Acte II - Où le héros refuse de sacrifier ses principes sur l'autel du silence (ft. Luana)

L'engagement militant, Kayden l'avait dans le sang depuis sa jeunesse, depuis le collège. En 2002, il avait séché les cours pour manifester contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle française. Il l'avait fait spontanément, parce qu'il estimait déjà que c'était son devoir. S'opposer à la haine, au racisme, à l'autoritarisme, antagonistes de la culture, de la connaissance et du respect. Sans doute avait-il été le seul, ici, à Wellington, à ressentir une infinie tristesse pour le décès de Jacques Chirac, un homme qu'en France, on observait avec une certaine tendresse. Un bon Président. Dommage qu'il ait fallu attendre sa mort pour obtenir une telle pluie d'hommages. Bref ! Impliqué très tôt dans des associations de jeunes, Kayden avait milité pour beaucoup de choses. Contre la pauvreté, contre la précarité, il avait passé des soirées au secours populaire, aux restos du coeur pour distribuer de la nourriture, des couvertures aux gens en difficulté. Un peu plus tard, il s'était engagé dans le combat de sa vie : la défense des transgenres entre autres. Ca le concernait directement puisqu'il se travestissait et qu'il détestait cette société binaire où on était soit un homme, soit une femme. Lui, se sentait les deux, il ne voulait pas qu'on lui impose une case. Physiquement, oui, il avait une paire de chromosomes XY. Psychologiquement, il prenait autant de plaisir à porter des talons et des collants que d'entretenir sa barbe. Dans le fond, peu importait ce que l'on était, chacun devait avoir droit à la tolérance, au respect et aux mêmes droits. C'est ce qui l'avait amené à participer à des nombreuses actions, à aider, dès qu'il le pouvait les associations où il militait. Il donnait de son temps, de sa personne et aussi de son cachet. Tous les mois, sans mettre ça en avant, il donnait une partie de ce qu'il gagnait, pour servir cette noble cause. Tout ça, il le faisait sans aucune démarche personnelle ou individuelle, juste par conviction et par passion. Comme tout ce qu'il réalisait au quotidien.

On l'appelait la tornade, tant il avait de l'énergie. Dynamique au possible, il arrivait à galvaniser les autres militants mais aussi les personnes à qui l'association venait en aide. Même celles qui avaient été mise à la porte, frappées, reniées par leur famille, dès qu'elles parlaient avec lui, elles se sentaient légèrement mieux, plus rassurées, plus en confiance. Il possédait une vraie force motrice, qui en faisait un sacré atout dans l'association. Aujourd'hui, Kayden avait prévu de rejoindre Luana pour faire un goûter dans un lycée de Center Bay. Elle s'occupait des patisseries, lui gérait toute l'organisation, les flyers, les animations, le matos. Et il n'avait pas chômé. Arrivé très tôt sur les lieux, il prépara les tables, géra les différents présentoirs, installa les chaises dans la salle. Quand il eut tout terminé, il se rendit dans les toilettes pour entreprendre de se changer. Pour l'occasion, Kayden avait décidé de ne pas animer cet évènement de sensibilisation en homme, mais de le faire en femme. Il troqua donc son jean et sa chemise pour une mini-jupe, des talons qu'il portait si bien et un tailleur très chic. L'exercice était risqué, parce qu'il n'avait pas affaire au public de ses shows artistiques. En face, il aurait des jeunes pas toujours très gentils et tolérants. Enfant, ça l'aurait terrifié. Sauf que Kayden avait grandi, il s'était construit, avait muri. Et l'adulte qu'il était n'avait plus peur de rien, ni de personne. Après la touche maquillage, il sortit des toilettes et tomba nez à nez avec un jeune qui sembla surpris de le voir. A en juger par son regard, il était perdu. Une femme à barbe ? Brown eut un sourire et lui dit d'une voix très grave, ultra-virile :

- J'adore les mini-jupes, ça me rend si belle !

Il s'éloigna en riant, ce qui sembla communicatif. Quand il arriva dans la pièce, il vit Luana et poussa un petit piaillement. Il se rua vers elle et la prit dans ses bras. Ce fut si énergique, qu'il manqua la faire tomber. Il lui fit la bise, prenant un malin plaisir à faire des traces de rouge à lèvres sur ses joues.

- Ma chérie ! Comment tu vas ? Roooh !!! Tu sens bon les pâtisseries !!! J'espère que tu as pensé à moi ! Je n'ai pas pris mon petit-déjeuner ce matin !

Il y eut un petit râclement de gorge. Kayden se tourna vers le proviseur et lui serra la main. Quand il voulut faire de même avec son adjoint, celui-ci fit un pas de recul. Brown le fixa jusqu'à provoquer un certain malaise. Quand le directeur tenta de changer de conversation, il continua de fixer l'adjoint, sans ciller. Il leva le doigt pour interrompre l'homme avant qu'il ait pu dire une phrase intelligible :

- Vous avez accepté que nous soyions ici pour défendre une cause que vous avez jugé importante. Nous sommes venus, pour parler à vos élèves de l'importance de la tolérance. Et de la politesse. C'est crucial de commencer par là, n'est-ce pas ?

- Oui, bien sûr... je suis un peu confus... Garrett... s'il vous plait...

- Je ne suis pas certain que nos lycéens aient besoin d'être confronté à ce type de spectacle.

- J'ai pourtant la conviction que ce "spectacle" comme vous l'appelez sera bien plus intelligent que celui du crétin moraliste fermé d'esprit, que vous êtes en train d'offrir.

- Calmons-nous... Je vais arranger ça, Garrett, nous devons discuter...

