we need to be united [Parker&Noa#2]

Je me sens toujours coupable vis à vis de ce qui est arrivé à Noa, comment pourrais-je encore dormir sur es deux oreilles en sachant que ma fille a été agressée et que je n’étais même pas à même de répondre à ses agresseurs, donner un rançon, quelque chose qui aurait pu abréger ses souffrances. Chaque fois que je pose mon regard sur elle, je ressens tout le poids de la culpabilité. Elle a encore les marques de son agression et ses yeux ne sont plus aussi pétillants qu’ils l’ont été par le passé. Ma petite fille. Je profite d’un samedis tranquille dans mon emploi du temps, Kenzo à une compétition de jeux vidéos, pour proposer à ma fille un moment entre filles. Je frappe à la porte de la poolhouse où elle réside et attends qu’elle me laisse pénétrer dans son espace privé. Une fois fait, j’entre et lui offre un petit sourire. « Ça va chérie ? Tu as beaucoup de boulot ce week end ? » J’essaie de prendre la température. Depuis qu’elle est rentrée, je fais des efforts pour tout le monde, avant même de les faire pour moi. Je cuisine à nouveau, je prends le temps pour eux, j’essaie de redevenir une mère normale, qui n’est pas malade, qui ne se laisse pas mourir au fond de son lit. Évidemment j’ai encore quelques sautes d’humeur mais je fais en sorte qu’ils n’en soient pas témoins. « Ton frère n’est pas là jusqu’à ce soir, et où j’ai été invités à une vente privée d’une grande marque de fringues. J’avais pas tellement envie d’y aller, à moins que tu aies envie de venir avec moi ? On pourrait aller manger un morceau toutes les deux et aller faire un tour voir si y’a pas quelques trucs qui pourraient te plaire ? » Je viens passer une main tendre dans sa chevelure ébène qu’elle tient vraisemblablement de moi. Je sais qu’elle discute beaucoup avec Lukas et j’adore le fait qu’elles aient gardé ce lien si important pour l’une comme pour l’autre. Mais surtout pour Noa. Parce que quand je ne suis pas là, elle a quand même une adulte à qui se livrer, et ça me rassure. J’aimerai qu’on puisse discuter toutes les deux, nouer ou renouer ce lien mère-fille que nous avons laissé derrière nous il y a déjà quelques années. Mais elle reste ma fille, et je l’aime tout autant que son frère malgré tout ce qu’elle peut en penser. Ils sont différents et mon amour pour eux est tout aussi différent, mais pour autant aussi fort d’un côté comme de l’autre. « Ça te tente ? D’accompagner ta vieille mère ? » Je ris un peu, comme pour me détendre et détendre l’atmosphère en même temps, même si cette dernière n’est pas nécessairement tendue.

Je crois que je ne me suis jamais autant observée dans un miroir que depuis mon agression. Je surveille, tous les jours, l’état de chacune de mes blessures, la couleur changeante de mes bleus. Il en reste encore, les plus gros hématomes trainent à s’effacer complètement, des douleurs s’attardent aussi. Je suis sur la bonne voie peut-on dire, mais trop lent à mon goût, mais pas le choix. Je me rends compte que mon apparence physique prend plus de place que je ne l’avais imaginé. Je ne m’en étais jamais vraiment souciée. Ça roulait tout seul. Je vais devoir m’habituer à la présence d’une ou deux cicatrices. Et le surf... C’est se retrouver en maillot de bain la plupart du temps... Ouais... On verra ce qui part et ce qui reste. Des cicatrices, ça fait plus mature, non ? Ou ça fait le minable qui se prend tous les coups. Okay, une croix dans la deuxième case. Des bruits à la porte me détourne de ma réflexion. J’enfile un peignoir, posé à porter de main, en prenant soin de bien le serrer, la ceinture nouée. Je n’ai pas envie d’exhiber mes marques de victime. J’ouvre à ma mère. Je lui offre un sourire en guise d’invitation à entrer. Je hoche la tête à sa question. — Ouais ça va, et toi ? Je la vois faire des efforts depuis mon retour. Nous nous reconstruisons tous ensemble. Y’a de quoi faire, mais je veux y croire, enfin les jours où je positive, y’en a pas beaucoup au calendrier en ce moment. C’est agréable les petits instants qu’on parvient à avoir ensemble, c’est ce que je voulais, avant... Maintenant, je sais plus trop ce que je veux. — Le boulot... Je hausse les épaules. Je ne parviens pas à replonger totalement dans mes études. En fait, je n’ai pas encore remis les pieds à la fac. Je récupère les cours auprès de camarades. J’ai accumulé du retard ce qui m’a donné un écoeurement à tout ça. Je me suis promise d’aller au bout, mais c’est dur. J’ai prévu de retourner à l’université la semaine prochaine. Je ne voulais pas étaler ma gueule fracassée pour ne pas avoir à expliquer pourquoi. Non, ça je peux pas raconter. — Y’a de quoi faire, mais... Bah ! ça se fera. Ma mère m’invite à sortir. Etrange invitation. Actuellement je suis en mode fringues de merde, jogging, sac de patates, des vieux trucs que je ne mets plus depuis au moins cinq ans mais que j’aimais tellement que je n’ai pu me résoudre à les virer de mon armoire. Je suis à des années lumière de ce qui touche à la mode. Mais ma mère m’offre un moment avec elle, alors c’est sans hésité. — D’accord. On peut faire ça. Et ne dis pas que tu est vielle. Tu en es très loin de la vieillesse. Resto... Présentation de mode... Va y avoir des gens... Ils vont me regarder, ils vont voir quoi ? J’aurais peut-être pas dû dire oui... Je croise les bras et force sur le sourire. — Euh... Choisis le resto, pas d’importance pour moi. Ce qui te tente m’ira très bien. Envie de rien, je me force à manger depuis... Et ça aussi, je ne veux surtout pas leur montrer à Kenzo et à ma mère qui cuisinent pour nous.

