So close no matter how far (+) Jody & Lou



Le dimanche est le seul jour où la bibliothèque est fermée, alors Lou en profite toujours. S’il n’y a rien d’exceptionnel au programme comme un repas familial ou une sortie entre amies, elle prend du temps pour se relaxer. D’abord, elle fait la grasse matinée, si Nana n’arrive pas à se faufiler dans sa chambre pour lui donner des coups de langue sur le visage. Ensuite, elle fait une longue promenade sur la plage si le temps et la température le lui permettent. Puis elle se rend au marché où elle choisit des fruits et des légumes frais avec soin. Elle profite souvent d’une partie de son après-midi pour cuisiner quelques petites choses à l’avance pour gagner du temps en semaine. Et surtout, elle en profite pour passer du temps avec ses proches, qui qu’ils soient. Aujourd’hui, Lou a décidé de rendre visite à sa soeur aînée, Robin. Elle a fini ses courses au marché et, avant de rentrer chez elle, la jeune femme se dit que c’est une bonne idée de passer chez sa frangine qui vit dans le centre. Elle n’est pas sûre que Robin soit là, mais si ce n’est pas le cas, alors ce n’est pas très grave. Et si c’est le cas, quand on est la petite dernière de la famille, on a bien le droit de passer à l’improviste chez ses aînés, non ?

Ses courses dans le panier de son vélo, Lou s’arrête donc avec celui-ci devant chez Robin. Elle prend le temps de sortir des raisins pour grignoter avant de se redresser pour aller sonner. Mais elle s’arrête net, surprise. Quelqu’un se tient déjà devant la porte d’entrée, une silhouette familière, mais qu’elle n’a pas vue depuis longtemps. « Euh… Salut. » Jody. Sa copine d’enfance. « Qu’est-ce que tu fais là ? » Lou a soudain l’air sur la défensive, sûrement parce que c’est vrai. Elle ne savait même pas que Jody connaissait Robin, du moins elle ne savait pas qu’elle la connaissait suffisamment pour venir sonner à sa porte un dimanche après-midi. Parce qu’après tout, à la base, c’est avec elle que Jody est censée être copine. Sauf que ces temps derniers, elles se sont pas mal éloignées. D’ailleurs, Lou ne comprend pas très bien pourquoi. Elle a bien essayé de relancer la kinésithérapeute à plusieurs reprises, mais elle n’a pas eu beaucoup de succès. C’est sans doute pour ça qu’elle est encore plus surprise de la trouver devant chez sa soeur. Surprise et peut-être aussi, quelque part, vexée. Vexée d’avoir été mise sur la touche alors que Jody a visiblement le temps de rendre visite à Robin. « Elle n’est pas là ? »

Dimanche. Jour du repos. Jody avait enfin trouvé le temps de revenir un week-end à Island Bay. Le remplacement qu’elle effectuait à six heures de route depuis deux mois ne lui avait pas donné l’occasion de rentrer à chaque fois. La veille, elle en avait donc profité pour passer du temps avec son petit-ami et ses enfants puis elle était aussi passée à un repas de famille en fin de journée. Ce matin, elle était allée courir le long de la plage et ensuite Jody s’était glissée sous la douche pour ressentir les bienfaits de son défoulement sur son corps. En principe, elle consacrait les dimanches après-midi où elle était sur IB à partager une séance ciné avec son grand-frère Thad mais il était exceptionnellement occupé aujourd’hui alors elle décida de passer voir l’avancée de son cabinet. Les travaux s’étaient récemment terminés et Jody continuait d’économiser pour acheter les derniers éléments nécessaires. Elle espérait pouvoir l’ouvrir cet été, à la fin de son contrat de remplacement. Ainsi, la kiné se rendit sur place et mit un peu d’ordre. Rassurée, Jody sortit du cabinet et déambula dans les rues dans l’idée d’aller retrouver ses proches. Soudain, elle entendit un bruit de pas derrière elle. Tournant légèrement la tête, elle aperçut un homme qui la suivait. Pour vérifier, Jody changea de direction et emprunta une autre rue – tout en restant dans une avenue fréquentée – et il dévia à son tour en l’appelant par un « Mademoiselle… » Le cœur de Jody battit à tout rompre, elle voulait prendre les jambes à son cou. Cette situation la projetait un an en arrière, quand elle était sortie d’un café de Wellington et qu’elle était rentrée seule chez elle. Aujourd’hui, elle se promenait en plein jour à IB. Il la rattrapa alors et lui adressa un sourire engageant. « Vous avez fait tomber votre livre. » Jody baissa les yeux vers le livre en question et le reconnut ; une intrigue policière qu’elle n’avait pas encore terminée et qu’elle avait emmené au cas où elle déciderait de se poser en chemin. Le livre avait sûrement glissé de son sac lorsqu’elle marchait à la hâte. « Oh ! Merci infiniment. » L’homme acquiesça et repartit ensuite de son côté. Jody se sentait tellement bête d’avoir laissé la paranoïa prendre le dessus. La main encore tremblante, elle la resserra autour de la bride de son sac et décida de changer ses plans sur un coup de tête. La brune avait envie de rendre visite à une personne qui l’aidait à traverser ce genre de moments. Elle habitait le quartier du centre non loin du nouveau cabinet de Jody. La jeune femme pressa le pas et arriva devant la maison de l’aînée des Wade. Elle sonna à la porte et attendit patiemment. Soudain, une voix l’interpella dans la rue. Lou. L’année passée, la kiné avait connu une mauvaise période et elle s’était renfermée, s’éloignant en même temps de plusieurs amis dont son amie d’enfance. Depuis, c’était toujours compliqué pour elle de renouer avec eux, d’autant plus qu’elle bossait actuellement à six heures de route. « Salut. J’étais passée voir ta sœur. » Inutile de lui cacher pourquoi elle était devant la porte de Robin, c’était plutôt évident. Une évidence que Lou ne comprendrait sûrement pas comme l’indiquait la voix défensive qu’elle avait utilisé. Entretemps, Robin n’avait toujours pas ouvert la porte, signe qu’elle était effectivement absente ou occupée. « Non. Apparemment pas. » Jody avait failli préciser qu’elle passait à l’improviste mais cette justification n’aurait rimé à rien. « Vous aviez prévu de vous retrouver ? » Peut-être que Lou la remballerait après cette question, auquel cas la kiné rebrousserait chemin et partirait rejoindre sa propre famille avant de reprendre la route pour Hamilton.