Les deux hommes s'éloignèrent et commencèrent un vif échange. Kayden ne lâchait pas l'adjoint des yeux, si bien que l'autre évitait soigneusement son regard. D'autres militants qui avaient observé la scène, intrigués, faisaient de même. Sans avoir été violent, Brown venait de susciter l'admiration. Il glissa, à Luana :

- Tu crois que je devrais lui dire que je n'ai pas mis de culotte et que j'ai les couilles à l'air, histoire de lui donner le coup de grâce ?

Acte II - Où le héros refuse de sacrifier ses principes

sur l'autel du silence

Kayden & Luana

Les injustices. Luana avait horreur de ça. Pas de droits pour les uns, pas de soins pour les autres, pas d’argent, pas de parole, pas de reconnaissance… C’était trop. Le monde était injuste et il l’avait toujours été, mais elle se battait à son échelle pour les causes qui lui tenait à coeur. Elle y mettait tout son corps et toute son âme. Elle ne pouvait pas rester les bras croisés. Elle était là pour les manifestations pour le climat, pour les droits des femmes, pour les personnes LGBTI+. Elle était davantage présente dans cette dernière lutte. En effet, elle s’était faite une place au sein d’une association et elle était particulièrement touchée par cette préoccupation. Elle était elle-même pan et elle avait eu énormément de questionnement autour de son genre. L’association avait été là pour elle dans ces moments là, un véritable soutien dont elle serait éternellement reconnaissante.
Même si elle n’était pas concernée par toutes les luttes, elle s’instruisait au fur et à mesure en écoutant les personnes concernées, puis elle les aidait à relayer leur parole. C’était la partie la plus facile, parce que même si les gens n’écoutaient pas, elle avait juste à parler comme elle adorait le faire. Ce qui était plus compliqué ensuite, c’était de gérer les conséquences. Un individu pouvait être violent, tant physiquement que verbalement et il fallait être forte pour lui tenir tête. Ce n’était pas toujours évident. Ils étaient bornés. Une personne peu à l’aise à l’oral ne pouvait pas toujours se défendre seule, c’est pour cela qu’une personne un peu plus expérimentée accompagnait toujours. Luana faisait partie de cette dernière catégorie. Elle préférait laisser la place aux jeunes pour verbaliser leurs combats, mais elle était derrière pour les défendre si quelqu’un tentait quoique ce soit. Elle n’avait pas peur de dire ses quatre vérités à une personne. La blonde était quelqu’un de fort sympathique et il était rare qu’elle détestait les gens. C’était même compliqué de l’énerver, mais quand ça touchait des sujets comme ceux là, elle démarrait au quart de tour. Croyez-moi, vous ne voudriez pas être en face d’elle et de ses convictions. Elle savait mener un débat calmement, mais quand il s’agissait d’insultes gratuites, elle n’y allait pas de main morte. Et elle ne s’arrêtait pas aux conférences. Elle pouvait tenir tête à quelqu’un au milieu d’un bus s’il avait un comportement indécent ou faisait des remarques intolérables.
Enfin.. Quand on était de son côté de la lutte, ça allait. Elle était même un rayon de soleil, toujours à sourire et à ramener des pâtisserie pour apporter de la douceur et du sucré dans la vie des gens. Sa profession servait aussi à l’association. Elle était d’ailleurs en charge du goûter pour un événement de sensibilisation. Comme il s’agissait d’adolescents en pleine croissance, elle n’avait pas été radine sur les quantités. De toute façon, elle en faisait toujours trop. Mais mieux valait trop que pas assez. Quand elle arriva sur le lieu de rendez-vous avec ses grands paniers, tout était déjà mis en place. Elle n’avait plus qu’à ajouter ses biscuits sur les tables et tout serait installé.
Alors qu’elle venait de mettre la touche finale, une tornade s’approcha d’elle. Elle émit un couinement de surprise avant de rire en reconnaissant Kayden. Celui-là alors.. Il était tellement énergique, et elle tellement maladroite, qu’elle manqua de tomber, heureusement qu’il la tenait et assurait ses arrières. Elle sentit le rouge à lèvres coller à sa peau quand il l’embrassa et ça la fit rire de plus belle. Elle allait provoquer la jalousie de tout le monde avec ces marques, elle en était sûre.

J’allais merveilleusement bien, mais depuis que je vois ta beauté, je vais encore mieux ! Ils vont tous tomber sous ton charme.

Elle le regarda de haut en bas et elle le trouva magnifique. Elle était si fière de lui.

Tss, évidemment que j’ai pensé à toi. Tu es incorrigible et je ne vais pas te laisser mourir de faim.

Elle lui tendit un petit sachet en papier avec des cookies à l’intérieur. Combien de fois l’avait-elle entendu dire qu’il n’avait pas pris de petit-déjeuner ? Au fil du temps, c’était devenu une habitude de lui rapporter quelque chose. En plus, ça la flattait qu’il aime autant ses pâtisseries. Ce genre de chose était davantage apprécié quand ça venait de proches. Et ils étaient devenus proches depuis leur première rencontre. Ils avaient rapidement sympathisé et ils militaient ensemble, se soutenant l’un l’autre. La jeune femme était impressionnée par son aura et sa personnalité. Il était haut en couleurs et le genre de personne qui illumine une vie. Et elle était ravie qu’il soit dans la sienne.
Quand le proviseur et son adjoint vinrent à leur rencontre, elle ne pu s’empêcher de froncer les sourcils face à la réaction du dernier. Elle aurait bien ouvert la bouche pour lui demander quel était son problème, mais elle laissa Kayden gérer la situation. Il savait ce qu’il faisait, elle ne voulait pas l’interrompre. Dans tous les cas, elle le fixa avec insistance, appuyant le regard de son ami. Ces gens n’avaient vraiment pas le sens de l’accueil.
Elle se décrispa quand elle entendit la remarque que le brun lui glissa à l’oreille.

Il risque de faire un infarctus, le pauvre… Hm. Mais je suis prête à en témoigner si tu le fais.