C’est ma fille, je pense qu’il est légitime d’être blessée et peinée de la voir si mal dans sa tête depuis son agression. Elle ne parle pas beaucoup, ce n’est pas faute d’essayer. Mais si Kenzo est du genre à parler beaucoup de ce qu’il ressent, Noa est comme moi, il lui est beaucoup plus difficile de parler de ses ressentis. J’aimerai lui dire d’aller voir un spécialiste, quelqu’un qui pourra l’aider à remonter la pente, mais je me dis que peut-être elle sera assez forte pour s’en sortir seule. Il est encore tôt, c’est encore très frais et je ne veux absolument pas la brusquer. Lorsqu’elle me laisse entrer, je devine sa fatigue et son manque de motivation, mais elle donne le change. C’est fou ce que nous sommes similaires, c’est parfois même bluffant. « Ouais ça va, et toi ? » Je me contente d’un hochement de tête accompagné d’un sourire bienveillant. Elle sait que  je ne suis pas non plus au mieux de ma forme, mais je fais tout pour sortir la tête de l’eau, pour elle, pour son frère, ses frères, et pour la famille que nous avions construite avec Lukas, tous les cinq. Je ne perds pas de temps et lui parle de la raison de ma venue, je voudrais qu’on profite de l’absence de Kenzo pour nous retrouver un peu entre filles. Je prétexte quelque chose qui lui plaisait avant, mais de toute évidence, elle a beaucoup changé depuis son agression, ce qui est normal quand on y pense. « D’accord. On peut faire ça. Et ne dis pas que tu est vielle. Tu en es très loin de la vieillesse. » Je lui offre un petit sourire, parce que je suis heureuse qu’elle accepte, et parce qu’elle est mignonne de me dire que je suis pas vieille. En même temps, je pense que je dois être la plus jeune de tous les parents de ses amis, j’ai eu les jumeaux tellement tôt. « Euh... Choisis le resto, pas d’importance pour moi. Ce qui te tente m’ira très bien. » Je plisse un peu les yeux, je sens bien qu’elle n’a pas très envie de bouger et qu’elle me dit ça simplement pour me faire plaisir. Je tends ma main pour caresser tendrement sa joue. « J’ai pas super faim non plus. Ca te plairait pas plus qu’on commande un truc à grignoter et qu’on se loue un bon film à regarder à la maison tranquille ? » Elle est encore en semi pyjama, et je comprends qu’elle n’ait pas envie de sortir. Je vois dans son regard qu’elle est rassurée et je lui offre un sourire bienveillant. « Bon, puisque c’est ça, je vais me mettre à l’aise moi aussi, tu me rejoins dans le salon ? » Je m’approche pour déposer un baiser sur sa tempe et quitte sa chambre sans tarder pour rejoindre la mienne. J’enfile un pantalon en coton et un t-shirt ample, avant de descendre pour nous commander japonais, le seul truc qu’elle et moi pouvons avaler sans grande faim. Je me love dans le canapé avec une multitude de coussins, et envoie quelques mails de boulot depuis mon téléphone, en attendant que ma fille descende.

Je n’ai pas su masquer mon manque de motivation pour une soirée mondaine. Maman fait machine arrière pour me proposer une soirée à la maison devant un film. L’offre initiale était pour me faire plaisir. En d’autres temps... d’autres moeurs... La soirée cocooning sur le canapé en grignotant un petit truc est un programme qui me plait davantage. C’est beaucoup plus mon mode de vie actuel. C’est fou comment on peut changer. Bon les raisons de ce changement ne sont pas anodines, mais je ne pensais pas trainer autant à reprendre ma vie en main. Alors, le canapé c’est l’élément primordial de l’ameublement. Après le lit et le fauteuil de la poolhouse. J’ai bien fait de le conserver celui-là. Le lit quand il fait jour, mais la nuit j’angoisse, alors le fauteuil je m’y recroqueville pour ne m’endormir que quand la fatigue y consent. Fracassée le lendemain, mais sans peur, je peux fermer l’oeil. — Programme sympathique. Je vote pour. Le truc à grignoter... japonais ? Je m’abstiens de proposer, je préfère la laisser faire. Qu’elle profite aussi de la soirée. — D’accord, rendez-vous au salon. La première arrivée attend l’autre. Ma mère m’embrasse avant de s’éclipser. Un baiser, une caresse, j’aime bien ses marques d’affection. Jusqu’à quel âge on a le droit d’apprécier sans être traitée de bébé ? Je m’en moque, j’aime et puis c’est tout.

