En compagnie des morts... (Nathan & Noa)

Je lâche un rire entre l’assiette que j’ai vidé, il reste quatre frites, le coca qui a disparu à moitié, le muffin et le café qui restent encore. Pas mauvais ce qu’ils servent ici. Il faut que je retienne l’adresse, c’est sympa, pour le volume servi, le côté qualité/prix et sur les horaires d’ouverture. Un post-it dans un coin de mon cerveau !

— Ça ne me dérange pas que tu uses de ton âme d’enquêteur. C’est même bien, cela me donne des idées sur les questions à poser, sur les lieux à explorer.

J’apprécie effectivement.

— Cependant, actuellement, je ne vais pas creuser. Ce n’est pas le moment pour questionner ma mère. C’est une période délicate.

Je fais la moue. Dans l’état de délabrement où elle est depuis le départ de ma belle-mère, je ne me sens pas du tout de la harceler de questions. Déjà, qu’elle remonte la pente. A vrai dire, moi aussi, je ne me sens pas l’énergie de me lancer dans la recherche de mon père maintenant. Trop de choses à cicatriser avant d’ouvrir d’autres blessures. Quand les choses iront mieux... Et puis moi, je ne suis pas au mieux de ma forme. Je n’ai pas envie qu’il y ait un affrontement si les souvenirs de ma mère au sujet de notre géniteur est problématique.

— Oh mon frère c’est un ange tombé du ciel, un gentil garçon. Bien des fois trop gentil.

Je soupire. Non pas parce qu’il est adorable, je ne l’échangerai pour rien au monde, mais parce que le sujet dont nous discutons tranquillement dans ce resto n’est pas celui qui tourne régulièrement entre nous, ni en positif, ni en négatif. Silence radio !

— Ce n’est pas le sujet que nous abordons... D’aussi loin que je me souvienne, il a fait en sorte d’éviter d’aborder l’existence de notre père. Je crois qu’il n’a pas du tout envie d’en parler. Il l’a peut-être même occulté complètement pour éviter de souffrir de son absence. Nous sommes une famille monoparentale, point à ligne.

Et pourtant, nous avons un père quelque part dans ce monde.

Mon “ami” légiste m’invite à passer au commissariat si je me lance dans la recherche de mon père. Pour l’instant c’est un lieu qui correspond à de mauvais souvenirs, je ne parviens pas à l’imaginer comme étant celui qui m’offre une rencontre positive avec mon géniteur. Bizarrement, sur le coup, je me vois d’avantage faire appel à un privé qui décortiquerait sa vie de A à Z pour savoir s’il vaut le coût que j’aille à sa rencontre physiquement. Se protéger d’un manque d’affection de la part d’un père qui nous a abandonné. Me protéger d’un coup de colère si une gamine conçue par erreur débarque dans sa vie parfaite sans cette erreur de jeunesse.

— On verra. J’en sais trop rien. On verra oui, en temps voulu.

Je hausse les épaules. Pour l’instant j’ai un deuil à faire. J’ai à me reconstruire après cette agression. Pas envie d’ajouter une déception à la clé.

Il me fait sourire en parlant des frères parfaits. Kenzo parfait. Tellement. C’est vrai que parfois je l’aurais voulu plus mordant. Mais peut-être qu’il pense la même chose de moi... Non, ça ne risque pas. Je ne suis pas parfaite. Trop casse-cou. Trop délurée. Trop... Trop je sais pas quoi, mais parfaite je suis sûre que non. Je ne me serais pas retrouvée dans régulièrement dans des situations limites si je l'étais. Jusqu'à l'apothéose de cette agression. Je préfère tellement que ce soit moi plutôt que lui qui ce soit retrouvé dans cette situation. Là c'est la partie qualité, protectrice et attentionnée vis-à-vis de mon frère. Je souris à mon propre inventaire. J’ai mes défauts et mes qualités. Tout le monde a des qualités.

— Oui mais on y perdrait au change s’ils étaient trop brutaux, trop distants.

Il regarde l’heure. Je n’ose pas me retourner pour vérifier à mon tour. Il doit être horriblement tard et j’ai pris beaucoup de son temps. Je vais culpabiliser. Non même pas. J’avais besoin de cet instant, ce havre de paix, avec un homme compréhensible, à l’attention paternelle. J'acquiesce de la tête. Je termine ce qui me reste de nourriture.

— J’habite au 8 South Bay. J’espère que ça ne te fais pas faire un trop grand détour ? J’ai déjà abusé de ta gentillesse. Je peux me débrouiller pour rentrer. Tu me déposes là où ça t’arrange et je finis par mes propres moyens.

Suivant le coin de rue qui l’arrange, je finis au mieux à pied, sinon je réveille quelqu’un pour me servir de chauffeur. J’ai probablement des copains qui ne dorment pas encore.