coffee time /ft. CELESTE.

Ce matin, je fais l’ouverture du café et autant dire que le réveil pique un peu. Ce n’est pas l’horaire que je fais le plus et autant dire, cela m’arrange. Surtout que quand c’est comme ça, c’est un peu la course. L’école d’Elliot n’étant pas encore ouverte, je dois le déposer chez ma mère et c’est elle qui s’en occupera jusqu’à l’ouverture de son établissement. Mon réveil, ma douche, le réveil du petit garçon et le petit-déjeuner s’enchaînent à une vitesse folle. Je suis même obligée de le presser un peu et pourtant, je n’aime pas ça. Mais sans ce petit coup de boost, je risque de finir en retard. Une fois tous les deux près, nous prenons la direction de la maison de mon enfance. Une discussion plus tard et me revoilà déjà sur la route, en direction de mon lieu de travail. Étant la première sur les lieux, j’ouvre la boutique, allume toutes les lumières et lance les différentes machines. Après une quinzaine de minutes, les premiers clients arrivent et la journée commence. « Excusez-moi, bonjour. J'aimerais un double s'il vous plaît. » Aussitôt cette commande passée, aussitôt je me mets au travail. Il est encore tôt, le café est plutôt calme et il est hors de question que je prenne du retard. Surtout qu’une telle rapidité pourrait plaire au client et ainsi l’inciter à revenir une autre fois. Je me retourne en direction de la machine à café, que je remplis avec le nécessaire. Je viens ensuite déposer une tasse en dessous et lance le programme. Après un peu plus d’une minute, un bip retentit, m’annonçant ainsi que la boisson est prête. Je dépose la tasse sur une petite coupelle et y dépose à l’intérieur une cuillère. Une fois le tout près, je viens déposer l’ensemble devant le jeune homme. « Voilà pour vous. Ça fera 3,50 NZ$. » « Merci.. » Il commence alors à rechercher de l’argent dans ses différentes poches afin de me payer. J’espère qu’il ne va pas me faire le coup de celui qui a oublié de prendre de la monnaie avant de venir. Il est tôt, je suis encore de bonne humeur, mais ce n’est pas une raison. Il relève ensuite son visage vers moi et me regarde. « J'ai l'impression de vous connaître..votre visage me dis quelque chose.. » Surprise, je ne peux m’empêcher de le détailler un peu plus plus. « Ah oui ? » À mon tour, je commence à me dire que son visage me dit quelque chose. Mais là, pour l’instant, je ne vois pas. « J’espère que ce n’est pas une technique de drague, on me l’a déjà faite celle-ci. » C’est plus fort que moi, j’étais obligée de la faire. Et puis, même s’il a l’air gentil, ça peut être marrant de voir comment il se sort de cela. « Vous ne semblez pas être du coin. » Il pourrait être néo-zélandais, sans habiter dans le coin, mais non. Ça se voit ou plutôt, ça s’entend : il n’est pas d’ici. Et c’est alors que mon cerveau fait tilt. Il y a quelques jours, Robin m’a parlé d’une arrivée surprise en ville, celle de son petit ami londonien. Je l’ai déjà vu rapidement une fois et je dois dire que cet homme lui ressemble. Ce pourrait être assez dingue que ce soit le destin, qu’il tombe ici, lorsque c’est mon service. Visiblement, les présentations devaient se faire assez tôt. « Vous êtes anglais ou je me trompe ? » L’avantage d’avoir une avance sur lui, si je parle bien à la bonne personne, c’est que je peux faire passer cela pour un don. Même si pour être honnête, même sans Robin, j’aurais pu deviner qu’il est étranger. Il y a plusieurs mois, Natalie était à sa place, avec ce même accent.

