up & up (zowny)

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zowny

Cette année, le mois de janvier avait été particulièrement éprouvant. L'épreuve la plus difficile à appréhender avait bien sûr était le départ, juste après les fêtes, de mon frère pour la guerre. Zadig était un militaire salué par ses pairs pour son courage, et par ses supérieurs pour ses valeurs. Il était de ceux qui donneraient leur vie pour sauver celles des autres, ou pour l'honneur de leur pays. Quand les médias couvraient des conflits à l'étranger, ils s'attardaient régulièrement sur ces héros qui, sous couvert du drapeau américain, quittaient femme et enfants. Mais il était beaucoup plus rare d'entendre les prières des proches qui attendent, terrifiés, le retour de leurs soldats à la maison. Depuis plusieurs années, je faisais partie de ces gens. Je n'étais ni l'épouse, ni la fille. J'étais la soeur, la petite soeur terrorisée à l'idée que son pilier ne revienne jamais. J'étais celle qui détestait l'armée, pour lui avoir voler son frère. Zadig et moi avons grandi sans personne, mais nous ne nous étions jamais sentis seuls... jusqu'à ce qu'on l'envoie en mission sur des terres ensanglantées. Et cette fois, je me retrouverais, moi aussi, seule dans une contrée inconnue. Aussi, pour tenter d'amoindrir mes inquiétudes, Zadig avait pris soin d'organiser une petite soirée, avant son départ, avec ses plus proches amis. J'avais pu rencontrer quelques têtes parmi lesquelles Tawny, elle aussi engagée dans l'armée. Si j'avais été très réfractaire à l'idée de socialiser avec une personne qui, de toute évidence, serait amenée à disparaître du jour au lendemain pour une mission à l'autre bout du monde, j'avais dû me rendre à l'évidence : elle était plutôt cool, et Zadig lui faisait confiance. C'était là un paramètre non négligeable. J'avais donc commencé à la connaître ce soir-là, et elle avait pris soin de prendre régulièrement de mes nouvelles après le départ de mon frère. Elle comprenait mes craintes, ma frustration d'ignorer la position exacte des soldats dans ce foutu monde et ne me jugeait pas pour mon avis très tranché sur son employeur. Tawny avait très certainement été missionnée par mon frère pour garder un oeil sur moi mais peu importe, elle était simplement présente comme l'aurait été une amie. Et aujourd'hui, pour l'en remercier, je lui avais proposé de venir boire un verre à l'appartement. C'est avec plaisir - je crois, en dépit de sa petite voix au téléphone - qu'elle avait accepté. Peut-être que nous avions toutes les deux besoin de nous changer un peu les idées. Il était bientôt vingt heures, et j'eus à peine le temps de jeter un oeil à ma montre qu'on sonna à la porte.

@Tawny Graham-Lewis

« Promets-moi. » Mon regard plongé dans celui de Zadig, je hoche la tête et croise mes bras. « Je te promets que je prendrai soin d’elle. » Zadig et moi, on se connaît pas depuis super longtemps, mais il a été un des seuls à ne pas me regarder comme un bout de viande sur la base, un des seuls à prendre ma défense quand je me suis fait emmerder par des petits cons. Si j’avais eu un frère, j’aurai voulu qu’il lui ressemble. Je ne sais pas pourquoi il me missionne de prendre soin de sa soeur, je sais qu’elle est la prunelle de ses yeux mais elle n’a plus douze ans, elle a même quelques années de plus que moi. Peu importe, j’ai promis. On s’est vues une fois toutes les deux et le courant est plutôt bien passé, et de toute manière une promesse est une promesse.

