si ça nous sort de cette situation étrange qui plane – ou peut-être que je suis la seule à ressentir cela. Et puis, sa curiosité me permet d’être invitée chez Ezra, ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose. Très vite, l’attention est portée vers les cadeaux, pour le plus grand bonheur de l’unique petite fille de la famille. Nos assiettes terminées, nous nous levons tous de nos chaises pour faire la répartition des cadeaux et quand je vois que mon ancienne meilleure amie a aussi quelque chose pour nous, je ne peux m’empêcher de sourire. « Merci, c’est gentil. Tu n’étais pas obligée. » D’apporter des cadeaux pour nous, pour Mila et moi. Et pourtant, est-ce que je peux vraiment lui reprocher cela alors que je suis moi-même venue avec un petit quelque chose ? La magie de Noël c’est d’offrir quelque chose, non ? Même si ce n’est pas très gros, c’est le geste qui compte. En réponse au paquet qu’elle me donne, je lui tends une enveloppe où se trouvent deux tickets pour le concert d’un groupe local que nous aimions bien toutes les deux, lorsque nous étions plus jeunes, nous sommes même déjà allées les voir ensemble. Il y a quelques mois encore, je ne pensais pas la revoir, alors forcément, j’ai dû activer mes méninges pour trouver quelque chose qui pourrait lui plaire. À l’ouverture du paquet, de celui qu’Ezra a soigneusement emballé, un rictus se dessine naturellement sur mon visage. Un livre sur les relations amoureuses ? C’est un peu ironique quand on sait que je suis mariée et pourtant.. si j’ai fini embarquée dans cette histoire, c’est peut-être que je ne suis pas vraiment douée pour les relations – Ezra est celle pour qui j’ai ressenti les sentiments les plus forts, Isaac est celui avec qui j’ai eu la plus longue relation et regardons où ça me mène aujourd’hui. « Ça tombe plutôt bien, j’ai fini la dernière que j’avais il y a quelques jours. » Dis-je, en référence à la bougie. « Et je ne manquerais pas de le lire. Je suppose que ça peut toujours servir. » Même au sein d’un mariage, il faut toujours s’assurer que ça puisse durer, non ? « Tu sembles avoir visé juste avec tes cadeaux. » Que ce soit pour la petite fille ou pour moi. « L’album a dû te demander du temps, tu as peut-être la fibre pour être tante finalement. »

Les repas de famille peuvent facilement tourner au drame. Nous ne pouvons pas y échapper, il aurait suffit d’un mot de trop, d’une parole mal interprétée ou juste de la curiosité mal placée. Heureusement, ce n’est pas notre cas aujourd’hui. Ma mère évoque Isaac mais Mila nous sauve du silence en suggérant que l’heure d’ouvrir les cadeaux est arrivée. Je ne peux m’empêcher de me réjouir, ça va ajouter un peu de joie au dîner et le rendre davantage normal. Je me dépêche à partir chercher mes cadeaux afin de les offrir à mon ancienne meilleure amie et à ma nièce. Je souris lorsqu’Elliott m’indique que je n’étais pas obligée. “Si, ça me fait plaisir.” dis-je en souriant. La jeune femme me tend elle aussi une enveloppe et nous ouvrons chacune de notre côté nos cadeaux. Mila semble ravie de ses jouets, ma mère s’attarde à faire des photos tandis que mon regard se perd vers l’enveloppe que m’a tendu mon amie. Je l’ouvre et affiche un immense sourire lorsque je comprends de quoi il s’agit : deux billets pour un concert d’un groupe que nous adorions avec Elliott. Une très belle surprise, je ne m’y attendais pas tellement. Deux billets, en plus. Un pour moi, et un pour elle ? Je n’en sais rien, mais je relève les yeux vers Elliott. “Merci ! C’est une bonne idée. Il y a deux billets, tu pourras venir, comme ça. Si ce n’est pas ce qui était déjà prévu. Histoire de se remémorer d’autres souvenirs…” Nous sommes déjà allées à un concert de ce groupe, avant mon départ et ça avait été assez fou. Un de mes meilleurs souvenirs d’adolescente alors si Elliott souhaite remettre ça, je ne dirai pas non. Cette dernière semble aussi heureuse de ses cadeaux et je suis assez rassurée. Elle me le confirme, en ajoutant que je suis peut-être prête à être tante grâce à l’album que j’ai confectionné pour Mila. Cette phrase a le don de faire rire mon père et ma mère, tandis que je rougis un peu. “Ouais, j’essaie d’être la tata qu’Isaac aurait aimé que je sois. J’ai du temps à rattraper alors quoi de mieux qu’un album photo pour se remémorer le passé.” dis-je en souriant un peu. Je ne tarde pas à retourner m’asseoir à côté d’Elliott tandis que ma mère et mon père se lèvent pour partir dans la cuisine, afin de préparer le prochain plat. Je n’ai déjà plus faim, et ce n’est que le début… Je me tourne vers Elliott et Mila. “Merci pour le cadeau. Et d’être là aussi. Ça fait plaisir à tout le monde, et ça fait du bien…” Je souris à nouveau. “Par contre, je ne sais pas vous, mais moi, je n’ai déjà plus faim du tout !” Je rigole avant de m’adresser à Mila. “Dans l’album photo, il y a des photos de moi, de papa et de maman. Et aussi de moi et maman. Tu sais, nous étions très copines quand nous étions petites.” Je ne sais pas tellement si je fais bien de lui dire ça, mais disons que ça explique certaines photographies.