Elle lui fit un sourire complice. Évidemment qu’elle le soutenait dans ce genre de provocation. En plus elle voulait voir la tête qu’il ferait quand il verrait que Kayden avait des gens derrière lui et qu’il n’avait donc pas intérêt à continuer à avoir ce comportement. Luana ne le laisserait pas passer. Elle aimait répondre avec humour à ce type de réaction malvenue. Enfin, ça ne faisait pas rire tout le monde. Mais s’il avait un infarctus, ce serait classé comme mort naturelle et non meurtre. Bon après, elle ne voulait pas non plus avoir de mort sur la conscience..

Je me demande ce qu’il éprouve en sachant qu’il n’a aucune autorité sur toi et qu’il ne pourra absolument rien faire pour cette histoire de culotte. Ca doit le perturber dans son quotidien d’homme privilégié.

Ca la faisait toujours rire de voir à quel point les hommes étaient fragiles.

- Non mais, en vrai j'en ai pas mis. En fait, quand j'ai préparé mes affaires, j'ai pas pris la bonne culotte mais celle que j'avais acheté une fois, je ne sais pas si tu te rappelles. Je pensais que c'était de la dentelle mais en fait non... du coup, comme elle me gratte, je m'en passe ! Faudra juste que je pense à ne pas trop me pencher et à ne pas écarter les jambes quand je vais m'asseoir.

Il avait répondu avec l'air le plus sérieux du monde, ce qui voulait dire qu'il ne déconnait pas. Il finit pas esquisser un sourire et par hausser les épaules, en lâchant, fièrement :

- Moarf ! Au pire, ils auront un cours d'anatomie gratuit !

Il éclata de rire. Non, la pudeur, il ne connaissait pas. En même temps, Kayden ne possédait pas beaucoup de barrières. Le nombre de fois où il avait fourni menus détails à Luana sur ses conquêtes, par exemple... Il n'y avait là rien de pervers ou de détraqué. Il parlait simplement sans aucun filtre, et sans rougir de telle ou telle situation. C'était fini, ça, le temps où il avait peur de s'assumer, où il avait honte de sa silhouette, à cause du regard des autres. Le jugement, aujourd'hui il n'en avait plus rien à faire. Il vivait comme il s'aimait, authentique, sans faux semblant. A l'association, il suscitait à la fois l'admiration et le respect. Car Kayden restait quand même une exception dans son époque. Tout le monde faisait gaffe à l'image qu'il dégageait, se censurant en permanence. Lui, il parlait crû, il disait clairement ce qui lui passait par la tête. Et Luana n'était pas fermée à tout ça. Au contraire, elle savait écouter, comprendre que par moments, s'il se confiait sur le dernier plan cul qu'il avait ramené chez lui, c'était non pas pour se vanter, mais pour partager tous les bons sentiments qu'il éprouvait, tout ce qui n'allait pas aussi. Les confidences, il les sortait comme sur un journal intime, sans les compter, sans y repenser vraiment. Il en avait besoin pour vider sa tête, toujours en action, pour empêcher son cerveau de péter un fusible devant le flux permanent d'informations à traiter. Et dès lors qu'il existait une connexion entre lui et une autre personne, ça devenait vital que d'entretenir un lien régulier. Il aimait parler aux gens, il adorait particulièrement discuter avec Luana. Il acquiesçait aux propos de la jeune femme. Mais le proviseur sembla faire quelques gestes d'agacement et son adjoint claqua la porte, visiblement en colère. Alors que l'homme revenait vers eux, Kayden prit un cookie dans le sachet que son amie lui avait donné et le mangea non sans pousser un gémissement de plaisir. Ok... c'était peut-être pas l'endroit pour ça, mais qu'importe.

- Je suis vraiment désolé pour cet incident... Garrett était réticent pour cet évènement au départ, mais j'ai réussi à le convaincre de son bien-fondé... Il ne s'attendait pas à vous voir ainsi vêtu... Mais sachez que ça ne me gêne pas, personnellement ! Je tiens vraiment à ce que cet événement ait lieu. Je crois que c'est très important pour les jeunes d'ici, parce que votre association envoie un grand message de tolérance et que nous avons eu quelques cas d'agressions, voire de moqueries... tout cela n'a pas sa place ici ! Ce n'est pas ce que je veux pour mes élèves !

- Eh bien c'est tout à votre honneur, alors ! Je ferais parvenir à Garrett un dildo vibrant. Je pense qu'un massage prostatique lui fera le plus grand bien !

Kayden éclata de rire et après avoir engouffré un autre cookie, il reprit la parole, de façon très énergique :

- Bon ! Alors en fait, je pense que ce qui serait bien c'est que vous preniez la parole en premier pour leur présenter un peu le but de tout ça. Vous parlez bien, ça me plait ! Il faudrait parler des agressions, des injures... nommer les choses permet de les combattre ! Du coup, n'hésitez pas à aller dans les détails ! Je pensais enchainer ensuite avec un petit speech pour me présenter, parler de l'association et puis répondre aux questions. Et Luana pourra conclure, parce qu'elle est la meilleure ! Vous saviez qu'elle était considérée comme notre manitou ? Si, si, j'vous jure ! Bon, du coup, on pourra ensuite enchainer avec quelques ateliers !

Alors qu'un groupe de garçons le fixait, Kayden leur adressa un grand sourire et s'approcha :

- Salut les gars ! J'aurais besoin de gaillards courageux et volontaires pour mettre une jupe. Vous seriez partants ?

Il y eut un silence un peu gêné, mais Brown ne se laissa pas démonter.

- Soyez pas timides ! Je ne vais pas vous manger, vous n'avez pas l'âge !

