l'histoire de ma vie
«C’est toujours avec les jeunes imbéciles qu’on fait les vieux cons.»
Naître dans un milieu aisé, ce n’est pas donné à tout le monde… Selon l’expression consacrée, Alcide était né « le cul dans le beurre », pour ainsi dire : fils unique de Louis Hackman, un banquier renommé, et de Deborah Austin, une entrepreneuse entreprenante qui avait acquis ses lettres de noblesse à grands renforts de sagacité et d’esprit d’à propos, Alcide Callum Alban est né le 6 mai 1964, à Manhattan.
Avec un père et une mère plutôt fortunés, il n’est pas étonnant que le petit Alcide ait vécu une véritable enfance dorée. Il avait tout ce qu’il voulait et il n’était jamais privé de rien. Certes, il aurait pu être ce qu’on appelle couramment un « enfant-roi » avant l’heure, mais ce ne fut pas le cas.
Enfant, Alcide fréquenta une école privée où il avait bon nombre d’amis. Il fallait reconnaître, aussi, qu’il était capable de rivaliser d’intelligence avec les meilleurs pour inventer des blagues à faire aux filles de l’école privée voisine… ça plaisait beaucoup aux copains d’embêter les filles et, à vrai dire, Hackman aimait cela aussi, même si cette activité amusante ne l’empêchait nullement de réussir brillamment la plupart des cours, bien qu’il reconnût facilement qu’il était loin d’être le meilleur sur un terrain de base-ball.
Une belle enfance, où Alcide ne manqua de rien et où l’innocence du quotidien n’avait rien à envier aux clichés que l’on connaît… jusqu’au jour où la nouvelle tomba, un matin gris, avec la neige : Louis Hackman était accusé d’avoir détourné des fonds. Alcide n’avait que dix ans et il ne comprenait pas encore grand-chose à ce que signifiait tout le bordel que cette nouvelle apportait. Tout se passa très vite : il fallut déménager, il fallut quitter le quartier, les amis, les filles dont il adorait voir se relever les jupettes quand elles tombaient par terre dans le parc… Louis se retrouva emprisonné pour des années et Deborah, préférant ne pas imposer à son fils chéri la honte d’avoir un père devenu taulard, plaqua tout pour partir au Canada.
Au Canada, ce ne fut pas facile d’emblée. Alcide avait quelque peu perdu de sa jovialité et il eut un peu plus de mal à se faire des amis dans sa nouvelle école. Il fallait dire, aussi, que l’enfant s’inquiétait pour son père dont il n’avait de nouvelles que par l’intermédiaire de sa mère… qui avait tendance à enjoliver la vérité pour ne pas traumatiser son rejeton adoré.
Désireux de faire plaisir à sa mère plus que de briller pour lui-même, le petit Alcide fit toutes ses études dans les écoles que Deborah avait choisies pour lui. Il ne fit pas de grands éclats durant cette scolarité et étudia de son mieux, avec peut-être un certain talent non négligeable pour les langues et l’écriture. Lors de la cérémonie des diplômes de fin de terminale, ce fut d’ailleurs sa dissertation qui fut récompensée.
Au niveau relationnel, ces années furent marquées par une instabilité amoureuse remarquable. Avec Edward, son meilleur ami de l’époque, Alcide s’amusait à collectionner les conquêtes. C’était de belles années pour la déconne, les seventies, et la musique était excellente… Hackman en profita pleinement. Peut-être un peu trop, à en croire les demoiselles qui croisaient son chemin, mais la mode était au côté cool et aux relations libres : du pur bonheur.
A l’âge de dix-huit ans, il décida de retourner aux États-Unis, pour y étudier dans une prestigieuse université. Celle de Washington retint son attention et Alcide y étudia la psychologie et la criminologie durant quatre ans. Ces études, réussies malgré des soirées régulièrement bien arrosées se terminant fréquemment en parties de jambes en l’air, furent marquées par une rencontre non négligeable, celle de Meredith, une jeune et superbe enseignante de droit, de quelques années son aînée. Par défi, Alcide s’était mis en tête de la séduire, mais, au final, il en vint à se demander si ce n’était pas elle qui l’avait séduit. Peu importe, les faits comptent plus que le reste. Ce ne fut pas vraiment une idylle, plutôt une relation purement physique et Hackman apprécia beaucoup ces moments intenses partagés avec cette délicieuse professeure. La « rupture » eut lieu au terme des études du jeune homme, alors âgé de 23 ans.
