(b a s t i a n) -

1. Bastian est arrivé à Island Bay avec sa famille quand il avait cinq ans suite au décès de son oncle et sa tante. Sa grand-mère, veuve depuis plusieurs années, se faisait vieille et si elle tenait à s’occuper personnellement de sa petite-fille laissée orpheline, les parents de Bastian ont décidé de lui apporter leur soutien. Et on ne va pas se mentir, ce n’est pas évident d’apporter son aide depuis un autre continent. 2. Bastian fait partie d’une fratrie de cinq enfants. Les quatre premiers sont nés à Annecy en France, alors que la petite dernière a vu le jour à Island Bay, cinq mois après l’arrivée de la tribu en Nouvelle-Zélande. Si la famille a beaucoup d’importance pour lui, Bastian n’a pas les meilleurs rapports du monde avec sa mère. Il l’a toujours trouvée trop stricte - avec lui tout du moins. Ses efforts, ses réussites, ce n’était jamais suffisant pour elle. Ça l’a beaucoup touché, si bien qu’un jour, comme un acte de rébellion, il a refusé de parler dans sa langue natale avec elle comme il avait l’habitude de le faire. Il n’a plus jamais adressé un seul mot en français à sa mère. Mais s’il ne s’entend pas très bien avec sa mère, il est très proche de son père. Ils partagent une complicité qui n’a jamais cessé de grandir au fils des années. Cependant, la personne la plus importante à ses yeux, celle avec qui il a toujours tout partagé, celle qu’il aime appeler son journal sur pattes, c’est sa sœur jumelle Albane. Il ferait n’importe quoi pour elle. C’est sa moitié et son pilier, il n’est pas capable d’imaginer un monde dans lequel elle n’existe pas. 3. Il est cependant impossible de parler de la famille de Bastian sans mentionner Charlie et Isaac. Sur le papier, le seul lien qui les unit est légal. Isaac est son filleul. Pourtant, à eux trois, ils forment une famille. Il a toujours été là pour Charlie. Amoureux d’elle depuis toujours, il s’est contenté de la place de meilleur ami. Il l’a soutenue quand elle est tombée enceinte à dix-neuf ans, il l’a aidé quand Isaac est né et encore aujourd’hui, il prend son rôle de parrain - pour ne pas dire ‘père’ - très au sérieux. Son rôle de meilleur ami, not so much anymore. Mais ça, c’est tout autre chose. 4. Et puis, il y a Leigh. Celle qu’il s’apprête à épouser. Avec le temps, il s’est fait une raison : Charlie et lui, ça n’arriverait pas. Il a tenté sa chance pourtant. Il lui a ouvert son cœur, déclaré son amour et imploré de le choisir lui plutôt que Rafael, mais il faut croire que ce n’était pas suffisant. ‘Ils se remettent ensemble. Ils vont enfin pouvoir former une vraie famille.’ Deux phrases. Il ne lui en pas fallu plus pour décider d’accepter la place qu’on lui offrait dans une maison d’édition à Sydney et de quitter Island Bay la boule au ventre et les larmes coincées dans la gorge. Un an, c’est le temps dont il a eu besoin pour proprement tourner la page sur son échec cuisant avec Charlie. Ses sentiments pour elle restaient inchangés, mais il se devait - pour lui - d’aller de l’avant. Et puis, il a rencontré Leigh et tout est devenu tellement simple. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait bien. Les choses se sont enchainées tout naturellement. Ils se sont installés ensemble, puis deux ans plus tard, il a fait sa demande et elle a dit oui. Ils étaient heureux. Oui, ils l’étaient … jusqu’à ce qu’il la ramène à Island Bay suite au décès de la copine de son meilleur ami. Ils l’étaient parce qu’ils étaient loin. Loin de Charlie. Loin de celle qui a pêché son cœur et qui ne l’a jamais relâché à la mer. 5. Et Rafael dans tout ça ? D’où il sort lui ? Et est-ce qu’il n’est pas toujours dans les parages ? Que de bonnes questions. Rafael, c’est la bête noire de Bastian. Celui qui a ce don pour le faire sortir de ces gongs. Il le méprise du plus profond de son être et pourtant, il fut un temps où il le considérait comme son meilleur ami. Mais ça, c’était il y a très longtemps. Raf a été son premier ami à Island Bay. Les Beaumont sont arrivés au début des vacances scolaires et c’est tout naturellement que Bastian s’est incrusté dans le jardin des voisins pour jouer avec leur fils. De cet été est né une véritable amitié qui a duré un sacré bout de temps mine de rien. Ce n’est que quand Raf a commencé à sa rapprocher de Charlie au lycée que les choses se sont dégradées. Bastian était persuadé qu’elle en pinçait pour Raf alors quand cette autre nana a commencé à lui porter de l’intérêt, il s’est laissé submerger par ses hormones d’adolescent boutonneux. Et puis, il a vu Charlie se jeter dans les bras de Raf. Raf, ce meilleur ami qui savait absolument tout des sentiments de Bastian à l’égard de la jolie brune. Autant dire que les choses se sont compliquées. Jaloux comme des poux l’un de l’autre, ils ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez. Raf ne voyait que les regards tendres que Charlie adressait à Bastian et Bastian ne pouvait se focaliser sur autre chose que les mains baladeuses de Raf sur sa Charlie. Un beau bordel. L’amitié des deux garçons s’est détruite petit à petit jusqu’à se transformer en mépris. Encore aujourd’hui, s’ils se croisent, il y a de grandes chances qu’ils en viennent aux mains. Tout ça pour l’amour d’une femme. Ou alors est-ce juste une question de fierté ? 