Quelques échanges de regards plus tard, ils acceptèrent. Kayden ondula son corps, célébrant cette petite victoire par une danse et il entraina les jeunes vers l'arrière. Il récupéra deux filles sur son chemin, des pompom girls, qu'il parvint à convaincre de s'habiller en garçons. Le proviseur l'observa, quelque peu étonné de le voir trouver des volontaires aussi facilement.

- Je vais finir par vous embaucher ! Si vous pouviez convaincre, aussi facilement, ces jeunes gens de bosser dur leurs évaluations... ce serait magnifique !

Kayden revint, accompagné des élèves totalement transformés. Les mecs étaient maquillés et vêtus comme des femmes, et les filles avaient un look ultra-masculin. C'était à s'y méprendre. Ils étaient méconnaisables. Kayden croisa le regard de Luana et il concéda :

- Oui, je sais... c'était pas prévu... mais regarde-les ! Ils sont mignons, elles sont fantastiques ! Franchement, ça n'aurait pas été dramatique qu'on passe à côté de ça ?

Acte II - Où le héros refuse de sacrifier ses principes

sur l'autel du silence

Kayden & Luana

« Ah mais je te crois ! Pas besoin de preuve pour ça. Et je me souviens de cette fameuse culotte. Tu avais passé des heures à te plaindre d’elle. Comment l’oublier ? »

Elle exagérait à peine. Kayden pouvait être une vraie Drama Queen.

« Au pire, ne t’assieds pas. Et sors toi de la tête l’idée de donner un aperçu de tes performances. »

Il ne fallait pas que malencontreusement il lève sa jambe, dévoilant ses parties intimes.

« T’es pas prof de sciences donc je doute que ça passe. Et je ne veux pas avoir la protection de l’enfance sur le dos. »

L’association ne pouvait pas subir un tel scandale. Et comme il y avait des mineurs, il fallait faire un minimum attention. Elle ne s’inquiétait pas pour Kayden, il était très libre et sans pudeur. Le fait qu’il puisse atterrir sur Internet si jamais un incident survenait n’était même pas une menace pour lui. Luana en était légèrement admirative. Elle aimait sa façon de n’avoir aucun filtre. C’était rafraîchissant. Elle connaissait des détails de la vie de son ami qu’elle n’aurait jamais pensé connaître à propos d’une autre personne. Grâce à ça, elle se donnait elle-même plus de liberté, notamment en sa compagnie. Elle savait qu’elle n’avait pas besoin de se cacher. Et puis elle avait découvert que ça faisait quand même vachement de bien de laisser tout sortir, de parler sans avoir à se demander si c’était approprié ou non. Elle restait toute fois dans cette prison sociale quand ses interlocuteurs n’étaient pas pas prêt à l’entendre déballer des trucs trop personnels. De toute façon, elle préférait dire ce genre de choses à ses proches. Elle n’avait aucun problème à distribuer des sourires et de l’amour à tout le monde mais elle tenait à garder son intimité.
Revenant à leur mouton, elle suivit de loin la conversation houleuse entre le directeur et son adjoint.  Heureusement, la personne de leur côté sembla remporter la partie. Un point pour la tolérance ! Et un point pour elle-même parce qu’elle avait réussi à faire gémir Kayden sans le toucher.

Elle écouta ensuite ce que le proviseur avait à dire tout en hochant la tête. Les agressions, les moqueries, tout ça elle connaissait. Si il y avait eu de la sensibilisation dans son lycée peut-être qu’elle en aurait moins subi. Peut-être que ça pourrait ouvrir l’esprit des gens qui se moquaient, et sauver ceux dont on se moquait. C’était dans ce genre de moment qu’elle se rendait compte que l’association était nécessaire et qu’elle participait à quelque chose. Qu’elle était utile.

L’histoire du dildo la fit rire. Elle en avait elle-même toute une collection. Mais ce n’était absolument pas ce qu’elle retenait de la prise de parole du brun. Il l’avait appelé ‘la meilleure’ et ‘manitou’. D’où ça sortait ça encore ? Elle n’avait jamais entendu quelqu’un l’appeler de la sorte. On lui cachait donc des choses. Celles-ci n’étaient pas pour lui déplaire.

« Le manitou, c’est tout à fait moi. Je serai ravie de conclure cette présentation. Ca me permettra de parler des choses que Kayden aura oublier. »

Elle lui tira la langue de manière complice pour l’embêter. Le but de cette présentation était de réduire le nombre de cas d’agressions et de, pourquoi pas, faire venir des jeunes à l’association. Leur montrer qu’ils n’étaient pas seuls. Le but ultime serait l’ouverture d’une association LGBTI+ au sein même de cet établissement. Mais bon avec un adjoint pareil, ça risquait d’être compliqué.

Alors que des jeunes passaient dans le coin, son ami n’hésita pas à les interpeller pour les mettre à contribution. Il était incorrigible. Ce n’était absolument pas prévu. Où allait-il trouver des vêtements même ? Elle soupira en souriant en le voyant partir avec ses victimes.
Le temps de son absence, elle en profita pour parler au proviseur de son idée d’association pour le lycée. Il semblait intéressé et Luana se porta volontaire pour venir chaperonner les étudiants, au moins pour lancer le projet et les aider à s’organiser. Et tenir tête à l’administration.

Quand enfin le brun revint, elle en reconnut pas tout de suite les adolescents qu’il avait embarqué avec lui. C’était un vrai magicien. Elle se tourna vers eux, un sourire aux lèvres et des étoiles dans les yeux.

« J’avoue, ça aurait été dommage de rater ça. Vous êtes magnifiques. »

Et si quelqu’un leur disait quelque chose ou se moquait d’eux, il ou elle aurait affaire à elle. En tout cas ils n’avaient pas l’air gêné ce qui était essentiel. Ils n’étaient pas venus pour les forcer à quoique ce soit. Mais elle avait confiance en Kayden, il prenait en compte le consentement des gens et c’était important.

