coma idyllique - teo

Teo traversait une sale période. Il était en proie aux doutes et tout semblait s’effondrer autour de lui. La seule chose qui tenait debout, en dehors de son cercle familial, c’était son amitié avec Amalya. C’était pour cette raison que quand elle avait proposé de s’envoler pour le pays voisin pour passer une semaine au rythme de la musique, il n’avait pas hésité une seconde. Il avait râlé quand elle avait parlé de dormir sur place, lui qui était habitué à un certain confort qu’il était plutôt réfractaire à délaisser, mais avait fini par céder. Après tout, cela faisait partie de l’ambiance.

Amalya était venue avec des valises pleines à craquer, ce qui avait le don de faire à la fois rire et grimacer son meilleur ami. Elle avait du goût et le sens du style, oui, mais il regrettait tout cela lorsqu’il devait porter ses bagages au nom de la galanterie. Néanmoins, il ne pouvait nier qu’il était fier de se balader à son bras. Amalya attirait les regards et il était totalement conscient qu’il était sûrement envié – bien qu’à tort – par beaucoup. Ce soir-là, elle s’était donnée corps et âme et sa voix était déjà bien abimée alors que la semaine ne venait que de commencer. De son côté, Teo était bien plus raisonnable. Il vivait les choses plus discrètement, ce que sa meilleure amie avait fini par intégrer. Cette discrétion ne l’avait pas empêché de sympathiser avec un groupe de jeunes gens originaires de chez eux. Il était plus en retrait que la brune, cela faisait partie de son caractère, mais on était loin de l’ermite qu’elle avait connu il y a des années. En fin de conversation, il salua ses amis d’un soir et prit le chemin du retour aux côtés d’Amalya.

En bon observateur, il constata qu’elle frissonnait. Sa tenue était adaptée à l’ambiance festive, mais elle avait omis le critère de température. En bon gentleman, il déposa sa veste en cuir sur ses épaules et continua sa route sans commenter ce détail. Ce n’est que quand elle aborda le sujet de l’extraordinaire qu’il sentit qu’il n’était pas au bout de ses surprises. Il releva la tête vers la brune et la regarda faire. De l’arrière de son short, elle sortit un paquet d’herbe. Teo n’en n’avait jamais consommé, mais il savait à quoi ça ressemblait pour en avoir déjà retrouvé dans les affaires de ses patients. Il fronça les sourcils avant de se dérider. Après tout… Ce qui se passait en Australie resterait en Australie. « T’es complètement folle, Amy ! » dit-il en lui prenant le sachet des doigts. Il pressa le pas jusqu’à leur tente et attendit d’être à l’intérieur pour ressortir les stupéfiants « T’as vraiment besoin de ça pour t’amuser, avec moi ? » avança-t-il d'un air faussement vexé avant de jeter le paquet sur l’un des matelas de fortune. Il commença à défaire les boutons de sa chemise et se massa la nuque au passage : mine de rien, les horaires de l’hôpital avaient rongé quelques années de sa jeunesse.

Entre Amalya et Teo, les choses avaient toujours été très claires – au plus grand désarroi de leurs parents. Ils étaient amis, de très bons amis, mais n’avaient jamais eu d’idées derrière la tête. Du moins, rien n’était jamais ressorti de leurs discussions. C’était aussi ce qui faisait leur force et ce qui attirait parfois les convoitises. Quand ils étaient encore à New York et fréquentaient le même établissement scolaire, les rumeurs concernant leur relation étaient nombreuses. D’un commun accord, ils avaient tous les deux élidé le sujet. Les gens pouvaient bien penser ce qu’ils voulaient, du moment qu’ils étaient ensemble, ils s’en fichaient. Quand Teo avait déménagé en Nouvelle-Zélande, il avait eu peur pour sa relation avec Amalya : resteraient-ils les meilleurs amis du monde en dépit des kilomètres qui les séparaient ? Ils avaient vite eu une réponse. Tout était resté intact.

Teo leva les yeux au ciel. Sa meilleure amie était d’humeur joueuse. Il n’avait pas envie de tuer la joie qu’elle pouvait dégager, même si cela lui coûtait de devoir mettre sa morale de côté. Il se laissa câliner sans broncher et profita d’un moment de flottement pour ouvrir le sachet. Il n’avait jamais réellement touché à ces choses-là. Entre eux deux, Amalya avait certainement plus d’expérience. C’est pour cette raison qu’il lui laissa le trésor entre les mains et se leva pour se déshabiller. Il retira sa chemise et défit la boucle de son pantalon tout en admirant les faits et gestes de la brune. La façon dont elle préparait leur calumet de la paix était presque effrayante. « J’vais être obligé de surveiller ce que tu fais, tu m’as l’air sacrément habile avec ce genre de choses entre les mains ! » dit-il d’un air inquiet.

