nightcall → teresa

Une heure du matin, Noomi ne parvenait pas à trouver le sommeil et pour cause : deux à quatre jours par semaine, en fonction des week-ends où elle a Sarah ou non, la grecque travaillait à cette heure-là. Difficile de se recaler avant de se redécaler à nouveau. Pourtant, c’était sans doute la chose dont elle avait le plus besoin présentement. Elle avait essayé tous ces trucs et astuces que l’on se partage mais qui ne fonctionne qu’à moitié : le lait chaud, l’infusion sérénité, compter les moutons, un livre ennuyeux, les bruits d’orage qui lui donnèrent surtout envie d’aller aux toilettes, l’ASMR qui lui souleva l’estomac, bref, rien n’y fit. Dans ces cas-là, il existait une dernière solution. Qui pouvait parfois poser un léger problème quand on vit seul. Sauf que la blonde était assez bien équipée pour parer à toute éventualité. D’autant qu’elle n’avait aucune envie d’aller traîner dans un bar miteux pour y ramasser quelqu’un de potentiellement éméché vu l’heure tardive. Au lieu de ça, elle préféra ouvrir le tiroir de sa table de nuit et en sortir l’objet qui lui sauvait toujours la mise dans ces cas-là ; plus fidèle et performant que n’importe quel gars, le bien nommé vibromasseur.

Sauf qu’au moment de le mettre en marche, rien. Peut-être pas si fidèle que ça, en fin de compte. Mais bon, ce sont des choses qui arrivent même aux meilleurs. Noomi se mit alors en quête de piles neuves et différencier les neuves des anciennes à moitié mortes que l’on garde toujours stupidement en se disant qu’elles pourraient toujours servir s’avéra être une vraie galère. Cependant, après avoir essayé toutes les piles qui lui tombaient sous la main, il fallait se rendre à l’évidence : c’était une panne. Et pas vraiment après des années de bons et loyaux services. C’était une histoire de semaines, elle devait même toujours avoir la garantie quelque part. Est-ce que ça valait vraiment la peine de la trouver et de sortir maintenant pour aller faire l’échange ? En théorie non, ça pouvait clairement attendre le lendemain mais puisqu’elle ne parvenait pas à trouver le sommeil et que ce genre de magasins devaient être ouverts. C’était toujours mieux que de rester là à se tourner et se retourner dans son lit en regardant les heures passer aussi sauta-t-elle dans son jean et son sweat-shirt, attrapa-t-elle ses clefs de voiture, le vibro et le reçu et demanda à Hades d’être sage jusqu’à ce qu’elle rentre avant de fermer la porte et de prendre la Mustang direction Wellington.

Pratiquement pas un chat sur les routes à cette heure, ce qui ne l’empêcha pourtant pas de respecter le code de la route, elle était bien placée pour savoir qu’un accident est très vite arrivé. Une fois devant la boutique, elle vérifia s’il y avait du monde à l’intérieur avant de descendre de voiture. C’est qu’elle commençait à être un peu connue dans le coin, mine de rien, avec son émission de radio et peut-être que ça la foutrait mal si ça se savait que c’était le genre d’endroits qu’il lui arrivait de fréquenter. Sans compter que ça pouvait jouer en ce qui concernait la garde de sa fille. Mieux valait se la jouer discrètement, du coup. C’est donc avec ses lunettes de soleil sur le nez, en pleine nuit d’hiver qu’elle entra et se dirigea vers la caisse.

« Bonsoir ! J’vous ai acheté ça y a une semaine ou deux mais il a déjà rendu l’âme, vous pouvez faire quelque chose ? »

Dit comme ça, on dirait qu’elle l’avait utilisé H24 jusqu'à épuisement depuis qu’elle l’avait acheté mais bon, tant pis, de toute façon cette jeune femme devait en voir des vertes et des pas mûres dans ce métier.

