quand le passé ressurgit // matt'

"Quand le passé ressurgit"

Son regard se posa sur un petit livre, d’une couleur rouge si vive qu’elle attirait inconsciemment l’œil. « Le guide de survie du jeune papa… » lut-il à voix basse.  Il relut le titre une fois, puis une autre, et encore une autre, avant de lever les yeux en direction du ciel – où Dieu était supposé se trouver. « Subtil, vraiment très subtil. » Et il s’éloigna de ce rayon avant qu’on ne le prenne pour un fou à parler seul.  Matthew s’arrêta un peu plus loin, dans un coin reculé de la librairie. Il soupira doucement, se passa la main dans l’épaisse barbe qui habillait son visage et dont il n’avait pas encore trouvé le courage de se débarrasser depuis son retour du Cambodge, puis recommença à flâner au milieu des bouquins. Cela faisait une bonne semaine - voire deux - qu’il était rentré de son tour du monde qui avait duré quatre ans. Quatre ans loin de chez lui, de sa famille, de ses amis. Quatre ans à parcourir le globe, découvrir d’autres cultures, rencontrer de nouvelles personnes, parcourir toute sorte de paysage. Et presque deux ans à venir en aide aux autres, à faire de l’humanitaire. Autant vous dire que de revenir à Island Bay était à la fois très plaisant et très bizarre pour le brun. Il n’avait pas fait grand-chose depuis que son avion avait atterri, il prenait le temps de retrouver ses marques, de s’habituer à la vie qu’il avait quittée. Mais le plus étrange était arrivé un certain après-midi. Le néo-zélandais s’était rendu sur la plage pour souffler un coup, profiter de cet endroit qu’il appréciait tant jadis, jusqu’à ce qu’il la vit. June. Elle était là, à quelques mètres de lui. Bien sûr elle ne l’avait pas remarqué au milieu de ce monde, d’autant plus qu’elle semblait particulièrement prise avec un petit garçon dont elle devait s’occuper. Mais lui l’avait reconnue tout de suite. Elle était la même, toujours aussi belle, à croire que quatre secondes s’étaient écoulées et non pas quatre ans depuis qu’il était sorti de la chambre après qu’elle ait refusé de partir avec lui. Il s’était mis debout et avait commencé à se diriger vers elle. Pourquoi n’irait-il pas la voir ? Matthew n’était pas quelqu’un de peureux ni d’hésitant, ce n’était pas sa façon de voir les choses. D’autant plus que de l’eau avait coulé depuis ce fâcheux événement, et il était persuadé qu’elle aussi était passée à autre chose. Cependant, quelque chose – ou plutôt quelqu’un – l’avait freiné dans son élan. Le petit garçon venait de l’appeler « maman ». Maman ? Matthew s’était figé avant de s’éloigner, songeur. Il ne saurait comment l’expliquer mais un choc s’était instantanément produit en lui. Le brun était quelqu’un d’intelligent mais surtout de très observateur. Et le petit semblait avoir le parfait âge pour… non. C’était impossible, elle lui aurait dit, il l’aurait appris. Son imagination lui jouait des tours, c’était certainement une partie de lui qui voulait se rattacher à l’espoir que June ne l’avait pas oublié, ne l’avait pas remplacé. Et pourtant, il était plus probable qu’elle ait trouvé quelqu’un avec qui faire sa vie plutôt que… C’était ce qu’il n’arrêtait pas de se dire depuis ce fameux après-midi à la plage, mais son cerveau ne le laissait pas tranquille un seul instant. Dès qu’il baissait sa garde la question lui revenait en pleine tronche : et si ? Il s’avait qu’il n’aurait pas l’esprit tranquille tant qu’il n’aurait pas parlé à June de ça, tant qu’elle ne l’aurait pas rassuré. Mais elle le prendrait certainement pour une fois et il ne pourrait pas la blâmer pour ça. Une nouveau soupire franchit ses lèvres. Et voilà que le livre sur lequel il venait de tomber l’avait de nouveau plongé dans ses pensées. Il devait sérieusement arrêter de se prendre autant la tête, cela ne lui ressemblait pas. Il tourna au bout d’une rangée et arriva dans le rayon des classiques de la littérature anglaise. Il attrapa en mains une nouvelle édition de trois romans de Jane Austen qui venait sortir. Curieux, il commença à feuilleter les pages du livre pour se rendre compte que celui-ci contenait des