Comme Jody précise qu’elle est venue voir Robin, Lou hoche la tête en signe d’assentiment. Oui, elle aurait pu s’en douter. Elle a posé une question bête, mais c’est plutôt parce qu’elle est étonnée de trouver Jody sur le pas de la porte de sa soeur. Il faut dire que la Jenkins a plus ou moins disparu de la circulation d’Island Bay, ces temps derniers. Lou ne sait pas très bien ce qui se passe de son côté ; en fait, elle n’a pas vraiment de nouvelles et elle n’ose pas déranger ses frères avec les questions qu’elle a. La benjamine des Wade n’est pas fâchée, non. Elle est seulement un peu triste de voir que ses liens avec Jody se sont étiolés, vu qu’elles ont été copines pendant très longtemps. Alors le fait de la voir là, venir voir Robin, ça remue un peu le couteau dans la plaie. Sauf que visiblement, Robin n’est pas au courant de cette visite ou sinon, elle a oublié, parce qu’elle n’a pas l’air d’être là. Lou se demande ce qu’elle peut bien fabriquer. Son absence n’a rien d’étonnant un dimanche après-midi, disons seulement que Lou est toujours intriguée par les activités de ses aînés. Quoi qu’il en soit, Jody a peut-être peur de déranger, puisqu’elle demande si les deux frangines ont prévu de se retrouver. « Non… Non, rien de tel. Je suis juste passée à l’improviste, comme d’habitude. Elle est pas au courant, alors c’est pas étonnant qu’elle soit pas là. »

Avec ces trois phrases, Lou vient d’adresser plus de mots à Jody qu’en quelques mois. Et quelque part, ça fait du bien de lui parler, même si la conversation est ultra banale. « Je sais que ça me regarde pas et tu as le droit de me dire que je suis indiscrète, mais… Je peux savoir pourquoi tu viens voir ma soeur ? Je veux dire, je savais même pas que vous étiez genre… Proches dans le genre. » Non, Lou ne fait pas une crise de possessivité au sujet de sa soeur aînée. En l’occurrence, ce serait plutôt son amie qu’elle voudrait avoir. Elle n’a pas l’impression d’en demander beaucoup, pourtant. Si elles ne peuvent pas retrouver leur relation d’avant, la brune voudrait au moins comprendre pourquoi. Alors c’est plus fort qu’elle, comme Jody est là et qu’elle ne l’a plus vue depuis longtemps, il faut qu’elle lui pose la question. Là, sur le palier de Robin. Comme elle redoute la réponse, Lou sent les battements de son coeur s’accélérer légèrement. Cette fois, elle est moins sur la défensive, mais plus résignée qu’autre chose. « Et moi, est-ce que… Est-ce que j’ai fait ou dit quelque chose de mal, pour que tu ne viennes plus me voir ? »

