Celui qui emménage (Timo)

Quand il avait posté son annonce pour offrir à deux la chance ultime (hm, hm…) d’être ses colocataires, Timo avait précisé qu’il n’y avait que deux chambres. Le loft disposait de quatre chambres, mais il en occupait déjà deux ; une pour dormir et l’autre qui faisait office de bureau et dans laquelle il tournait ses vidéos. Cependant, quand il avait appris qu’Alexie avait eu un dégât des eaux qui la mettait à la rue, il n’avait pas pu s’empêcher de lui venir en aide. Il devait beaucoup aux Holt et serait éternellement reconnaissant pour ce qu’ils avaient fait pour le petit garçon qu’il avait été. Et puis, accessoirement, Alexie était son amie et il n’allait pas la laisser aller se réinstaller chez ses parents et s’endormir devant des documentaires sur la vie amoureuse des mollusques dans l’océan indien. Alors il avait déménagé, provisoirement, pour offrir sa chambre à la jeune femme en grand prince. Heureusement pour lui, il avait investi dans un bon canapé et ne se casserait pas le dos. Son intimité lui manquerait, mais il tenterait de tout faire pour ne pas se retrouver nu au milieu du salon et devant le regard de ses désormais trois colocataires féminines.

Alors qu’il était à moitié allongé sur ce même canapé, trop occupé à engloutir sa pizza de début d’année, il entendit la voix d’Alexie au pied de l’immeuble. Visiblement, c’était elle qui s’acharnait sur l’interphone et non pas un énième démarcheur. Il se leva de son trône, sa part de pizza aux quatre fromages dans la main, et se dressa devant la fenêtre, d’où il vit la voiture pleine à craquer de son amie. Un instant, il se demanda même si tout ce qu’elle avait amené pourrait rentrer dans sa chambre. Il releva la fenêtre industrielle et passa sa tête dans l’espace. « Hey, on t’entend glouglouter d’en haut... Je t’ouvre et tu me rejoins ? Y a de la pizza 4 fromages !!! On s’occupera de monter tes… effets personnels après le dessert » dit-il sans même attendre la moindre réponse en retour. Sa croûte de pizza entre les dents, il appuya sur le bouton et ouvrit la porte dans l’attente de voir Alexie débouler devant ses yeux.

Sa pizza à la main, Timo était dans la meilleure posture pour contempler la scène : Alexie, à bout de souffle, arrivant enfin devant lui. Par motivation ou par oubli, elle avait pris les escaliers. Faire plus de sport faisait-il partie de ses résolutions ? Dans tous les cas, il faudrait bien que le blond lui rappelle qu’un ascenseur était à sa portée. A moins qu’il ne la laisse s’épuiser en montant ses cartons… Le petit diable sur son épaule lui conseillait d’opter pour cette solution, mais il était décidé à être sympathique. Après tout, Alexie avait suffisamment sprinté en ce début d’année.

« Alex… Tu sais qu’on a un ascenseur, quand même… ? » dit-il, un peu gêné par la situation. Néanmoins, il ouvrit grand la porte et laissa son amie rentrer. Devant les paroles d’Alexie, Timo ne put s’empêcher d’éclater de rire. Voilà qu’en l’espace de quelques heures, il était devenu le gendre idéal. « Tu sais très bien que ton père m’adore depuis toujours. Quant à ta mère… T’as qu’à lui dire que j’ai pas de quoi payer la dot ». Bon, en vérité, d’aussi loin qu’il se souvienne, il n’avait jamais imaginé se marier. Ni avec Luana, ni avec Alexie. Elles faisaient presque partie de sa famille, mais certainement pas de façon ambiguë et heureusement. L’inverse serait digne d’un téléfilm passant l’après-midi sur la première chaîne télé venue et étant regardé par des personnes qui s’ennuient.