Zadig est parti le mois dernier, et depuis, je prends régulièrement des nouvelles de Zola par sms, même si c’est assez impersonnel, et que ça n’aide pas à démêler le vrai du faux. Quand elle me répond que tout va bien, comment savoir si elle esquive la question ou si elle va vraiment bien ? Mais ce soir, c’est une invitation en bonne et due forme que Zola m’a adressée. Venir boire un verre chez elle. C’est avec plaisir que j’accepte l’invitation et à l’heure dite, je me dirige vers son appartement. Il est rare que je sois à l’heure, elle a de la chance. C’est mon casque sous le bras que je sonne à la porte de l’appartement, passant une main dans mes cheveux pour les remettre en place. Elle ouvre la porte et je lui adresse un large sourire. « Salut Mini Warhol ! » C’est comme ça que son frère l’appelait quand il me parlait d’elle. Elle me laisse entrer et au passage, je plaque un baiser sur sa joue. Une fois à l’intérieur, je retire mon blouson de moto et pose mon casque quelque part où ça ne gênerait pas. « Alors, comment tu vas ? » Je me retourne pour la regarder, elle n’a pas l’air d’avoir le moral qui déborde de joie, comme ça on est deux. Enfin, pour ce qui est de moi, c’est pas la peine d’en parler. Je suis là pour elle. « J’ai reçu un truc pour toi aujourd’hui, ça tombait bien que tu m’invites… » Je sors de mon blouson une lettre un peu froissée, un peu salie. « Ils devaient te l’envoyer dès lundi mais je me suis dit que c’était mieux que je fasse le pigeon voyageur ! » Je lui tends la lettre sur laquelle y est marqué son nom d’une écriture assez peu soignée. Celle de son frère. « Il m’a écrit aussi, il m’a dit qu’il me botterait le cul si je venais pas te voir régulièrement… » Je ris un peu et hausse les épaules, un peu mal à l’aise de voir les yeux brillants de Zola en regardant la lettre qui lui est adressée.

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Son casque de moto sous le bras, Tawny me lança un amical : « Salut Mini Warhol ! » en référence à ce vieux surnom dont Zadig m'avait honorée. Je ne pus m'empêcher de sourire au souvenir de nos moments de disputes fraternelles, où je tentais d'asseoir mon autorité sur lui. Il ne l'avouera jamais mais parfois, ça fonctionnait ! « Mon caporal. » répondis-je ironiquement à mon invitée, tandis que je refermais la porte derrière elle. « Alors, comment tu vas ? » « Je pète la forme. » lançai-je sans me départir d'une certaine forme d'ironie. « J’ai reçu un truc pour toi aujourd’hui, ça tombait bien que tu m’invites… » Un truc pour moi ? D'un air intrigué, je songeais à ce que pouvait être cette étrange surprise. « Ils devaient te l’envoyer dès lundi mais je me suis dit que c’était mieux que je fasse le pigeon voyageur ! » L'armée, bien sûr. Où avais-je la tête ? Et comme à chaque fois que je recevais un courrier de ce type, une boule se formait violemment au creux de mon estomac. La mâchoire serrée, les sourcils froncés, j'attrapai l'enveloppe cornée et salie que Tawny me tendait. Puis, au moment même où mes yeux se posèrent sur l'adresse calligraphiée, je reconnus l'écriture de Zadig. L'angoisse d'une mauvaise nouvelle s'envola aussi vite qu'elle était arrivée, et mon visage s'illumina soudainement. « Purée, excuse-moi. J'ai toujours peur que ce soit... enfin, tu vois quoi. » Je roulai des yeux, presque gênée, avant de poser le Graal sur la console de l'entrée. « Je la lirai avant de me coucher. Merci beaucoup ! » Spontanément, je vins gratifier ma nouvelle amie d'une chaleureuse accolade. Si d'ordinaire, j'éprouvais quelques difficultés à accorder ma confiance, ce n'était pas le cas avec cette fille, dont la loyauté n'était - selon mon frère - plus à prouver. « Il m’a écrit aussi, il m’a dit qu’il me botterait le cul si je venais pas te voir régulièrement… » Je ris avant de hocher la tête d'un air faussement sérieux. « Et il le fera. Alors vaudrait mieux qu'on fasse semblant de s'apprécier et de boire des verres ensemble... juste au cas où. Enfin, je dis ça, c'est pour toi. » Je levai les paumes de mes mains jusqu'aux épaules en affichant une moue indifférente, avant de perdre ma concentration et de sourire, amusée.  Nous nous installâmes dans le salon, là où un grand canapé d'angle design trônait ; les vestiges de notre ancienne jeunesse dorée à Manhattan. Je laissai tawny s'engouffrer dedans tandis que j'apportai un plateau rempli de petites choses à grignoter : des chips de pommes de terre vitelotte (les violettes), des légumes croquants, des petites brochettes tomates cerise-mozza, du comté en petits dés et des verrines quinoa-avocat-concombre. « Le tout-maison, s'il te plait. Je t'ai épargné les asperges et les chips de pomme. » Je lui offrai ensuite le choix d'une bière artisanale, d'un verre de vin issu d'une agriculture biologique ou d'un jus de fruits frais. Elle attrapa l'heureux élu, j'optais quant à moi pour le vin blanc et nous trinquâmes au début de cette soirée. « Alors, mise à part le bonheur d'avoir le rôle officiel de nounou à temps partiel, toi, comment vas-tu ? » C'était peut-être indélicat, mais j'avais l'impression que son moral n'était pas au top, et il fallait que je satisfasse ma curiosité.

