Saute mouton SAWYER▬ROMEO

   

S awyer avait l’habitude de travailler. Levée de bonne heure pour nourrir la population animale du ranch. Travailler un peu partout sur l’exploitation, travailler avec ses chevaux, gérer la paperasse… Il n’y avait pas le temps de s’ennuyer, vraiment. Une chance qu’ils avaient assez d’employés pour que chacun puisse se permettre de se poser deux minutes sans s’inquiéter que le monde n’arrête de tourner même si dernièrement, Sawyer avait tendance à toujours vouloir se tenir occupée. Les choses n’étaient pas simples depuis l’accident de Ryan, et le ranch, c’était son refuge. Sa routine, même si on ne pouvait décemment pas s’attendre à ce que deux journées soient identiques dans ce genre de boulot. Hormis quand l’heure de la nourriture arrivait, les animaux ne connaissaient pas la routine. Ils avaient leurs humeurs, leurs bons et leurs mauvais jours, et il fallait sans cesse s’adapter.  

Sawyer sortait à cet instant d’une énième séance de travail avec un cheval de cross… Qui refusait de sauter. C’était problématique, n’est-ce pas ? Le cheval et son cavalier avaient subi une mauvaise chute et si physiquement l’équidé s’était remis impeccablement, cette frayeur avait laissé quelques cicatrices invisibles. Ils avaient progressé, cependant. Petite victoire après petite victoire, ils avançaient. Reprenaient les bases de manière à le remettre en confiance. Inutile de presser les choses, Sawyer n’avait pas envie de le braquer en allant trop vite. Elle décida donc de s’arrêter sur sa victoire du jour et avait donc mis pied à terre, flattant l’encolure de l’animal et lui glissant une pierre de sucre pour le féliciter avant de quitter la carrière d’obstacle. Elle traversait tranquillement la cour lorsqu’elle senti son pied s’enfoncer dans quelque chose de mou. Elle s’apprêtait à râler, pensant qu’un crottin n’avait pas été ramassé le palefrenier de corvée ce jour là, mais se reprit au dernier moment. Bon sang Echo, t’abuse ! Saleté de chien. Ils étaient dans une ferme, il avait des hectares entiers d’herbe pour aller se soulager et il avait fallu qu’il se soulage au milieu de la cour. Avec un soupire, Sawyer alla essuyer sa botte dans un coin d’herbe avant d’aller attacher le cheval, qu’elle dessella rapidement avant de l’emmener prendre une bonne douche bien méritée. Une fois l’animal propre et correctement pansé, elle le conduit jusqu’à son champ et à peine relaché, il s’était empressé d’aller rejoindre ses compagnons.

C’est à ce moment là qu’elle les vit, un peu plus loin. Blake, petite chèvre élevée au biberon devenue la mascotte des lieux – et qui, accessoirement, se prenait pour un animal domestique – et un jeune homme, inconnu au bataillon. A grandes enjambées, Sawyer traversa le champ et enjamba la clôture. Hey ! les interpella-t-elle en s’approchant d’un pas déterminé. Vous êtes au courant que vous êtes sur une propriété privée, n’est-ce pas ? demanda-t-elle au jeune homme qui, les autre fers en l’air, semblait s’amuser comme un petit fou avec la jeune chèvre. Fichue biquette, elle qui commençait à se demander où elle était passée, elle avait finalement sa réponse. Quoiqu’une question demeurait : Blake avait-elle trouvé l’inconnu, ou était-ce lui qui avait mis la main sur la fuyarde ?  

D e par ses mésaventures passées, Sawyer avait appris à être méfiante. Mais Sawyer restait Sawyer, et il n’était pas dans sa nature d’être agressive sans raison. Ce garçon était sur la propriété de la famille Blake, certes… Mais pour le moment, il ne semblait pas avoir fait quoi que ce soit de mal, à moins que rire et jouer dans l’herbe avec une chèvre ne soit considéré comme un crime. Bien entendu, la propriété était délimitée et des panneaux annonçaient ça et là qu’il s’agissait d’une propriété privée mais il était aisé d’en louper un. Ils n’avaient pas non plus déformé le paysage en y collant un panneau tous les deux mètres.

Malgré tout, Sawyer voulait savoir ce que le jeune garçon faisait là. Il était chez elle et elle était donc en droit de poser quelques questions, et d’y attendre une réponse. Ouah c’est à toi tout ça ! C’est incroyable ! s’exclama le jeune homme avec les yeux ronds comme des ballons. Il y avait une telle naïveté dans sa voix et sur les traits de son visage que Sawyer avait du mal à imaginer que sa réaction ne soit pas sincère. Sawyer ne répondit rien. Si elle avait parlé de propriété privée, ce n’était pas pour défendre les terres du voisin, évidemment. Techniquement, la propriété appartenait à sa mère, mais c’était du pareil au même. Ce ranch, c’était chez elle. En ce moment, ça l’était encore davantage que la maison qu’elle partageait avec son mari amnésique, et qui avait plus l’air d’une colocation que de la demeure d’un couple. Elle habite ici ? lui demanda-t-il avec toujours cette même candeur. Sawyer confirma d’un signe de la tête. Oui. On nous l’a confiée juste après sa naissance. Sa mère est morte pendant la mise-bas, on a dû l’élever au biberon. D’où sa grande proximité avec l’homme. Il n’était d’ailleurs pas rare de la voir débouler dans la maison avec Echo, le chien de Sawyer, en pleine partie de jeu. Ils râlaient tous pour le principe, mais dans le fond elle faisait rire tout le monde, au ranch.  

