Raconte-moi ta vie... (Nathan & Noa)

J’ai égaré ma famille en cours de route. Jolie formule pour une situation qui me pèse de plus en plus. Combien de disputes et de réconciliations avec ma mère pour dire maintenant qu’elle me manque tous les jours. Je ne parlerai même pas de mon jumeau. Un trou béant dans ma vie. Et mes amours ? Entre Connor parti aux Etats Unis dans l’espoir d’un traitement miraculeux ou d’un avis de non retour et Leeth qui a fui notre relation qui devenait trop sérieuse pour lui, le tableau ne manque pas de noirceur. Il me reste un boulot. Ouais. Il me reste l’océan. Je ne compte plus les longues balades solitaires sur la plage ! Aujourd’hui, j’ai déserté le sable pour le parc. Ce parc où Leeth m’a emmenée faire du skateboard dans les allées bétonnées, laissant les chemins de terre ou gravillonnés aux promeneurs. Je cèderais facilement, de nouveau, à l’alcool si j’achetais une bouteille, deux, trois... Moi qui méprisait la solitude par toutes les pores de ma peau, enchainant les fêtes et les rencontres éphémères, j’ai l’impression qu’elle est en ce moment ma plus fidèle compagne.

Je me laisse tomber sur ce banc, épuisée de rien comme de tout. Comment est-ce qu’une vie peut-être aussi vide ? Il faut que je remette quelque chose à l’intérieur pour me remotiver. Quelque chose. Quelqu’un. Je m’imagine pourtant tellement pas avec un chien ou un chat. Un cochon ? Promenons notre cochon dans le parc ! Oh mon dieu ! Là je suis tombée bas. Serpent non merci. Poisson rouge. Le pauvre, je suis sûre que je vais le laisser mourir de faim. J’ai envie qu’on vende la maison, de prendre un appartement. J’ai envie de vivre dans un fourgon comme plusieurs de mes potes surfeur qui vont de spot en spot. D’un autre côté c’est chez nous, on y a vécu des moments de bonheur avec ma mère, Lukas et mes deux frères. D’un autre côté, le silence qui y habite est pénible.

J'aurais du apporter des graines à jeter aux pigeons. Putain de solitude. J'aurais du apporter un sandwich, je l'aurait partagé avec les poissons du bassin. Grave solitude. J'aurais du apporter une bouteille de bière, j'aurais été trinqué avec ces trois gars là-bas. Les conneries que la solitude font faire.

Je sursaute sur le banc en entendant une voix derrière moi. Je me retourne curieuse mais aussi soulagée de pouvoir tordre le cou de la solitude au moins quelques minutes. Nathan ! Si je m’attendais à une telle rencontre ! Je lui souris comme la lune sait si bien le faire à tous ceux qui lèvent le regard vers elle, enfin les nuits de pleine lune. Le reste du temps, elle broie du noir. Comme moi au final en ce moment. Comment je vais ? Oh ! — Y’a eu pire, y’a eu mieux. Je hoche de la tête. Ouais, y’a eu pire comme l’époque de notre première rencontre, mais y’a eu tellement mieux, il n’y a encore que quelques mois, à songer à un avenir à deux. C’est Nathan, ce gars, cet homme qui a pris du temps pour moi quand j’en avais le plus besoin, ce n’est pas une relation lambda avec qui on parle de la pluie et du beau temps. Je sais que je peux me permettre de me confier à lui. Et lui que fait-il dans ce parc tout seul ? Le chien ? Je regarde vite fait vers le parterre de fleurs un peu plus loin, pas d’animal. Sa présence m’étonne. Je me lève. Je fais le tour du banc pour m’installer à côté de lui, me penchant dans le même élan pour lui faire une bise sur la joue. D’un coup, je me sens en sécurité avec cette certitude qu’avec tout ne peu que bien se passer. — Je ne te savais pas adepte des longues réflexions solitaires dans le parc. D’un sourire de joie, je passe à un sourire plus discret mais aussi plus tendre. — Ouais, y’a toujours des problèmes, quand un s’arrange, un autre arrive. On va dire que c’est la vie. Mes problèmes... Et les siens ? Parce que je suis certaine qu’il en a. — Tu te balades sans le chien. Tu as ton lot toi aussi ? Personne n’est épargné que je sache tout le monde à ses galères grandes et petites. — J’te raconte les dernières nouvelles de ma vie remplie de drama et tu me dis ce qui te vaut cet air pensif. Parce qu’il n’y a pas de raison que ce soit que dans un sens.