Une nuit de plus à bosser à la boutique érotique, dans laquelle elle a été engagée récemment, après avoir gonflé son curriculum vitæ, est-ce qu'elle était prête à tout pour se faire engager après autant de refus ? Si, bien sûr. Teresa n'avait pas trouvé d'endroit où elle pouvait naviguer entre son appartement à West Bay et son boulot, aucun ne voulait accepter des horaires convenables pour la Mexicaine, elle a donc accepté de bosser la nuit et parfois le jour pour dépanner. Elle n'aime pas laisser sa fille, même entre les mains d'une personne qu'elle connaît, une gouvernante qui arrive tout droit du Mexique. Bref. Elle se rend compte que c'est plutôt calme la nuit, quelques personnes, des hommes plus particulièrement, on lui demande parfois conseil et elle n'arrive jamais à donner un avis constructif, non, elle aime bien mettre son grain de sel, ce n'est pas au goût du propriétaire, mais apparemment, elle est mieux que la dernière employée qui se permettait de draguer les clients masculins. C'est clair avec Teresa, elle ne cherche pas d'homme dans sa vie, mais elle aime bien se marrer avec son collègue Serafin, mais cette nuit, il n'est pas là, elle est seule à bosser et jusqu'à présent, c'est plutôt tranquille quand même. Elle se permet de regarder quelque chose sur Netflix sur son téléphone, il n'y a personne en vue, elle peut regarder tranquillement Ça sur son écran, le chapitre deux va bientôt sortir, autant se mettre dans le bain. Après une demi-heure de visionnement, une cliente s'approche du comptoir pour lui annoncer que son vibromasseur ne fonctionne plus. Elle lève les yeux de son écran, qu'elle met en pause et elle observe la femme en question. « Vous savez que ce n'est pas une télévision ? Il n'y a pas de garantie sur ça. » Enfin, elle suppose, surtout si cela a déjà été utilisé, elle doute que la boutique remette l'objet en vente, enfin, qu'est-ce qu'elle en sait, après tout. « Et donc, vous l'avez déjà utilisé ? Les piles ont été changées ? » Elle attrape la facture pour vérifier l'achat, la date, le prix, bref, rien n'indique qu'ils remboursent, garantie trente jours ou argent remis.

Ah ben oui, oui, elle a bien remarqué qu’il ne s’agissait pas d’une télévision, la différence, aussi bien visuellement qu’en termes d’utilité, est tout de même assez flagrante. Lorsque la vendeuse lui fit savoir qu’il n’y avait pas de garantie là-dessus, Noomi eut quand même un doute. Après tout, peu importe l’usage, ça restait un objet électrique qui peut être défectueux, ce qui était apparemment le cas, en l’occurrence. Était-il trop tard pour prétendre s’en servir uniquement pour se masser la nuque ? Comme ces modèles chelou dans les pages des catalogues de vente par correspondance. Sauf que si ç’avait été le cas, alors c’est sûrement là qu’elle l’aurait acheté et pas dans un sex shop. Bref, au lieu de passer à l’attaque, elle attendit patiemment la suite. Qui ne fut autre que quelques questions qui reviennent toujours dans une situation telle que celle-ci. Un peu comme quand vous téléphoniez au service technique parce qu’il y a un problème avec le décodeur et que le technicien vous accuse pratiquement de ne pas l’avoir éteint puis rallumé alors que c’est souvent la première chose qu’on fait. En ce qui concernait les piles, la blonde savait donc quoi répondre, en revanche pour la première question, c’était un rien différent. S’en était-elle déjà servie au moins une fois ? C’était ce genre de soucis que causaient ses trous de mémoire.