[color=darkcyan)Je faisais la sieste un peu plus loin, pas ici, plus loin et cette biquette est venue me lécher le visage, donc on a fait connaissance ! Ensuite elle m’a emmené jusqu’ici, afin de me faire visiter un peu ![/color] lui raconta-t-il tout en gratouillant le crane de la bestiole qui évidemment, n’attendait que ça. Ca ne m’étonne même pas. Elle a grandit en jouant avec mon chien et je crois que des fois, elle oublie un peu qu’elle n’en est pas un. D’ailleurs, en parlant de chien… Il était où celui-là ? Sawyer parcouru brièvement les environs du regard mais reporta son attention sur le jeune homme lorsqu’il lui demanda comment s’appelait la chèvre. Blake, l’informa-t-elle. Son nom de jeune fille. Le nom de famille des propriétaires des lieux. Ca leur avait semblé convenir à cette petite boule de poil qui était rapidement devenue la mascotte du ranch. Dis-moi, ça t’arrive souvent de faire la sieste au milieu des champs ? demanda-t-elle au jeune homme. Vu sa tenue, elle se demandait même s’il avait une maison. Un t-shirt trop large, un pantalon pas non plus à sa taille…

C’est ce moment qu’Echo choisi pour venir la retrouver, le berger allemand à poils longs traversant joyeusement le champ jusqu’à eux. Plus méfiant que ne pouvait l’être la chèvre, le chien vint s’arrêter près de Sawyer, le regard rivé sur l’intrus. Il était passé en mode chien de garde. Calme Echo, lui intima Sawyer, caressant le sommet de sa tête d’un geste tranquille. Echo n’était pas méchant. C’était même tout le contraire, et tant qu’il ne se passait rien, il resterait tranquille… Mais il était clair dans son attitude qu’il était attentif. Il surveillait et protégeait sa maison.

S awyer s’était toujours estimée heureuse d’avoir grandit dans un tel endroit. Même si vivre entouré d’animaux signifiait qu’il y avait toujours des choses à faire, que les grasse matinées étaient un luxe qu’elle avait rarement pu se permettre, elle n’aurait changé échangé tout ça pour rien au monde. Ce ranch, elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux, et il en allait de même pour chacun de ses occupants. Quand son mari avait eu un accident et avait fini dans le coma, c’est ici qu’elle s’était réfugiée. La maison de son enfance, ses animaux, sa mère et ses bons petits plats… C’était rassurant. Reposant, malgré la somme de travail qu’une telle propriété représentait. Mais ça lui donnait de quoi s’occuper, de quoi éviter de trop penser. Encore aujourd’hui, c’est ce qu’elle cherchait à faire : arrêter de penser. Arrêter de se tracasser sur l’état de son mariage, sur sa relation avec Ryan, sur l’état de son mari, de son beau-frère, de la famille Braxton qui volait en éclats…

Elle ne s’était pas attendue à faire des rencontres, cependant. Elle connaissait chacun des employés et l’activité du ranch n’étant pas orientée vers les loisirs, elle ne voyait pas défiler une somme incalculable d’inconnus chaque jour. Seuls les gens ayant un cheval en pension au ranch allaient et venaient à leur guise. Enfin, ça c’était en général, mais ce jour échappait à la règle puisqu’un jeune homme avait trouvé son chemin jusqu’aux champs de la famille Blake après avoir suivi une chèvre qui passait par là. Normal.

La chèvre eut d’ailleurs droit aux présentations avant Sawyer. Pas qu’elle soit du genre à s’en vexer. Elle-même pourrait aisément passer pour une folle aux yeux de beaucoup avec sa manie de parler aux animaux. Mais pourquoi ne pas leur parler, après tout ? Ils comprenaient bien plus que choses qu’on ne le pensait. Souvent, ils n’avaient même pas besoin qu’on leur parle, d’ailleurs. Pour preuve, Echo était venu les trouver pour s’assurer que tout allait bien sans que qui que ce soit ne l’ait appelé. Il connaissait assez bien son monde pour savoir qui avait ou non le droit d’être là. Et pour lui, les jolis nuages n’étaient visiblement pas une raison valable puisqu’il se tenait au pied de Sawyer, visiblement sur ses gardes face à cet inconnu. Salut Echo, ne t’inquiète pas, je ne vais pas rester longtemps, c’était juste le temps de raccompagner ta copine jusque chez elle ! dit Romeo à l’attention d’Echo, qui l’observait toujours les oreilles dressées, méfiant. Sawyer caressa le dessus de sa tête, comme pour lui signifier que tout aller bien, mais il lui faudrait un peu plus que ça. Faut pas faire attention. Il protège seulement sa maison. Tant que celui qu’il considérait comme un intrus ne ferait pas de geste déplacé, le chien ne poserait pas de problèmes. Il surveillait, c’est tout.