Quelques minutes plus tard, il porta à sa bouche le joint confectionné par sa meilleure amie. Il tira une fois dessus et toussa aussitôt. Ce n’était vraiment pas pour lui, ce genre de pratiques, et le visage désapprobateur d’Erin qu’il vit en fermant les yeux alla dans ce sens. Quelques minutes plus tard, il se sentit pousser des ailes. Il pesait pourtant presque quatre-vingt kilos, mais un tout petit nuage de fumée réussissait à mettre son cerveau dans un état second. Il s’assit sur son lit et cligna plusieurs fois les yeux avant de se rendre compte qu’il se sentait bien différent. « Wow, c’est… Violent ton truc-là ». Il attrapa Amalya par la taille et l’allongea sur son torse avec un sourire niais sur les lèvres. Il lui piqua le joint des mains et tira une deuxième latte. Après tout, maintenant qu’il avait commencé… Il ne lui en fallut pas plus pour qu’il glisse ses doigts sous le tee-shirt de la brune. Dans son esprit, tout était flou. Il ne savait plus qui et où il était. Autour de lui, le monde semblait tourner sur lui-même. « Je me débride, t’es contente ? » dit-il avant de rire d’une façon très peu naturelle.

L’amitié fille-garçon existait. Amalya et Teo en étaient persuadés. Depuis le temps qu’ils se connaissaient, s’ils étaient destinés à finir ensemble, ils auraient déjà eu des signes. Mais non, ce n’était pas ce Marìn-là qui s’était épris de la jeune femme. Le médecin le savait : son frère cadet avait une attirance pour sa meilleure amie. Il l’avait vu au fil des années, mais Amalya, elle, ne l’avait jamais remarqué. Si cela avait été le cas, elle l’aurait sans doute verbalisé. Elle et Teo ne se cachaient rien. Si elle avait eu la moindre suspicion, elle aurait cherché à avoir le fin mot de l’histoire. Le médecin n’avait jamais discuté des détails avec Esteban et les circonstances du moment qu’il passait avec Amalya faisait qu’il oubliait totalement cette histoire. Il ignorait pourquoi il avait fait ça et même si son esprit était embrouillé au possible, il se sentait gêné. Une lueur de lucidité perçant le brouillard qui s’accumulait dans ses neurones. Maintenant, il fallait qu’il trouve une brèche pour s’extirper de la situation sans faire de casse. Après tout, il n’avait rien fait de mal encore. Du moins, c’est ce qu’il essayait de se répéter en boucle en espérant réussir à se convaincre. Il baissa les yeux et passa sa main coupable derrière sa nuque pour redresser son visage.

« Oublie, c’était juste pour voir ce que ça faisait » furent les premiers mots qui sortirent de sa bouche. C’était maladroit, surtout pour lui qui était d’habitude si habile avec le fait de combiner des phrases. Avec un peu de chance, Amalya le croirait et passerait vite à autre chose. La situation faisait allure de piège dans lequel n’importe qui pourrait tomber : tous les deux étaient bien loin de leur quotidien néo-zélandais. Ils étaient seuls et les alentours étaient si calmes qu’ils pouvaient s’entendre penser. Ce qui se passait ici resterait ici. Voilà ce qu’il devait garder en tête et dire à sa meilleure amie si elle venait à poser des questions ou à vouloir discuter de ce malheureux geste inapproprié. Même si la situation avec Erin était floue et qu’il n’avait pas de comptes à lui rendre, il s’imaginait mal parler à cœur ouvert de cette soirée. Il en était de même pour son frère. Esteban n’était pas du genre à être rancunier, mais il y avait bien meilleure ambiance que celle-ci.

Pour détendre l’atmosphère – ou plutôt esquiver au maximum un sentiment de solitude – Teo hésita à prendre la voie de l’humour. Amalya était là, ses grands yeux brillants posés sur lui, et il était presque intimidé de voir qu’elle restait aussi calme. « Me fais pas croire que t’en as jamais eu envie une seule fois ces dix dernières années, juste pour voir ce que ça faisait » argua-t-il avec un ton à mi-chemin entre la taquinerie et l’esquive. Peut-être que comme ça, ils passeraient à autre chose rapidement…

Parfois, Teo regrettait sa légèreté d’avant. Depuis qu’il avait rencontré Erin, sa vie avait prit une tournure plus complexe. Alors certes, tout avait commencé avec cet excès de violence qui avait mené la famille au déménagement pour plus de tranquillité, mais le fait d’entretenir une relation avec une femme de presque quinze ans son aînée n’avait pas aidé. Tout le monde avait eu son mot à dire sur cette histoire, jusqu’au chat de la famille dont Teo pouvait deviner la signification des miaulements.

Parfois, il repensait aux nombreuses paroles de sagesse de ses mères qui voulaient voir Amalya intégrer leur famille de manière plus officielle. Malheureusement pour elles, elles ne savaient pas tout sur la meilleure amie de leur fils. Il avait fort à parier que si Anna avait eu connaissance de l’expertise de la brune pour le roulage de joints, elle aurait bien moins plaidé en sa faveur.

