when love was endless (Christopher)

« J’ai pas envie d’y aller. » C’est peut-être la seizième fois de la soirée qu’Alice prononce ces mots, une moue suppliante sur le visage pour tenter de faire céder Chris. Un nouvel échec sur la liste alors qu’il dévie son regard de la route une seconde, la regarde en souriant, amusé. Il faut dire que maintenant, c’est un peu trop tard pour faire demi-tour. Ils sont sur la route du lieu de réception, ce grand manoir qu’on loue pour les galas de charité, pour les anniversaires de personnes riches, pour les mariages, pour les shooting photos, pour tous ces moments qui nécessitent un cadre idyllique. Ce soir, la brune n’est même pas sûre de savoir pourquoi ils y vont, quel événement requiert la présence de Monsieur Waltham et de son épouse. Il faut dire que la brune s’était lassée de ces sorties autant qu’elle s’était habituée. Au début de leur mariage, les premières fois où il l’avait présentée à tous ces gens, elle s’était sentie mal à l’aise, pas à sa place. Il lui offrait un luxe qu’elle n’avait jamais eu. Et puis finalement, c’était devenue une habitude. Elle avait adapté son image, son attitude, savait désormais comment se tenir, quand rire aux blagues creuses, quand froncer les sourcils lors des discussions sérieuses. Quand il s’agissait des affaires de Chris, elle avait bien conscience d’être un accessoire à son bras. Malgré tout, elle passait bien souvent de bonnes soirées, n’appréciait que davantage le retour au calme et en tête à tête. Ce soir serait probablement le même refrain.

Alors quand ils se garèrent, qu’elle sortit de la voiture, elle n’eut aucun scrupule à lui attraper la main pour l’attirer à elle, l’embrasser fougueusement, le dos appuyé contre les lignes métalliques de l’engin. « Tu l’as dis toi-même, ce n’est pas bien important. Disons deux heures et on s’éclipse ? » Elle murmure contre ses lèvres, passe ses bras autour de lui pour l’enlacer doucement. « C’est vraiment bête, j’avais envie d’autre chose ce soir… » Joueuse, elle glisse une main jusque sur ses fesses, ondule légèrement du bassin juste pour lui faire comprendre. Il faut dire qu’il a passé la journée à travailler, qu’elle a dû tuer le temps toute seule. Elle aurait bien mieux préféré ne pas partager son mari ce soir. « Mais le travail avant tout alors… » Elle se dégage de cette étreinte, s’éloigne en direction de l’entrée du manoir. Se retourne juste pour l’attendre, qu’ils fassent une de ces entrées remarquables dont ils ont le secret, qui fait parler. C’est vrai qu’ils ont belle allure ensemble, qu’on les trouve beaux. Le couple Waltham, c’est quelque chose. D’ici une poignée de minutes, ils seront donc de retour dans cette ambiance faite d’argent, de sourires et de faux semblants. Elle avait signé pour cela, en se mariant avec cet homme.

« Je n'avais absolument pas remarqué. » Chris plaisante en souriant tendrement alors qu'il jette un coup d’œil amusé dans le rétroviseur. Lui non plus n'a pas très envie d'aller à cette réception pour être tout à fait honnête. Il préférerait amplement passer la soirée dans les bras de sa femme, vaquer aux activités qui leur traversent l'esprit à tous les deux depuis quelques heures. Pour autant, il n'a pas vraiment le choix, et c'est donc résigné qu'il conduit Alice sur le lieu de l’événement qui se donne à quelques kilomètres de leur propre habitation. Il sait que ce n'est pas ce que la brune préfère, même si elle a un temps apprécié leurs sorties de couple dans de jolis hôtels et châteaux, mais son travail a d'autres avantages dont ils profitent allégrement le reste du temps. Il serait finalement proprement scandaleux de se plaindre d'avoir à faire de la figuration de temps à autre. Ces soirées nécessitent peut être de se faire voir et d'entretenir des relations fondamentalement hypocrites, mais Chris sait qu'elles sont toutefois essentielles pour le développement de sa carrière, détail qui n'échappe pas à Alice, même son humeur se prête à tout à autre chose pour l'heure.

Lorsqu'ils descendent de la voiture, Chris lui ouvre donc galamment la porte, moment choisi par la brune pour l'attirer à elle, le dos plaqué contre la voiture du blond. Leurs lèvres se croisent alors et la main de Chris s'aventure sur la hanche d'Alice avec une inimité fort habituelle. « Deux heures, pas plus. Le temps de profiter du champagne et de l'apéro dînatoire et on s'en va. Si toutefois tu peux tenir jusque là. Je commence à douter de ta volonté de fer. » Il la taquine, avant de s'éloigner légèrement. Un vieux producteur vient de faire son apparition et leur lance un regard étonné avant de les saluer. Chris échange quelques mots, et lorsqu'ils sont enfin tranquilles, il se saisit de deux coupes de champagne. « On va pouvoir jouer à notre jeu préféré, de quoi nous occuper entre deux conversations chiantes qu'est-ce que tu en dis Waltham ? »

Déterminer qui couche avec qui dans ce genre de soirée est une activité qui fait passer le temps, compter les points aussi. Alice et Chris n'ont jamais été vraiment sérieux ensemble de toute façon. Il se souvient encore du regard désapprobateur de son père qui les avait surpris en pleine partie qui couche avec qui. Celui-ci n'avait pas été fort impressionné par la grande classe de son fils et de sa nouvelle épouse.