S’ensuivirent quatre ans d’un boulot qui n’avait pas grand intérêt : Alcide était chargé de faire des anamnèses auprès de patients que lui-même n’aurait jamais daigné prendre en cabinet. Lui qui souhaitait devenir un homme de renom, c’était un peu raté, sur le coup…
Et puis la révélation eut lieu. Alcide avait vingt-cinq ans. Passant un jour par l’habituel chemin le conduisant à son boulot de merde, le jeune homme eut le regard attiré par quelque chose qui lui sembla quelque peu incongru sur le moment. Le FBI recrutait. Ça ne pouvait qu’être mieux que ce qu’il vivait actuellement, aussi Hackman s’embarqua dans l’aventure.
Rejoindre la FBI Academy à 25 ans, c’était quelque chose. Alcide dut ramer pour se remettre aux études : il n’avait plus fait ça depuis quatre ans ! Mais ses efforts portèrent leurs fruits et il sortit parmi les premiers étudiants de sa promotion, trois ans plus tard, après avoir travaillé beaucoup sur la criminologie, la lutte contre la criminalité en col blanc et la cybercriminalité.
En 1989, Alcide Hackman intégra le White Collar de Quantico, peut-être comme une sorte d’hommage foireux à son père. C’était la section qui correspondait le mieux au caractère d’Alcide et au terme de cinq années de service, il fut promu chef d’équipe et le resta durant dix ans. Côté vie privée, à l’époque, il n’y avait pas grand-chose de remarquable : les filles qui passaient entre les mains d’Alcide n’y restaient que rarement plus de deux mois. Il ne pouvait pas se permettre d’envisager de fonder une famille. Malheureusement.
Bosser au White Collar, ça plaisait bien à Alcide. Il s’y sentait comme un poisson dans l’eau, vraiment à sa place. Il avait particulièrement apprécié la traque d’un escroc spécialisé dans le hacking… et Alcide avait bien cru que ce petit jeune homme allait en prendre pour des années derrière les barreaux : c’était sans compter le choix de son supérieur de donner à ce jeune prodige la chance d’intégrer le FBI. On recrutait chez les scélérats, maintenant ? Cette bête affaire qui se terminait comme un cheveu dans la soupe, ça assombrit un tantinet le caractère de Hackman qui envisagea son travail avec plus de minutie que jamais.
Mais les histoires d’escroqueries et autres trafics divers, ça pouvait être dangereux… Alcide l’apprit à ses dépens. Lors d’une intervention, en bon chef d’équipe, Hackman s’était avancé en premier, exigeant que ses partenaires le couvrent… Mais il y eut une erreur. Et la balle qui atteignit Alcide en plein torse manqua de peu son cœur. D’aucuns diraient que cet homme n’en avait jamais eu, de cœur, mais si, et il aurait pu le perdre à jamais.
En soi, la blessure aurait pu être plus grave, tout s’était joué à quelques millimètres près… mais la plaie n’était pas uniquement physique. L’homme perdit toute confiance dans les principes du travail en équipe où protéger les autres était censé être une priorité.
De l’incident, Alcide ne conserve pas vraiment de souvenirs. Quelques réminiscences, tout au plus. Mais les mois d’hospitalisation, puis la rééducation, ça avait fini par le convaincre d’une chose : s’il voulait continuer à travailler pour les forces de l’ordre, il fallait que certaines choses changent.