Je ne vais pas rester en peignoir, ce serait un peu trop en mode avachi. J’opte pour des chaussettes de foot qui me monte jusqu’au genou, un short en jean et une chemise bien trop grande qui appartenait à un pote. Un échange lors d’une soirée bien arrosée, j’ai fini avec sa chemise et lui avec mon soutien-gorge ! Un troc calculé, parce que je l’aime bien cette chemise de bucheron rouge et noir qui offre confort et chaleur en tout occasion. Un petit slogan de pub au passage, ça fait pas de mal. Je retrouve ma mère, installée sur le canapé, en train de pianoter sur son téléphone. Je m’installe à ses côtés sans pour autant envahir son espace. J’attends qu’elle ait fini avec son message pour poser quelques questions. — Boulot ou plaisir ? Pour ne pas dire Lukas. J'espère tellement qu'elles vont renouer, mais pas question de poser ouvertement la question. — Qu’est-ce que tu as commandé pour manger ? Pas de film d’horreur, tout mais pas ça. Tout en disant cela, un nom me vient à l’esprit. — Y’a ce film “Tant qu’il y aura des hommes”, je n’sais plus où j’en ai entendu parlé, est-ce que tu connais ? Tu l’as déjà vu ? Je ne peux pas m’empêcher de sourire tout à coup, parce que ma mère est surement plus adepte de la formule “Tant qu’il y aura des femmes”. Ah les associations d’idées comment ça peut dériver parfois !

« Programme sympathique. Je vote pour. » Me voilà rassurée, j’ai senti immédiatement en voyant ses yeux que ma première proposition ne lui plaisait pas, et qu’elle me disait oui uniquement pour me faire plaisir. Je lui souris, heureuse de voir que nous avons réussi à trouver un terrain d’entente pour passer un moment mère-fille dans ce cocon qu’est notre maison. « D’accord, rendez-vous au salon. La première arrivée attend l’autre. » Je hoche la tête en souriant de nouveau et quitte sa petite maisonnette pour rejoindre la maison et ma chambre, puis enfin le salon, une fois en tenue décontractée. Je crois que ça ne peut que nous faire du bien, discuter calmement, retrouver notre complicité d’antan. J’ai récupéré le fascicule du jap’ chez qui on a l’habitude de commander, et l’ai posé sur la table. Recroquevillée dans un coin du canapé, je continue de rédiger un mail pour le boulot lorsque Noa fait son apparition. Je relève les yeux pour lui adresser un sourire, finis ma phrase et envoie le mail sans prendre le temps de relire, ne voulant pas qu’elle imagine me déranger outre mesure. « Boulot ou plaisir ? » Je connais ce regard, ce sourire esquissé au coin de ses lèvres, la question qu’elle ne veut pas poser mais qui lui brûle la langue. « Boulot, j’ai pas trop de nouvelles de Lu… » pas le temps de finir ma phrase que mon téléphone émet une petite sonnerie entre mes doigts, et un regard furtif sur ce dernier me notifie d’un sms de l’amour de ma vie, me faisant sourire telle une adolescente. « J’ai rien dit. » Je me pince un peu les lèvres et soupire avant de reporter mon attention sur ma fille. « Qu’est-ce que tu as commandé pour manger ? Pas de film d’horreur, tout mais pas ça. » Je ris un peu. « Non, pas de film d’horreur, tu sais que j’aime pas ça non plus. J’avais fait une petite sélection sur netflix. Et je te laisse choisir et on j’appelle pour commander ! » lui dis-je en lui tendant le papier cartonné avec les menus japonais. « Y’a ce film “Tant qu’il y aura des hommes”, je n’sais plus où j’en ai entendu parlé, est-ce que tu connais ? Tu l’as déjà vu ? » Je plisse un peu les yeux le temps de chercher dans ma mémoire. Je n’ai jamais été trop cinéphile, par manque de temps je crois, mais depuis que je suis avec Lukas, ça a un peu changé. Enfin… quand j’étais avec Lukas. « Ça ne me dit rien, mais on peut regarder ça si tu veux ! Je te laisse regarder s’il est sur Netflix ? » Elle me montre ce qu’elle veut et j’appelle directement le traiteur pour commander, au moins c’est fait. Nous n’avons pas une faim de loup, mais il faut quand même nous nourrir un peu. Pendant qu’elle cherche sur Netflix, je réponds au sms de Lukas, petit sourire au coin des lèvres et yeux pétillants. On dirait sûrement une adolescente…

Ouais, boulot qu’elle dit. Avec ce sourire-là et le regard qu’elle pose sur l’écran pour lire le message qui l’a interrompu tout à l’heure... Je te crois, va ! Et j’adore. C’est un bon signe. La vie reprend son cours. Oui, c’est bon signe. J’adore la voir ainsi, avec un morceau de bonheur qui lui prend la main. Un peu de ciel bleu après les terribles orages qui ont frappé notre famille. Je ne veux pas être indiscrète, je retiens ma curiosité, je me contente de petits coups d’oeil vers elle pour contempler son beau sourire. La commande est passée, il n’y a plus qu’à attendre le livreur pour un repas simple, efficace j’en sais rien mais simple, il le sera. Pas trouver le film que j’ai mentionné, de toute façon ce n'est pas grave, je préfère piocher dans la sélection faite par ma mère. Histoire qu’elle soit bien, dans un univers qui lui plait. J’aurais été seule, j’aurais pu partir à l’aventure avec n’importe quel film ou série, mais là... quoique... pousser un cri d’horreur en même temps pour une scène qui n’est pas à notre goût pourrait finir avec un fou rire. En soit, film ou série m’importe peu, j’ai juste envie d’être près d’elle. Et au final quand je la vois concentrer sur la réponse au sms, je me dis que je suis peut-être de trop. J’hésite à lancer un film, à troubler cet instant, à la distraire de ce qui lui donne se rayonnement presqu’enfantin. Alors je m’éclipse le plus discrètement possible. Je passe dans la cuisine chercher une bouteille de vin et deux verres. Je m’attarde pour laisser l’échange de messages se poursuivre librement. Quand je perçois le regard de ma mère qui me cherche, je reviens avec de quoi boire. Je le pose sur la table basse et remplis les verres. J’en tends à ma mère. Je lui souris. — Je n’ai pas trouvé le film. Mais je me souviens, c’est dans une série que les héros mentionnés ce titre. Un vieux film en noir et blanc. Ce que tu avais choisi, ce sera bien. J’en ai pris un. En d’autre temps c’est une bouteille d’alcool fort que j’aurais ramené. J’ai diminué ma consommation de façon étonnante. Hormis une bouteille de vodka que j’ai descendue lors d’un périple dont je garde peu de souvenirs sinon la sensation que quelque chose de beau était au rendez-vous, je crois que je n’ai pratiquement pas bu une goutte d’alcool depuis mon retour. Je m’assoie sur le canapé. Je prends mon verre. Je le fais tourner entre mes doigts sans y tremper mes lèvres. — Si tu préfères passer la soirée avec une autre personne. Je hausse les épaules. — Pas grave. On se réserve un autre soir.