Leur relation, puis leur mariage avait choqué autant qu'elle était devenue une évidence. C'est vrai qu'ils n'avaient rien à voir. Leur éducation, leur milieu social, leurs occupations, leur différence d'âge. Ils auraient pu s'arrêter à cela, et ils n'auraient jamais été ensemble. Pourtant, ils avaient tenté leur chance, et voilà où ils en étaient. Complices à faire s'arracher les cheveux aux gens autour d'eux, assez joueurs pour rendre divertissante la situation la plus ennuyante du monde. Tellement amoureux qu'ils auraient pu refaire le monde, sans aucun doute. Mais ce soir, ils devraient partager leur personne avec le reste du monde, avec tous ces gens qu'on ne pouvait pas sincèrement apprécier quand on connaissait les motivations cachées. Argent, réputation, pouvoir, reconnaissance. Ils crevaient tous d'envie d'être spéciaux, ces gens là. Et ce soir, il faudra s'en mêler. La tentative vaine d'Alice d'attirer son mari à elle pour lui faire miroiter ce qu'ils pourraient faire en rentrant à la maison ne parvient pas à outrepasser la raison. Deux heures, c'est long. Mais s'il la met au défi, alors... "Tu craqueras le premier. Dans une heure maximum, tu leur fausses compagnie." La promesse d'une soirée mouvementée, qui lui demandera une dose considérable de sang-froid pour ne rien trahir de leur petit jeu. Il la connaît, sait qu'elle fera tout ce qu'elle peut pour le faire ployer. Alice Waltham a toujours ce qu'elle veut après tout, et ce soir elle le veut lui.

Le début des formalités se fait, ils se font accueillir, marquent des grands sourires, des poignées de main énergiques, des discussions dénuées d'intérêt. Alice joue son rôle de femme modèle, reste auprès de son mari, bras possessif entouré autour de sa taille. Les visages défilent, certains leur prête de l'intérêt, d'autres non. Jusqu'à ce qu'ils retrouvent un semblant de tranquillité, assez pour pouvoir parler sans que personne ne prête attention à leurs paroles. La brune prend volontiers la coupe de champagne, sourit malgré elle à la mention de leur jeu préféré. Qui couche avec qui. Le plus drôle restant quand leurs spéculations s'avéraient correctes. "Tu me donnes une minute le temps de repérer les nouvelles têtes et je t'en sors deux." Elle lui attrape la main, l'entraîne dans la salle pour trouver un autre point de vue. Et sincèrement, il ne lui faut effectivement qu'une minute pour s'arrêter, avoir un large sourire. "Regarde qui est venu avec son assistante." D'un signe du menton, elle désigne un homme de la cinquantaine, cheveux gris, grand, fier, mais indéniablement fatigué. A son bras, une jeunette brune aux yeux clairs, taillée comme un mannequin Victoria Secret. C'est un investisseur réputé aux alentours de Perth, connu pour offrir son argent en échange d'une large part dans les revenus. Il avait construit sa fortune avec les pigeons et les désespérés. "Juste à titre d'information, je te ferais la peau si tu me trompais avec ton assistante. Par contre ça me fait penser qu'on n'a jamais essayé ton bureau... Faudra que je passe un de ces jours. Peut-être même que je n'aurai rien sous mon manteau..." Sans la moindre pudeur, elle attrape délicatement sa chemise pour le tirer à elle et l'embrasser. " Donc à ton avis... Qui d'autre couche avec qui ici ?" Eux, ils ne prendraient peut-être même pas la peine d'attendre d'être rentrés. Elle y comptait bien.

Alice le provoque, et à ce jeu, sa femme pourrait bien le sous estimer. A leur passion évidente, se heurte ainsi l'esprit de contradiction du blond qui lui permettra, il le pense en tout cas, de tenir bien plus longtemps que ce que la brune a prévu. Amusé par le jeu, le producteur n'en reste pas moins un homme d'affaires, et si beaucoup d'entre eux ne parlent qu'avec leur queues, Chris a toujours mis un point d'honneur à avoir un semblant de classe dans ce genre de soirée. Si cela veut dire mourir de désir pour sa femme pendant une heure de plus, alors il est prêt à en subir les conséquences, quelles quelles soient. Même si il ferait bien toute autre chose que servir des politesses, dans la vie on a pas toujours ce que l'on veut, quelque chose que devrait apprendre Alice Waltham. « Oh Alice, comme tu me sous estimes ! Même si je ne doute pas de tes talents, pour essayer de me faire craquer, il me faudra plus que tes jolis yeux pour me détourner de mon immense sens professionnel. » Sens professionnel qui sera inévitablement mis à rude épreuve pendant la soirée. Alice est joueuse, elle l'a toujours été. Refuser un challenge, ne lui ressemblerait pas.