Plutôt que de se creuser la tête pour trouver une réponse qui ne viendrait de toute façon pas, la grecque posa son sac sur le comptoir et se mit à le vider à la recherche de ses précieux post-it qui représentaient l’intégralité de sa mémoire, ces temps-ci, même s’il y avait quand même un mieux depuis l’année dernière. C’était pas commun et un peu invasif mais elle rangerait tout ensuite. Elle mit alors la main sur ce qu’elle cherchait, un post-it lui rappelant qu’elle devait bosser le week-end dernier et tout un tas de numéros perdus au fond de son sac portant le nom de gens dont elle ne se rappelait bien sûr par mais qui signifiaient qu’elle avait eu un emploi du temps un peu chargé ces derniers jours au vu de l’état du papier sur lequel ils avaient été gribouillés à la hâte.

« J’dois pas avoir encore eu le temps de l’utiliser mais je suis à peu près sûre d’avoir au moins essayé de le faire fonctionner une fois pour m’assurer de l’état de marche. Et oui, les piles ont été changées mais vous pouvez tenter. »

Vu la procédure, Noomi se demanda vite fait s’il y avait beaucoup de gens qui prétendaient que leur vibromasseur était en panne juste pour se faire rembourser parce qu’ils n’étaient pas satisfaits. Ça serait bizarre mais on voit de tout dans ce monde. Quoi qu’il en soit, elle se mit à ranger son bordel histoire de faire de la place.

Elle n'est là que depuis quelque temps, mais elle a déjà vu des situations assez particulières. Eh oui, ce n'est pas la première fois que l'on tente de rapporter un vibromasseur ou même une poupée gonflable, alors, que clairement là, la poupée avait déjà été utilisé à chaque reprise ou presque, je vous épargne les détails. C'est dans ce genre de moment, qu'elle ramène la tronche de son collègue, pour qu'il puisse s'en occuper lui-même, pendant qu'elle se marre dans l'arrière-plan, en laissant des petits commentaires pour le rendre mal à l'aise. Clairement, elle ne peut pas s'en sauver, elle ne peut pas l'appeler et lui dire de ramener ses fesses, puis bon, comme dirait son patron, elle n'est pas dans un camp de vacances, elle ne sait pas vraiment ce que s'est mais bon. Elle n'a pas vécu comme les autres enfants, elle n'a jamais fait de camp de jour, ni même jamais joué avec de la boue, parce que ça, ce n'était pas dingue de la fille du patron du cartel. Quoi qu'il en soit, pour en revenir au vibromasseur, elle tente de savoir si cette dernière l'a déjà utilisé, oui, clairement, elle voit bien la date, mais le patron de la boutique cherche toujours un alternatif pour éviter de perdre de l'argent. Elle la regarde étaler ses affaires sur le comptoir, pour chercher des piles, peut-être ? Ah non, elle sort des post-it. Teresa hausse les épaules, elle préfère éviter quand même de toucher, sait-on jamais, elle a encore peur de se salir les mains, certes, pas comme les membres de sa famille, mais là, c'est une autre histoire. « Non, merci, ça ira. » Qu'elle dit finalement pour refuser poliment. « Tu aimerais peut-être regarder un autre modèle pour remplacer celui-là ? Après tout, la nuit n'est pas encore terminée. » Elle affiche un sourire, un peu provocatrice quand même, ça fait partie des nombreux traits de sa personnalité. Elle laisse même tomber les barrières de vouvoiement. Teresa range son portable et elle passe de l'autre côté du comptoir, elles se rendent au rayon des godemichés.

Super, ça faisait plaisir de savoir qu’on n’a pas une tête de menteuse ou d’obsédée. Certes, des fois on pourrait croire que c’est le cas mais il n’en était rien, c’était plus une sorte de thérapie qu’autre chose en ce qui concernait Noomi. Et c’était sans doute mieux que de tomber dans l’alcoolisme ou de devenir accro à la méthamphétamine. La blonde hocha la tête, un petit sourire aux lèvres en entendant qu’il ne serait pas nécessaire d’essayer le vibro pour qu’elle soit remboursée. Ou qu’on le lui échange contre un autre puisque c’est précisément ce que la vendeuse lui proposa. En soulignant que la nuit n’était pas encore finie, le tout accompagné d’un sourire qui en disait long. Comme quoi, peut-être bien qu’elle passât pour une obsédée finalement. Mais en vérité, ça ne la dérangeait pas outre mesure, elle avait toujours eu cette tendance à n’avoir rien à faire de ce que les gens pouvaient bien penser d’elle, hormis certaines personnes bien particulières et pour peu que ça ne lui pose pas de problèmes, évidemment.

