beautiful mess (nahla)

Bailey aime aller au cinéma. Il est loin de connaître tous les plus grands films, lui, il regarde juste ce qui lui passe sous la main sans se pencher sur les grands « classiques ». Ce n’est pas pour lui, il se dit qu’il aura une culture cinématographique dans quelques années, quand il aura le temps de justement perdre son temps devant un ordinateur durant des heures et des heures. En attendant, il se tente d’écouter les histoires qu’on lui raconte au sujet des plus grands films des générations précédentes. C’est rare que ça l’intéresse réellement, il préfère encore regarder quelque chose d’actuel pour y comprendre quelque chose. Quand ce n’est pas une énième suite d’une série de films qui dure depuis des décennies, parce que là, il ne comprend toujours rien, même si le film a été tourné quelques mois avant sa sortie. Bref, le cinéma, c’est un bon passe-temps mais ça reste loin d’être une passion pour lui. Il a décidé d’y aller aujourd’hui, un film qui est sorti l’intéresse particulièrement, celui avec les dinosaures. C’est peut-être la seule série de films qu’il a regardé entièrement, en même temps, qui n’aime pas les monstrueux dinosaures et toutes les péripéties qui peuvent arriver avec eux, quand ils sont encore de notre ère ? Il aurait aimé vivre avec eux, ça aurait donné des moments magiques, inoubliables, plus intéressants que ce qu’il peut vivre actuellement. Et si jamais on n’aime pas quelqu’un, on peut demander à notre dinosaure de compagnie d’aller le manger. Ouais, la vie avec eux aurait été cool.

Pop-corn en mains, Bailey va s’installer sur un siège. Il est arrivé en retard, la salle est déjà plongée dans le noir et son périple pour trouver un fauteuil libre est agrémenté de « pardon, excusez-moi, désolé ». Il dérange les gens, passe devant eux et exige d’eux qu’ils rentrent leurs jambes pour pouvoir passer. Finalement, il se cale entre deux personnes, pousse un soupir de soulagement en s’asseyant enfin. Le film a commencé, les premières scènes sont passées, il n’a rien loupé de très intéressant. Il plonge sa main dans son paquet de gourmandises et en mange une bonne poignée. C’est rare qu’il veuille manger par gourmandise mais au cinéma, il se sent comme obligé. C’est beaucoup trop bon et puis, un film ne peut pas être réellement bon sans être accompagné d’un paquet de pop-corn. Finalement, le brun regarde rapidement les deux personnes à ses côtés pour être sûr qu’il n’a pas coupé une relation, pour voir s’ils ne sont pas venus ici ensemble. L’homme à côté de lui est penché vers une autre femme, qui semblerait être sa petite amie et ils regardent le film ensembles. D’ailleurs, ils mangent dans le même paquet, c’est une indication de plus pour comprendre qu’il ne l’a pas coupé d’avec sa voisine. Son regard se porte vers elle, il fronce les sourcils quelques secondes, il la connaît. Il le sait, il connaît ce visage, il le connaît même très bien. Très rapidement, de nombreux souvenirs refont surface, il n’a pas oublié ce qu’il a vécu avec elle et la manière dont ça s’est terminé. Il ne peut pas s’empêcher de rire en regardant l’écran, alors qu’il n’y a rien de drôle actuellement dans le film. C’est nerveux, il a envie de se barrer d’ici, se sentir bloqué à ses côtés le dérange. ▬ Je peux savoir ce que tu fais ici ? Il parle fort, sûrement trop fort pour le bien-être des autres personnes dans la salle. Le regard vers Nahla, il oublie déjà de se concentrer sur le film, attendre la fin pour mettre les choses au clair lui paraît impossible.