« Qu’est-ce que tu as prévu pour elleux ? Juste de la figuration ou aussi de la participation ? »

Elle avait besoin de savoir pour l’organisation et pour leur donner des directives si besoin. La pâtissière était très douée pour gérer les imprévus, de manière souvent très créative...
Mais trêve de rêvasseries, en bonne manitou qu’elle était, elle tapa des mains.

« Bon c’est pas tout ça, mais ça va bientôt commencer alors on se bouge ! »

Il fallait s’activer avant le début de l’événement, histoire d’être prêts à accueillir les têtes blondes.

Evidemment, Kayden n'aurait jamais mis Luana dans l'embarras. Il plaisantait simplement sur l'ironie de la situation. Pour autant, il savait se tenir. Enfin... un peu... Disons qu'il lui arrivait d'être raisonnable, notamment quand il engageait la responsabilité des autres. L'avantage d'être très extraverti, c'est qu'il n'était pas très compliqué d'être soi-même. Il ne faussait rien, il ne simulait absolument pas ses traits pour satisfaire telle ou telle personne. Il s'assumait, avec son caractère atypique, ses convictions profondes, son naturel. Au sein de l'association, il avait le talent de faire décomplexer tout le monde, notamment les jeunes qui venaient, en quête d'une identité, de réponses, parfois de soutien et de réconfort. On pouvait parler de tout, on le devait même, car Kayden était capable d'aborder n'importe quel sujet à n'importe quel moment. Ne pas tenter de réguler un peu son cerveau d'hyperactif c'était courir le risque d'un incident diplomatique. Luana possédait un pouvoir certain sur lui. Il l'admirait beaucoup, il ressentait un amour profond pour la personne mais aussi pour ses actes. Comme il aimait le dire, ils étaient humainement compatibles. Mieux, leur complicité s'avérait si importante qu'ils auraient pu être sentimentalement compatibles. En tout cas, Kayden ne tenterait rien de fou avec ces jeunes, parce qu'il savait que ça blesserait Luana en plus de la mettre dans une situation inconfortable. Quand il revint avec les jeunes transformés en femmes, il posa ses mains sur ses hanches, comme toute drama-queen qui se respectait et répondit à sa comparse :

- Tu crois que j'ai fait suivre tout ça juste pour de la figuration ? Et mon cul, c'est du poulet ? Non ! Je les ai un peu fait répéter... t'auras la surprise !

Kayden restait mystérieux et quand il faisait ça, il était très énervant. Il donnait une image très suffisante de lui, même si ça n'était pas du tout le cas. Alors que Luana commençait à s'impatienter et à mettre tout le monde en place, la salle dans laquelle, ils se trouvaient, se remplissait au fur et à mesure. Les jeunes qui accompagnaient Kayden semblaient stressés. Il s'approcha d'eux pour les rassurer. Le trac, dans ces conditions, était normal. Il sut trouver les mots, en lui parlant de la première fois où il s'était costumé en femme, dans une tenue ultra-provocante. Et il leur confia aussi les quelques étapes qui l'avaient amené à ça, tout en les faisant relativiser sur la situation actuelle. Après tout, ils ne seraient femmes que le temps de cet évènement. Petit à petit, les jeunes s'étaient assis dans la salle et un léger brouhaha se faisait entendre. Kayden profita du fait que l'attention se porte sur le principal pour se rapprocher de son sac à dos. Il en sortit un CD et une bouteille de gin, dont il but une gorgée discrètement. En voyant ça, Luana devait probablement avoir une idée de ce qu'il allait faire. En général, quand il sortait le gin, c'est qu'il allait chanter. Quoi ? Mystère ! Le principal entama son discours, plein de bienveillance et d'ouverture. On sentait qu'il avait décidé de tenir tête à son conseil d'administration et d'aller jusqu'au bout de cet évènement. Et l'assistance l'écoutait avec une certaine attention. Bien sûr, il y avait quelques jeunes qui riaient un peu dans le fond, d'autres qui semblaient complètement ailleurs, mais l'audience semblait très intriguée, très intéressée. Une attitude qu'il aurait été difficile d'avoir dans l'ancienne école de Brown. Malheureusement situé dans un quartier populaire et un peu mal fâmé, tout ce qui touchait à l'icône du mâle puissant et chef de guerre, se retrouvait honni, mal vu... persécuté. C'est parce qu'il avait vécu ça autrefois, qu'il refusait d'être une victime aujourd'hui. Le proviseur termina son discours d'introduction sous les applaudissements. Kayden sautilla sur place, se secoua de toutes parts. En quelques secondes, il se mit dans la peau de son personnage. Il fit signe aux jeunes costumés en femme, comme lui de se tenir prêts. Il monta sur scène, pour se positionner au milieu.

- Bonjour à toutes et à tous. Moi c'est Kayden, j'ai 32 ans. J'ai deux métiers, je suis doubleur et le soir, les nuits, je suis drag-queen.

Il y eut quelques rires dans la salle, ce qui étira un sourire franc sur son visage.

- Je suis né en France, dans une belle ville, Toulouse. Et j'y ai grandi, entouré par mes parents. Quand j'étais gamin, j'adorais me déguiser. Je me rappelle que j'avais un costume de Zorro, un autre de Robin des Bois. Et puis je piquais aussi le maquillage de ma mère.