« Ouais, je veux bien, c’est gentil. »

Elle alla même jusqu’à lui rendre un sourire complice avant de se diriger vers le rayon qui l’intéressait. Il y en avait de toutes les couleurs, de toutes les tailles, même de toutes les formes ou presque. L’espace d’un instant, elle fut tentée de reprendre le même mais elle s’abstint. Si elle ne se trompait pas, quand elle était venue la dernière, elle était tombée sur un type à la caisse et elle ne devait sûrement pas lui avoir demandé son avis. Parce qu’à priori, c’est quand même plus un truc de femmes et qu’il n’en avait peut-être pas d’avis sur la question mais là, elle pouvait se le permettre, non ?

« Est-ce qu’il y en a un que tu recommanderais plus qu’un autre, par hasard ? »

Oui, bien sûr que Noomi se rendait compte qu’il s’agissait d’abord et avant tout d’une question d’appréciation personnelle mais ce n’était pas ce qu’elle voulait savoir en demandant ça, elle voulait juste savoir si certains tombaient en panne plus vite que d’autres, histoire de ne pas connaître la même mésaventure que ce soir d’ici quelques jours. Puis si ça se trouve, il y avait également des best-sellers dans les sex shops aussi. Sûrement, même.

Après quoi, elle va lui échanger contre un autre, pour éviter que le boss des lieux commence à lui faire une crise et pour éviter de se prendre la tête avec ce dernier et de toute manière, ce n'est qu'un sex shop, à ses yeux, ça ne vaut pas grand-chose, et ce n'est que matériel selon elle. Après tout ce temps à ne rien faire, elle peut enfin se dégourdir les jambes, même si c'est pour se rendre dans le rayon le plus populaire auprès des femmes. Cela dit, elle n'est pas très douée pour donner des conseils, d'autant plus, que d'habitude, elle aime bien rigoler et suggérer quelque chose qui ne conviendrait pas forcément à la personne, elle peut parfois se montrer convaincante avec les gens. Teresa se racle légèrement la gorge, elle observe les différents modèles et il y en a vraiment beaucoup quand même, nombreuses sont les formes et les tailles, c'est hallucinant quand même. « Celui-là, il me semble pas mal. » Elle lui montre un sex toy en forme de micro, en tout cas, ça en a tout l'air d'un, il existe en noir et en mauve, aussi, il y a huit vitesses puissantes, enfin, elle ne fait que lire sur la boîte hein, elle ne l'a pas testé et pourtant, elle pourrait bien, ils ont droit à des rabais. Elle lui tend le jouet en question pour qu'elle puisse regarder avant de se diriger vers les autres vibromasseurs, dont un à tête de lapin, très populaire, enfin, c'est un classique dans ce milieu. « Celui-ci, il fait les deux en même temps. » C'est-à-dire les deux sources de plaisir pour la femme, inutile de tout décrire, elle doit bien savoir de quoi elle parle. Si cela avait été un homme, il aurait sûrement voulu qu'elle détaille et heureusement quand cela arrive, elle trouve une excuse pour s’éclipser et lui refiler un collègue masculin. Elle regarde la cliente, pour voir si elle a fait son choix ou si elle veut s'orienter vers quelque chose d'autres.