Croiser Lou devant la porte de Robin alors que les deux amies d’enfance ne s’étaient pas vues depuis longtemps était bizarre. La kiné se rendait compte des interrogations susceptibles de se bousculer dans la tête de la cadette Wade, d’autant qu’elle ignorait les véritables raisons du rapprochement entre sa sœur et elle. Lou l’informa d’ailleurs qu’elle passait aussi voir son aînée à l’improviste, ce qui expliquait l’absence de la restauratrice, puisqu’elle n’était pas au courant de leur visite. D’une façon légitime, la bibliothécaire se tourna ensuite vers Jody pour lui exprimer son étonnement de la trouver devant la porte de Robin et lui demander la raison pour laquelle elle venait la voir. Gênée, la kiné ne savait tout d’un coup pas ce qu’elle pouvait répondre à Lou. Inventer un prétexte bidon lui paraissait la meilleure option pour ne pas avoir à s’expliquer. Mais Jody sentait le sous-entendu à peine voilé qui se cachait derrière la remarque : pourquoi trouvait-elle le temps de rendre visite à Robin et pas à son amie d’enfance ? Et surtout depuis quand étaient-elles devenues suffisamment proches pour qu’elle passe ainsi à l’improviste ? Si Jody esquivait la question, elle risquait d’agrandir le fossé qui s’était créé entre Lou et elle depuis des mois. Et pourtant, la jeune femme n’avait pas envie de lui donner la vraie raison parce que celle-ci était trop dure à revivre. A nouveau, elle se renfermait comme elle le faisait depuis longtemps.

Heureusement, Lou lui offrit une diversion en enchainant par une seconde question et en lui permettant ainsi de ne pas répondre directement à la première. Jody saisit enfin le nœud du problème : Lou ne lui en voulait pas d’être amie avec sa sœur non. Ce dont elle s’inquiétait était différent. En plus de ne pas comprendre leur éloignement ces derniers mois, la Wade pensait surtout qu’elle avait fait quelque chose de mal et que Jody lui en voulait puisqu’elle ne venait plus la voir. Navrée de lui avoir donnée cette impression, la kiné la détrompa. « Oh non, pas du tout ! C’est vraiment ce que tu as cru ? J’en suis désolée. Tu n’as rien fait de mal, au contraire. » Jody s’interrompit. Même si elle n’avait pas envie de parler, Lou ne méritait pas de rester dans l’inconnu et de s’inquiéter pour leur amitié alors qu’elle n’avait rien fait. La cadette Jenkins lui devait un minimum d’explications. Cependant, elle n’avait pas envie de continuer cette discussion en pleine rue, juste devant l’immeuble de Robin. « Est-ce que tu aurais un peu de temps pour qu’on se pose quelque part et qu’on en discute ? Tu as raison, il y a quelque chose qui a changé mais ça n’a absolument rien avoir avec toi. » Jody tenait à la rassurer sur ce point. Au final, la croiser par hasard était une heureuse coïncidence pour leur donner la chance de renouer.

Si elle ne saura visiblement pas pourquoi Jody rend visite à Robin, Lou comprend qu’elle aura en revanche la réponse à une question qui lui tient encore plus à coeur. C’est sorti spontanément et elle appréhende un peu la réponse, mais elle saisit qu’elle n’a pas de raison de s’inquiéter quand elle voit les traits de Jody se détendre. Et surtout, cette dernière s’empresse de la détromper. Soulagée, Lou hoche la tête en signe d’assentiment. « Oui… J’ai cru que si on s’était éloignées, c’était parce que tu avais quelque chose à me reprocher. » Pourtant, en disant ces mots, Lou a l’impression de se retrouver dans la peau d’une lycéenne. Elle comprend qu’elle s’est trompée et, si c’est plutôt une bonne nouvelle, elle a un peu l’impression de déranger la kinésithérapeute avec ses sentiments. Après tout, Jody a sans doute bien d’autres choses à faire que de la rassurer et c’est peut-être tout simplement pour cette raison qu’elle ne vient plus la voir. Elle a un travail, un petit ami, celui-ci a des enfants dont elle aime s’occuper aussi… Soudain, Lou se sent un peu stupide. En quelque sorte, Jody est plus « avancée » dans la vie d’adulte que Lou et si ça se trouve, c’est ça qui fait la différence. En réalité, la jeune Wade n’en sait rien, mais maintenant que Jody lui affirme que ce n’est en rien sa faute, alors c’est la première fois que cette éventualité lui vient une tête. « Merci alors de me rassurer. »