Pourquoi n’avaient-ils jamais tenté quoique ce soit ? Quand il se posait la question, Teo trouvait différentes pistes de réponses. Premièrement, il ne s’était intéressé à sa vie amoureuse qu’assez tardivement, trop occupé à conserver son âme d’enfant et à s’assurer des résultats scolaires brillants. C’était pour cela que l’ambiguïté n’avait jamais eu de place entre eux, même à l’époque où les hormones commençaient à peser chez les autres.
Deuxièmement, il y avait certains penchants d’Amalya qui le rebutaient d’office. Même en tant que meilleur ami, il avait souvent du mal à concevoir qu’elle puisse se retourner la tête de façon plus ou moins légale. Il ne disait trop rien parce qu’il savait que cela ne ferait pas pencher la balance, mais elle savait ce qu’il pensait de certains de ses agissements borderline.
Dernièrement, on l’avait tellement tanné avec cette relation qu’avant même d’y songer, il en avait eu marre. Il y avait sûrement une part de lui qui s’apparentait à l’esprit de contradiction. Teo détestait qu’on lui dise ce qu’il avait à faire quand il s’agissait de sentiments ou d’émotions. C’était peut-être aussi pour ça qu’il s’était amouraché d’Erin… Esprit de contradiction, esprit de complication.

Il afficha un sourire à mi-chemin entre la flatterie et la fierté quand il entendit les mots d’Amalya et prit sa main dans la sienne comme à l’époque où elle était triste et qu’il se muait en mur protecteur pour lui remonter le moral quelques heures. « Tu t’es posée des questions sur moi, sur nous ? » demanda-t-il d’un air intrigué en faisant mine de ne pas sentir les violents maux de crâne qui venaient à lui « C’est pour ça que t’as jamais eu de copain en fait, t’es secrètement amoureuse de moi depuis le jour où on s’est rencontrés… Et là c’est le moment où on monte sur les tables de la cantine et qu’on danse, c’est ça ? » dit-il pour détendre l’atmosphère. Certes, il ne venait pas de dégainer la plus incroyable de ses références, mais qu’importe.  

Il y avait peu de choses comparables à la relation qui unissait Amalya et Teo. C’était un peu plus que de l’amitié et un peu moins que de l’amour. Quoi qu’il en soit, ce dernier n’était pas prêt à sacrifier la magie qui régnait entre eux pour une erreur de parcours. S’ils venaient un jour à se rapprocher, ce ne serait certainement pas sur un coup de tête après avoir trop bu ou consommé des substances illicites. L’un comme l’autre méritait mieux, leur relation méritait mieux. Pourtant, les imaginer en couple le fit sourire. Ils se connaissaient si bien que tout prenait une dimension différente : les conflits, la jalousie, les petits bonheurs du quotidien. Ils se connaissaient sûrement trop bien pour pouvoir aborder cette idée sereinement. Souvent, on parle de peur de l’inconnu. Ici, il était plutôt question de la peur du connu justement.

Teo tira la langue à son tour et esquissa une grimace digne d’un spectrum exécutant l’attaque léchouille puis il se redressa, non sans une once de fierté suite aux paroles délivrées par Amalya. « C’est vrai que ça me paraît difficile de m’égaler, quand même. Les pauvres garçons ont du souci à se faire… » dit-il avec une pointe de moquerie. En vérité, il ne se prenait certainement pas pour ce qu’il n’était pas, non. Il n’était pas du genre à vouloir se comparer et à jouer des coudes pour arriver premier. Disons simplement qu’il se plaisait à s’amuser de la situation amoureuse de sa meilleure amie. « Et tu peux rêver pour que je te change. Je t’enverrai en maison de retraite pour qu’on s’occupe de toi et que je n’ai plus à me farcir ta face de rongeur amnésique » attaqua-t-il avant de glisser ses mains sur ses côtes pour se mettre à la chatouiller jusqu’à ce qu’elle le supplie d’arrêter. Il déposa ensuite un baiser sur son front et décida d’apaiser les esprits. Après tout, il était temps qu’ils retrouvent un peu de calme après cette soirée mouvementée. « Il est temps d’aller dormir, maintenant, sinon je ne suis pas sûr de me lever demain » dit-il. En dépit de son âge, le jeune médecin n’était pas habitué à de telles sorties. Il était plutôt du genre à se reposer à chaque fois qu’il le pouvait. S’il voulait enchaîner, il fallait qu’il ait un minimum de sommeil. Lentement, Teo se déplaça de sorte à pouvoir se glisser dans son sac de couchage et attrapa la lampe de camping qu’il avait amenée avec lui. « Prête ? » un doigt sur le bouton pressoir « Bonne nuit les petits » souffla-t-il dans une voix douce alors qu’il était déjà à moitié endormi.