Noomi écouta les indications de la vendeuse en écarquillant un peu les yeux. Alors oui, celui en forme de micro pour une chanteuse, ça semblait être le must, mais huit vitesses ?? Sérieusement ? « Puissantes » par-dessus le marché. Celui qu’elle venait de ramener pour défaut de fabrication devait en avoir quatre à tout casser et ça lui semblait bien. Qui sur terre pouvait se permettre d’aller jusqu’à la vitesse numéro huit ? En dehors des actrices de porno, peut-être, et encore. La question la fit grimacer et elle secoua la tête pour toute réponse – et pour chasser ces images de sa tête -, c’est qu’elle n’avait quand même pas envie de se blesser non plus, manquerait plus que ça, tiens. Mais bon, d’un autre côté, elle n’est pas non plus obligée de le pousser au maximum alors elle le prit quand même en main et attendit la suite. Qui ne fut pas moins folklorique, soit dit en passant puisque la jeune femme lui expliqua qu’un autre faisait « les deux en même temps ». Pas besoin d’un dessin, elle avait très bien compris de quoi il retournait. Quant à savoir si ça l’intéressait, hé bien pas tellement. Les nanas qui aiment tellement faire ça par la sortie des artistes sont rares, excepté dans les films. Dans tous les cas, en ce qui la concerne c’est juste bon une fois au bout d’une lune – sans mauvais jeu de mots - par manque de place ou quelque chose comme ça.

Ce qui faisait qu’elle avait, à peu de choses près, le choix entre le Destructor et le Multifonctions. Ça ne l’enchantait guère. Et oui, vous pouvez dire qu’elle est difficile si vous en avez envie. Bref.

« Et y a rien de plus… de moins… hum enfin, de plus classique ? »

Elle faillit dire « normal » mais loin d’elle l’idée de porter un quelconque jugement, chacun son délire encore une fois. Bref, la grecque considéra l’idée de reprendre le même que celui qu’elle venait de ramener en croisant les doigts pour que ça ne soit qu’un seul sur tout le lot qui soit défectueux et pas tous les autres aussi. Ce qui arrivait parfois et d’habitude, elle prenait même le deuxième ou le troisième exemplaire dans l’étalage par superstition. Malheureusement, elle n’aurait su dire si c’était ce qu’elle avait fait cette fois aussi. Tant pis, ce sont des choses qui arrivent et elle attendit donc le verdict.

Si cette cliente voulait des conseils, des recommandations, à vrai dire, elle n'avait vraiment pas de chance puisque Teresa ne prenait pas ce boulot au sérieux, eh non, elle n'a aucune compétence dans ce domaine, du moins, en ce qui concerne les jouets érotiques, dans un lit, c'est une autre histoire, elle n'a pas besoin d'un sex toy pour satisfaire un homme. Quoi qu'il en soit, elle faisait surtout au pif, mais comme bien des gens, elle sait que le vibromasseur lapin est un classique, il n'y a pas à dire, c'est l'un des plus vendeurs de la boutique. Elle tente donc de lui montrer différents modèles, mais la femme semble préférer quelque chose de plus classique, même si c'était le cas en ce qui concerne tête de lapin, elle hausse les épaules, il y a toujours les pénis en silicones, modelés à partir d'acteur porno, mais c'est sans pile, donc, aucune vibration à l'intérieur, mais bon, c'est comme la réalité hein. « Il n'y a pas quelque chose te plaît dans tout ça ? » Oui, parce qu'elle aurait pu tout lui montrer, ce n'est pas Teresa qui va repartir avec la boîte de vibromasseur non plus, le choix n'est pas le sien. Elle lui montre un dernier modèle, un simple jouet qui s’illumine à la noirceur, modèle basique, qui ne ressemble pas à grand-chose, mais puisqu'elle veut un truc plus classique et simple, voilà. « Et sinon, il vaudrait mieux revenir demain, je ne suis pas l'experte en vibromasseur. » Est-ce qu'il y a vraiment un expert ? Peut-être le patron, mais elle, définitivement pas. Elle le mentionne, parce qu'elle ne saurait quoi lui suggérer d'autres que cela, sauf si elle repart avec son premier modèle, après tout, ils ne sont pas tous défectueux, en tout cas, elle suppose. Elle lui tend la boîte en question, elle attrape ensuite son portable pour vérifier l'heure et surtout, si elle n'a pas reçu un message concernant sa fille, c'est le néant, mine de rien, mais elle a hâte de la retrouver. Elle range finalement son téléphone et elle se tourne vers la seule cliente du magasin. « Sinon, utilisez vos doigts. » On dit qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, c'est également le cas pour le sexe, non ? Du moins, en partie.