Je ne m’attendais pas à recevoir un sms de Lukas, pas maintenant en tout cas. Plus du tout d’ailleurs, avec toute cette histoire, nos rapports sont devenus assez compliqués. Mais à l’instant où je vois son prénom s’afficher sur mon téléphone, je souris, bêtement. Noa se lève, je sens déjà son absence mais je la laisse faire, restant concentrée sur ma réponse au sms de Lukas. Une fois terminé, je relève la tête et cherche ma fille du regard, et la vois revenir avec une bouteille de vin. Je ne bois plus, ou presque plus depuis ma descente aux enfers, mais un verre de temps en temps ne peut pas me faire de mal après tout. Elle remplit un verre qu’elle me tend alors que je la remercie. « Je n’ai pas trouvé le film. Mais je me souviens, c’est dans une série que les héros mentionnés ce titre. Un vieux film en noir et blanc. Ce que tu avais choisi, ce sera bien. J’en ai pris un. » Je hoche la tête en lui souriant. « D’accord, parfait alors. » Je n’ai jamais été cinéphile, Lukas l’était beaucoup plus que moi, c’est elle qui m’a montré la plupart des films que j’ai vus. Je ne prends pas le temps pour le 7ème art, c’est un tord je le sais, mais en profiter avec Noa est une bonne chose. « Si tu préfères passer la soirée avec une autre personne. Pas grave. On se réserve un autre soir. » Je penche la tête un peu sur le côté, perplexe. « Bien sûr que non chérie, y’a personne d’autre avec qui j’ai envie de passer cette soirée. » Je lui offre un sourire rassurant, j’ai bien compris qu’elle a développé de nouveaux traumatismes depuis son enlèvement, et c’est totalement légitime. J’espère seulement qu’elle ne deviendra pas aussi névrosée que moi. « Lukas me demandait si j’étais libre demain pour garder Lenny, elle doit bosser et son frère n’est pas là pour garder bébé. » Je lui souris à nouveau et continue sur ma lancée. « Si tu n’a rien de prévu, peut-être qu’on pourrait l’emmener au zoo, avec Kenzo, tous les quatre ? » J’ai vraiment envie de retrouver cet esprit de famille que nous avions avant que tout capote, avant que je fasse la plus grosse connerie de ma vie. Les yeux rivés dans mon verre de vin, je me mordille un peu l’intérieur de la joue. « Je fais tout pour qu’elle revienne tu sais… » Je sais que Noa adore Lukas, c’est réciproque, et tout était vraiment mieux lorsqu’elle était là. Mieux pour tout le monde d’ailleurs. Alors j’espère encore que je réussirai à recoller les morceaux, certains au moins, parce que j’imagine que certains ne pourront jamais réellement être recollés.

Sa soirée est pour moi, ma mère me la réserve. Sans hésitation. Pourtant je suis sûre qu’elle aurait pu trouver mieux pour se distraire. Je réponds à son sourire par un sourire. La bonne nouvelle qu’elle m’annonce c’est que demain Lenny sera avec nous et qu’on va faire une sortie famille au zoo. — Oui totalement, le zoo c’est génial. On va passer une super journée. Le bonheur parfait, une famille, notre famille, ce sera du bonheur. Le temps d’une respiration, le temps que mon esprit m’envoie des images du zoo. Des familles. Des enfants. Des adultes. Une foule qui rit, qui s’amuse et moi au milieu et l’angoisse qui apparait dès maintenant parce que je sais déjà qu’elle sera là demain. Que je le veuille ou non, elle va s’inviter. J’ai échappé à la soirée défilé de mode, je ne pourrais pas échapper à la sortie zoo. Je veux y aller, vraiment y aller, mais... J’enfilerai une armure pour me protéger. Le vieux truc moyenâgeux qui va couiner à chaque pas. Je pourrais jouer à faire une grosse voix d’outre-monde pour faire rire Lenny. Ouais, enfin... bonjour la discrétion. Un passe-montagne, voilà, ce sera bien pour être incognito ou je m’emballe dans une écharpe, c’est l’autre option, la mega option. Maman regarde son verre de vin comme moi je tourne le mien. Elle finit par me dire qu’elle tente de recoller les morceaux avec Lukas. — J’en doute pas. Je me sens gêner. J’ai l’impression qu’elle me rend des comptes sur ce qu’elle fait et c’est trop étrange. Ce que je ressens... bon sang j’ai envie de pleurer là ! Après tout c’est sa vie, elle la mène comme elle veut. Je n’ai pas à exiger quoique ce soit, à lui imposer une ligne de conduite. — Je suis désolée. Ces verres de vin, je crois qu’en fait de les boire, ils vont être un moyen de s’évader et de se recentrer sur la conversation, en même temps. Je me fixe sur le liquide qui tourne dans le verre sous l’impulsion du mouvement que je lui donne. — J’aurais pas dû t’en vouloir. Je t’en veux plus. Tu vis comme tu l’entends, avec qui tu veux. Si Lukas est la femme de ta vie, tant mieux, mais si c’est pas elle, ben du moment que tu est bien. Je veux que... Je cherche les bons mots pour expliquer et surtout m’excuser de la querelle qu’on a eu avant mon départ. — Je veux que tu sois bien. Je veux que tu sois heureuse. C’est la seule chose qui compte et qui doit compter et qui comptera. On s’adaptera. Kenzo, il l’a dit qu’on tient à Lukas, mais faut pas vous sentir obligées. Et encore moins vous forcez pour nous, si c'est vraiment pas ce que vous voulez. Je me décide à la regarder et surtout à m’approcher pour passer mon bras autour de ses épaules. Je l’embrasse sur la joue. — Je t’aime. Et surtout... — Plus rien et plus personne ne se mettra entre nous. Y’aura plus de querelle, jamais plus. Non, j’en veux plus, c’est une des choses dont je suis absolument sûre.