Un peu empruntée, Lou se demande jusqu’à quel point elle peut poser des questions à Jody sans être carrément indiscrète. C’est d’autant plus délicat qu’elles sont devant chez Robin. Alors quand la Jenkins lui demande si elle a un peu de temps pour discuter dans un autre endroit, Lou se sent à nouveau soulagée. « Bien sûr. On a toujours du temps pour une amie le dimanche après-midi. » Parce que c’est ainsi qu’elle veut continuer à la considérer. « Ça te dit d’aller au parc ? » Non seulement Lou n’a pas très faim, mais en plus, elle adore cet espace de verdure en plein centre-ville. Elles s’y retrouvaient souvent quand elles étaient plus jeunes, alors ça a un petit côté symbolique. Donc une fois que les deux filles se sont mises d’accord, elles commencent à marcher tranquillement. « Comment va Roman ? » Jody file le parfait amour avec un pompier de la ville et Lou n’aurait pas pu être plus heureuse pour elle. En plus de s’intéresser sincèrement à son bonheur, Lou se dit que c’est sûrement un sujet de conversation moins risqué au début. Et quand elles s’installent finalement sur un banc, au calme, elle lui dit tout simplement ce qu’elle ressent. « Ça me fait plaisir de te revoir. »

Les questions de Lou étaient légitimes. En plus de croiser Jody devant la porte de sa sœur, les deux amies s’étaient éloignées à la fois parce que la kiné s’était renfermée, qu’elle avait été concentrée à réussir son année en plus de son stage et ensuite parce qu’elle était partie travailler à six heures de route depuis deux mois. Cette distanciation s’était faite en partie naturellement et en partie non. Car si elle trouvait le temps de venir voir Robin, Jody aurait forcément pu en dégager pour Lou. La brune n’avait pas cherché à recontacter la bibliothécaire ou à la relancer, même lorsque la cadette Wade s’était inquiétée de leur éloignement. Aujourd’hui, elle devait donc la rassurer et lui donner un minimum d’explication, surtout quand elle constatait à quel point ce changement inexpliqué touchait Lou. Dans cette volonté, Jody lui proposa donc de se poser pour en discuter ailleurs que devant la porte de sa sœur. Revoir son amie d’enfance lui rappelait qu’elle lui manquait, quand bien même elle avait instauré une distance entre elles. Et plus important encore, Lou ne semblait pas fâchée, juste confuse par rapport à la situation. La cadette Wade accepta de bouger et émit l’idée d’aller au parc. « C’est parfait. » Les deux amies pourraient s’installer à leur endroit habituel, dans un beau coin de verdure, puisqu’elles s’y retrouvaient régulièrement auparavant.

Elles commencèrent à marcher et Lou lui demanda des nouvelles de Roman, ce qui détendit les traits de Jody comme à chaque fois qu’elle pensait à lui. « Bien. Il a repris le travail, pas encore à cent pour cent. Les enfants aussi vont bien. Ils grandissent si vite. » La kiné se rendait d’autant plus compte de leur évolution maintenant qu’elle travaillait loin et qu’elle n’était pas rentrée depuis des semaines. Si Jody était restée vague sur les détails de leur rencontre devant sa famille, elle en avait en revanche touché un mot à Lou, qui savait que Roman avait été son patient avant de devenir plus. « Et toi alors, comment vas-tu ? » Jody lui retournait la question puisqu’elle n’avait pas régulièrement pris de ses nouvelles depuis des mois. La brune n’était même pas en mesure de dire si Lou avait fréquenté quelqu’un alors qu’elle était réservée quand elle rencontrait un homme. Toutes ces confidences que les deux amies se partageaient avant n’étaient plus d’actualité maintenant. En écho aux pensées de Jody, les paroles que Lou souffla alors qu’elles s’installaient sur un des bancs de parc reflétaient aussi une nostalgie de ce temps-là. « Ça me fait plaisir de te revoir aussi. » Ce n’était peut-être pas manifeste parce que la kiné l’avait croisée par hasard et n’avait pas cherché à la revoir intentionnellement mais elle était contente de pouvoir éclaircir la situation entre elles. « Même si je n’ai pas été ce qu’on pourrait appeler l’amie de l’année. »

