sortie d'école (ginnifer)

Sortie d'école. C'était à mon tour de m'occuper du "gardiennage", c'est à dire de vérifier que les personnes venant chercher les petits avaient l'autorisation s'il n'était pas le ou les parents autorisés, et de s'occuper de faire la garderie pour les enfants dont le parent était en retard pour les chercher. Ou la nounou, ça marchait pareil dans tous les cas. La journée s'était merveilleusement bien passée. Les petits s'étaient amusés en apprenant et moi aussi. C'était pour ce genre de journées que j'étais bien contente d'être devenue maîtresse d'école. J'adorais mon travail, c'était vrai, mais je rêvais d'autre chose malgré tout, c'est pourquoi ce genre de journée était agréable. Elles me rappelaient que je n'étais pas complètement là par hasard, que je l'avais voulu. À trente ans, à défaut d'être maman, j'avais le plaisir de m'occuper d'une vingtaine d'élèves tous les jours, et j'adorais ça. Avec surprise, je constatais que le nombre d'enfants non récupérés avait baissé en très peu de temps. J'avais reconnu la plupart des parents habitués à venir, vérifié les autorisations et les papiers des autres. Il ne restait avec moi qu'une petite fille, Joana, et Kellian, le petit chouchou de ma classe. J'avais pas mal de peine pour lui quand je savais qu'il était à l'orphelinat. Surtout que, de ce que j'avais compris, c'était pas toujours la joie là-bas. Mais bon. Joana fut finalement vite récupérée. « Qui vient te chercher aujourd'hui, Kellian ? » Il haussa les épaules, l'air de dire qu'il n'en savait rien. À cinq ans, malgré toutes les difficultés qu'il avait eues niveau famille, il s'était débrouillé suffisamment bien pour être en CP. Il savait déjà lire et écrire avec assez de facilité alors que la moitié de la classe avait encore beaucoup de mal, à ce stade de l'année avait encore beaucoup de mal avec certains mots. Au bout de quinze longues minutes durant lesquelles il ne m'adressa pas un seul mot, une demoiselle, adolescente, se pointa. Je l'avais déjà vue dans le coin, mais jamais elle n'était venue quand j'étais de "gardiennage". Je la saluais. « Tu es la soeur de Kellian ? » Je pensais que non, mais la question se posait malgré tout. Elle venait, alors qu'elle n'avait peut-être pas l'occasion, mais les autres avaient l'habitude. Quant à moi, j'étais assez curieuse.

J'avais pas eu le choix. A l'orphelinat, c'était comme ça. Fallait que tu fasses quelque chose de ton après-midi. Sauf que voilà, moi j'avais pas cette habitude. Normalement, je passais mon temps sur mon ordinateur. Je détestais cet endroit. Mais je ne voulais certainement pas rentrer chez ma mère. Je préférais encore être placée dans un pays loin, quitte à ne plus voir mon frère plutôt que de rester un instant de plus dans sa maison. J'étais pleine de colère envers elle. J'avais du mal à accepter ses mensonges. Alors, bêtement, comme un petit mouton dans le rang, je m'étais pliées aux exigences de l'endroit qui m'avait accueillie sans regarder plus profondément dans mon dossier, ce sans quoi ils se seraient rendus compte de la supercherie informatique grossière que j'avais montée. Mais tant que mon secret était sauf, il fallait que je me plie à la tache.