Timo ne se souvenait pas avoir fait visiter les lieux à Alexie. Elle était déjà venue, avec Luana, mais n’avait jamais fait le tour du propriétaire. Si sa nouvelle colocataire trouvait ça grand, elle serait probablement encore plus surprise à la découverte de sa chambre. Il lui montra le chemin et l’emmena dans ses appartements puis ouvrit la porte pour la laisser découvrir. Une fenêtre donna sur la cour, de quoi être tranquille, et suffisamment d’espace pour y entreposer toutes ses affaires. « Bon, c’est pas un château, désolé pour la désillusion, mais j’ai fait en sorte que la chambre semble neuve pour que tu puisses te l’approprier. Alors après, s’il te plaît, évite de me la repeindre en rose Barbie parce que j’suis pas sûr que ma rétine y résisterait… ». Il tenait à garder l'aspect pittoresque de son loft et non pas à le transformer en paradis des licornes...

Timo ne savait pas ce que ça faisait de faire partie d’une famille. Du moins, une grande et belle famille comme celle que formaient Alexie, ses sœurs et parents. Lui, il avait toujours eu un modèle unique composé d’uniquement sa mère et lui. Ca lui convenait, il n’avait jamais eu à se battre pour être le préféré de sa mère. Il connaissait depuis si longtemps Luana et Alexie qu’il avait l’impression qu’elles faisaient partie de sa famille. Le soutien indéfectible de la mère Holt était d’ailleurs le parfait exemple qu’ils étaient restés proches et ce malgré les années. Elle ne manquait jamais une occasion de lui faire passer un petit message d’encouragement ou de lui glisser un commentaire – parfois incomplet puisqu’elle avait tendance à cliquer sur « Envoyer » avant d’avoir terminé d’écrire – et cela remplissait le cœur du loup solitaire à chaque fois. « C’est ça, fais-moi passer pour un gorille alors qu’ils savent que je suis plus chimpanzé. » dit-il, espérant que sa métaphore subtilement choisie ferait écho dans l’esprit d’Alexie. « D’ailleurs, ce dégât des eaux, ton fiancé ne s’en est pas servi pour t’inviter chez lui » lança-t-il avec taquinerie. Cette histoire d’amour à distance, Timo n’y croyait pas. Il savait bien qu’on pouvait aimer une personnalité, mais quelque chose sonnait faux quand il mettait tous les éléments bout à bout. De toute façon, lui, il avait toujours espéré qu’Alexie finisse avec une personne en particulier.

Au fond de lui, Timo ressentait une pointe d’émotion en voyant l’espace qu’il avait quitté. Sa bonté le perdrait un jour, il le savait. « J’me suis auto-viré… Répète encore une fois que je ne suis pas galant à la prochaine soirée, tiens ». Un instant, il douta de l’humour de sa nouvelle colocataire. Si elle était capable de ramener de quoi l’enquiquiner ? Tout à fait. Cependant, il ne put croire à un tel excès de mauvais goût. Et puis… Il lui faudrait respecter la vie en communauté. Timo n’hésiterait certainement pas à user de cet argument si elle venait à dépasser les bornes. « T’as pensé à mon équilibre ? Le rose Paris Hilton, ça perturbe le feng-shui ! » déclara-t-il avec un sourire cachant une envie de rire un peu trop envahissante. « Bon Afida Turner, tu viens m’aider à engloutir la pizza ou bien tu préfères taper dans les croquettes des animaux ? ». De là où il était, il pouvait entendre le carton de la pizza l’appeler au secours.

Un poussin… Voilà à quoi Timo était réduit. Au fond, il savait que tout ça relevait de l’affection et c’est pour ça qu’il ne bronchait pas. De toute façon, Alexie n’avait pas de quoi se moquer. Elle avait aussi le droit à son lot de surnoms ringards, dont l’épique et irremplaçable « bébé bourdon ». La première fois que Timo avait entendu ce terme, il avait explosé de rire devant les joues rosées de son amie d’enfance. Tout à coup, il s’était mis à imaginer Alexie avec un certain embonpoint et des rayures jaunes et noires sur le corps. Rien de bien reluisant donc. « Et toi, t’es toujours son petit bourdon… Euh, bébé bourdon, pardon ! » lança-t-il en rigolant.