Je me dois de rassurer ma fille, cette soirée c’est la nôtre et je ne voudrais la passer avec personne d’autre au monde. Personne d’autre qu’elle. Lorsque je lui annonce que Lenny sera avec nous demain, je vois qu’elle semble heureuse et ça me ravit le coeur. « Oui totalement, le zoo c’est génial. On va passer une super journée. » Je lui souris mais je sens déjà qu’elle s’évade dans les méandres de ses pensées, peut-être même de ses angoisses, mais je crois surtout qu’elle n’est pas encore prête à en parler, et je ne veux pas la forcer. Elle doit prendre le temps qu’il lui faudra. Nous sommes similaires en beaucoup de points toutes les deux, qu’on le veuille ou non, et je sais sans doute mieux qu’elle imagine, à quel point elle peut parfois se sentir si mal. Pourtant, je tente un autre sujet. Lukas. Parce que je ne pense qu’à elle depuis notre séparation. Depuis toujours à vrai dire. « J’en doute pas. » Je tente de lui offrir un sourire qui se veut rassurant, mais son regard se met déjà à briller plus qu’il ne le devrait. « Je suis désolée. » Lâche-t-elle la voix presque tremblante. Je fronce les sourcils, dans l’incompréhension totale. « Chérie… non, de quoi ? Tu n’as rien fait de mal… » Je m’approche d’elle, posant mon verre sur la table et glissant une main tendre dans sa chevelure ébène. « J’aurais pas dû t’en vouloir. Je t’en veux plus. Tu vis comme tu l’entends, avec qui tu veux. Si Lukas est la femme de ta vie, tant mieux, mais si c’est pas elle, ben du moment que tu est bien. Je veux que… Je veux que tu sois bien. Je veux que tu sois heureuse. C’est la seule chose qui compte et qui doit compter et qui comptera. On s’adaptera. Kenzo, il l’a dit qu’on tient à Lukas, mais faut pas vous sentir obligées. Et encore moins vous forcez pour nous, si c'est vraiment pas ce que vous voulez. » Je souris de son discours, émue, touchée de par la maturité qu’elle sembla avoir acquérie malgré elle lors de son traumatisme. Elle s’approche et passe son bras autour de mes épaules avant de déposer un baiser sur ma joue.  « Je t’aime. Plus rien et plus personne ne se mettra entre nous. Y’aura plus de querelle, jamais plus. » Mon regard se met à briller davantage et je finis par fermer les yeux, poser mon front contre le sien. « Je t’aime aussi chérie. L’important c’est ça, ça ne change jamais. » Je relève mon visage pour déposer sur son front un baiser maternel et empli d’amour. « Et Lukas est la femme de ma vie. Je sais que vous l’aimez beaucoup Kenzo et toi, et ça m’a sans doute aidée à aimer encore plus Lukas. De savoir que vous l’acceptiez. J’ai fait une grosse bêtise, je m’en suis voulu, mais je suis pas prête d’abandonner. » Je lui souris un peu plus. « Elle reviendra à la maison, bientôt, j’en suis sûre. Il nous faut juste un peu de temps pour nous reconstruire. Mais c’est elle. Et pas une autre. » Je veux pouvoir la rassurer autant que je me rassure.