illustrations particulièrement jolies. Ce n’était pas forcément ce qu’il lisait, mais Matt’ était du genre à s’intéresser un peu à tout. Et puis au bout de plusieurs secondes, il releva la tête en ayant la désagréable sensation qu’on le fixait… c’était le cas. Elle se tenait là, à quelques pas de lui, son regard planté dans le sien. Matthew resta interdit sous le coup. Il la détailla et remarqua qu’elle faisait de même. Bizarrement, il sentit vieux à côté d’elle. Ce qu’il avait vécu – comment il avait vécu – au cours de ces dernières années l’avait marqué, des rides étaient apparues sur son visage… et puis il y avait sa barbe, cette énorme barbe qui le changeait complètement. Alors que June n’avait pas changé d’un pouce. Il s’était déjà fait cette réflexion à la plage, mais de plus près c’était encore plus visible. Et pour une fois, le brun hésita. Il voulut s’approcher d’elle et lui glisser un « Ola señorita » qui réveillerait de vieux souvenir, eux qui s’étaient rencontrés dans une bibliothèque et qui se revoyaient après tout ce temps au milieu des livres encore une fois. Mais les choses avaient changés ; ils avaient changé. Finalement, il retrouva son courage et rompit la distance qui les séparait. « June… » dit-il comme pour être sûr que ce n’était pas une hallucination mais qu’elle se tenait bel et bien devant lui, en chair et en os. « Ça fait si longtemps. » Une éternité. « C’est moi, Matt’. » précisa-t-il en se disant que peut-être elle ne l’avait pas reconnu. « Mais ça tu le sais déjà. » C’était ce que son regard venait de lui dire. Il se mit à rire doucement, à la fois gêné mais aussi pour se détendre un peu car la situation le mettais plus mal à l’aise qu’il ne l’avait imaginé. Il avait tellement de chose à dire, à demander, à savoir mais rien ne lui venait à cet instant, son cerveau était éteint tant il ne s’attendait pas à la voir si soudainement. « Dis-moi, comment tu vas ?! » finit-il par demander en lui souriant. « Ça a l’air d’aller en tout cas si je peux me permettre. Tu n’as pas changé, tu es toujours aussi magnifique… » Essayait-il de la charmer un peu ou était-ce un compliment purement gratuit ? Même lui ne le savait pas. « Alors que moi… » Il se frotta vigoureusement la barbe sans terminer sa phrase, avant de rire. Encore une fois, il ne lui laissait pas le temps de parler.

"Quand le passé ressurgit"

Elle se tenait là, juste devant lui. Matthew avait du mal à y croire, mais il savait bien que ses yeux ne lui mentaient pas. June le regardait fixement, leurs regards s’étaient plongés l’un dans l’autre l’espace d’un instant. Tellement de choses s’étaient passés depuis la dernière fois qu’ils s’étaient regardés ainsi, depuis la dernière fois où il l’avait vue. Il était parti, avait voyagé, découvert le monde… il s’était découvert lui-même. Il avait vu tant de choses que jamais il n’avait imaginé voir, vécu des moments incroyables, bouleversants, inoubliables… Et pourtant, la revoir était quelque chose qui le remuait plus qu’il ne l’aurait cru. Son cœur battait la chamade, il sentir son visage se réchauffer légèrement. C’était dingue de se mettre dans cet état pour quelqu’un avec qui il avait partagé tant de choses, qu’il connaissait par cœur – du moins, à une certaine époque. Mais finalement il réussit à se reprendre, à redevenir lui-même, pour s’approcher d’elle et engager la conversation. Il n’avait pas perdu sa tchatche, ni son débit de paroles. Mais il ne faisait pas attention à ça, ce qui comptait c’était qu’elle soit là, devant lui. Et il voulait savoir ce qu’elle avait fait, ce qu’elle était devenue, ce qu’elle avait vécu… et accessoirement, qui était ce partit garçon qu’il avait aperçu avec elle à la plage. Cette question le tracassait plus qu’aucune autre, mais il savait qu’il devait attendre le bon moment avant d’en parler. Dans la vie, tout était toujours une question de timing. Avec le bon timing il aurait la réponse à sa question. Avec le mauvais, il risquait de contrarier la brune et de subir ses foudres. « Ca va bien. Merci. » Sa voix… elle lui paraissait si familière et si étrangère pourtant. Il ne