Alors, j'avais trouvé un truc plutôt sympa. M'occuper de récupérer un de mes petits frères d'orphelinat à l'école. Et lui faire faire ses devoirs. Quoi ? c'était dans l'intérêt de l'orphelinat ! Et le seul paiement qu'il y avait à ça, c'était la gratitude du petit.. Là, c'était la troisième fois que j'allais chercher le petit Kellian à l'école. Je trépignais d'impatience. Jusqu'alors, je n'avais jamais eu l'occasion de le récupérer, alors qu'il me considérait comme une grande soeur. Quand il fait un cauchemar, la nuit, il vient dans mon lit comme si j'étais vraiment sa soeur. Un véritable amour ce petit. Je l'aimais trop. Trop mignon. Enfin, avec moi, en tout cas. J'avais fini les cours, et j'étais partie comme une folle sur mon vélo pour être à l'heure. Parce que bon, c'était pas comme si son école était près de mon lycée. Mais bon, fallait bien faire avec, les vélos servent très bien, à ce niveau là. En arrivant devant les grilles de l'école, je jetais un coup d'oeil à ma montre. Zut ! j'étais en retard ! J'espérais que le petit n'allait pas attendre trop longtemps, et qu'on me le laisserait. J'étais entrée, et avais vite fait salué la maîtresse qui le gardait, d'un simple "bonjour". Poli, courtois, mais bref. Mais autant le dire, sa question me prenait par surprise. Elle ne me connaissait pas. Et moi non plus. Alors, c'était évident qu'elle pose la question. Mais je ne m'y étais simplement pas attendue. Alors, je la regardais droit dans les yeux. Et je tentais de contenir ma surprise.
« Euh... Je suis pas tout à fait sûre que ce soit comme ça qu'on puisse le qualifier.. » En vrai, je ne savais pas définir ce que j'étais pour Kellian. Pas vraiment une soeur d'orphelinat, vu le grand mensonge qui découlait de mon arrivée ici. Pas une babysitter non plus, c'était plus important que ça. Et encore moins une vraie soeur. Puis, je me décidais à reprendre, en en disant le plus possible tout en en disant le moins. « On vient tous les deux du même orphelinat, et c'est moi qui vient le chercher aujourd'hui.. Donc soeur d'orphelinat, si ça fonctionne pour nous... » Oui, voilà, pas d'affirmation, c'était très bien. Une suggestion. Parfait. En espérant que ce ne soit pas le déclencheur d'une recherche d'information sur moi..

Le petit Kellian était à croquer. Toujours gentil, toujours souriant, il semblait toujours être à des années lumières du fait qu'il vivait sans ses parents. Je n'avais jamais eu le fin mot de la raison pour laquelle il n'était pas avec eux, et ça ne me regardait pas, même si la curiosité venait souvent me ronger lors des heures de classe. Seulement, voilà, je n'avais pas vraiment l'autorité pour demander une telle chose à un enfant et je n'avais pas le culot d'aller embêter la directrice avec mon besoin de savoir. La jeune fille brune qui venait le chercher me regarda avec des yeux suspicieux. Y avait-il quelque chose que je n'étais pas supposée savoir et que j'aurais pu soupçonner avec une simple question ? Et en même temps, elle avait l'air tellement confiante, que j'aurais pu en être complètement désarçonnée. Mais j'avais pris l'habitude des jeunes, surtout des grands frères et soeurs qui étaient persuadés que chaque question ou chaque affirmation était une mise à l'épreuve.

Un sourire s'afficha sur mes lèvres. Je pouvais comprendre et j'admirais assez sa dévotion pour le petit. Certains auraient dit que ça n'en était pas, mais venir chercher un enfant du même orphelinat, c'est pas n'importe quel ado qui l'aurait fait, clairement. Même moi, à son âge, je ne serai pas allée chercher une de mes petites soeurs. Bien que la situation soit différente. Mais même Agathe n'aurait jamais eu ce traitement de faveur de ma part. Non non. « D'accord ! Je posais la question, ça fait un petit moment que je te vois régulièrement aux alentours et j'en suis venue à la conclusion que... enfin, voilà quoi. » Bravo Albane, y a vraiment rien de plus clair que ça dans ta phrase ! Ce que je pouvais m'avérer cruche parfois. « Mais soeur d'orphelinat, ça va très bien. Comment tu t'appelles ? » Au moins, j'aurais un nom à mettre sur le visage et je pourrais le donner à mes collègues qui ne l'aurait jamais vu. Et insister : non, il ne s'agit pas d'un enlèvement.