Ses gestes, ses paroles, tout est là pour montrer que les choses vont s’arranger. Je le crois. Et puis ça ne peut-être que comme cela. Des jours meilleurs s’approchent. Et pourtant... Ce n’est pas ce que je voulais. Dire que j’étais désolée et ne rien dire de plus. Surtout pas tout ce qui ne va pas. Mais nous sommes là. Je suis avec elle, contre elle, je suis le petit enfant qui est tombé, genoux écorchés, qui a besoin de pleurer, d’être réconforté, d’être caliné. Besoin d’être l’enfant dans les bras de sa mère. L’enfant qui ne sait rien. L’enfant qui ne comprend pas le monde des adultes et ne veut pas grandir. L’enfant qui a peur des monstres sous le lit. Je voulais une soirée tranquille pour elle, pour nous et en un claquement de doigts je perds pieds. Parce qu’il y a une chance que le monde revienne comme avant, nous cinq, parce Lukas et ma mère... Et en un claquement de doigt, il y a tout ce qui ne sera jamais plus comme avant. Ma mère qui a trompé Lukas. Moi qui ai croisé ces monstres du placard. — Tu y arrives toujours. A chaque fois. Tu parviens toujours à remonter la pente et tu remets les choses d’à plomb et nous emmènes plus loin. Je sais pas. Au point que ce que j’ai pu dire tout à l’heure dans la pool house était tronqué de beaucoup. — J’suis pas retournée à la fac. J’suis pas retournée au Centre nautique. Si on me demande... Je peux pas le dire et je veux pas le dire. Il n’y a que Reagan et Gaby qui savent. Mais parce qu'eux c’est spécial. — Comment est-ce que tu fais ? Tu as touché le fond plus d’une fois. Je ne dirai pas que tu as l’habitude. Gros soupir. C’est toutes ces fois qui ont foutu la merde ente nous. Avec le recul, avec ce qui s’est passé, je vois les déprimes de ma mère différemment et surtout, en fin de compte, malgré toutes les défaites face à la vie, elle ne nous a jamais abandonné. Elle aurait pu nous larguer et se foutre en l’air sans possible retour. — T’as tenu à cause de nous ? Kenzo et moi.

Je me dois de rassurer ma fille, parce que c’est le rôle d’une mère. Je n’ai pas toujours été la mère parfaite, je ne sais même pas si j’ai eu une seconde au rang de mère parfaite mais une chose est sûre, j’ai toujours fait de mon mieux. C’est ce que doivent faire les parents j’imagine. Et moi, j’étais le père et la mère, je devais tout gérer. Des jumeaux en plus, comme si on pouvait faire plus compliqué… Je sens que Noa a envie de parler plus sincèrement, plus en profondeur ce soir. Et si ce n’était pas ce que j’avais prévu, je ne me vois pas lui refuser. Je suis aussi là pour ça, et si j’ai souvent flanché dans mes devoirs de mère, je veux lui prouver que je suis là, et que je serai toujours là. « Tu y arrives toujours. A chaque fois. Tu parviens toujours à remonter la pente et tu remets les choses d’à plomb et nous emmènes plus loin. Je sais pas. » Je garde les yeux sur elle, dubitative quant à l’issue de sa réflexion, mais je la laisse continuer sans rien dire, évacuant ces questionnements qui semblent la perturber. « J’suis pas retournée à la fac. J’suis pas retournée au Centre nautique. Si on me demande... Je peux pas le dire et je veux pas le dire. Il n’y a que Reagan et Gaby qui savent. » Je hoche doucement la tête et tends la main pour caresser tendrement ses cheveux, l’incitant à poursuivre, à se livrer, je sais qu’elle en a besoin, et c’est nécessaire. « Comment est-ce que tu fais ? Tu as touché le fond plus d’une fois. Je ne dirai pas que tu as l’habitude. » Une boule naît dans ma gorge. J’ai toujours voulu les épargner de mes problèmes, de ma maladie, mais ça n’est pas simple quand on forme un noyau à trois. Jusqu’à leurs dix ans, la mère de leur père m’aidait beaucoup, mais à partir du moment où elle est partie, où elle nous a quittés, il ne restait plus que moi pour m’occuper d’eux. « T’as tenu à cause de nous ? » Les yeux brillants et un sourire ému je lui réponds du tac au tac. « Grace. Grace à vous j’ai tenu oui. Vous étiez ma seule issue, mon seul désir de m’en sortir, pour vous voir grandir, sourire, vivre… » Je pince un peu mes lèvres, toujours aussi émue par cette conversation. « Je suppose que c’est ma maladie qui veut ça, les hauts, les bas, et sans doute que si je ne vous avais pas, j’aurai abandonné depuis longtemps. Mais vous êtes là, et vous êtes ma plus grande force. » Je viens glisser mes doigts sous le menton de la jeune femme pour qu’elle me regarde et je lui offre un sourire. « Et je ne vous abandonnerai jamais. » Non, Jamais.

Avoir quelqu’un pour trouver en lui la ressource nécessaire pour avancer. Avoir ce lien comme un fil d’Ariane. J’ai mon frère, mes frères, ma mère, mes mères et pourtant je crois que j’ai perdu ce fil. Elle a tourné mon visage vers le sien. Elle me parle et étrangement je sens plus de force en son regard que toute celle que mes muscles pourraient livrer. Elle ne nous abandonnera jamais. — Je sais. Quelques mots glissent dans mon souffle. Murmure. — Je sais. Je le crois. Une respiration encore. Un rythme lent contre la déferlante de la vie. — Je sais me battre contre les vagues, mais là... Tu vois c’est... Je ne sais pas comment lui expliquer ce vide qui m’envahit un peu plus chaque jour qui semble être la seule défense que mon propre corps, mon esprit, ont trouvé pour éloigner les cauchemars. — J’ai pas les armes pour me battre contre le sang que j’ai sur les doigts. Je crois que c’est ça le plus dur. Y’a de la colère, je sais qu’il y en a dans un coin. J’aimerai qu’elle se réveille, ce serait plus facile. Mais c’est l’immobilité qui a prit le dessus. Une respiration, expression de ce qui vit. — Grâce à nous ?... J’esquisse un sourire. Puis plus largement. J’allais ajouter quelque chose quand la sonnette de la porte d’entrée nous fait tourner la tête. — Oh ! Notre repas ! Bouge pas, je m’en occupe. Cet élément terre à terre me redonne de l’énergie pour bouger. Non pas que j’ai une faim démoniaque mais la simplicité de l’acte m’arrache à ce serpent qui enserre dans la dépression qui me guette à chaque pensée sombre. J’ouvre la porte avec un brin de joie, récupération du sac, acquittement de la note. Je reviens vers ma mère chargée et rieuse. — Service à domicile, c’est la plus belle invention qu’on est faite. Sans aucun doute non, mais tellement pratique. Je déballe et j’étale sur la table basse du salon ce que nous avons commandé. Ce n’est pas le livreur qui m’a redonné un peu de bonheur. Je le sais très bien. C’est ma mère. Je ne me souviens plus de ce que j’avais choisi. Si elle me laisse la possibilité, je vais picorer dans chaque boite. — Tu crois que Lenny sera plutôt pizza ? Je pense que oui, Lukas avale surement plus vite une pizza qu’elle ne dégaine son arme de service. — Faudra lui montrer qu’il n’y a pas que ça dans la vie. Je n’ai pas repris notre sujet de conversation. C’était une soirée détente à la base. On n’aurait mieux fait de sortir, ça m’aurait éviter de plomber l’ambiance avec mon humeur de chien mouillé attaché à un poteau.