Un chien remplit une vie solitaire. Il vous pousse à bouger, il faut le promener. Il oblige à s’occuper d’un autre être vivant que soi-même, que par routine on oublie parfois bizarrement. C’est moins contraignant qu’un humain surtout un enfant. Un chien demande plus d’activités qu’un chat. S’il n’a pas le courage de le tenir en laisse pour le mener jusqu’au parc, j’en déduis qu’il n’est pas au mieux de sa forme. Je suis là et dispo pour l’écouter, pour l’aider si je peux. Il préfère que je commence. Je suppose que c’est normal. Je connais son potentiel d’attention qu’il peut porter à quelqu’un de paumé. — Oh donc, je commence. Et bien... Par quoi ? Je dois reconnaitre que la liste comprend plusieurs points et je ne sais lequel me perturbe le plus. — Ma mère et sa compagne ont quitté la Nouvelle Zélande. Elles sont parties s’installer en Europe avec mon petit frère. Aux dernières nouvelles, elles n’ont pas l’intention de revenir. Je m’interromps le temps de soupirer. — La maison me semble tellement vide. C’est... Ce départ... Il me donne la sensation d’être adulte. Je crois que tant qu’on a un parent près de soi, on est avant tout un enfant, même à vingt ans. Là, je n’ai plus ce point de repère. Je suis un électron libre qui doit gérer sa vie seule, avec succès, en se trompant, en loupant tout. Il n’y a plus personne pour dire où se trouve le bon cap. C’est ça, je suis maintenant sans boussole. — Oh, avec ma mère, ça n’a pas toujours était facile. Nous nous sommes prises la tête bien des fois mais justement aussi, je savais sur qui me défouler quand j’allais mal. Je le regarde en faisant la moue. — C’est bizarre c’que je dis ! Mais c’est bien connu, c’est quand les gens ne sont plus là qu’on sent vraiment leur absence. Et puis maman partie, Lukas aussi. Ma belle-mère, je m’entendais bien avec elle, elle était de bon conseil. Et elles deux parties, mon petit frère aussi. Sa bouille me manque, ses petites mains, ces galipettes. Pour dire que voilà, il faut avancer, seule. Je pourrais ne pas l’être, mais je me suis éloignée de mon jumeau. C’est le drame familiale absolument épouvantable, mais c’est comme ça. C’est la raison pour laquelle le départ de maman et Lukas est si dur à supporter. A deux on aurait pu faire front. Seule, chaque épreuve tend vers l’abime.