Tu fais du fromage ? Du lait ? Tu as plusieurs types d’animaux ? Tu as aussi des chevaux ? J’aime bien les chevaux ! S’il avait l’air assez inoffensif, le jeune homme était pour le moins curieux. Il enchainait les questions les unes après les autres, un véritable interrogatoire. Pas que ça dérange Sawyer. Peut être était-elle trop naïve, mais il ne semblait pas y avoir de quelconques arrières pensées dans l’esprit du jeune homme. Pas de fromage, mais on a quelques vaches oui. On en avait plus avant, mais… j’ai une préférence pour les chevaux. Quelques uns sont en pension, d’autres sont là parce qu’ils ont quelques petits soucis à régler. J’ai tendance à récupérer tous les laissés pour compte du coin, expliqua-t-elle. Chevaux maltraités, abandonnés, traumatisés… Elle les récupérait tous. Pas que les chevaux, d’ailleurs. Les pensions et le travail avec des chevaux de propriétaires, c’était un moyen de faire rentrer de l’argent. Le reste, c’était une passion. On ne fait de toute façon pas ce genre de travail si on n’est pas passionné par ce qu’on fait.

S awyer savait parfaitement que les apparences pouvaient être trompeuses. Ses mésaventures passées l’avaient rendue assez méfiante, même si elle s’acharnait à ne pas voir le mal partout. Mais, malgré son intrusion, elle n’arrivait pas à trouver de mauvaises intentions au jeune homme qui se trouvait face à elle. Il semblait juste… Dans son monde. Un peu comme quelqu’un d’autre qu’elle connaissait, qui aimait les animaux tout autant que lui, et ne ferait pas non plus de mal à une mouche. Romeo dégageait une impression d’innocence, de candeur tout ce qu’il y a de plus sincère. C’était dans son regard, dans son attitude. Alors non, elle n’était pas particulièrement méfiante face à lui, contrairement à Echo qui, s’il s’avérait que les instincts de Sawyer lui faisaient défaut, n’hésiterait pas à intervenir. Et Romeo avait beau, selon ses dires, avoir déjà dormis avec des lions et des tigres, elle doutait qu’il apprécierait particulièrement de se faire mordre le derrière par un berger allemand. C’était le genre de choses que peu de personnes appréciaient. Pour ce qui était de forcer Blake à faire la même chose, elle doutait franchement qu’elle arriverait à quoi que ce soit. Et petite qu’elle était, elle n’impressionnerait de toute façon pas grand monde.

Loin d’être refroidi par la méfiance de l’animal, il raccompagna Sawyer et ses deux bestioles jusqu’à la maison, un peu en contrebas.  Ouah, c’est super ! J’aime bien monter à cheval, c’est génial, je n’arrive pas à cru, je voulais essayer mais en fait je suis trop petit, donc j’y arrive pas ! dit le jeune homme lorsqu’elle confirma la présence de chevaux sur la propriété. Sawyer haussa les épaules face à sa réflexion concernant la monte à cru. Je suis plus petite que toi et j’y arrive. Suffit de prendre un bon appel… Ou un marchepied, et le tour est joué ! Monter à cru, c’était sûrement ce qu’elle préférait. Elle n’avait jamais eu l’âme d’une compétitrice, ce qu’elle aimait, c’était l’animal, la relation de confiance qui pouvait s’établir entre un cavalier et sa monture. Et il n’y avait rien de tel que de se débarrasser de tout harnachement pour ressentir toutes les sensations de ce sport qu’elle aimait tant, le contact direct avec l’animal et chacun de ses mouvements. Ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’était ces grands galops sur la plage avec Silver, qui finissait toujours par aller se baigner, ce grand idiot ne pouvant résister à l’appel de l’eau bien longtemps.

Je vais peut-être te laisser travailler, j’imagine que tes animaux t’attendent, et je m’en voudrais qu’il te retienne ! Et promis je repars, je ne vais pas aller m’endormir dans un de tes champs ! Sawyer acquiesça d’un signe de la tête. En effet, quand on travaille dans ce genre d’endroit, il y a toujours des choses à faire. Quand ce ne sont pas les animaux qui demandent de l’attention, il y a toujours une clôture à réparer, de la paperasse à gérer, du matériel à entretenir… Ce n’était pas un hasard si Sawyer passait autant de temps ici, ces temps-ci. Tant qu’elle était occupée, elle n’avait pas trop le temps de penser. C’est vrai que ça demande beaucoup d’attention, tout ce monde là, approuva-t-elle, jetant un coup d’œil alentours. Je suis ravie d’avoir fait ta reconnaissance, en tout cas. Fais attention à ne pas t’endormir n’importe où, par contre. Tu pourrais croiser des gens bien moins aimables que moi. Elle doutait que les palefreniers et autres employés du ranch, ou même sa mère, apprécieraient cette pratique.