Quand on y réfléchit un peu, jamais je n’aurais cru me retrouver ici, avec Ezra et ses parents, il y a encore quelques mois. Je ne savais même pas si je la reverrais un jour, alors clairement, faire un repas de Noël avec elle ne faisait pas partie de mon Bingo de l’année deux mille vingt-trois. Mais il faut croire qu’il y a des surprises partout, tout le temps. Pour elle, pour nous, je ne sais pas exactement ce que celle-ci peut vouloir dire.. le temps nous le dira sûrement et en attendant, on va voir ce que ça donne, au jour le jour. Même si j’ai parfois l’impression de faire un pas en avant et trois en arrière par rapport à mes sentiments, comme dans sa chambre tout à l’heure, je dois reconnaître qu’elle semble vouloir faire des efforts pour se racheter, notamment auprès de Mila. Aujourd’hui, c’est elle la priorité et vu comment elle est gâtée, je pense que le message est bien compris. Elle n’est pas la seule à l’être, bien sûr. « Le deuxième billet, c’est pour la personne de ton choix. Tu peux y emmener qui tu veux. » Je ne veux surtout pas qu’elle se sente obligée de m’inviter. Si j’ai choisi ce groupe – sans parler du fait que nous l’avons toutes les deux appréciées plus jeunes – c’est parce que je n’étais plus certaine de connaître ses goûts. Il fallait que je mise sur une valeur sûre, même si ça voulait dire prendre quelque chose d’un peu vieux. D’ailleurs, ont-ils toujours autant de succès aujourd’hui ? Je suppose que nous le découvrirons bien assez vite, surtout si c’est bien moi qu’elle décide d’emmener avec elle. « C’est la famille. » Dis-je, alors qu’elle me remercie d’être venue. Même si je passerais sûrement tous les Noëls avec ma mère et mon beau-père, ainsi que mes frères et sœurs, je ne pourrais jamais me résoudre à priver ma fille de sa famille paternelle. En parlant d’elle, elle écoute attentivement ce qu’Ezra lui dit, tout en feuilletant l’album photo qui a été fait spécialement pour elle. Jusqu’à ce qu’une nouvelle question s’échappe de ses lèvres. « Pourquoi est-ce que tu es partie dans ce cas ? » « Mila ! » Cette fois-ci, c’est la question de trop à mon goût. Elle apprendra sûrement la raison du pourquoi un jour, mais pas aujourd’hui, pas lors d’un jour de fête. « Pardon.. » Elle baisse légèrement la tête et recommence à tourner les pages du carnet. C’est à ce moment-là que les parents Stewart reviennent, faisant définitivement oublier la question. Très vite, les plats s’enchaînent, les discussions aussi, jusqu’au dessert. Je dois reconnaître qu’ils se sont surpassés, encore. Selon moi, c’est encore plus gourmand que l’année dernière. Comme quoi, ils sont finalement heureux d’avoir Ezra à leur table et ils l’indiquent d’une façon originale. Malgré la bonne humeur qui se dégage de ce repas, je ne sais pas trop quoi en penser. C’est bien, mais il y a eu ce petit quelque chose dans la chambre d’Ezra, ce petit quelque chose qui me pousse à trop réfléchir maintenant et je n’aime pas vraiment ça. Mais je suppose que je me prendrais la tête là-dessus un peu plus tard, pour l’instant, je dois garder à l’esprit que nous sommes tous ensemble, pour le meilleur.