speed dating culturel ○ jo & sonya

« Moi, je suis sûr que ça te ferait du bien », avait remarqué Matteo dans sa voix de con qui a toujours raison.

Il y a des choses que Sonya ne remet pas en question, comme les miracles à Saint-Jacques de Compostelle, les élections truquées contre l’Azerbaïdjan à l’ONU, et le fait que Matteo ait toujours raison. Ca lui hérisse le poil avec une force venue d’un autre monde et surtout, ça heurte un peu son ego que d’avoir à l’admettre, mais son ami-slash-ex ne tapait jamais de prédictions à côté de la plaque, et toute réticente soit-elle à la sortie de ce soir, elle ne pouvait que se ranger à son avis une nouvelle fois : bien sûr, que ça lui ferait du bien de sortir. Enchaîner les relations-minute sur un coin de canapé-lit devenait délétère et il arrivait que, parfois, comme ce soir, elle ait besoin de plus. Elle avait tendance à délaisser totalement le côté humain des échanges pour ne privilégier que le charnel, et, merde, à quand remontait sa dernière vraie discussion qui ne tourne pas autour du boulot ? Quand c’était, la dernière fois qu’elle s’était sentie liée à quelqu’un de façon suffisamment profonde pour avoir envie de les revoir ? Le problème n’était pas que la date remontait : c’était surtout qu’elle n’existait pas.

Alors elle avait tenté. Elle s’était ramenée le soir de la Saint-Valentin au musée de la ville, sur son trente-et-un, mains soigneusement rangées dans les poches de son trench-coat en signe distinctif d’une anxiété qu’elle a du mal à réprimer. Elle avait fait passer son ticket devant le guichet et s’était dirigée d’un pas hésitant vers les premières pièces, dans le sens de la visite, avant d’être amenée à une halte à un passage-clé : il fallait choisir une salle, spécifiquement. Et elle aurait été, avec une confirmation plus que probable de Matteo, complètement stupide de choisir autre chose que celle des dinosaures.
À l'intérieur de la salle d’exposition trônent majoritairement des os reconstitués, des portraits types de chaque espèce, ainsi qu'une femme blonde, résolument dos à elle. Sonya hésite, l'espace d'un instant, prête à céder à l'envie de s’esquiver ; mais il n’y a qu’elles deux et plein de trucs morts, et au fond, que risque-t-elle ? De briller par sa méconnaissance des animaux qui habitaient ici avant elles ? « Super choix de salle », commente-t-elle à voix haute, assez pour se faire remarquer par son rencard du soir. « Je pensais vraiment qu'il y aurait personne, mais j'ai sous-estimé le côté cool des dinos, faut croire. » Et ce simple fait suffit à la distraire, une seconde, et laisser ses yeux parcourir sans gêne le visage de sa vis-à-vis : où l'avait elle vue, déjà ?

@Jo Taylor

Je n’avais jamais été vraiment fan de la Saint-Valentin. Quand j’étais enfant, ma mère devait me forcer à préparer des cadeaux pour mes camarades. Puis, une fois adolescente, n’étant pas fan du romantisme, je m’occupais à me trouver simplement une partenaire pour fêter cette fête singulière, sans chercher à la revoir ensuite. Seule mon ex-femme avait réussi à changer la donne, pendant de plusieurs années, à presque réussir à me faire aimer cette fête des amoureux. Depuis notre divorce, mes habitudes d’adolescente étaient très vite remontées à la surface. Simplement chercher une partenaire pour ne pas passer la soirée seule, en profiter ou non la nuit et puis reprendre ma vie là où je l’avais laissé le lendemain. Seulement, cette année, la Saint-Valentin allait avoir une saveur différente. Des amis à moi m’ont fait la surprise de m’inscrire à un speed-dating et je n’avais pas pu refuser, au risque de le payer ensuite. Après tout, pourquoi pas ? Je ne suis pas à la recherche de mon âme sœur, encore moins d’une partenaire, mais la soirée pourrait être amusante. Je m’étais simplement préparée, avec un jean clair et une chemise un peu décolletée, avait remonté mes cheveux en chignon et opté pour un maquillage léger. Rien de bien extraordinaire, mais de toute façon, je compte sur mon charme naturel. En arrivant sur les lieux du speed-dating, ma curiosité avait vite pris le dessus. Qui avait eu l’idée d’organiser ce genre d’événement dans un musée ? J’aime la culture, mais de là à vouloir passer la Saint-Valentin dans un musée en tête à tête avec une nature morte ou un dinosaure reconstitué… ça me semblait bien étrange. Malgré tout, il était trop tard pour faire marche arrière et la soirée me réserverait peut-être des surprises. Je choisis rapidement une salle d’exposition, un peu au hasard, et tombe sur celle des squelettes de dinosaure et autres fossiles préhistoriques. Super ambiance… J’essaie de jouer le jeu en m’intéressant aux plaques explicatives. Je reste seule quelques minutes, et une autre personne entre dans la salle. Volontairement, je reste silencieuse, ne sachant pas trop comment faire le premier pas. Après tout, que pourrais-je dire ? Hey, salut, toi aussi t’aimes les dinosaures ? Au risque que la personne me demande quel est le plus grand os du corps humain… Finalement, je n’ai pas le temps de réfléchir à ça que la personne s’adresse à moi. Je me retourne rapidement et lui offre un immense sourire. Déjà, c’est une femme. 1 point. En plus, elle est très jolie. 3 points. “Effectivement, les dinos, c’est plutôt sympa. D’ailleurs, vous savez quel dinosaure était toujours jeté par ses meufs ?” demandais-je, regrettant aussitôt cette blague totalement beauf. La réponse ? Le tyrannosaure ex… J’observe la jeune femme, son visage, ses traits, avant de me rendre compte que je l’ai déjà rencontré quelque part. Mais où, c’est une très bonne question. À l’école d’Aria ? Sur une intervention ? Dans la rue ? Au supermarché ? Ou sur un site de rencontre… Impossible de m’en souvenir. “Jo. On peut se tutoyer ?” J’offre à nouveau un sourire à la jeune femme, en espérant que ma blague culturelle ne la fasse pas déjà fuir…

@Sonya Yazdani