La réponse à ma question concernant son moral me laisse entendre que ce n’est pas la joie, contrairement aux mots qu’elle emploie. Je comprends vite que je ne suis pas là par hasard, et que ma mission va être de lui remonter le moral, du mieux que je peux. J’en profite avant de m’installer, pour lui tendre la lettre de son frère aîné, qu’on m’a demandé de lui remettre. Je vois bien que ça la travaille, mais je la rassure immédiatement, rien de grave là dedans, Zadig va bien. « Purée, excuse-moi. J'ai toujours peur que ce soit... enfin, tu vois quoi. » Je hoche un peu la tête et fais une petite moue compréhensive. « Ouais… » « Je la lirai avant de me coucher. Merci beaucoup ! » Elle s’approche pour venir déposer un baiser sur ma joue et je souris. « De rien, j’ai pas fait grand chose à part le pigeon voyageur ! » Je ris un peu, cherchant bien sûr à la détendre et lui changer les idées. Mon atout premier a toujours été l’humour, suivi de la désinvolture, évidemment. « Et il le fera. Alors vaudrait mieux qu'on fasse semblant de s'apprécier et de boire des verres ensemble... juste au cas où. Enfin, je dis ça, c'est pour toi. » Je ris un peu face à sa manière d’aborder les choses et hausse finalement les épaules. « Ouais, fais genre que tu m’aimes bien, ça lui fera plaisir. Lui il sait déjà que je me force à venir te voir… » Petit sourire taquin et presque déjà complice, je la laisse prendre les devants et je la suis dans l’appartement que je connais déjà un peu. Elle me laisse m’installer dans le salon, et ma proposition de l’aider est soldée par un refus, alors je l’attends sagement, fesses posées sur le canapé. Elle ramène un plateau rempli de trucs aussi fun qu’ils ont l’air super bons. Hyper healthy, ça m’étonne pas tellement d’elle. « Le tout-maison, s'il te plait. Je t'ai épargné les asperges et les chips de pomme. » Je ris et pique direct une chips violette pour la regarder sous toutes les coutures. « Tu me gâtes ! » J’enfourne le truc violet dans ma bouche, c’est super bon. Mon regard ébahi en est la preuve. Elle me propose du vin et un jus de fruit, j’opte pour le jus de fruits, je suis pas trop adepte du vin, j’aime bien l’alcool, mais le vin pour moi ça fait trop ‘adulte’. Ouais, je me considère pas comme une adulte. « Alors, mise à part le bonheur d'avoir le rôle officiel de nounou à temps partiel, toi, comment vas-tu ? » Je lui souris et commence à piquer dans le plateau de trucs trop bons, tout en lui répondant, parfois même la bouche pleine. « T’as de la chance d’avoir dépassé la trentaine, je garde pas les gamins en dessous de trente ans, sinon c’est ingérable ! » Je ris un peu et poursuis, satisfaite de voir ce sourire sur son visage angélique. « Ecoute hum. Dans l’ensemble pas trop mal, mis à part que je m’emmerde grave à l’armée, et que je me retrouve soudainement à la rue, ça va ! » Je hausse les épaules, de manière nonchalante, comme j’en ai l’habitude.