Depuis le temps que j'avais promis à Kellian de venir le chercher, je n'avais jamais vraiment pris une minute pour ne pas faillir à cette promesse. Alors, j'avais tout mis en oeuvre quand il m'avait tristement dit le matin que je ne venais toujours pas, et que ce jour là, il resterait à l'école si c'était pas moi qui venait. Quel petit morveux qui me faisait du chantage ! Il avait de la chance que je me sois amourachée de lui ! Et que je n'aurais rien voulu faire d'autre comme tâche pour l'orphelinat. Même si après, je devais l'aider avec ses devoirs, c'était pas quelque chose qui m'effrayait. Au pire, je lui apprendrais l'informatique, il piraterait les cours de ses enseignants à merveille, j'en suis sûre ! Mais je n'étais certainement pas inconnue aux lieux. J'amenais souvent Kellian à l'école avant d'aller au lycée, et même, parfois, même si c'était en retard, je prenais la moitié du chemin restante vers l'orphelinat avec lui. Donc il était possible qu'on me connaisse au moins de vue.
J'étais entrée, et m'étais trouvée nez à nez avec sa maîtresse. Une jeune femme, je dirais. Elle avait l'air plutôt gentille, attentive aux enfants. La preuve en était : sa question qui m'avait un petit peu déboussolée. Je l'avais regardée un instant, presque interdite, avant d'avouer que non, je n'étais que sa soeur d'orphelinat, me résignant au fait que peut-être, elle m'empêcherait de le récupérer. Bon, au pire, on aurait dormi tous les deux à l'école. Ou au poste de police, lui que je préférais éviter, pour ne pas risquer de griller totalement mon identité, et me faire retrouver par ma mère.
Mais finalement, cette réponse semblait lui convenir. T-A-N-T- M-I-E-U-X ! De toute façon, c'était vrai, j'étais sa sœur d'orphelinat. j'avais regardé partout sur l'ordinateur. Aucune nouvelle de ma disparition. Maman s'en fichait de moi. Je lançais un très bref sourire à la maîtresse de Kellian en l'entendant. On aurait dit qu'elle me présentait presque des excuses. Alors, peut-être par réflexe, je lui répondais. « Il n'y a aucun souci. » Le petit Kellian était arrivé à côté de moi et enlaçait ma jambe, ce qui me faisait toujours rire. « Je m'appelle Ginnifer. » l'informais-je, en souriant de nouveau. Après tout, si ça lui permettait de faire éviter l'arrivée des flics parce que je venais chercher mon petit frère, ou celui qui était tout comme. « Il a été sage aujourd'hui ?. » demandais-je, en montrant du menton le petit monstre.

Elle semblait méfiante, sans vraiment que je ne sache pour quoi. Même s'il n'était pas difficile de s'imaginer que vivre à l'orphelinat, ça ne devait pas aider dans la vie de tous les jours et qu'il y avait de quoi se méfier d'un peu tous les genres de questions. Moi, je n'étais pas vraiment quelqu'un de curieux au point de toujours tout vouloir savoir. Mais j'appliquais à la fois le règlement et ma bonne conscience en demandant toujours un minimum syndical d'informations sur les personnes qui venaient chercher mes élèves. Mais là, ça me démangeait. J'en avais plein, des questions à lui poser. Et je me devais de me mordre la langue pour ne pas toutes les poser subitement tel un interrogatoire, m'efforçant de garder ma contenance prisonnière devant mon sourire. Qui s'agrandit quand elle affirma qu'il n'y avait pas de souci. En même temps, devait-il vraiment en avoir ? Kellian était attachant comme tout. Et dans tous les sens du termes puisqu'il avait enlacé la jambe de sa compagne d'orphelinat. « Enchantée Ginnifer. Ca fait longtemps que tu es à l'orphelinat ? » Non, je n'allais pas lui faire passer l'interrogatoire de toutes mes questions, mais celle-ci me semblait importante. Je jugeais bon de savoir depuis quand elle connaissait le petit garçon. « Plutôt oui. Kellian a la réputation d'être un petit ange, et il a bien travaillé aujourd'hui. Il faudrait juste que, d'ici la semaine prochaine, il lise un peu plus... il bute sur certains mots » Après tout, même s'il n'avait que cinq ans, il était en CP, il devait apprendre autant que les autres.