De nouveaux rires dans la salle. Mais cette fois, le sourire de Kayden se fit beaucoup plus discret. Et effectivement, il poursuivit :

- Je dois dire, j'aurais bien aimé qu'on puisse en rire, à l'époque. Parce que si on peut rire des choses, cela veut dire que ça n'est pas grave. Mais ça ne s'est pas passé comme ça. Pas du tout. La tolérance, on a la chance d'en avoir de plus en plus aujourd'hui, vous savez. Moi à l'école, on m'a insulté. Tabassé. Menacé de mort. Dans tout le lot des gamins qui contribuaient à ça, je reste persuadé qu'il n'y avait pas beaucoup de haineux. En fait, ceux qui éprouvent vraiment de la haine sont minoritaires, mais ça ne sont pas les plus dangereux. Il y en a toujours qui les suivent, des gens qui ignorent le sujet mais qui préfèrent l'appartenance à une bande, à un groupe plutôt que comprendre, accepter la différence, la nourrir. C'est pour ça que je suis là, aujourd'hui. Pour vous faire comprendre que nous avons la chance d'avoir de moins en moins d'ignorants mais qu'il y encore du chemin à parcourir. Pour aussi vous dire que les mots, les attitudes peuvent blesser, beaucoup plus qu'on ne l'imagine. Ils ont amené le petit garçon que j'étais à tenter de mettre fin à ses jours.

Un silence absolu se fit dans la salle, alors que Kayden venait de prononcer ces mots. Il attendit quelques secondes avant de reprendre :

- Ce que je vais dire, va vous paraitre cliché. Mais c'est pourtant la réalité. Ce qui m'a sauvé, outre les médecins, c'est l'amour des gens qui comptaient le plus pour moi. Il aurait pu en être autrement, beaucoup n'ont pas la chance d'avoir des parents qui comprennent et qui soutiennent, c'est vrai. Mais il y a toujours une personne à laquelle on peut se raccrocher. A l'association, nous aidons des jeunes, des moins jeunes, bref, tout un tas de personnes qui cherchent parfois de simples réponses ou qui ont besoin d'un soutien inconditionnel. Hélas, malgré toute notre bonne volonté, nous ne pouvons pas tout régler nous-mêmes. Nous avons besoin de vous. Parce que vous-même, vous pouvez être la personne qui soutiendra une autre. Vous pouvez lui apporter amour, amitié, présence, pour qu'elle ne se sente ni exclue, ni problématique. Vous ne vous en rendiez peut-être pas compte, mais vous avez un grand pouvoir entre vos mains. Vous êtes des super-héros, capables de défendre cette tolérance qui nous est si précieuse.

Des applaudissements vinrent ponctuer la fin de sa phrase. Kayden fit signe aux trois jeunes costumés de le rejoindre sur scène. Un simple regard à Luana suffit pour lui donner son feu vert afin d'enclencher la musique. Un début au piano, bien connu, puisqu'il s'agissait de Beautiful, de Christina Aguilera. Equipé d'un casque pour avoir les mains libres, Kayden et ses trois assistants montèrent sur la scène pour se mettre à danser, dans un slow. Dès la première note, la voix de Brown fut juste et dans le ton, qu'il voulait doux, grave. Quelques applaudissements furent noyés dans la suite de la chanson. Le slow se poursuivit, captant totalement l'attention du public qui au delà de la prestation de danse assez sommaire, était captivé par la chanson. A chaque mot qu'il prononçait, Kayden donnait une dimension si grande à l'émotion, que c'était comme s'il la vivait. La fin de la chanson entraina des applaudissements nourris. Mais Kayden enchaina avec une autre chanson, bien plus agitée puisqu'il s'agissait de Born this way, de Lady Gaga. Il adressa un sourire aux jeunes qui dansaient à ses côtés. Ok, leurs mouvements seraient plutôt rudimentaires mais ça n'était pas ça le plus important. Et puis ils n'avaient eu que quelques minutes pour répéter. Pour autant la chorégraphie, bien que simpliste, était entrainante, certains dans la salle se levèrent pour danser à leur tour. Et Kayden avait conquis son public rien qu'avec sa voix. Quand cette deuxième chanson se termina, ce fut l'ovation.

- J'aimerais que vous applaudissiez chaleureusement Adam, Timothy et James pour leur courage. Ils ont accepté de jouer le jeu et je les en remercie !

On se serait cru à un concert. Kayden salua le public et quitta la scène. En croisant Luana, il lui fit un large sourire, malgré le fait qu'il soit en nage à cause de la chorégraphie et essouflé :

- Je crois qu'ils sont chauds bouillants, ma belle ! Ils t'attendent pour te faire un triomphe !

- Monsieur Brown, c'était absolument génial !

Kayden fit un clin d'oeil au proviseur, avant de donner une tape amicale sur les fesses de son amie :

- Allez, sois pas timide ! C'est à ton tour !

Spoiler:

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sur l'autel du silence

Kayden & Luana

Une main sur le front, un hochement de tête et un soupir illustraient parfaitement l'exaspération de Luana. Elle ne put cependant s'empêcher de laisser échapper un petit rire. Elle avait confiance en Kayden et elle adorait les surprises mais elle ne pouvait s'empêcher de lui montrer à quel point il l'épuisait. Ce n'était pas un épuisement désagréable. Mais plutôt le genre d'épuisement qu'on éprouve quand on aime quelqu'un même pour ses mauvais côtés.

« J'espère que tu ne les as pas trop fait souffrir avec tes répétitions. »

Elle se tourna vers les jeunes gens pour leur parler, sans même prendre la peine de chuchoter.

« S'il a été insupportable vous pouvez me le dire, je lui botterai les fesses. »

Elle leur fit un clin d'œil complice avant de se retourner vers son ami.