Il reconnaît ce visage, ces mains, cette voix. Ça fait quelques mois, même années qu’ils ne se sont pas vus, mais elle est toujours quelque part dans un coin de sa tête. Il n’était pas dingue d’elle, il a réussi à passer rapidement à autre chose. Mais cette relation ne s’est pas terminée de la meilleure des manières, d’ailleurs, elle ne s’est jamais officiellement terminée. Il n’y a rien eu de correct dans cette rupture, dans ces derniers moments passés ensembles. C’était une relation vouée à l’échec, il s’est fait à cette idée au fil des semaines, mais la revoir ne lui fait pas du bien. Parce qu’il sent qu’elle s’est foutu de sa gueule, il le ressent encore plus quand il la voit aujourd’hui, au cinéma. ▬ C’est une blague ? Le fait qu’elle lui demande qui il est, il trouve ça blessant. Il ne pense pas avoir tant changé que ça, physiquement, il sait qu’il est reconnaissable. Et il trouve que ça ne se fait pas, de faire à ce point une croix sur une personne, quitte à totalement l’oublier. ▬ Bailey, ça te dit rien ? Son ton est mauvais, il la trouve désagréable. Au final, assise sur son siège, elle ne faisait de mal à personne. C’est lui qui cherche, il le sait, mais il ne peut pas s’en empêcher. Il ne veut pas la voir s’épanouir devant un film, tant qu’il n’a pas eu d’explications concrètes et valables. Il regarde son paquet de pop-corn, il n’a même plus envie d’en manger. C’était la première fois depuis longtemps qu’il répondait à une envie de gourmandises, il n’avait pas spécialement faim. Là, il a presque envie de le balancer à travers la salle. Il est capable de faire une scène de ménage ici, de péter un câble, de s’énerver. Beaucoup de sentiments refont surface aujourd’hui, la déception et la colère sont les principaux qu’il ressent. Il a totalement abandonné l’écran pour se concentrer sur elle, presque tourné sur son siège. Il a entendu quelques soupirs autour de lui quand il parlait, car il n’a toujours pas baissé le volume de sa voix. Il sait que s’il reparle, il se prendra forcément une réflexion, mais c’est plus fort que lui. C’est impossible de murmurer face à une incompréhension comme celle-ci, il a l’impression de faire face à un fantôme.  

Il trouve qu’elle a un culot incroyable. De lui parler de cette manière, de lui dire de baisser d’un ton ou même de se taire. Car il y aurait de quoi crier, en cet instant. Il ne pensait pas être le genre de garçon que l’on peut oublier aussi facilement. Il ne se sent pas exceptionnel au point de marquer les esprits, non, lui-même a sûrement oublié certaines personnes qu’il a fréquenté par le passé. Mais quand on a la personne sous les yeux, son visage, sa voix, son prénom, on s’en rappelle. C’est presque une obligation, sauf que elle, elle ne s’en rappelle pas, elle l’a comme totalement effacé de sa mémoire. Et c’est énervant, blessant. Alors non, il ne peut pas baisser le volume, au contraire, il risquerait même de se mettre à hurler pour qu’elle le remarque. ▬ Pas un moment marquant, hein. Il ne prend pas bien ce qu’elle lui dit, trouvant ça assez déplacé. Il y a eu de bons moments entre eux, quoi qu’elle puisse en dire. Et même si cette période ne lui manque pas plus que ça, il refuse de s’entendre dire que ça ne comptait absolument pas. ▬ Donc t’es le genre de femme à enchaîner tellement de mecs que t’es capable d’en oublier en cours de route, c’est ça ? Il fait des suppositions, bien qu’il ne l’imagine pas de cette manière, la Nahla qu’il a connu ne lui paraissait pas être ce genre de femme. ▬ Je pense que je mérite un peu plus de reconnaissance alors non, tant que tu ne te rappelles pas, je n’ai pas l’intention de me taire. Cette phrase en fait soupirer quelques uns autour d’eux, dont un homme qui n’hésite pas à demander le silence aux deux jeunes gens. C’est Bailey qui a commencé, c’est Bailey qui continue et c’est sûrement de sa faute s’ils vont finir expulsés de la salle. Il regarde Nahla avec de grands yeux, s’attendant à ce que le déclic se fasse dans son cerveau, qu’elle se remémore enfin cette époque où ils se sont connus. Pourtant, ça n’a pas vraiment l’air de fonctionner. ▬ Bailey Bradshaw, ça ne te dit vraiment rien ? Il n’a vraiment pas l’impression de faire erreur, il est sûr de parler à la bonne personne, de ne pas « harceler » quelqu’un qui serait totalement innocent. La seule fautive, ici, c’est elle.