L’approche du jeune homme est assez originale et finalement, un peu déstabilisante. Même s’il n’y a rien de surprenant à ce que mon visage revienne à certaines personnes. Je travaille en centre-ville et forcément, quand je dois venir au café, j’arpente les rues. Nous nous y sommes peut-être déjà croisés. « Loin de moi l'idée de vous draguer. Il est encore trop tôt ! » À en croire ses mots, il n’est pas assez réveillé pour ça. Enfin c’est ce que je comprends. À plus le regarder et à l’écouter, je réalise qu’il ne se trompe pas et que nous sommes bien familiers. Enfin.. c’est un grand mot. Disons que nous nous sommes déjà vus, à travers des écrans. Oui, ça sonne assez énigmatique. « Je suis bien anglais, ça s'entend tant que ça ? » « J’ai eu l’occasion d’avoir une autre cliente anglaise ici. Votre accent étant le même, c’était assez facile de faire le rapprochement. » Entendre Natalie parler m’a bien aidé, même s’il faut être honnête, l’accent anglais fait sûrement partie de ceux que l’on reconnaît le plus facilement. Alors que je commence à passer un coup de torchon sur le comptoir, le jeune homme commence à feuilleter le journal du jour. « Vous connaissez un bon quartier pour y habiter ? Je suppose que vous êtes du pays.. » Je hoche la tête en réponse à sa deuxième phrase. « Un bon quartier ? Tout cela dépend des critères et des moyens. » J’ai eu vent de ses projets à s’installer ici, via Robin. Mais ça, il l’ignore encore et finalement, je trouve cela assez marrant. « Quelque chose de grand ? Avec plusieurs chambres ? » Quoi ? Je n’ai pas le droit de jouer les curieuses. Après tout, il ne sait pas qui je suis, autant m’en servir un peu. Je lui dévoilerais mon identité plus tard, sûrement. « Pour les grosses maisons, il y a South Bay. On ne va pas se mentir, la vue sur la mer est magnifique, mais forcément, il faut sortir les billets. West Bay, si vous n’avez pas d’enfant, je ne recommande pas. Il y a une école dans le quartier et ça peut être bruyant. » À m’entendre, on pourrait croire que je connais chaque recoin de la ville. Il est vrai que j’ai grandi ici et que je connais plutôt bien les quartiers. Néanmoins, ce qui en ressort de mes paroles, se sont plutôt les préjugés qu’il peut y avoir à Island Bay. Chaque quartier à son image, c’est comme ça. « East Bay est agréable et je ne dis pas ça parce que j’y habite. » Bien sûr que si. « North Bay est assez bien aussi, calme et vivant à la fois. Mais si vous voulez un quartier dynamique, le plus logique reste ici, en centre-ville. Par contre, en fonction de la taille du logement, les prix peuvent facilement grimper. » Une vraie agente immobilière finalement. Je devrais peut-être songer à une reconversion. Entre Natalie et maintenant lui, je commence à exceller. « C’est pour y vivre seul ? » Qu’il se méfie, je veille. Chacune de ses réponses sera ensuite répétées, enfin.. s’il y a raison pour que je le fasse.

Alors que le jeune homme me demande des conseils sur le quartier où loger, je m'emballe un peu, détaillant chaque coin de la ville selon les préjugés qu'en ont les habitants. Étant née ici, malgré ce qu'il se dit, je ne suis pas très objective. En réalité, je pourrais vivre n'importe où que ça m'irait. Mais ce n'est pas le cas de Matthew. Il préfère quelque chose de vivant, alors forcément, le centre-ville colle parfaitement à ce critère. Comme son nom l'indique c'est au centre, alors c'est plus ou moins proche de tout. Avec un petit garçon à charge et des revenus moyens, je ne pouvais pas me permettre de vivre ici lorsque je cherchais un appartement, alors j'ai regardé un peu plus loin pour m'installer à East Bay. Curieuse dans l'âme, je ne peux pas m'empêcher de lui demander s'il compte emménager seule. Robin ne m'a pas parlé de ça encore, d'un nouveau logement, peut-être qu'elle attendait simplement que l'on se voit pour le faire de vive-voix. « Pas sur.. » Ou pas. Cela ne semble pas encore fixé et je ne peux pas leur reprocher. Ils ont vécu leur relation à distance et viennent juste de se retrouver, ils ont peut-être besoin d'un peu de temps pour se décider sur quelque chose d'aussi important. « Je vais attendre encore un peu, c'est pas le temps qui me manque ! » Matthew range le journal là où il l'a trouvé, puis s'éclipse dehors avec son café, pour