l’avait pas entendue depuis ce qui lui paraissait être une éternité. Au point d’en oublier la sonorité. Mais maintenant qu’il l’entendait, il s’en souvenait comme s’il l’avait entendue chaque jour durant ces quatre dernières années. Drôle de sensation, causée par les souvenirs et la nostalgie. « Tu devrais peut-être te raser ! Tu vas finir par avoir chaud avec les beaux jours qui arrivent… » Loin de le vexer, cette réflexion fit rire Matthew de plus belle. Il savait bien que ce nouveau look allait lui sembler bizarre, il n’avait jamais porté la barbe auparavant. « C’est bien ce que je pensais ! » lui accorda-t-il. « Pour tout te dire, c’est juste le temps que je retrouve mes marques… et puis, ça fait si longtemps que je la porte que ça va me faire bizarre de m’en séparer. » dit-il à la fois pour rire mais tout en étant sincère. Il ne savait pas si elle pouvait comprendre ce qu’elle disait, mais pour lui ça avait du sens. Ça faisait tellement longtemps qu’il ne s’était pas vu rasé, sans barbe sans rien, qu’il avait peur de ne plus se reconnaître s’il l’enlevait. D’autant plus qu’il avait changé durant son voyage, et ce changement physique lui permettait de se reconnaître en quelque sorte. Mais il savait qu’au fond tout ça n’étaient que des conneries, qu’il avait enlever cette foutue barbe qui lui donnait l’air d’un homme des cavernes, et qu’il resterait le même. C’était juste l’histoire de quelques semaines, le temps de retrouver la civilisation pleinement. « Ça fait longtemps que tu es rentré ? » La question de June le sortit de ses pensées. « Pas vraiment. » répondit-il dans un premier temps, avant de se rendre compte qu’il ne pouvait pas faire plus vague comme réponse. D’autant plus que ça dépendait de l’interprétation de chacun. « Deux semaines bientôt, un peu moins. » précisa-t-il pour qu’elle se fasse une idée, à elle de juger si cela faisait longtemps ou pas. Car pendant ce temps, il aurait pu parfaitement reprendre contact avec elle, prendre de ses nouvelles, essayer de la revoir. Mais il n’avait rien fait, préférant rester seul dans son coin. Il la regarda s’approcher un peu plus de lui, pénétrant son cercle d’intimité. Au fond, cela lui fit quelque chose mais il ne laissa rien paraître. Ils ne pouvaient pas se comporter comme des inconnus ou de simples connaissances, pas après tout ce qu’ils avaient partagés… et partageaient encore ? « Tu… tu comptes rester longtemps dans le coin ? » Sa voix trahissait son hésitation, tout comme son comportement. Matthew ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit dans un premier temps. Pourquoi ? Car il n’en savait fichtrement rien ! Il était revenu sur un coup de tête, n’abandonnant pas son projet mais disparaissant tout de même abruptement pour ceux avec qui il travaillait. Il était revenu pour il ne savait quelle raison, recherchant il ne savait pas quoi. Alors il ne savait pas s’il allait rester ou non, longtemps ou pas. « Je n’en ai aucune idée ! » finit-il par avouer en posant son regard sur June. Il avait l’impression que ça pouvait dépendre de certaines choses, et notamment d’elle… et de ce qu’il pouvait se passer, de ce qu’elle pouvait lui apprendre. « J’avais besoin de rentrer je pense, j’ai fait ça sur un coup de tête pour être honnête. Alors je ne sais pas trop si je vais m’éterniser ou pas. » Normalement il devrait encore être au Cambodge à l’heure actuelle. « Mais je n’ai pas l’intention de partir demain, si ça te va comme réponse. » Il sourit doucement, ne pouvant être plus précis mais faisant de son mieux pour ne pas être trop vague avec elle – ce qu’il avait l’impression de faire depuis qu’il avait ouvert la bouche il y a quelques minutes. « Et sinon, qu’est-ce que tu deviens toi ?! » Il était temps de changer un peu de sujet et surtout de relancer la conversation, avant que le silence ne s’installe ou que la situation ne devienne trop gênante. « Dois-je t’appeler Docteur maintenant ? » demanda-t-il malicieusement, bien que cela réveille des souvenirs douloureux. Après tout, c’était en partie à cause de ça qu’ils s’étaient disputés et séparés avant son départ.