La même année, donc, Hackman tira sa révérence au FBI. Il avait beau y avoir passé de très belles années, Alcide avait fait son temps dans ce monde tordu. Partir ne fut pas facile, d’abord parce qu’il avait tout de même passé près de quinze ans au White Collar, ou « WC » comme il le disait parfois par auto-dérision, et ensuite parce qu’il avait là de véritables amis. Durant son séjour à l’hôpital, il était clairement apparu à Hackman qu’il lui fallait un job où il ne risquait pas de se prendre une balle, car, à force, il avait développé une forme légère d’hoplophobie, qu’il gardait bien secrète au fond de lui : devant tout le monde, Alcide garde son Smith & Wesson, qu’il a depuis des années, mais, à vrai dire, s’en servir était une idée qui ne lui effleurait plus jamais l’esprit, même s’il n’était pas mauvais tireur du tout. Il craignait surtout de commettre une erreur comme celle dont il avait été victime et cette hantise ne semblait pas prête à le quitter, bien qu’il faille toujours faire bonne figure et mentir.
C’est également cette année-là que Déborah est décédée. Une sale histoire qu’Alcide ne comprend toujours pas. Hospitalisée pour un problème pulmonaire en janvier 2004, elle dut subir plusieurs interventions, dont la pose d’un pacemaker, pour finalement succomber au début du mois d’août, sans avoir jamais pu ressortir de l’hôpital où elle était « soignée ».
Ce fut la goutte de trop. Alcide décida de tout plaquer pour quitter le pays. Il avait besoin de changer d’air, de ne plus être dans cette région et de ne jamais plus y revenir.
La Nouvelle-Zélande apparut assez tôt comme le meilleur endroit pour continuer sa carrière sans foutre en l’air tout ce qui avait été construit et acquis jusque là.
Dans ce pays, Hackman reprit du service, c’était un travail tout à fait différent de ce qu’il avait fait auparavant, mais ses états de services parlaient à son avantage. Des enquêtes multiples, des dossiers à étudier avec une acribie toute particulière, des interrogatoires à mener d’une main de fer et sans faire le moins du monde usage d’empathie… ça plaisait beaucoup à Alcide de bosser à nouveau dans ce genre de choses.
L’IGS apparut assez tôt comme le meilleur endroit pour continuer sa carrière sans foutre en l’air tout ce qui avait été construit et acquis jusque là. Mais depuis la fusion entre IGS et IGPN, le boulot était un peu plus varié qu’une simple étude de dossiers pour finir par taper sur les doigts des flics contrevenants. D’abord sous les ordres d’Edward Hoffman, une sorte de gros balourd qui passait son temps à faire de petites remontrances toutes gentilles aux policiers, Alcide finit par sortir du lot.
L’histoire était simple. En 2011, Alcide avait découvert quelque chose de peu clair à la brigade des stupéfiants. Des dossiers aux notes incomplètes, des affaires un peu trop vite bouclées à son goût… En creusant un peu, un nom de flic ressortait régulièrement : Gemma Andersson. Après enquête, Hackman lui tomba tout simplement dessus. Elle était alors chef de brigade… et fut rapidement destituée. On ne rigole pas avec la justice.
C’est cette affaire qui propulsa Alcide à la direction de la section, en 2011. Une charge lourde de responsabilités, mais qui n’effrayait pas du tout Hackman qui estimait être parfaitement compétent pour ce qui lui incombait désormais. En tant que big boss de la section, il fait de son mieux pour traquer les flics ripoux et leur infliger les blâmes qu’ils méritent : elle est bien finie, l’époque du gentil Edward et de ses petites punitions d’intérêt général…
Avec Alcide, l’ère d’une justice propre avait commencé. Du moins, c’était ce qu’il poursuivait comme but. La corruption était sa proie. Il finirait bien par l’avoir. Et par nettoyer la région de toutes ces pourritures qui cherchaient à tirer profit de situations déplorables.
Et puis, entre nous, ça avait un avantage non négligeable d’être dans l’IGPN : Alcide pourrait continuer à surveiller les moindres faits et gestes d’Andersson, qu’il avait bien décidé de ne jamais laisser tout à fait tranquille et libre de tout soupçon. Il n’avait pas pu la faire virer, juste la rétrograder… mais il ne voulait pas en rester là. Non, à la moindre occasion, il comptait bien lui tomber dessus ! Pour cela, Alcide voulait travailler en une collaboration transparente avec le commissaire Sean Sawyers. Jamais il n’avait enquêté sur lui, mais cet homme lui semblait digne de confiance.