Noomi se rendait bien compte qu’elle devait passer pour une de ces clientes jamais contentes quoi qu’on leur montre mais ce n’était pas non plus comme d’acheter une grappe de raisins ou je ne sais pas, moi, un réveil. Non, elle considérait ça plutôt comme un investissement. Et comme tout investissement, celui-ci se devait d’être rentable. Puis ce n’était pas non plus comme si elle demandait la lune, tout ce qu’elle voulait c’est que ça soit vite fait, bien fait pour les soirs où elle avait la flemme de sortir. Mais bon soit, il n’était pas non plus question d’étaler sa vie, c’était un sex-shop, pas le cabinet d’un psy – on notera qu’elle rend d’ailleurs plus souvent visite à l’un qu’à l’autre. Bref, tout ça pour dire qu’elle ne voulait pas faire la difficile mais qu’en tant que cliente, elle avait tout de même le droit de l’être un peu. Et comme aucune des solutions de la jeune vendeuse ne lui plaisait vraiment, elle allait sans doute repartir avec le même vibro que celui qu’elle venait de ramener en croisant les doigts pour que celui-ci fonctionne.

« Non pas trop, j’crois que j’vais reprendre le même. »

Puis la jeune femme, avec l’air de la personne qui préférerait être n’importe où plutôt qu’ici – et on peut la comprendre, c’est vrai que vendeuse dans sex-shop, on a connu mieux comme job même si on a connu pire – lui annonça que si elle souhaitait un avis plus détaillé, il lui faudrait repasser le lendemain car elle n’était pas une experte mais son collègue oui, semblerait-il… un peu dégueu. Toujours est-il que c’est ce qui la décida parce qu’elle avait même d’autres choses à faire que de passer son temps dans des boutiques du genre : elle reprenait le même modèle. Au pire, ça la dépannerait quand même un peu. C’est à ce moment-là que la jeune femme lui fit savoir qu’elle pouvait également utiliser ses doigts.

« Sans blague. J’crois savoir comment on s’y prend pour se masturber, merci. »

La blonde préféra le prendre à la rigolade au lieu de se vexer. C’est vrai qu’elle était du genre à démarrer au quart de tour mais il fallait qu’il y ait une bonne raison à ça et là, elle pouvait tout de même se mettre à sa place. De plus, la boutique s’était vidée, il ne restait plus qu’elle. Si ça se trouve, elle empêchait la vendeuse de prendre une bonne nuit de sommeil. Ou en tout cas la retardait.

« Ça ira, j’ai fait mon choix. J’vais pas te retenir plus longtemps. »