En l’entendant parler de Roman et des enfants, Lou sourit à nouveau. Il faut dire qu’en vraie amatrice d’histoires d’amour, il n’en faut pas beaucoup plus pour lui apporter de la joie. Il faut dire aussi et surtout que Jody semble comblée, à la fois par son pompier et à la fois parce qu’elle aime pouponner. Elle n’est peut-être pas leur maman, mais aux yeux de Lou, ils peuvent former la petite famille idéale. « Je suis contente d’avoir de vos nouvelles. Vous êtes vraiment trop mignons tous ensemble et tu mérites tellement tout ça. » Ce n’est pas parce qu’elles se voient beaucoup moins qu’avant que les sentiments de Lou à l’égard de Jody ont changé. Elle est toujours cette merveilleuse jeune femme qui mérite le meilleur de ce que la vie a à offrir. D’ailleurs, secrètement (ou pas tant que ça), la Wade espère aussi en arriver un jour, proche de préférence, au même stade que son amie d’enfance. « Je vais bien, merci… Mais pas grand-chose à raconter, j’avoue. Je me suis adaptée à mon travail à la bibliothèque, c’est moi la moins gradée si on peut dire, mais j’adore quand même mon job. Du coup, j’ai déménagé de chez ma mère, j’habite avec Finn maintenant. » Comme c’est encore récent, Lou n’est pas certaine que Jody soit au courant de son changement d’adresse. Il lui semble que non. Mais, outre son indépendance financière, la jeune fille a une nouvelle plus excitante encore (à ses yeux du moins) à annoncer. « Oh, Caleb est revenu ! Je suis trop contente. C’est sûr que Los Angeles c’est mieux pour son domaine, mais c’est vraiment génial qu’il se soit trouvé du travail dans le coin. » En-dehors de ça, Lou n’a pas grand-chose à raconter. Elle pourrait bien raconter à Jody le dernier rencard foireux qu’elle a eu, mais à quoi bon ? Ça n’a rien donné, si ce n’est une soirée film d’horreur avec Finn pour se changer les idées. Non, elle ne va pas continuer à embêter la Jenkins avec ses histoires de déboires amoureux ou plutôt, avec la non-existence de sa vie sentimentale. C’est sûr que l’endroit où elles se trouvent y est propice, par contre. Elles ont passé tellement de bons moments ici, à discuter de garçons, à se raconter des secrets qui n’en étaient pas vraiment, à se confier des choses personnelles… C’est facile d’y repenser avec nostalgie en de tels lieux. Mais ça n’apportera pas grand-chose, alors il vaut sûrement mieux se concentrer sur l’instant présent. « C’est pas grave, tu sais… Je peux comprendre que tu aies moins de temps pour moi. Est-ce que c’est pour ça qu’on s’est pas beaucoup vus, parce que tu es occupée entre ton travail, ta famille et ton beau pompier ? D’ailleurs, je ne t’ai pas beaucoup vue tout court dans les parages ces derniers mois. »

