oops i did it again → isabella

Crunch, crunch, crunch…

« Mais bordel, qu’est-ce que c’est que ce raffut ?! Coupez ! »

L’origine de ce raffut n’était autre que Cleo en train de manger des chips tout en prenant le son – ce qui est presque un exploit tant tenir une perche de cette hauteur vous occupe les deux mains. Avec nonchalance, la jeune femme ramena sa perche pour prendre appui dessus tout en s’efforçant de faire comme si elle ne voyait pas le réalisateur venir dans sa direction. Court sur pattes et plutôt massif, il lui faisait penser un peu à Danny DeVito mais en moins cool. Cela dit, ça ne changeait rien au fait qu’on le voyait venir de loin. Et à la couleur de son teint, elle sut qu’elle allait le sentir passer.

« Cleo, c’est toi la preneuse de son, tu dois bien entendre qu’il y a un bruit dérangeant sur le plateau. Et qu’il vient de toi, qui plus est !! »

L’espace d’un court instant, elle eut peur qu’il ne leur fasse une syncope ici, tout de suite, tant une veine de son cou ressortait, comme si elle était animée d’une volonté propre et qu’elle s’apprêtait à l’attaquer, tandis qu’il lui hurlait dessus. A l’inverse, la rouquine garda son calme et c’est avec flegme qu’elle répondit :

« Toutes mes excuses, votre altesse sérénissime, je ne savais pas que le son avait une telle importance dans ce genre de films… »

Et elle enfourna une nouvelle poignée de chips tandis que le réalisateur s’emportait un peu plus et hurlait à toute l’équipe, cette fois, que la scène était fichue et que le tournage reprendrait le lendemain.

Bon sang, ce que Cleo pouvait détester ce job. Au départ, ça lui avait procuré l’illusion d’avoir de l’importance et puis ça payait ses factures. Tout juste mais elle n’en demandait pas plus, à l’époque. Aujourd’hui, tout ça lui sortait par les yeux et il fallait qu’elle se répète comme un mantra qu’elle n’avait plus qu’un an et demi à tenir. C’était la durée de son contrat. Après quoi, elle pourrait voir venir maintenant qu’elle avait enfin touché son héritage.
La demoiselle jeta un coup d’œil à sa montre et vit qu’il était à peine seize heures. Elle n’était pas mécontente d’avoir fait foirer le tournage ; ça lui laissait le temps de flâner un peu dans les rues de sa nouvelle ville, qui sait, de faire les boutiques même, peut-être.

Toute guillerette, la rouquine claqua la porte du « studio » après avoir récupéré ses affaires et se hâta de se glisser derrière le volant de sa Mini flambant neuve une fois qu’elle eut chaussé sa paire de lunettes de soleil. Il devait faire aussi chaud dans l’habitacle qu’en enfer, probablement, et Cleo se surprit à rêvasser à son Ecosse natale. C’était l’hiver là-bas, et s’il ne neigeait pas, vous pouvez être sûrs et certains qu’il pleuvait. Un climat plus seyant à la peau de rousse qu’elle se traînait et qui brûlait à la moindre exposition.

Arrêtée à un feu rouge et très occupée à observer ses nombreux coups de soleil dans le rétroviseur, elle vit bien le feu passer au vert mais ne remarqua pas que la voiture devant elle n’avançait pas. Une personne distraite au volant, sans doute, et ça n’aurait pas été un problème si la jeune femme n’était pas distraite elle aussi. Bref, arriva ce qui devait arriver ; Cleo débraya, passa la première sans détourner le regard du rétro et BOUM. Bruit de tôle qui grince, elle venait de percuter l’arrière de la voiture qui se trouvait juste devant elle. Par réflexe, elle sortit la tête par la fenêtre et jugea bon de prévenir l’autre conducteur :

« C’est vert ! »

Elle se retint de jurer ou d’insulter qui que ce soit et sortit de la voiture pour se rendre compte par elle-même de l’étendue des dégâts. La carlingue de sa voiture était toute griffée, il faudrait qu’elle passe au garage… en ce qui concernait l’autre voiture, c’était à peu près pareil à première vue. Conclusion : ç’aurait pu être pire. Cleo s’intéressa ensuite au conducteur qui s’avéra être une conductrice.