Il n’est pas raisonnable. Il surjoue sa colère. Parce qu’au fond de lui, il se sent blessé dans son égo, ça l’énerve qu’on ne soit pas capable de se rappeler de lui. Ça l’énerve que l’on ne fasse pas l’effort. Il est à côté d’elle, ils pourraient quitter la salle pour discuter plus calmement, histoire que lui remémorer quelques vieux souvenirs. Mais il n’avance pas dans cette optique, sa manière de parler est froide, méchante. Au fond, il ne sait même pas pourquoi il insiste. Ils ne se sont pas revus depuis un très long moment et il est fort probable qu’ils ne se revoient jamais plus, après cette journée. Alors pourquoi insister ? Juste par fierté masculine, c’est la seule chose qui l’anime encore. ▬ Tu peux te moquer de moi, vas-y. Le ton sarcastique, il l’a bien relevé. Et il n’aime pas ça. Il fait des suppositions parce que ça pourrait être plausible. Sinon, qu’est-ce qu’il a fait pour être ainsi effacé de sa mémoire ? On oublie énormément de personnes que l’on a connu au cours de notre vie, mais les personnes avec qui on a partagé plus qu’une simple amitié, généralement, on les garde dans un coin de notre mémoire. Parfois, il reste qu’un ou deux souvenirs, parfois même, on se rappelle juste que la personne a existé, en oubliant tous les détails. Mais l’histoire en elle-même, elle, on ne peut pas l’oublier, c’est impossible. ▬ T’es sérieuse ? Bailey ne joue pas avec la justice. C’est vrai qu’il fait des conneries, mais ça reste de son âge, avec un groupe d’amis qui ne dépassent pas les limites, eux non plus. Il trouve ça stupide de se mettre soi-même et les autres en danger, seulement pour s’amuser une dizaine de minutes. Mieux vaut ne pas franchir les barrières de l’illégal, il risquerait de le regretter. ▬ C’est toi qui ne respecte pas les règles. Il lui balance ce qu’elle vient de lui dire, en pleine face. Une histoire, même minime, ça ne se termine pas comme ça. Ça ne s’oublie pas comme ça. C’est elle qui dépasse les bornes, pas le contraire.

Au fond, il se trouve bête d’insister autant. Mais ça lui vient naturellement, c’est sa fierté masculine qui prend le dessus sur tout le reste. Quitte à énerver les personnes autour d’eux, quitte à se mettre définitivement à dos une personne de son passé. Ça lui fait tout drôle de discuter avec elle, aujourd’hui, de même presque se disputer avec elle. Alors qu’à l’époque où ils se sont connus, tout semblait aller bien. Et tout s’est arrêté sans qu’il le sente venir, sans qu’il comprenne réellement pourquoi. Elle lui demande ce qu’ils ont vécu, par le passé. S’il a une photo pour appuyer ses dires. Il n’a pas gardé des dizaines de photos d’elle, ni même des messages, en fait, il ne lui reste que des souvenirs de cette histoire. Mais il doit bien y avoir une photo qui traîne quelque part, effectivement. C’est pourquoi il sort son téléphone de sa poche et, malgré les soupirs de la personne à côté et derrière lui, il déverrouille celui-ci pour fouiller dedans. J’ai sûrement quelque chose qui traîne, ouais. J’suis pas dingue. Il essaye sûrement de se convaincre lui-même. Plus les minutes passent, plus il rate son film, plus il a l’impression de parler à une inconnue. Il commence bêtement à douter, à se demander s’il ne s’est pas trompé de personne. Mais ce visage et cette voix, il les connaît, c’est impossible qu’il se soit trompé à ce point. On a eu quelque chose. C’était pas un truc de fou mais ça a existé. Dit-il, murmurant presque en fixant son téléphone. Il passe ses récentes captures pour remonter à celles qui datent de plusieurs mois, plusieurs années, presque. Il commence à désespérer de ne rien trouver, quand finalement, il voit cette même tignasse rousse sur l’une de ses photos. Lui et elle, qui posent ensemble pour une petite photo, à l’époque où ils se fréquentaient. Il regarde la photo quelques instants, puis dirige son regard vers la rousse à ses côtés, vérifiant bien qu’il ne se trompe pas de personnes. Pas de doute, c’est bien elle. Il lui tend son téléphone, un léger sourire victorieux sur les lèvres. Je le savais ! Cette fois, il a parlé beaucoup trop fort. Désolé. Dit-il aux gens derrière lui, avant de regarder Nahla. T’as des problèmes de mémoire ? T’es amnésique ? Il lui cherche une excuse, essaye de comprendre.