Comme à son habitude, il avait mis les pieds dans le plat. Alexie n’était plus avec le garçon dont il connaissait vaguement l’existence. Elle ne leur avait jamais présenté et même s’il trouvait ça étrange, il n’était pas du genre à s’immiscer dans l’intimité de ses amis et à les questionner sur leur vie sentimentale. « Wow. Bon débarras, j’imagine ». Bon, en vérité, il ne savait pas trop quoi dire. Elle n’avait pas l’air plus affectée que ça et surtout, il se voyait mal lui donner le moindre conseil, lui qui était célibataire depuis un bail. « Tu vas enfin avoir la possibilité d’aller au bout de certaines choses, du coup, j’imagine ! » Oui, bon, il faisait allusion à Augustus. Il ne s’en mêlait pas, mais il n’était pas dupe non plus. Il la dévorait des yeux à chaque fois qu’ils étaient en groupe… Et Luana avait eu la même remarque. Alexie était toujours plus douce quand il s’agissait de Gus. Bref, il fallait que les choses se fassent et connaissant les deux protagonistes, cela risquait encore de prendre un peu de temps.

« La seule raison pour laquelle j’ai dit oui, c’est pour me faire pardonner de toutes les humiliations que je t’ai causées, Alexie… » dit-il d’un ton raisonné. Cela dit, le fait qu’elle lance le sujet d’un appartement se présentait comme une branche dans laquelle Timo trouvait bienvenu de s’engouffrer. Après tout, il avait déjà mis Gus au courant. La nouvelle se saurait tôt ou tard. « T’auras peut-être pas besoin de leur faire perdre leurs repères… J’regarde un peu ce qui se vend en ce moment, j’aurai sûrement besoin de plus d’espace bientôt » lâcha-t-il à la volée. « J’t’ai déjà dit que tu me dégoûtais ? … » dit-il en engloutissant un morceau tout en essayant d’oublier les idées saugrenues d’Alexie. « L’étagère du haut, c’est la mienne, vu que j’suis grand. Il doit rester un peu de place à côté d’Hannah, donc prends tes aises. Et pour les courses, chacun son étagère dans le frigo, mais la mienne est souvent vide donc je risque de te piquer des choses, sorry, not sorry. »

Potelée ? Timo avait eu l’immense chance de voir des clichés sur lesquels Alexie apparaissait dans les bras de ses parents et le terme « potelé » était un euphémisme. Ce qu’on pouvait facilement déduire, c’est qu’elle avait passé neuf mois à se régaler dans le ventre de sa mère et qu’à la sortie, elle avait d’autant plus d’appétit. D’ailleurs, sur ce point, elle n’avait pas vraiment changé. S’il y avait un domaine dans lequel elle pouvait concurrencer le blond, c’était dans celui-ci. Alexie avait un bon coup de fourchette et il était préférable d’avoir une photo des deux que de les avoir à table. Du moins, c’est ce que devait penser une partie de leurs connaissances communes, à commencer par Luana.

Timo n’était pas du genre à s’étaler pendant des heures sur un sujet. Il parlait peu, surtout quand il s’agissait de sentiments. Dire ce qu’il avait sur le cœur n’était pas dans son caractère et il ne pouvait cacher une certaine gêne quand le sujet était abordé en public. Ce n’était certainement pas lui qui allait donner des conseils à Alexie et ce même s’il avait bien remarqué son air dubitatif quand il avait fait sa remarque. Ce n’était pas ses affaires et il faisait confiance à ses amis pour que ce qui devait être fait soit fait dans les règles. Bien sûr, il serait au premier rang pour applaudir une issue heureuse, mais en aucun cas, il ne jouerait les Cupidons. Saint-Valentin approchant ou non.

Taquiner Alexie était une activité à part entière, au même titre que la course à pied ou le crochet. A cela près qu’il trouvait que c’était plus distrayant que la couture et plus éprouvant qu’une quelconque activité sportive. Il fallait toujours avoir de la ressource et une certaine spontanéité pour attaquer ou contre-attaquer au bon moment. Le monopoly, c’était une valeur sûre, son crochet de boxe à lui. « Ouais, une maison, ce serait l’idéal, mais je ne me fixe pas de vrais critères. Enfin, j’ai imprimé quelques screenshots pris sur les Sims pour inspirer l’agent immobilier, mais je ne vais pas faire la fine bouche… ». Mouais. Enfin, l’agent l’avait quand même regardé bizarrement quand il avait sorti ses impressions de sa pochette cartonnée. C’était certainement la première fois qu’on lui faisait ce coup-là. « Dégoûtante. » répondit-il simplement. Il était partisan du « chacun ses goûts », mais là, quand même…