Lorsque Lou s’enthousiasma des bonnes nouvelles données par Jody, les joues de la kiné se colorèrent. La joie de la Wade à son égard n’était pas feinte. Elle s’était toujours montrée enjouée pour tous les heureux événements dans la vie de ses amis. Jody ne l’avait jamais connue autrement. Et la brune avait en effet des raisons de se sentir heureuse. Avant de rencontrer Roman, elle n’avait pas eu de chance en amour. Sa dernière relation sérieuse remontait à ses études et s’était terminée dans les déchirements à cause de cet ex qui se foutait d’elle et qui avait abusé de sa confiance, une histoire qu’elle avait déjà racontée à Lou par le passé. Et puis, elle avait vécu une expérience difficile l’année précédente, qu’elle n’aurait probablement pas réussi à surmonter sans Roman qui, sans le savoir à l’époque, l’avait aidée à ne pas sombrer, une relation inattendue pourtant. Jody n’aurait jamais imaginé fréquenter un de ses patients. L’adage est bien connu : ça nous tombait dessus quand on s’y attendait le moins. « Merci. Et toi alors, rien de neuf de ce côté ? » Puisque les deux amies essayaient de rattraper le temps perdu, la kiné s’était engouffrée dans la brèche. Lou lui apprit ensuite qu’elle s’adaptait à son travail et qu’elle avait déménagé chez Finn. Pour elle aussi, la vie d’adulte commençait. « C’est cool pour la bibli ! Et surtout, c’est important d’aimer ce que tu fais. Tu auras des possibilités d’évolution à long terme ? » Pour ce qui était de travailler dans ce qu’elle aimait, Jody parlait en connaissance de cause puisqu’elle n’avait jamais envisagé de faire autre chose que la kinésithérapie. Il était difficile de se projeter dans un travail que l’on détestait. « Je ne savais pas pour ton déménagement ! Ta mère n’a pas surréagi de te voir partir ? » Quand Jody allait voir Robin, la grande sœur ne lui détaillait pas spécialement la vie de sa cadette non plus. « Et comment se passe ta colocation ? » Depuis un an environ, la Jenkins avait quitté le cocon familial pour vivre en colocation. Elle ne regrettait pas d’avoir sauté le pas pour gagner en indépendance, d’autant que tout se passait bien avec Spencer. Les membres de sa famille n’habitaient pas loin de toute façon. Cependant, Lou lui annonça une autre nouvelle dans la foulée  son frère était revenu à Island Bay. « Oh super ça ! Tu vas pouvoir profiter de lui plus souvent. » Le travail d’acteur de Caleb l’avait amené à vivre à l’étranger, ce qui l’avait éloigné de sa famille. Tout comme l’aîné de la fratrie Jenkins, qui était aussi parti plusieurs années quand Jody était plus jeune. Aujourd’hui, ils s’employaient à renouer petit à petit puisqu’il était revenu pour de bon. Malgré leur entente qui remontait à l’enfance, Lou et Jody partageaient des points communs qui les avaient davantage rapprochées au fil des ans, comme l’éloignement de leur frère à des périodes différentes de leur vie. C’est pourquoi, Lou avait du mal à comprendre la distance instaurée par Jody depuis l’année précédente. Elle avait d’abord cru avoir fait quelque chose de mal en constatant que la kiné trouvait du temps pour venir voir Robin. Et maintenant, elle le mettait sur le compte des occupations de la jeune femme, entre le travail, son couple, la famille. Toutes ces raisons expliquaient en grande partie la « disparition » de Jody dans la vie de Lou. « Entre autre, oui. » Toutefois, elle mentirait en affirmant que Roman ou les Jenkins lui prenaient tout son temps. « Tu te souviens que je voulais me mettre à mon compte ? Cette année, j’ai trouvé un local pour mon cabinet. Il y avait des travaux à faire donc j’ai fait des remplacements pour pouvoir les terminer. Je travaille à Hamilton depuis deux mois. Normalement, mon contrat se termine bientôt, donc je pourrai me lancer dès que je reviendrai. Tout est prêt maintenant. » Jody était bien entourée puisque sa famille l’avait soutenue dans son projet. Son frère l’avait aidée à transporter le matériel, à monter les meubles et à peindre, tout comme son amoureux. « Ici, je ne suis revenue que le temps d’un week-end. » Etant donné les six heures de route qui la séparaient d’Island Bay, c’était compréhensible. Sur base d’un simple calcul, il était facile de se rendre compte que ce remplacement ne suffisait pas à expliquer le silence radio des mois encore avant. A nouveau, Jody ne se sentait pas capable de rentrer dans les détails parce qu’elle n’avait pas envie d’en reparler mais elle tenait à être honnête envers son amie qui s’était inquiétée de ce qui se passait entre elles alors que la kiné n’avait rien à lui reprocher. « Et sinon, tu m’as posé une question tout à l’heure. Par rapport au fait qu’on ne se voyait plus comme avant. C’est vrai que j’ai moins le temps maintenant mais j’ai aussi eu une période un peu compliquée l’année passée. Je me suis éloignée d’un peu tout le monde.  » Donc pas uniquement d’elle. Marquant une pause, Jody répondit ensuite à une autre des interrogations de Lou. « Sauf avec ta sœur. Robin peut se montrer très empathique. » Pour ne pas dire un autre mot. L’aînée Wade était sensible aux émotions des autres. « On s’est croisées un jour et elle a senti que ça n’allait pas. De fil en aiguille, je l’ai revue et elle m’a aidée à traverser cette période. » Anticipant la prochaine interrogation de son amie, la kiné continua sur sa lancée. « Maintenant, ça va mieux. C’est juste que je voyais mal comment revenir après tout ce temps, surtout que je ne suis pas dans les parages en ce moment. » Voilà. Jody lui avait tout expliqué. Ce n’était pas facile mais la patience de Lou à son égard l’avait encouragée à se lancer.

