l'histoire de ma vie
This disaster was written.
« Ce n'est pas que vous ne pouvez pas avoir d'enfants. C'est que vous ne le désirez pas. » Coup de poignard. Torture psychologique. Inacceptable option. Comment pourrais-je ne pas vouloir d'enfants ? J'en rêvais depuis toute petite.
« Vos analyses biologiques sont parfaites. Vos courbes de températures sont normales, il n'y a aucune cause médicale à votre infertilité. » J'étais prête à défaillir. Je voulais un enfant. Je le voulais de toutes mes forces. Je l'avais voulu pour nous, pour notre famille. Parce que je l'aimais plus que tout et que je n'envisageais rien d'autre pour nous qu'un avenir en tant que famille. J'étais déjà tombé enceinte. La perspective de cet enfant m'avait irradié de bonheur. Alors comment osait-il dire que je ne voulais pas d'enfants ? J'avais fait une fausse couche. Ce sont des choses qui arrivent. L'extraordinaire médecin qui s'était occupé de moi aux urgences avait pris tout le temps qu'il fallait pour me l'expliquer. Alors pourquoi ? Pourquoi ce bonheur m'était-il refusé ?
« Comprenez bien. Vous pouvez vouloir un enfant sans le désirer. Vous interdisez à votre corps de tomber enceinte. C'est vous le problème. » La notion de désir me paraissait bien flou dans l'histoire. Pourquoi serais-je dans une optique de ne pas désirez cet enfant ? Chaque jour qui passait était une nouvelle torture. Regarder Azraël qui n'espérait que la bonne nouvelle. Comment pourrais-je le décevoir à ce point ?
« Je veux cet enfant. Je suis prête à tout pour ça. » J'ai envie de défier ce médecin. Je voudrais lui prouver qu'il a tort. Mais dans le fond, qu'est-ce que j'en sais ? J'ai perdu ce bébé il y a huit mois. Et depuis rien. Depuis c'est de moins en moins une évidence. Parce qu'Azra m'en veux. Parce que je lui en veux. Je voudrais prouver à la médecine qu'elle a tort de me dire que je ne veux pas ce bébé. Et pourtant.
La porte claque derrière moi. Azraël est assis sur le canapé. Je sens son regard se poser sur moi. Il dit quelque chose. Cette consultation m'a retourné l'estomac. L'esprit. Je l'entends à peine. Je crois que mon corps refuse même d'essayer de laisser passer le son de sa voix. Je dois lui dire. Je voudrais. Mais je m'y refuse. J'allume une cigarette, négligeant volontairement les interrogations d'Azraël. Que pourrais-je lui dire ? Comprendrait-il seulement ? Il me le reprocherait. Tout serait encore de ma faute.
« Parle putain Stella. Parle. » Oui. Parle putain Stella. Parle lui des journées de pluie, de ce qui fait de ta vie, des milliers de cris qui hantent ton corps et te meurtrissent. Parle-lui de ces peurs, de tes pleurs, de ces incertitudes, de ces jours où la seule idée de bouger te donne le vertige. Parle Stella. Mais ces supplications de mon esprit n'ont que peu d'incidence.
« On aura jamais d'enfant. C'est bon t'es content ? Tu pouvais pas me laisser cinq minutes pour le digérer ? » Vlan. Parce que dire que c'était de sa faute était sûrement plus facile que de lui dire la vérité. Minable attitude. Lui vient de se prendre une droite. Il est silencieux, au bord du KO. Me regarde comme si je venais de le poignarder dans le dos.
« Putain... » Oui, putain. Cette abominable vérité que je lui balance n'est que partielle. Je voudrais pouvoir lui dire. Lui expliquer que c'est ma faute, que quelque chose en moi refuse de nous donner ce bonheur. Que chaque fois qu'il me touche, tout mon corps se braque. Je voudrais lui dire que j'irais mieux, que j'étais prête à tout pour nous. Mais le désirais-je vraiment ? Comme pour cet enfant, ma volonté et mon désir semblaient entrer en collision.
« Stella. » Ses mains passèrent autour de mes hanches, m'attirant vers lui. A quel moment s'était-il levé ? Qu'avais-je perdu de la réalité ? Chaque centimètre carré de mon corps suppliait pour cette étreinte, pour un instant de calme dans ses bras. Mon cœur me criait de glisser mes bras dans son dos, de le serrer fort contre moi. De tout lui dire. Lui céder, rien qu'un instant. Retrouver l'homme dont j'étais amoureuse. Mais c'était trop. Une nouvelle fois l'anxiété repris le dessus. Je le repoussais, avec sûrement plus de force que je ne l'aurais voulu, pour aller m'enfermer dans la salle de bain. Chercher frénétiquement la boite, sortir deux cachets. Les avaler comme ça, sans rien, pour atténuer la douleur.