6. Du coup, vous l’aurez compris, ce n’est pas pour Rafael que Bastian est rentré à Island Bay. Non, depuis ce qu’il a pris pour une trahison de la part de son meilleur ami de l’époque, il a fait la rencontre d’un tout autre spécimen. Thad. Dessinateur de bandes dessinées, le jeune homme s’est un jour pointé à la Random House et il n’en est jamais reparti. De là est née une grande collaboration entre les deux lascars et une amitié des plus improbables. Mise à part leur passion pour la moto et pour la fête, ils n’ont pas grand-chose en commun. L’un est un grand défenseur des droits des animaux, un mordu de sport et se préoccupe trop de ce que peuvent bien penser les gens, alors que l’autre ne peut se passer de bacon ou de poulet dans son assiette, s’endort à tous les coups devant un match de foot et n’a honte de rien. Ils sont très différents, ne sont jamais d’accord et pourtant, ils forment un sacré tandem. Des conneries, je peux vous dire qu’ils en ont fait … et des belles ! 7. Mais Bastian ne se résume pas qu’à sa famille, ses amis et ses emmerdes. Ce qui le définit vraiment, c’est sa passion. Et non, je ne parle pas de l’amour inconditionnel qu’il porte à sa moto, mais bien de son adoration pour la littérature. Pour le mettre en d’autres termes, Bastian est et a toujours été un rat de bibliothèque. C’était le gars à l’école qui, dès qu’il commençait à s’ennuyer, sortait un bouquin de son sac sans se préoccuper du regard désapprobateur de ses professeurs. Il a fini par en faire son métier. Il a débuté en tant qu’éditeur et se plaisait beaucoup dans cette profession. Pourtant, dans le fond, Bastian a toujours été un auteur. Il a commencé très tôt à gribouiller ses idées sur un bout de papier, à aligner les mots pour raconter des histoires, si bien qu’il s’est mis à écrire des livres. Il ne les pensait pas bons, il ne se trouvait aucun talent d’écrivain. Cependant, s’il était plutôt discret, certains de ses amis avaient l’exclusivité sur ses textes. Il a reçu beaucoup d’encouragements, mais surtout l’une de ses plus proches amies, Calliopée, lui a donné un énorme coup de pouce. Sans rien lui dire, elle a envoyé l’un de ses romans à une maison d’édition à Sydney. Celle-ci a voulu le représenter. Il a accepté - pour les raisons que vous connaissez déjà - et il est officiellement devenu écrivain. 8. Vous l’aurez compris, l’écriture a toujours eu une grande importance dans la vie de Bastian. Quand il était ado, cela lui permettait d’extérioriser ce qu’il ressentait. Il n’a jamais été le genre de personne à parler de ses sentiments. Quand ça ne va pas, il enfile son masque de ‘la vie est belle, tout va bien’. Le seul sentiment qu’il est bien incapable de cacher est sa colère. Quand il commence à s’énerver, il y a soixante-dix pourcents de chance qu’il explose. Mais ce n’est pas là où je voulais en venir avec tout ça. Bastian écrit. Il a toujours écrit, mais aujourd’hui, son éditeur attend ses chapitres et il ne peut pas vraiment se permettre de prendre du retard. Depuis qu’il est rentré à Island Bay, il n’est chez lui que le soir et encore, pas tous les soirs. Toujours en quête d’inspiration, il va là où son esprit l’emmène et s’installe à peu près partout avec son ordinateur portable : sur un banc, au café, sur des escaliers, contre un arbre, dans un parc, parfois même par terre sur le rebord d’un trottoir. Le fait qu’il soit incapable d’écrire chez lui exaspère légèrement sa fiancée qui a l’impression de ne plus passer beaucoup de temps avec lui. 9. Bastian vit avec son temps. Pourtant, il n’est pas un grand amateur de technologies. Il sait se servir de son ordinateur et les consoles de jeux n’ont aucun secret pour lui. Cependant, il ne comprend pas bien le fonctionnement des réseaux sociaux. Son éditeur a réussi à lui faire intégrer que sa présence sur twitter ou instagram serait un moyen idéal pour faire la promotion de ses romans, seulement il galère. Il n’aime pas trop l’idée de se dévoiler sur internet à des inconnus. Le faire à travers ses bouquins est une chose, mais là, c’en est toute une autre. Pourtant, il sait que s’il veut rester au contrôle de ses comptes, il doit s’en servir. Sur ce point, son éditeur a été clair : s’il ne poste rien, ils trouveront quelqu’un pour le faire à sa place. Et ça, c’est encore pire aux yeux de Bastian. Alors il apprend. Lentement et maladroitement, certes, mais il est sur la bonne voie. 10. Seulement, si Bastian n’est pas un féru des réseaux sociaux, il n’en a pas peur pour autant. Pour tout vous dire, il n’a pas peur de beaucoup de choses. Je crois même que je ne peux en nommer que deux. Le noir. La solitude. Et encore les deux sont étroitement liés. Quand il était petit, Bastian s’est enfermé dans le sous-sol de leur maison à Annecy. Il y a passé plusieurs heures avant que ses parents ne s’aperçoivent qu’il y était coincé et viennent le secourir. Il faut dire que personne n’allait jamais au sous-sol. Il n’y avait rien en bas. Pas de lumière, rien que des toiles d’araignées. Mine de rien, il n’a pas développé de dégoût pour ces bêtes-là … juste pour le noir et la solitude. Âgé de seulement trois ans et demi, il a bien cru que personne ne viendrait jamais le sauver. Aujourd’hui encore, il garde un très mauvais souvenir de cette après-midi, aussi vague soit-il. Il a d’ailleurs toujours peur du noir complet et craint qu’on l’abandonne un jour.