Quand la question lui est retournée, Lou adresse à Jody un sourire. Il fallait s’y attendre. « Non. Je n’ai toujours aucune nouvelle croustillante à t’annoncer, désolée. Je ne dois pas intéresser grand-monde. » En plus, elle ne dit même pas ça pour qu’on la rassure ni qu’on la plaigne. En fait, c’est réellement ce qu’elle ressent, de temps à autre, quand son moral n’est pas au plus haut. Alors elle s’efforce de faire comme ceux qui disent que le célibat, c’est mille fois mieux et donc qui en profitent à fond. Mais elle avouerait sans détours qu’elle le fait sans grande conviction. Et puis elle se rappelle que contrairement à elle, d’autres personnes dans le monde entier ont de véritables problèmes. Alors ça n’a rien de rassurant, mais ça l’oblige au moins à être reconnaissante pour toutes les choses qu’elle a déjà : une famille aimante, des amis géniaux, un appartement cool, un travail qu’elle adore. « Je suis d’accord avec toi. Faire ce qu’on aime, c’est une joie au quotidien. Et oui, avec l’ancienneté ce sera possible donc c’est pas pour tout de suite, mais de toute façon je n’y pense pas. Accueillir les clients, ranger les bouquins et bidouiller sur l’ordinateur, ça me va très bien. » Ça manque peut-être un peu d’ambition, mais Lou sait qu’elle peut s’exprimer librement avec Jody, sans craindre d’être jugée. Ça, ça ne changera pas. Elle lui a toujours confié beaucoup de choses et, même si ces derniers mois elles se sont à peine vues, c’est facile de lui parler. « Oh, maman était un peu triste, c’est sûr… Mais elle a toujours l’autre. » Elle parle de son frère jumeau. Elle l’évoque souvent en ces termes, ce qui donne l’impression qu’elle ne lui accorde pas beaucoup d’importance, mais c’est tout le contraire. Seulement, ça lui fait aussi du bien de s’ouvrir à d’autres horizons - il l’agace moins comme ça, il faut le dire. « La coloc se passe bien. Ça change, c’est sûr. Mais c’est pas comme si c’était quelqu’un que je connaissais pas et… Finn est cool. » La jeune femme a soudain un peu honte de trop parler d’elle-même, alors elle tente de rediriger la conversation vers la Jenkins. « Oh, je suis super contente que tu aies trouvé ton local ! Je m’inventerai une quelconque douleur pour avoir une bonne raison de venir t’embêter sur ton nouveau lieu de travail personnel. Je suis sûre que tu vas assurer un max. Par contre oui, je comprends pourquoi je t’ai pas souvent vue, Hamilton c’est pas la porte à côté… » Elle a du mal à capter comment elle est passée à côté d’une telle information, par contre. Mais quand son interlocutrice reprend la parole, les songes embrumées de Lou s’éclairent. Sauf que ce n’est pas une bonne nouvelle. La benjamine des Wade pose une main sur celle de son amie d’enfance. « Quoi qu’il ait pu se passer, je suis désolée de ce qui t’est arrivé. Et je suis contente si ma soeur a pu t’aider un peu. » Elle est un peu gênée, parce qu’elle a mal compris et mal interprété certaines choses. Et surtout, elle se fait du souci pour Jody. « Je comprends que tu n’aies pas envie de parler d’une période compliquée qui est passée. Mais sache que si jamais… Ou si jamais tu as besoin d’une distraction, bref que tu aies besoin d’un moment de rigolade entre filles ou d’une séance sérieuse de confidences, je suis là. Et j’espère vraiment que… que tu vas mieux. »

Lou apprit à Jody qu’elle n’avait toujours pas trouvé chaussure à son pied en termes d’amour. La kiné ne doutait pas que la Wade plaisait à des hommes, elle s’en était rendu compte à l’école, mais l’occasion ne s’était peut-être pas encore présentée pour qu’elle noue un lien suffisamment fort pour construire une relation ou pour qu’elle trouve celui qui l’intéresserait. A vrai dire, Lou lui ressemblait sur sa vie privée : elle était studieuse et travailleuse. Pendant l’année, Jody et elle ne sortaient pas tous les soirs à la recherche d’un homme. D’ailleurs, si la kiné n’avait pas rencontré Roman via les séances de rééducation, elle serait probablement toujours célibataire. En tout cas, elle n’avait pas délibérément cherché à se mettre en couple. Tout s’était fait naturellement. Et Jody était convaincue que la même chose arriverait à son amie d’enfance. Peut-être croiserait-elle un beau jeune homme à la bibliothèque ? C’était un lieu prometteur pour rencontrer des gens d’horizons différents, surtout des étudiants. D’ailleurs, Lou était enchantée par son travail. Elle adorait ce qu’elle faisait. « Oui. De toute façon, ça ne sert à rien de vouloir trop en faire trop vite. Tout s’apprend. Je suis sûre que tu refileras ta passion des livres à certains visiteurs. La façon dont tu parles des histoires qui t’ont touchée m’a toujours impressionnée. » Jody songea qu’elle passerait la voir à la bibliothèque quand elle reviendrait à Island Bay. Elle avait des livres à ramener et surtout elle serait contente de voir la Wade sur son lieu de travail. Ce serait l’occasion de la recroiser dans un avenir proche. Cependant, Jody n’en parla pas de vive voix, préférant garder la surprise. Lou lui raconta alors son déménagement entre sa mère qui avait été triste quand elle avait quitté la maison et la colocation avec Finn qui se passait bien. « Oui, quand on a toujours vécu avec les mêmes personnes, il nous faut un temps d’adaptation. Mais ça fait aussi du bien de ne plus vivre avec les parents et de ne plus avoir tout le monde sur le dos… Je te comprends. Et je suis contente pour toi si tout se passe bien. » La conversation dériva ensuite sur les dernières nouvelles dans la vie de Jody. La kiné lui confia qu’elle comptait ouvrir son cabinet d’ici la fin de l’été et les raisons pour lesquelles elle n’était pas dans les parages dernièrement. Dans les grandes lignes, elle expliqua aussi à Lou pourquoi elle s’était éloignée sans rentrer dans les détails car la brune n’avait pas envie de ressasser les mauvais souvenirs. Dans un premier temps, Lou la soutint dans son projet et arracha un sourire à Jody quand elle proposa de s’inventer une douleur pour venir la voir. « Pas besoin de te donner autant de mal, tu sais. Tu seras la bienvenue. » La Wade réagit ensuite aux révélations de son amie, attristée d’apprendre qu’elle avait traversé une mauvaise période et lui offrant son écoute et son soutien si elle en ressentait le besoin, posant aussi une main sur la sienne en signe de réconfort. « Merci. Et oui, ne t’en fais pas. C’est passé. Je suis désolée de ne pas t’en avoir parlé plus tôt et que tu aies cru que quelque chose n’allait pas entre nous. » Au contraire, Lou était une de ses meilleures amies, elle le lui prouvait encore aujourd’hui. Il était temps pour Jody de mettre le passé derrière elle, d’aller de l’avant et de se reconstruire dans le présent. « Ça me plairait beaucoup oui, qu’on se fasse une journée entre filles quand je rentrerai. » Jody était sincère. Elle aussi avait envie de retrouver Lou. Comme avant.