« Ça va ? Pas trop de casse ? »

Elle posait la question comme si elle l’avait percutée à pleine vitesse alors qu’elle avait juste redémarré et que, si la voiture était endommagée, ça ne saurait être le cas de sa conductrice. Mais mieux valait être prudente.

A la bonne heure, personne n’était blessé. Rien qu’un peu de tôle abîmée. Cleo se surprit à sourire en retour à la conductrice dont elle venait d’emboutir la voiture mais c’était dû au soulagement. L’autre conductrice commença alors à s’excuser et la rouquine secoua la tête ; c’était autant de sa faute que de la sienne, elle aussi n’avait qu’à faire un peu plus attention, ce n’est pas parce qu’une voiture est arrêtée à un feu vert que l’on peut lui rentrer dedans. Enfin bref, si l’une et l’autre se répandait en excuses, elles seraient sans doute encore là demain matin. C’est alors que l’autre jeune femme posa la question qui la fit frémir. Pour elle ne savait quelle raison étrange, à chaque fois que quelqu’un prononçait le mot « police », Cleo en avait des sueurs froides. Elle n’avait pourtant jamais eu aucun démêlés avec eux, n’avait encore jamais fait de prison – et espérait bien ne jamais passer par cette case sur ce grand plateau de Monopoly qu’est la vie – et n’avait donc pas de raison de réagir de la sorte mais c’était plus fort qu’elle, elle n’y pouvait rien. Elle tâcha toutefois de ne rien laisser paraître parce que ça devait sembler vachement suspect, quand même et répondit dans un petit rire :

« La police ? Oh non, ne les dérangeons pas pour si peu. Puis s’ils savent remplir un constat alors deux femmes intelligentes comme nous aussi, n’êtes-vous pas de mon avis ? »

Elle se gara rapidement sur le bas-côté pour cesser de déranger la circulation et prit les papiers dans la boîte à gants de sa Mini avant de revenir auprès de l’autre conductrice.

« Regardez, il y a un petit café là-bas. Je vous offre quelque chose à boire ? On pourrait s’y poser pour se pencher de plus près sur la question, peut-être ? »

Tout ça serait tout de même un petit peu plus agréable avec un bon thé tout ce qu’il y a plus de réconfortant, à son avis. Elle entraîna donc la jolie latina et l’une des tables composant la terrasse du petit café, harponna un serveur qui passait par-là et lui demanda un thé au jasmin. Ensuite, la demoiselle farfouilla dans son sac à main à la recherche d’un stylo puis elle put enfin jeter un œil à ce constat. Okay… Cleo retirait ce qu’elle venait de dire, ça avait l’air assez compliqué, tout compte fait. Mais elle pouvait gérer ! Au pire, si les papiers étaient mal remplis, un coup de fil à son assurance en rentrant et le tour serait joué.

« Hum, je pense qu’on est toutes les deux en tort dans l’histoire, non ? Du coup, ça doit être le cas. Ça a l’air assez simple, il suffit qu’on fasse un croquis et une description de ce qu’il s’est passé dans ces petites cases et puis on signe toutes deux en bas de page. »

Tu parles, Cleo avait l’impression de répéter un truc qu’elle avait entendre dans un soap-opéra bidon, mais bon, ça semblait assez proche de la vérité pour faire l’affaire. N’empêche que c’était toujours la même chose avec la paperasse, on vous filait des papiers à remplir dignes d’assureurs et tant pis si vous ne l’étiez pas. Soit, elle aurait beau ruminer tant qu’elle le voudrait, ça n’y changerait rien. Vint alors à l’esprit de la rouquine qu’elle ne s’était même pas présentée et en même temps, elle n’en avait pas encore eu l’occasion, elle n’allait tout de même pas débarquer devant l’autre conductrice en s’exclamant « Salut, je suis Cleo, l'espèce de chauffarde qui vient de défoncer votre voiture ! », ça faisait mauvais genre.

« Au fait, je m’appelle Cleo et je suis navrée de faire votre connaissance dans ces circonstances. »

Le tout accompagnée d’une petite poignée de main so British.