J’ai fait une grave erreur en poussant Noa hors du domicile familial pendant ma dernière crise, et malgré son retour, nos excuses mutuelles, il y a toujours une part de moi qui culpabilise, cette part de mère qui se sent indigne d’avoir poussé sa progéniture entre les mains d’un être malveillant. Nous n’en avons encore jamais parlé, j’imagine qu’il est trop tôt, mais ça a tendance à me bouffer le cerveau. Peut-être qu’il faudrait que je pose la question à Lukas pour arrêter de m’auto-flageller. « J’ai pas les armes pour me battre contre le sang que j’ai sur les doigts. Je crois que c’est ça le plus dur. Y’a de la colère, je sais qu’il y en a dans un coin. J’aimerai qu’elle se réveille, ce serait plus facile. Mais c’est l’immobilité qui a prit le dessus. » Je continue de la regarder, mon regard s’embuant légèrement alors que je ne comprends que la moitié de ses messages codés. Du sang sur les mains ? Que veut-elle dire par là ? Mon coeur s’emballe et je n’ai pas le temps de lui répondre quoi que ce soit, que déjà elle repart sur ma réponse précédente. « Grâce à nous ?… » Elle sourit, ce sourire divin qui me donnerait la force de tout surmonter, juste pour avoir la chance de revoir cette merveille à nouveau. Alors mon sourire fait écho au sien, mon coeur s’emballe d’une émotion si forte et si caractéristique de ce lien mère fille dont j’ai toujours ressenti si puissant bien qu’enfoui là, en nous.

Finalement, c’est la sonnerie de l’appartement qui nous coupe dans cette discussion si puissante. Ce n’est pas plus mal, l’idée n’était pas de plomber la soirée, bien que j’imagine ce genre de discussions nécessaires pour nous permettre d’avancer, elle de son côté, moi du mien, et nous deux main dans la main. Je la regarde se lever et je souris, ne la lâchant pas des yeux, jusqu’à ce qu’elle revienne pour étaler notre repas sur la table basse. « Service à domicile, c’est la plus belle invention qu’on est faite » « A qui le dis-tu ! » Je ris un peu et me replace un peu mieux, alors que nous commençons à piocher dans toutes les boîtes en carton, chacune notre tour. « Tu crois que Lenny sera plutôt pizza ? » Je lève les yeux au ciel en riant, avant de finir ma bouche pour répondre. « Lukas m’a dit qu’elle lui a pas encore fait goûter mais ça ne serait tarder. » Mon ex petite amie a tendance à raffoler un peu trop de la pizza, alors que de mon côté, je m’efforce de bien manger, faire à manger quand j’en ai le temps, et acheter que des trucs bios. Kenzo est rapidement devenu végétarien tout comme moi, mais j’ai peur que Lenny développe une addiction pour les fast food et tout ce que je déteste, à cause de Lukas. M’enfin, il ne pourra pas avoir une éducation parfaite cet enfant. « Faudra lui montrer qu’il n’y a pas que ça dans la vie. » Je souris et hoche vivement la tête. « Il va falloir que je me dépêche de reconquérir Lukas si je veux pouvoir avoir la main sur l’éducation nutritive de ton frère ! » Nous rions toutes les deux et continuons de manger. « Au fait, tu as des nouvelles de Gaby ? Ça fait un moment qu’on ne le voit pas traîner dans les environs… » Je ne parle pas encore d’Aoline même si ça me brûle les lèvres, Noa doit forcément être au courant de quelque chose, alors que moi, je n’ose pas poser plus de questions à Kenzo.