« Ce n'est pas que vous ne pouvez pas avoir d'enfants. C'est que vous ne le désirez pas. » Cette phrase m'était resté dans la tête. Et elle ne me quitterai sûrement jamais.
Juste après. Est-ce qu'il s'est un jour posé la question ? Cette idée m'avait hantée. Qu'avait-il dans l'esprit des secondes, des minutes, des heures qui s'étaient écoulés après qu'il ait claqué la porte ? Y avait-il seulement pensé ? Je revoyais avec tellement de précisions les détails. Le vide de cet appartement, la porte fermée. J'en ressentais encore le froid. Mon corps se souvenait de la sensation d'être déchirée en deux, de l'intérieur. De l'impression qu'un incendie se propageait dans le bleu de mes veines et que rien ne pouvait l'arrêter. Savait-il que j'avais pensé à les ouvrir toutes, l'une après l'autre, dans le vague espoir d'apaiser la souffrance ? Il l'ignorait. Il ne pouvait pas savoir ce qui s'était passé, juste après. Parce qu'il était parti. Et qu'il n'était jamais revenu. J'avais attendu. J'avais attendu des jours, juste là. A cet endroit précis où ma vie entière s'était arrêtée. Des jours, debout, assise, allongée. Consciente, endormie, à demi-morte. J'avais attendu, dans les larmes, le silence, les cris. J'avais hurlé à m'en détruire les poumons, jusqu'à manquer d'air, jusqu'à n'en plus pouvoir. Blessée, meurtrie. Sans manger, sans vraiment boire. Le visage strié par le mascara, la peau souffrante d'avoir été griffée et mordue pour apaiser ma rage. Il n'est jamais revenu. Je suis restée trois jours. Prostrée, épuisée, espérant vaguement qu'un pouvoir supérieur déciderait que j'avais trop souffert et qu'il était temps d'en finir. Trois jours sans rien. Rien qu'une immense souffrance. Enfin une bouteille de vodka s'est rappelée à mon bon souvenir. Une gorgée. Puis deux. Puis trois. Puis la nausée, la sensation horrible que provoque l'alcool dans un corps déjà trop affaibli. Et le trou noir.
Des coups répétés sur la porte des toilettes.
« Stella, ça va ? » Maxine. Combien de temps avais-je passé assise là ? Quelques minutes, pas plus. Du moins je le pensais.
« Une minute, j'arrive. » Mal de tête, les doigts tremblant, la peau rougie. Mes mains ouvrir fébrilement ma petite trousse de maquillage floquée corporate d'Air New Zealand. Je n'avais jamais vraiment aimé les vols long-courriers, mais cela payait mieux. Et ils avaient l'avantage de m'avoir permis de m'enfuir, loin, très loin de chez moi. C'était la principale raison de mon choix, avec les horaires hérétiques. Bien loin de mes vols réguliers entre la Nouvelle-Zélande et l'Australie sous le blason rouge de Quantas. C'était une époque révolue. J'attrapais mon blush, tentant tant bien que mal de me redonner figure humaine et fraîche après ses huit heures de vol. Étrange job que celui de donner l'impression que l'on émerge d'une nuit confortable après avoir servi des passagers qui débarqueront aussi fatigués que s'ils finissaient un marathon. Mes mains se portèrent ensuite sur mon tube de rouge à lèvres. J'en démontais précautionneusement le fond pour en extraire deux petites pilules, que j'avalais aussi sec. Encore quelques minutes et tout irait mieux. L'opération de remontage ne dura que quelques secondes supplémentaires avant que je ne vienne parfaire ma remise en beauté d'une généreuse couche de rouge. J'inspirais profondément, prête à retourner travailler. Tout irait mieux. Je le savais. Je sortais de la minuscule cabine, adressant un sourire à Maxine. Après avoir rangé ma pochette, j'attrapais le micro.
« Madame, Monsieur, nous abordons notre descente vers Wellington. Nous vous invitons à regagner votre siège et vous assurer que vos bagages à mains sont situés sous le siège devant vous ou dans les coffres à bagages. » Inspirer profondément. Revenir à la maison, à défaut de retrouver la raison.