« En tout cas j'ai hâte de voir ça. Ca promet d'être grandiose ! »

Grandiose, c'était un mot qui collait bien à Kayden. Il était grandiose. Elle le laissa se préparer et motiver ses troupes. Pendant ce temps là, elle aida à l'accueil des adolescents. Ne pas courir. Ne pas laisser de chaise vide entre les gens. Jeter ses déchets à la poubelle et pas sur le sol. Ce n'était pas évident de gérer une troupe de gamins aussi grande. Elle n'attirait pas trop le regard des étudiants, parce que tous papotaient avec leurs amis et faisaient des hypothèses sur ce qui allait se passer. Certains se plaignaient, évidemment.
La blonde leva les yeux au ciel en entendant certaines remarques. Elle jeta un coup d'œil vers la scène pour voir si tout le monde était bien en place. Qu'elle ne fut pas sa surprise quand elle vit le brun sortir le gin ! Est-ce que ça l'étonnait ? Pas du tout. Il était vraiment incorrigible. Les élèves ne savaient clairement pas ce qui les attendait ahah.
Quand le principal prit le micro, un semblant de silence s'installa dans l'assemblée. La pâtissière parcourut la salle des yeux pour veiller au grain. Elle aurait bien donné une tape derrière la tête à ceux qui riaient, mais les conséquences risquaient d'être désastreuses, alors que cet événement était important pour plein de jeunes. Elle se contint donc. Le discours eut un certain succès puisque les applaudissements fusèrent. Maintenant c'était le tour de Kayden de rentrer en scène et Lu' lui envoya toutes les ondes de soutien qu'elle avait en elle. Il pouvait le faire !
Elle écouta attentivement ce qu'il avait à dire, subjuguée par sa prestance et son honnêteté. Elle était émerveillée.
Au fur et à mesure de ses mots, la blonde sentit les larmes couler sur ses joues. Ses paroles résonnaient fort en elle. En la petite fille qu'elle avait été, en l'adolescente qu'elle avait été, en la jeune adulte qu'elle avait été. Elle n'avait pas subi exactement les mêmes choses. Mais les violences restaient toutes gravées de la même façon, ancrées dans la peau. Elle avait voulu mourir aussi. Elle avait tenté. Elle avait voulu que tout se taise. Elle avait voulu le silence, ne plus rien ressentir. Pendant une période, elle ne se rappelait même plus être en vie. Et puis elle avait pu être aidée. Elle avait pu revoir en couleurs. Et elle s'était investie dans la vie. Elle savait ce que c'était de ressentir tout ça, et elle savait que beaucoup de jeunes LGBTI+ ressentaient tout ça. Alors elle avait mis son expérience à contribution, pour éviter d'autres drames. Pour aider. Pour aimer.
Et aujourd'hui, en tant que membre de cette association, elle se trouvait là. Devant ces jeunes. Et elle sentait qu'elle avait accompli quelque chose.
Elle applaudit de toute son âme à la fin du discours de Kayden. Parce qu'il méritait au moins ça.

Après ça, vint le temps du spectacle. D'un signe de tête, elle encourage son ami à lancer la musique et le show commença.
Il commença par une musique lente et douce pour échauffer la salle. C'était impressionnant la manière dont il captait l'attention. Il chantait juste, il dansait juste. Il était incontestablement talentueux. Mais pas de repos pour les braves. A peine la chanson finit, qu'il enchaîna sur une deuxième bien plus entrainante. Les jeunes qu'il avait recruté se débrouillait plutôt bien d'ailleurs !
Luana ne pu s'empêcher de danser face à l'euphorie du moment. Tout en se dandinant, elle rejoignit la scène car son tour allait bientôt arriver. Les danses de salon, c'était son domaine, mais ce genre de danse… C'était bien une blanche. Elle dansait n'importe comment, mais elle s'amusait. Les larmes d'émotion avaient laissé place à des larmes de joie. Quand le morceau toucha à sa fin, elle applaudit en hurlant. Pire qu'une groupie.
Elle sautilla quand il la rejoignit.

« Whoua c'était magique. T'as géré chaton ! »

Même le principal était sous le charme. Cet événement était déjà une réussite.
Elle se motiva à entrer sur scène et ce fut la tape amical du brun qui lui donna la motivation qui lui manquait. Elle allait y arriver ! Soit dit en passant, si un autre homme l'avait touché de la sorte, il aurait eu son poing dans la figure. Fin de la parenthèse.
Elle monta sur scène lentement et se dirigea vers le centre, tentant de capter l'attention après ce numéro époustouflant.

« C'est bien ma veine de passer après lui tiens ! Toujours là pour faire son intéressant. »

Quelques rires s'élevèrent.

« En même temps, on ne peut pas lui en vouloir tellement il est adorable. Enfin bref, pas de danse ni de chanson pour moi, mais j'aurai mon moment de gloire plus tard, quand vous goûterez aux pâtisseries que j'ai fait. »

Elle aurait presque pu entendre des gargouillis dans la salle. Il fallait bien qu'elle s'en vante un peu.

« Mais avant de manger, j'aimerais vous dire quelques mots. »

Elle prit une grande inspiration et se lança.

« Je m'appelle Luana et je fais partie de la même association que Kayden. Ce qu'il vous a dit plus tôt était très juste. Il reste encore beaucoup d'ignorance un peu partout. Et cette ignorance fait faire des choses stupides. Les personnes qui ne correspondent pas au parfait petit modèle construit par la société en font les frais. C'est pour cela que je vous invite à vous renseigner, à vous instruire. Nos portes sont ouvertes, nous avons une permanence pour les gens qui veulent en apprendre plus, le lundi de 15h à 19h. Et le reste du temps nous sommes ouverts pour les personnes LGBTI+. Nous sommes là pour vous. Pour vous offrir un lieu safe et pour vous aider. Vous pouvez juste venir prendre un thé et discuter de livres ou vous pouvez venir pour parler de vos problèmes. Les personnes qui tiennent cette association sont toutes des personnes concernées. Nous comprenons ce que vous vivez, nous sommes passés par là : les questionnements, les insultes, les coming-out, les découvertes, l'envie d'être soi, etc.
On a souvent effacé nos existences dans l'Histoire, mais aujourd'hui nous sommes là pour être reconnus, pour être aimés. Et ça commence par des petites actions. Alors voilà. Je suis fière d'être qui je suis. »

De sa poche elle sortit un drapeau aux couleurs de l'arc-en-ciel et le brandit fièrement. C'était ses couleurs désormais. Les couleurs du bonheur.