Je lui souris largement. T’inquiète pas, ton numéro je le garde précieusement. Si j’ai besoin d’une bouée de sauvetage, tu seras le premier prévenu. Ceci dit, il reste cette exclamation qui m’est venue comme un éclair dans l’esprit. Bon sang ! Comment sa question parait évidente tant qu’à la réponse. Pourquoi ne pas avoir fait mon balluchon et larguer mes amarres ? Franchement ? Pourquoi ? Leeth. Voilà la réponse qui vient tout aussi brutalement. Le voilà ce prénom qui ronge tous les instants que je ne noie pas sous une charge d’occupations, comme un noeud dans la gorge, comme une boule dans le ventre, comme une larme que j’interdis formellement de couler. Je n’ai pas suivi ma famille à cause d’un homme ! Je croyais qu’entre nous c’était sérieux. Je m’étais fait des films pas possibles. Nous aurions dû rester uniquement des sexfriends. Comme une conne j’ai parlé de sentiments et d’avenir à deux... vaguement à trois. Je crois que c’est le trois qui l’a achevé. La semaine d’après il m’annonçait qu’un de ses potes lui avait proposé une super opportunité, qu’il partait le rejoindre, il ne pouvait pas refuser et dans la foulée qu’il ne fallait pas voir plus loin pour nous. Je pourrais partir maintenant, traverser l’océan pour ce pays inconnu et faire un coucou à mes mères, je le pourrais encore... si le courage ne me manquait pas. Mon frère Kenzo est là, je ne me vois pas le laisser seul, même si je crois que la vie nous éloigne petit à petit. Chacun ayant sa propre existence. Et la sienne s’appelle Aoline avec laquelle je n’ai pas d’atome crochu. Nathan ne semble pas tellement bien loti en ce moment. Ta femme bosse ailleurs, mais elle rentre dormir... Tant occupée ? au point de ne plus rentrer à la maison ? Je m’aventure peut-être sur un terrain glissant parce que j’ai eu l’impression qu’il y avait une sorte d’ironie acide dans sa remarque concernant le chien. Tu sais, si tu veux me le confier pour faire un truc en solo ou avec des copains, je peux te le garder. Il m’aime bien. J’ignore s’il a une bande de potes avec qui il joue au poker ou au foot. Le voir comme ça me fait de la peine. Si tu n’as personne pour aller au ciné, ben tu as mon téléphone. C’est moi qui offrirait le popcorn. Ou autre chose, je sais pas, un truc... même... Je hausse les épaules. Même de la plomberie. Si tu veux transformer ton salon en piscine, tu claques des doigts et j’arrive. Et plus sérieusement. Quoique tu aies besoin, si je peux te rendre service.

Je ne peux m’empêcher de laisser échapper un petit rire pour sa question. Sexfriends ! Une relation que pour du sexe. J’espère que je ne te choque pas en disant cela. Et pour le “trois”... et bien j’ai ouvert le sujet “enfant”. C’était qu’un truc simple, nous nous sommes retrouvés au milieu d’une classe qui visitait le Centre océanographique, tout naturellement j’ai parlé enfant. Je lui ai demandé ce qu’il en pensait. Ce n’était clairement pas son truc. Il doit pouvoir comprendre qu’on ait envie d’avoir un enfant avec la personne qu’on aime, lui qui n’en a pas. Fonder une famille, c’est la suite logique quand on est en couple. Leeth ne devait pas être le bon. Pour une nuit, des nuits, oui, mais pas pour les jours et les années. Il faut que je le vois comme ça. Je suppose que ce devra être la première question a posé la prochaine fois pour éviter de tisser quelque chose qui finira à la benne aux ordures. Tu as raison, pour Kenzo. Mais il a quelqu’un dans sa vie. Je dois me faire à cela, le partager avec une femme... avec une femme avec laquelle je ne m’entends pas très bien. Je soupire. Il faut que je renoue avec mon frère. C’est plus important qu’elle. c’est plus important que notre différent. Je fronce les sourcils quand Nathan m’explique ce qu’il entend par “ Ma femme est partie aussi. Enfin, si on veut. Elle a ouvert une maison d'édition en dehors de la ville et ça lui prend tout son temps.” Je n’avais pas compris que c’est à ce point là. Je suis tellement triste pour lui. Il st visiblement perturbé par cela. Comment ne s’en rend-elle pas compte ? Ah oui, elle n’est pas là ! Il faudra que je lui propose de venir la prochaine fois que je vais au cinéma. Ou proposer un resto, c’est bien aussi. Mes talents de mécanicienne remonte à l'acquisition de ma Mustang. Pas flambant neuf ! Il fallait que je m’arrange pour ne pas perdre des morceaux en route. Cette fois, le rire est clair parce que je me souviens de ces épopées bringuebalantes, planche de surf sur le toit et rouleau d’adhésif à portée de main.