Enfin ils s'avancent dans la foule d'invités saluant leurs connaissances et les gens éminents au passage. Leur jeu préféré se profile alors, et Alice fait ses premiers pronostiques. L'assistante, un grand classique, pas très féministe de sa part de soupçonner que l'assistante se tape forcément le patron, mais dans ce milieu ça ne surprendrait personne. Aussi Chris ne peut pas nier les regards que les deux se lancent. Il connaît la femme de ce producteur, encore une qui est prise pour une conne. Décidément, il est de plus en plus facile de se démarquer en se comportant convenablement de nos jours. Lorsque Alice mentionne sa propre assistante, Chris ricane : « Je ne pense pas que tu aies beaucoup de soucis à te faire, mais je suis ravi que ça t'inspire des choses. C'est vrai que faire ça chez nous c'est un manque cruel d'originalité. » Il est vrai qu'ils ont habitué le monde a beaucoup mieux que ça. « Christina et Derek, la main aux fesses suivie d'un petit rire faussement gêné ne trompe pas. » Alice et Christopher, balance ton porc bien avant l'heure.

Alice respectait son mari, comprenait ses responsabilités. Sincèrement. Mais quand bien même son caractère de feu s’était calmé aux côtés de cet homme, elle restait une tête de mule qui comptait bien avoir toujours le fin mot de l’histoire. Deux heures, c’était déjà bien assez de temps accordé à tous ces gens auxquels ils n’accordaient aucune réelle affection. La brune ne tentait pas attendre aussi longtemps et Chris pouvait dire ce qu’il voulait, elle le ferait craquer. « Chéri, je sais très bien que tu ne m’as pas épousée juste pour mes beaux yeux. Tu sais que j’ai de la ressource. Crois moi, dans moins de deux heures, tu supplieras pour qu’on s’en aille. » Et elle ne compte pas se la jouer prude ou avoir froid aux yeux. Elle se fiche d’attirer l’attention. C’est une sorte d’art, allier l’évidence et la subtilité. Alors qu’ils s’avancent parmi les convives, sourient, se retrouvent forcés de se séparer et de calmer leurs ardeurs pour se concentrer sur les paroles vides de sens, l’esprit de la jeune femme ne peut s’empêcher de bouillonner, d’imaginer les pires stratagèmes qu’elle mettra à exécution pour détourner son mari de tout ce qui pourrait se rapprocher de la conscience professionnelle.

Le jeu de qui couche avec qui, c’est une parfaite entrée en la matière. Alice se lance dans l’examen attentif des invités, s’attarde sur certains. Ce soir, elle se fiche bien de savoir qui fait quoi avec qui. Elle a juste envie que cela titille l’imagination du producteur, qu’ils aient envie de voir quelque chose de plus privé que toutes ces banalités. Enfin, privé… Ce serait en admettant qu’ils se cachent vraiment. « Le monde est un vaste terrain de jeux mon amour. Tu te souviens de la fois où on s’est envoyé en l’air dans la piscine de… Je me souviens plus, tu sais, l’énorme piscine avec la vue mer ? » Ils avaient été aperçus et le savaient pertinemment et pourtant, le sujet n’était jamais revenu sur le tapis. A part leur donner une réputation de couple sulfureux, cela n’avait absolument rien changé à leur quotidien. Christina et Derek ? La brune se tourna vers les deux concernés, les dévisagea une seconde. C’était plausible remarque. Elle essayait de mettre de la distance, le regardait le moins possible, et il faisait tout l’inverse. « C’est validé. » Elle se mordille la lèvre inférieure, cherche leur prochaine cible. Mais son regard bloque sur la grande porte vitrée qui donne sur les jardins. « Je crois que j’ai vu Kenneth et Harry partir dehors. Je veux juste vérifier, mais je suis sûre que quelque chose se trame. » Elle lui sourit mutine, attrape sa main pour le tirer dehors.

Évidemment, les extérieurs sont déserts. Il n’y a que ce balcon où les rares fumeurs viennent parler, ces escaliers en pierre qui descendent dans la pénombre, et une étendue verte aux buissons bien taillés et aux arbres bien portants. Alice ne laisse pas le temps à Chris de se poser des questions, elle le tire, l’entraîne vers les marches, jusqu’à ce qu’ils soient à l’abri des regards, à peine éclairés par les lumières du domaine. « Fini de jouer. » Elle ne compte pas le laisser s’échapper, pas alors que ses mains défont déjà prestement la ceinture du blond et que ses genoux atterrissent au sol pour se mettre à la bonne hauteur…