Je l'avoue, j'étais pas bien à l'aise à l'idée de parler un adulte qui semblait lucide, puisqu'elle ne faisait pas partie de l'orphelinat. Eux, ils étaient débiles, totalement. Ils s'étaient même pas rendus compte que j'étais pas une orpheline. Que mon comportement n'avait rien à voir avec celui des autres. Dans le fond, je le savais très bien, j'étais une petite capricieuse pourrie gâtée. Sinon, je ne serais pas partie comme ça, et j'aurais tenté de prendre d'abord contact avec mon frère. Mais non, j'avais l'habitude de tout avoir maintenant. Et ça, je craignais que l'institutrice de Kellian ne le remarque. Cela ne m'aurait presque pas étonnée, en somme. Parce que bon, je me cachais pas vraiment assez, et puis, surtout, la vérité finissait toujours par ressortir, comme on disait.
Mais je ne me voyais pas laisser Kellian comme ça, sans me présenter vraiment et aller le chercher. Non, il était temps que je sorte de ma tannière. Et puis, voir sa bouille en train de dessiner, de jouer ou quoi à l'école, je trouvais ça vraiment trop chou. Elle me demandait si ça faisait longtemps que j'étais à l'orphelinat. Bon, dans ma tête, je repassais ma version, au cas où, on ne savait jamais trop. « Eh bien non, je suis arrivée il y a quelques mois seulement. Ca a été un peu compliqué, j'ai changé de ville récemment. » Oui, voilà, très bien, comme j'avais appris : baser son mensonge sur une vérité. Comme ça il passait crème, et surtout, je risquais mieux de m'en souvenir.
Je savais que Kellian était un enfant sage. Il était le seul qu'on n'entendait pas à l'orphelinat. Et pourtant, je demandais quand même ce qu'il en était. Parce que je passais mon temps à le taquiner sur le sujet, et surtout, savoir ce qu'il faisait de sa journée, c'était toujours bien. « Ah, bon, ça va alors ! Je l'aiderai à lire.. » J'adorais lire. Et d'ailleurs, on me disait souvent que j'étais observatrice. Certainement à cause des livres qui m'avaient appris à lire au delà de l'apparence. Enfin, même si je ne risquais pas de m'en vanter, ça ne m'arrivait pas beaucoup de tomber vraiment juste. Je regardais l'institutrice, et plissais légèrement les yeux. « Excusez-moi pour l'indélicatesse mais.. vous n'êtes pas un peu jeune pour être instit' ? » La plus jeune des maîtresses que j'avais eu à la petite école avait au bas mot 40 ans. Je m'étais toujours dit que les études pour y arriver devaient être longues. Mais elle, elle semblait tout juste atteindre les 30 ans..

Elle était différente des deux enfants de l'orphelinat qui étaient à l'école. Kellian et un autre, plus âgé. Je ne m'en étonnais pas vraiment à vrai dire, me disant que chaque enfant est différent. De même que sa réaction. Cette gamine était certainement une de ceux qui réagissaient à la situation avec beaucoup plus de distance. Même si ça me laissait une impression étrange. Ce n'était pas mes affaires non plus, tant que le petit Kellian rentrait à l'orphelinat en sécurité - et je me doutais bien que c'était le cas avec cette demoiselle qui venait souvent par ici - c'était tout ce qui m'importait. S'il n'arrivait pas à bon port, nul doute qu'une des personnes s'occupant des enfants là-bas serait venue en nous demandant de ne plus laisser Ginnifer venir le chercher. Et comme ce n'était pas le cas, je lui faisais plutôt confiance. Elle avait tellement l'air de se préoccuper de lui, que je ne pouvais pas me tromper. Malgré cette sensation d'étrangeté. « Si ça n'est pas trop indiscret... puis-je te demander où tu vivais avant ? » J'étais extrêmement intéressée subitement. Elle risquait de trouver ça suspicieux, c'était vrai, mais j'aimais bien savoir à qui j'avais à faire. Et puis, ça fait la discussion, et je pouvais m'avérer être une petite bête bien trop curieuse. Un sourire s'afficha sur mon visage. Elle avait l'air d'être très préoccupée par Kellian, et ça faisait plaisir à voir. En tant qu'enfant de famille nombreuse je ne connaissais pas vraiment l'abandon et même si parfois j'avais rêvé de plus de libertés, je m'inquiétais toujours de ceux qui n'avaient pas eu ma chance de se retrouver bien entouré. Même si parfois trop surtout. Je me contentais d'acquiescer, un sourire sur les lèvres. C'était une très bonne initiative.
Et puis... et puis la question qui manqua de me faire m'étouffer de rire. Moi, un peu trop jeune ? ah bon ? J'étais plutôt étonnée de cette réaction. « Un peu jeune ? J'ai des collègues plus jeune que moi. J'ai la trentaine, si ça peut te rassurer, et tous mes diplômes en poche. » Que j'avais même eus avec un an d'avance, mais on n'était pas là pour étaler ma vie non plus.