« Des petites cartes de contact sont disponibles sur les tables, sentez-vous libres d'en prendre une. Et si jamais vous n'êtes pas à l'aise à l'idée de vous rendre directement à l'association, venez me voir. Je sais à quel point c'est difficile quand on est introverti-e ou anxieux-se. Bon. Je crois que j'ai fini. Soyez fier-es de qui vous êtes. Et plus important encore, soyez heureux-ses ! … Ah ! Et le buffet est ouvert ! »

Elle reposa le micro, fit un petit signe et descendit de l'estrade sous les applaudissements. Pfiou ! Elle tomba dans les bras de Kayden, heureuse.

« Alors comment j'étais ? » s'enquit-elle, un sourire aux lèvres.

- Puissante ! Magistrale ! Fantastique ! On aurait dit Michelle Obama, dans ses conférences ! Tu es née pour ça ! C’est dingue ! Je suis limite prêt à aller prendre une carte et à venir à l’association... mais j’en suis déjà membre ! Dans les faits, tu as été encore plus à la hauteur que ce que j’imaginais ! Je suis tellement fier de toi !

Kayden était très tactile de base mais quand il était gagné par l’émotion, cela s’aggravait encore plus. Il serra Luana contre lui, très fort, avant de l’embrasser sur la joue avec une affection intense. Blotti contre elle, il pouvait librement se laisser aller et ce fut à son tour de verser quelques larmes. Luana avait une véritable force de caractère, qui la rendait absolument essentielle au sein de l’association mais aussi pour les gens qui la côtoyaient. Brown ne faisait pas exception, il avait beau paraître assuré et fort, la présence de la belle blonde le rassurait. Et elle lui rappelait à quel point il était important de témoigner l’amour que l’on portait aux autres. Il finit par se dégager en balayant les sillons de larme d’un revers de main, puis il reprit :

- On dirait bien que tu as fait fureur, ma belle ! Et que tes pâtisseries ont du succès aussi ! Hé !!! Priorité aux danseurs !!!

Kayden, qui était toujours dans son habit de drag queen avait interpellé les lycéens de sa voix grave et rocailleuse. Le contraste restait saisissant, sinon drôle. Les jeunes ne semblèrent nullement perturbés. Il haussa les épaules et soupira :

- Je me fais encore oublier ! Pff... c’est pas juste... on va interdire les pâtisseries c’est pas fair play ! Et puis c’est scandaleux ! Elles sont tellement bonnes que tu peux plus t’en passer quand tu y goûtes !! Qu’est-ce que tu y mets dedans hein ? De la blanche ? De l’ectasy ? Tsss... je suis sûr que tu coupes ta farine avec quelque chose ! Mais je t’aurais un jour ! Je t’aurais !

Il devait être le seul ici à avoir la référence, car les français restaient rares, sur Island Bay. D’un côté, Kayden avait grandi avec la culture pub de sa génération. Entre la MAAF, Findus, Pulco et le Rondelé, il avait retenu tout un tas de choses, pas forcément utiles mais qui lui apportaient un peu de douceur sur les souvenirs de son enfance. En dépit de ce qu’il venait de dire, il n’était pas vexé. Il fallait le connaître pour le savoir. Kayden, quand il était contrarié, c’était mémorable. Une vraie diva. Il criait, il s’énervait mais il ne boudait pas. Cinq minutes après, il avait oublié l’objet du grief. Facile, du coup, de voir quand il plaisantait et qu’il jouait la comédie. Et puis bon la raison pour laquelle il était serein... Luana allait s’en rappeler. Il introduisit une main dans sa poitrine pour en sortie une boule couverte de papier, qui avait servi de faux seins. A l’intérieur de l’emballage, des croissants, des pains au chocolat et même un éclair au café. Il dégusta son festin, tout fier de lui et devant la tête de sa comparse, il répliqua :

- Chérie, t’as cru que j’allais rien récupérer en scred ? Mouhaha ! Je suis le meilleur ! Et moui... ché une tuerie...

Il dévorait tout ça à pleines dents. A un moment, il lui donna un coup de coude.

- Bordel ! Par les couilles du pape, regarde-moi cette beauté !

Il désigna un homme d’une trentaine d’années, qui mangeait un éclair à la vanille. Le gars était plutôt beau, blond, grande taille, cheveux courts, plutôt svelte, avec des lunettes sur le nez. Kayden l’observa et ne put s’empêcher de dire :

- Oh lui... il peut venir me dévorer mon éclair quand il veut... il est un peu plat, j’arrive pas à m’imaginer si c’est son pantalon qui est mal cintré ou s’il a un bretzel dans le pantalon... mouarf pas grave... ma foi, ca se mange aussi pas vrai !

C’est à ce moment là que le proviseur revint vers eux et demanda, innocent :

- Alors, quelle est la suite du programme ? Vous restez un peu pour échanger ?

- Oh oui ! Échangeons nos pâtisseries !

Le proviseur sembla perplexe. Il regarda Luana, attendant sa réponse. Il était à mille lieues de se douter de la perversité du propos de Kayden. D’ailleurs, il enchaina, très terre à terre :

- J’ai réfléchi, beaucoup d’élèves sont venus me remercier de vous avoir invité. Aussi, j’aimerais vous proposer quelque chose. Nous avions un local ici, destiné à une association culturelle qui malheureusement a estimé que nous la subventionnions pas assez... bref, que diriez-vous de réaliser une permanence ici ? Une fois par semaine ? Ou à une autre fréquence, si vous voulez ?

Et Kayden de répondre :

- Je veux en être ! J’adore le cadre de cet endroit !

Le cadre... tu parles, Charles !