Il est clair que Teresa préférait être à la maison auprès de sa fille, comme n'importe quel parent ayant envie de prendre soin de son bébé et d'être à ses côtés. Quand on pense au fait qu'elle n'a jamais été très maternelle, mais très proche de sa famille, du moins, jusqu'à la naissance de Mika. Enfin, ça, c'est une bien longue histoire qu'elle tente à chaque fois de chasser de ses pensées, mais qui finit toujours par la rattraper, surtout avec les nombreux coups de fils de sa mère puis sans compter son demi-frère, quant à son père, elle reçoit de temps entre autres des coups de téléphone qui proviennent de la prison du Mexique, mais elle ne décroche jamais, cette peur qu'il l'engueule, qui lui demande de rentrer immédiatement à la maison, sans quoi elle sera pourchassée par ses hommes et ramené de force avec sa gamine, hors de question, de toute façon, elle va s'en tenir à leur dernière conversation, celle où il la félicite pour la naissance de son bébé. Teresa ferme les yeux un court instant avant de les ouvrir à nouveau pour se concentrer sur sa dernière cliente, à vrai dire, elle va rentrer suite à celle-ci et fermer boutique, de toute manière, ce n'est pas comme si quelqu'un allait venir à trois heures du matin pour s'acheter un truc rien que pour assouplir ses besoins, comme elle vient de le suggérer, autant utiliser ce qu'on a déjà, les doigts. En fait, il n'y a rien de plus naturel que ce faire ça soi-même, mais ce n'est pas au goût de tout le monde, chacun son choix. Finalement, elle ne lui répond pas, si ce n'est que par un léger rire pour éviter l'ambiance sérieuse, surtout qu'elle ne lui disait pas cela pour l'attaquer, mais il est vrai que parfois, on peut croire qu'elle est sérieuse, tellement qu'elle peut s’avérer sarcastique. Teresa hoche la tête. « Passons à la caisse. » Qu'elle dit une fois que la cliente ait choisi son modèle, c'est-à-dire le même que précédemment. Elle scanne la boîte, elle fait ensuite payer la cliente avant de commencer à tout fermer, histoire de pouvoir partir le plus vite possible. « Merci pour l'achat et bonne nuit de plaisir ! » Ça sonne quand même faux quand ça sort de ses lèvres, mais bon, politique de la maison, être poli ou dans son cas, tenté de l'être.

Quand on y pense, quelle étrange rencontre. C’est quand même le genre de boutiques qui devraient avoir un système de caisses automatiques ou bien un drive-in. Aux Etats-Unis, il y avait des drive-in pour tout ; les pharmacies, les starbucks, etc, vous n’étiez pratiquement pas obligé de sortir de votre voiture pour faire vos courses et ça rendait tout ça un peu plus simple, selon elle. Peut-être que dans le cas d’un sex-shop, ça contribuerait également à rendre ça moins gênant ? Bien qu’elle ne soit pas particulièrement gênée, il fallait tout de même admettre que c’était un peu spécial et que l’on devait invariablement coller l’étiquette de pervers à tous les clients qui s’y aventuraient. Que ça soit les vendeurs ou encore les gens qui les voyaient y entrer en pleine journée. A bien y réfléchir, ça doit même sûrement être pour cette raison précise que les sex-shops restent ouverts aussi tard. Pour permettre à leur clientèle de passer un peu plus incognito. C’était bien vu. Bref, les deux jeunes femmes retournèrent donc à la caisse pour faire l’échange tandis que la vendeuse s’empressait de fermer boutique par la même occasion. On ne pourrait pas l’accuser de faire de l’excès de zèle et c’était une bonne chose, vu le métier, ça paraîtrait carrément bizarre quand même.

Après quoi la jeune femme lui tendit son acquisition et lui souhaita une bonne « nuit de plaisir ». Bon sang, elle espérait que c’était assez bien payé comme job, pour ces pauvres gens Noomi ne parvint à retenir un petit rire suivit d’un sourire.

« Merci. Et puis pareillement, hein, qui sait. »

Car si ça se trouve, les employés avaient bel et bien un rabais sur n’importe quel article de la boutique, un peu comme les gens qui bossent au McDo et qui peuvent y manger gratuitement sur leur temps de pause. Quand on y pense, ça aussi c’est pas mal étrange mais bon, c’était toujours comme ça qu’on était commerçant, non ? Soit, la grecque attrapa sa boîte, remercia une nouvelle fois la vendeuse d’un signe de tête et s’en alla. Pas sûr qu’elle essaye son nouveau jouet ce soir, mine de rien, le fait de s’être habillée et déplacée l’avait un peu fatiguée alors peut-être qu’elle s’endormirait en moins de deux une fois que sa tête aurait touché son oreiller. Ah, à d’autres, ça faisait bien longtemps que ça n’était plus arrivé, ça.