Décidément, cette jeune femme lui plaisait beaucoup. Non seulement elle ne lui avait pas hurlé dessus pour avoir embouti l’arrière-train de sa voiture – ce qui se serait passé dans 80% des cas -, mais en plus, elle aussi était d’accord sur le principe qu’une bonne tasse de café pouvait tout arranger. A cette heure, la terrasse du petit café aurait dû être prise d’assaut par la populace avide de choper le cancer de la peau en s’exposant bien trop longtemps au soleil mais bizarrement, il n’en était rien. Cleo n’eut donc aucun mal à trouver une place et à s’installer plus à son aise pour essayer de déchiffrer les papiers d’assurance. « Ça a l’air simple. » avait-elle dit tout en pensant le contraire et se doutant bien que ce genre de trucs n’était jamais simple, un peu comme de remplir sa feuille de déclaration d’impôts et si vous vouliez son avis, elle vous dirait que c’est ça que l’on devrait vous apprendre à l’école au lieu d’un théorème qui ne vous servira jamais à rien dans la vie à moins d’être astrophysicien. Toujours est-il que ce qui la rassura fut le fait que l’autre conductrice n’avait pas l’air de mieux s’y connaître qu’elle.

Elle s’appelait Isabella, la rouquine se fit la réflexion que ça lui allait à la perfection, lui rendit son sourire et se pencha d’un peu plus près sur le constat. Il allait falloir qu’elle dessine. C’était légèrement problématique étant donné que son niveau en dessin ne dépassait pas celui d’un élève de maternel, elle n’avait clairement jamais poussé l’exercice plus que de dessiner des bonshommes bâtons mais soit, ce n’était pas une œuvre d’art qu’on lui demandait et la jeune femme était convaincue que tous les automobilistes qui avaient un jour eu un accident n’étaient pas des dessinateurs professionnels mais tout de même, il ne faudrait pas que ça ne soit pas clair. Aussi commença-t-elle par remplir les champs où elle était certaine de ne pas faire d’erreur : nom, prénom, date de naissance, type de véhicule et ainsi de suite. Encore que pour le type de véhicule, ça commençait déjà à se corser et elle se rendit compte qu’elle aurait peiné à dire de quel modèle ou combien de cylindres il y avait sous le capot si elle n’avait pas eu les papiers de la voiture sous les yeux. D’ailleurs, c’était quoi exactement des cylindres dans une voiture ? En voilà une bonne question. Elle demanderait au garagiste de le lui expliquer lorsqu’elle irait faire arranger la carrosserie bien qu’elle risque de ne pas s’en souvenir très longtemps.

Isabella intervint alors, lui faisant remarquer qu’il y avait de fortes chances pour que cela prenne plus de temps que ce qu’elle avait cru au départ. Cleo ricana en hochant de la tête.

« Oh, moi ça va, je viens de sortir du travail, il fait beau, les oiseaux chantent alors j’ai tout mon temps. Mais j’espère ne pas vous retenir donc n’hésitez surtout pas à le dire si vous devez vous en aller. »

Car en effet, difficile de dire quand elles en auraient fini et tout le monde n’avait pas tout son temps devant lui comme Cleo, les autres avaient une famille, des responsabilités et tout ce qui va avec souvent. Elle les plaignait mais ainsi va la vie. Une serveuse sortit alors du café pour venir prendre leur commande. La rouquine opta pour un cappuccino et un cookie et attendit ensuite qu’Isabella passe commande à son tour avant de se replonger dans ses papiers. Et dire que ce n’était pas la première fois qu’elle avait un accrochage… elle devrait être habituée à ce genre de formalités maintenant mais il n’en était rien car ce n’était jamais elle qui avait remplis ses papiers, quand il y avait eu de quoi en remplir. Oh, n’allez pas croire qu’elle est un danger public, loin de là mais elle avait une conduite assez sportive qui s’accordait qu’à moitié avec celle des autres conducteurs du coin qu’elle trouvait relativement mous du genoux pour être gentille.

« Ça fait longtemps que vous vivez ici ? »

C’était une question que Cleo aimait bien poser puisqu’elle n’avait emménagé à Island Bay que trois mois auparavant, elle ne connaissait pas encore bien le coin et tout conseil était bon à prendre de les part des néo-zélandais.