fumer une cigarette. Je profite de ce petit temps seule dans la boutique pour envoyer un message à ma sœur, lui signalant par la même occasion la visite que je venais d'avoir. Quoi ? C’est plus fort que moi. Mais je ne ferais rien d’idiot avec lui, leur histoire ne me regarde pas. Tant que Robin est heureuse, c’est pour moi le principal. Quelques minutes plus tard, il revient et dépose sa tasse vide sur le comptoir. « Encore merci pour ce café. Je reviendrais ! » Un large sourire s’installe sur mes lèvres, comme c’est souvent le cas avec tous les clients qui passent ici. « Avec plaisir ! C’est ouvert tous les jours. » Pas le dimanche après-midi, mais c’est un détail ça. Je récupère sa tasse et vient la passer de l’autre côté du meuble. « Au fait.. je m’appelle Celeste. Celeste Wade. » J’insiste bien sur le nom de famille, un sourire malicieux sur les lèvres. Ça sonne mieux que James Bond, il faut être honnête. Je tends alors la main vers le jeune homme afin de lui serrer. « Je suis l'une des sœurs de Robin. Le visage familier vient sûrement de là. » Bon.. maintenant que je me suis bien avancée, je n’ai plus qu’à espérer que je ne me trompe pas de personne depuis le début de cette conversation, ça rendrait les choses beaucoup plus gênantes. « Elle m’a parlé de ton arrivée en ville, mais je ne pensais pas tomber sur toi aussi vite. » Rapidement, je remplace le vouvoiement par un "tu". Il est un peu comme de la famille, autant se mettre à l’aise.

De nous deux, je semble être la seule à connaître le lien qui nous unis. Pourtant, nous nous sommes déjà vus, aperçus plutôt. Je ne vais pas mentir, cette sensation d’être en position de force est satisfaisante, mais je n’ai aucune raison de m’en servir. La vie amoureuse de ma sœur est importante, la personne en face doit la mériter, néanmoins, je n’ai pas mon mot à dire là-dessus : elle est avec qui elle veut. Lorsque je lui révèle mon identité, je reste attentive à ses traits, histoire de capter rapidement ce qu’il pense de cela. Est-ce qu’il regrette d’être venu ici ? D’avoir abordé certains sujets avec moi ? « Celeste, enchanté.. Matthew.. » Je hoche machinalement la tête. Cette information n’est pas nouvelle pour moi, mais il doit bien s’en douter un peu. Quand nous nous sommes vus alors qu’il était en discussion avec Robin, celle-ci a un minimum fait les présentations et depuis, j’ai gardé en tête son prénom. Il fait partie de sa vie, c’est un peu comme s’il faisait partie de la famille, les présentations en moins. Mais ça ne saurait tarder. Pour son prénom, il fait peut-être référence au fait que j’ai compris bien avant lui qui il était aujourd’hui ? Je n’ai aucun mérite, je savais qu’il était en ville. « Je pensais pas non plus te rencontrer aussitôt.. je vais peut être reprendre un café alors.. » Je suis amusée par sa réflexion. « Tu sais, tu n’es pas obligé. Je ne voudrais pas être la raison de ta surdose de caféine. » Nous serons amenés à nous revoir bien assez tôt, il n'est pas obligé de recommander une boisson. Sauf si à son tour, il veut me tirer des informations. « Ah oui ? Elle t'as parlé de mon arrivée ? Et quoi d'autres ? » D'un air innocent, je lève légèrement les épaules. Je suis assez proche de Robin et pour être honnête, rares sont les secrets entre nous. « On se parle assez souvent. D'ailleurs, elle sait que tu as pris un café ce matin. » Je plaide coupable. Mais au moins je suis honnête, il n'aura pas l'air surpris si jamais sa petite amie vient à lui dire. « Je suis désolée, c'était plus fort que moi. » La technologie.. ça fait des ravages de nos jours. Sans ça, j'aurais dû attendre de voir ma sœur pour lui raconter tout ce que j'ai pu découvrir. Même si bon, il n'y a pas grand-chose à dire. « J'ai voulu jouer aux espionnes, mais visiblement tu n'es pas malhonnête. » Il n'attendait personne dans ce café, il n'a pas menti sur ses origines et il n'a pas commencé à chercher un appartement qui ne ressemblait pas à Robin. Jusque là, il marque des bons points. Même si une fois encore, mon avis importera peu. « Ce n'est pas trop difficile de s'acclimater à la Nouvelle-Zélande ? » Il a plutôt choisi la bonne saison pour arriver en ville. Car même si la météo n'est pas idéale, elle ne va aller qu'en s'améliorant : l'été va doucement faire son arrivée.