« Oh, c’est tellement gentil de me dire ça. Tu es tellement gentille. » Le compliment fait légèrement rougir Lou, parce que c’est l’un des plus beaux qu’on puisse lui faire. Les livres, c’est vraiment un univers à part, son monde enchanté, surtout quand tout se déglingue dans ce monde de brutes. Alors si elle peut effectivement transmettre sa passion à des adhérents ou à d’autres personnes, ce serait à ses yeux une des plus belles choses qui soient. « Et toi, tu as des doigts de fée. Dire qu’au collège, j’appréciais déjà tes massages. C’est sûr que je passerai, quand je me sentirai un peu tendue par exemple. » C’est sûr que ça arrivera, puisqu’elle appartient à la catégorie des personnes qui angoissent facilement. C’est probablement la raison pour laquelle la jeune femme s’est fait tout un film à propos de l’éloignement de Jody… Elle a cru, au début de leur conversation, que c’était simplement la vie qui voulait ça. Mais maintenant, elle comprend que c’est plus compliqué et, surtout, plus sombre. La Jenkins a visiblement traversé des moments difficiles et, même si elle ne saisit pas ce qui s’est passé, Lou se sent désolée pour elle. Pour que Jody s’éloigne d’un peu tout le monde, comme elle dit, c’est effectivement que ça a dû quelque chose. Et effectivement, elle comprend aussi son rapprochement avec Robin. C’est vrai que sa soeur aînée est empathique. Elle a quelque chose, elle arrive à comprendre, à se mettre à la place des autres, à le leur montrer. C’est facile de s’ouvrir à elle, Lou a dû en faire l’expérience une bonne centaine de fois. Et si elle n’a pas pu être là pour Jody, c’est quand même un peu rassurant de savoir qu’une autre Wade a pu l’être.

Heureusement, la brunette rassure Lou en disant que c’est passé. La bibliothécaire espère que c’est vrai, qu’elle ne dit pas qu’elle va mieux simplement pour ne pas l’inquiéter. Mais elle sourit timidement, parce que c’est à son tour de rassurer son amie d’enfance qui lui dit qu’elle est désolée. « Ne t’en fais pas… C’est un malentendu, ça arrive. L’essentiel, c’est que tu ailles mieux, alors je suis contente. » Et comme pour prouver à la Wade qu’elle s’est trompée sur les raisons de son éloignement, la kiné lui fait une proposition alléchante : une journée entre filles, quand elle sera de retour. Cette fois, Lou sourit franchement. « Ce sera avec grand plaisir. » Elle est sûre d’avoir beaucoup d’idées pour qu’elles passent un bon moment ensemble. Mais c’est déjà le cas actuellement et, tranquillement, les deux amies poursuivent leur discussion en échangeant des nouvelles et en riant. Quand elles se quittent avec un câlin d’au revoir, Lou se dit qu’elle a hâte de la retrouver et repart avec le coeur apaisé.