Cuisine contre mécanique, c’est une bonne option. Attends-toi à ce que je me fasse inviter pour vérifier. Rien n’est simple dans la vie. Lui, moi, sur ce banc, on en est un exemple parmi tant d’autres. Il nous faut trouver le moyen de continuer malgré les problèmes, les ratés, les absences. On est amené à reconstruire nos existences avec ce qui reste et faire comme on peut avec ceux avec lesquels tout ne se passe pas super bien. Je souris à Nathan parce que lui est là, c’est une bonne chose. Pouvoir dire ce qui pèse sur le coeur, avoir un autre point de vue, entrevoir des possibilités qui ne nous sont pas venues à l’esprit, c’est bon à prendre, ça apaise, ça donne une impulsion pour avancer un peu plus loin. Au final, toi et moi, il y a des trucs presque similaires. Ta femme et mon copain qui se font la malle pour un boulot. Raison officielle en tout cas. Sauf que moi, je suis certaine qu’il ne reviendra pas. Si c’est le cas, on ne se remettra pas ensemble. J’espère que pour lui, cela s’arrangera avec sa femme. Ce n'est pas quelques semaines de vie partagée, ni quelques mois, ce sont des années. Cela compte. On ne fait pas une croix dessus sur un coup de tête. Je vois bien que cela le malmène. Et on se retrouve tous les deux sur le même banc à ruminer nos douleurs. Je souris à cette idée parce qu’elle me renvoie une image particulière et que je veux positiver, nous avons bien besoin. On a l’air de deux vieux croutons qui se lamentent sur leur sort, assis à nourrir les pigeons. Sauf qu’il n’y a pas de pigeons parce qu’on a rien à leur jeter pour les rassembler. Sauf qu’on n’est pas vieux. Je me penche pour venir lui poser un baiser sur la joue. C’est spontané. Pas du tout réfléchi. C’est amical. Un peu plus qu’amical. Je le ferais avec un proche auquel je tiens. Il faut qu’on se bouge avant que ça arrive. La prochaine fois qu’on se voit, on fait l’inventaire du mieux qui nous est arrivé.

Une rencontre autour d’un diner chez lui est presque pris. Je le recontacterai dans quelque temps. Histoire de vérifier s’il va mieux. Histoire de mettre un peu de rire dans sa maison qui doit être bien silencieuse avec le chien pour seule compagnie. Histoire de voir si ma vie va mieux. Elle aussi en a besoin ! Il est confiant sur mes futurs rencontres. A moi de l’être. Je pense que je vais laisser passer un peu de temps avant une prochaine aventure sentimentale. Bien qu’on ne sait jamais, les rencontres, c’est bien souvent le hasard qui les pilote. On verra.

J’éclate de rire en l’entendant me dire qu’il est le seul à avoir le droit de nourrir les pigeons. Je ne sais pas si tu as le double d'âge. Mais tu as probablement celui d'être mon père et je ne laisserai pas mon père se morfondre en compagnie de ces volatiles. C’est sorti comme ça, sans réfléchir d’avantage. J’espère ne pas l’avoir choqué en disant cela. Les pigeons peuvent attendre. Je te prédis de belles et longues années devant toi. Parce que ma plaisanterie n’est pas complètement une plaisanterie et je nous veux capables de remonter la pente de nos mauvais moments.

Il me propose de me raccompagner à la maison. Avec plaisir. C’est une manière d’avoir encre un peu de temps avec lui. Je me lève et je lui tends la main pour l’aider à se remettre sur pied, une façon de poursuivre notre amusement autour des personnes âgées qui donnent des graines aux pigeons dans les parcs. J’aurais pu relancer sur les canards, eux aussi ont leur fans qui distribuent du pain durs, je n’ai pas pensé à eux plus tôt. Je garde ça pour une prochaine fois, pour un autre sourire qui fait du bien.