Les présentations officiellement faites, d’une manière que certains pourraient caractériser de manière dramatique, Matthew décide de rester un peu plus longtemps au café. Il ne faut pas qu’il s’en sente obligé, surtout si quelque chose d’autre l’attend après. Nous risquons de nous revoir maintenant qu’il habite ici, ce n’est pas comme si aujourd’hui était l’unique occasion pour nous de faire connaissance. Pour lancer notre discussion, je décide de l’interroger sur son adaptation à ce nouveau pays. J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour cette ville qui m’a vu grandir, alors j’ai peur de ne pas être objective quant à l’intégration des nouveaux habitants. « Ça me change beaucoup de Londres, c'est sur. Mais je n'ai pas de mal à m'adapter, bien au contraire.. » Ce discours, j’ai l’impression de l’avoir déjà entendu et pour cause, il y a quelques mois, Natalie était exactement à sa place. Enfin.. si on enlève l’histoire d’amour avec Robin. « Et puis, maintenant je n'ai plus le choix. J'ai parcouru une partie du globe pour Robin, je compte bien m'acclimater pour elle. » C’est vrai que maintenant, il est un peu tard pour remettre en question ses choix. « Je t'avoue que j'ai eu du mal à réellement comprendre ce qu'elle ressentait quand j'me suis pointer devant chez elle. J'avais l'impression qu'elle ne réalisait pas, ou qu'elle ne comprenait pas que j'étais là pour elle, que j'avais tout quitté pour venir vivre auprès d'elle. Après, ça peut s'comprendre, c'est assez culotté de ma part de débarquer comme ça, un soir, dans sa vie alors qu'on a toujours eut l'habitude de cette distance entre nous... » C’est un changement de quotidien assez important, que ce soit pour lui ou pour ma sœur. La distance qui existait entre eux faisait qu’ils se parlaient le plus souvent à travers des écrans, mais à côté de ça, ils continuaient de vivre leur vie chacun de leur côté. Désormais, c’est un peu plus compliqué que cela. « Il faut sûrement un peu de temps. » Que certaines habitudes se perdent sûrement. Et encore, ils ont visiblement envie de prendre leur temps puisqu’il cherche actuellement un appartement. « Pour être honnête avec toi, je n’ai jamais eu ça. Personne n’a jamais traversé le monde pour moi. Mais je suppose que ça doit surprendre un peu. » C’est romantique, on ne va pas se mentir et je crois qu’à ce moment précis, je jalouse un peu ma sœur. Cependant, je ne peux pas me mettre à sa place et savoir ce qui se passe dans sa tête suite à ce changement. « Elle te pensait à l’autre bout de la planète et tu viens finalement cogner à sa porte. » Son petit ami à la place d’un livreur de pizza, ça doit surprendre un peu. « Ce n’est bien sûr que des suppositions, je ne suis pas Robin. » Et je ne parlerais jamais en son nom. Je ne voudrais pas me tromper dans ce que je dis : ce sont leurs histoires pas les miennes, ça ne me regarde pas. « Si jamais l’envie te prenait d’obtenir des informations en passant par moi, sache que je resterais muette comme une carpe. Je suis team Robin. » Un large sourire se dessine sur mon visage. Je ne voudrais pas qu’il me prenne trop au sérieux et qu’il se méfie de moi, je ne mords pas. Pas encore. « Tu as déjà eu l’occasion de croiser d’autres personnes ? La famille Wade est grande, alors tu vas en avoir des rencontres à faire. » Sans vouloir lui mettre la pression, même si nous sommes nombreux, nous ne sommes pas pour autant méchants.