— Reconquérir Lukas rapidement pour donner une bonne hygiène de vie à Lenny... A peine dit que j’éclate de rire, manquant de peu de recracher ma bouchée. Ma main devant mes lèvres empêche le pire dans ce sens. Par contre, je m’étouffe à moitié. Quand je parviens à reprendre mon souffle, c’est pour rire de nouveau. — Je sens qu’entre vous deux cela va tenir du combat assidu. Ne te fais pas trop d’illusions, dès que tu auras le dos tourné, Lukas reviendra à ses habitudes. Je sens que je vais m’amuser à compter les points. Pauvre Lenny. Laissez-le faire ses propres choix. Et là je décolle complètement en plein délire, mime à l’appui. J’imagine le truc pire qu’une pub pour pâtée pour chien. — La pâtée X dans la gamelle de droite et la pâtée Y dans la gamelle de gauche et on sonne la cloche pour lâcher le chien. Vegan dans une assiette et pizza dans l’autre et Lenny à l’autre bout de la pièce qui se met à courir. Il fonce à toute vitesse. C'est une course de fou pour arriver. Encore un dernier effort et il plonge le nez dans l’assiette... Sushi ! Je lève les bras en l’air en guise de victoire. Je suis complètement morte de rire de mon imagination débridée sur un sujet que je ne sais pas s’il faut le prendre gravement au sérieux ou pas. Je suis pliée en deux tellement je ris. Je me tourne un instant vers ma mère qui rit aussi, moins que moi certes, on le comprend. Mon humour parfois... Mais je crois que je viens de lui offrir un petit moment de détente loufoque. Les yeux humides, je me dis que ça fait énormément de bien de laisser couler des larmes pour autre chose que de la souffrance. Je prends un verre déjà rempli plus tôt, pendant notre diner. J’y trempe mes lèvres et bois lentement.

Qu’est-ce que ma mère sait des circonstances de l’enlèvement. Je ne me suis pas étalée sur le sujet. Aucun détail. Avec Kenzo non plus. Ils ont vu le résultat sur mon visage de ma rencontre avec un fou furieux. Est-ce qu’elle a demandé à Lukas ? Sait-elle qu’un homme est mort cette nuit-là ? Aucune idée. Je suis responsable de cette mort autant que celui qui l’a executé. Cette blessure m’a fait, me fait tellement plus mal que tous les coups reçus. Je devrais lui dire, mais pas à cet instant. Nous venons de renouer avec la bonne humeur. Pas question de l’entâcher. D’ailleurs, elle me parle de Gaby. — Oh ! Je ne l’ai pas revu depuis que je suis passée chez lui le jour où je suis rentrée. Je... J’ai fait en sorte de ne croiser personne, le moins possible. J’essaie de me souvenir de la conversation. — Je crois que je lui avais confié la mission d’éduquer Kenzo en matière de mécanique... Je fronce les sourcils et commence à faire tourner ma main. Non il ne s’agissait pas de voitures. — Mécanique sexuelle. Je ne sais pas s’il l’a fait et je n’ai pas été d’humeur à aborder le sujet avec mon frère. L’idée ne met même pas venue.

 « Reconquérir Lukas rapidement pour donner une bonne hygiène de vie à Lenny… » Je hoche vivement la tête tout en mangeant un petit quelque chose et voilà que ma fille part dans un de ses délires dans lequel j’entre bien volontiers. Je la regarde mimer une sorte de pub imaginaire que j’imagine sans aucun problème, pouffant de rire jusqu’à ce qu’elle arrive à la fin et que je me laisse aller à rire vraiment en même temps qu’elle. « Arrête, ça va être la guerre ! Quel enfant n’aime pas le trop sucré et trop gras hein ? Vous êtes tous passés par là ! » Et finalement, heureusement que Noa et Kenzo n’avaient déjà pas Lukas comme belle mère à l’époque parce que bonjour les dégâts ! J’aime éperdument cette femme mais il y a des points sur lesquels nos avis divergent, et encore heureux j’ai envie de dire. Sortir avec quelqu’un qui nous ressemble, quelle horreur. Nous nous calmons peu à peu et reprenons notre dîner, alors que je pose une question à propos de Gaby. Il était toujours fourré à la maison pendant un temps, je sais que Noa l’aimait bien, mais depuis un moment, plus vraiment de nouvelles. « Oh ! Je ne l’ai pas revu depuis que je suis passée chez lui le jour où je suis rentrée. Je... J’ai fait en sorte de ne croiser personne, le moins possible. » Je fronce légèrement mon nez dans une grimace qui traduit mon mal-être face à cette situation, cet aveu. Je n’ai pas encore eu le courage de lui demander de me raconter plus en détail, j’imagine qu’elle le fera lorsqu’elle sera prête, loin de moi l’idée de la forcer à quoi que ce soit, surtout si c’est pour qu’elle se sente mal. Autant qu’elle le fasse d’elle-même. Et par respect pour elle, je ne veux pas poser la question à Lukas. C’est son histoire, son vécu, ses traumatismes, et je ne veux pas interférer dans son mal-être quotidien. « Je crois que je lui avais confié la mission d’éduquer Kenzo en matière de mécanique… » J’ouvre un peu plus grand les yeux, surprise par son aveu, ne comprenant pas réellement de quoi elle veut parler, ou du moins, j’ai peu de comprendre. « Mécanique sexuelle. Je ne sais pas s’il l’a fait et je n’ai pas été d’humeur à aborder le sujet avec mon frère. » Je lève les yeux au ciel en riant, avant de secouer la tête. « Mon dieu, je veux pas savoir… » Je sais que Kenzo n’a jamais eu de relation sexuelle, et qu’il souffre pas mal de son retard de ce côté là, se pensant vraiment différent. J’essaie de le rassurer mais il est vrai qu’à 23 ans, ça commence à faire tard. Je ne sais pas si Gaby pourra l’aider à s’ouvrir un peu plus, mais je préfère ne pas trop y penser. Mon bébé reste mon bébé. « Tu crois que ça commence à le titiller ? Enfin qu'il a une amoureuse ou quelque chose comme ça ? » Je discute beaucoup avec lui, mais pas de ce sujet là, c’est clair. Je crois que j’ai un peu peur de voir mon bébé grandir. Noa est plus indépendante, elle me ressemble, c’est tellement différent.