En évoquant le cas des boissons au frais, Timo sentit qu’Alexie venait se délester d’un poids. Il se leva et pointa le canapé du dos. « Ok… Euhm, tu veux t’allonger sur le canapé, parce que j’ai pas de divan, et qu’on en parle… ? » dit-il avec un air moqueur. « Tu sais que ça me donne envie de le faire rien que pour t’embêter… Mais j’suis pas sûr que j’y arriverais ». Lui aussi, il était maniaque et surtout, il détestait que les choses trainent. On était loin du cliché du célibataire dont la propreté est le cadet des soucis.

Timo et Alexie, c’était la définition même de l’amour vache. Pas le genre de duo à s’étouffer de mots d’amour ou à s’enlacer à n’en plus finir. Ils fonctionnaient toujours à coups de remarques saillantes et se comprenaient. C’était leur langage à eux et même s’il semblait parfois obscur aux yeux des autres, il leur convenait. Le blond le savait, il était passé pour un sauveur lorsqu’il avait proposé à Alexie de le rejoindre. Pas que ses parents n’avaient plus de place, mais il savait qu’aucune des deux parties n’avaient envie de cohabiter de nouveau. Malgré un niveau de maturité parfois questionnable, Alexie avait passé l’âge de faire sa Tanguy chez ses parents. Pour l’avoir vécu à son retour du Japon, Timo savait qu’habiter sous le toit familial après l’avoir quitté était une véritable épreuve tant les habitudes des uns et des autres étaient différentes. Son acte de bravoure lui avait valu de recevoir, à tour de rôle, les appels de madame Holt, monsieur Holt, et Alexie. Il avait bien réclamé qu’on lui remette une médaille, mais il y avait peu de chance que sa demande aboutisse.

Quoiqu’il en soit, il avait mis Alexie dans la confidence de ses projets d’avenir : il comptait partir ; quitter cet appartement qui l’avait vu grandir et évolué, devenir qui il était devenu. Il était prêt à passer à l’étape supérieure et à avoir son propre chez-lui. La colocation l’avait rassuré à une période où il en avait besoin. Elle lui avait apporté réconfort et apaisement. Hannah avait été une colocataire adorable et il savait qu’Alexie ne serait pas pire. Du moins, il l’espérait. « On va dire que la situation l’exige » dit-il avec la volonté de rester vague. Il n’allait pas lui annoncer qu’il comptait devenir père entre deux cartons. Surtout que Timo le savait, cette décision allait surprendre plus d’un de ses amis. Pour beaucoup, il était le joyeux luron, toujours dans son monde d’adolescents et il était sûr que son projet allait être désapprouvé par certains. A commencer par sa mère. C’est pour cette raison qu’il préférait garder cela pour lui.

« Et pourquoi ça ne serait pas toi qui ferais pipi debout ? » demanda-t-il avec un air bête. Les femmes et leurs caprices… Et voilà maintenant qu’elle lui demandait poliment de perdre, délibérément, pour s’éviter de charger les cartons. Mais pour qui le prenait-elle ?! Il se sentit légèrement vexé par l’indécence de cette proposition. En fronçant les sourcils, il s’adressa à Alexie : « Premièrement, tu vas de ce pas prendre une chiffonnette pour nettoyer les microbes que tu viens de mettre sur MA manette en t’en emparant sans même avoir lavé tes mains » et oui, on ne rigolait pas avec l’hygiène la Switch chez Timo. « Et il est hors de question que je te laisse gagner… T’es si mauvaise que t’es prête à t’abaisser à ça » lâcha-t-il avec un gros sourire. « C’est hors de question » dit-il en enfilant un pull supplémentaire. Il sortit de l’appartement en laissant la porte ouverte, jugeant d’Alexie allait sûrement le suivre et appuya sur le bouton de l’ascenseur. « Par contre désolé, mais si on monte à deux dans l’ascenseur, on risque de dépasser le poids max vu la part de pizza que tu viens d’engloutir. Tu prendras les escaliers, hein ?! Je suis sûr que ton corps me remerciera ».