Doing something good [LIBRE]

Le calendrier défilant à une vitesse hallucinante, Liam est presque surpris de se rendre compte qu’il lui reste moins de deux semaines pour trouver ses cadeaux de Noël. Comme chaque année, il n’est pas en avance. Mais c’est peut-être encore plus particulier en cette période de fêtes, étant que donné que le jeune homme a beaucoup travaillé sur une gamme de pâtisseries végétales avec Luana. Les essais se sont enchaînés et, si Liam est heureux de se livrer à sa passion, il s’est peut-être aussi un peu laissé déborder. Essuyer une douzaine de fois le plan de travail farineux de la cuisine est devenu son quotidien, si bien que le soir, il est un peu trop fatigué pour réfléchir à des idées de cadeaux. D’ailleurs, si le Millstone se consacre autant à son futur travail, c’est peut-être justement pour ne pas penser à ce qu’il se passe à la maison. Les tensions deviennent de plus en plus évidentes entre Lily et lui et, au fond, ce n’est pas faute d’avoir tenté de mettre les désaccords à plat. Mais il faut croire que, pour l’instant, ça reste trop profond. Et si faire l’autruche ou fuir n’est pas la solution, c’est plus facile que de passer trop de temps à se lamenter sur leurs problèmes conjugaux. Alors même s’il n’est pas très fier de lui en ce moment, particulièrement en tant que mari, Liam se surprend à espérer que le miracle tant attendu se produira et saura en quelque sorte les délivrer.

En attendant, le jeune marié fait ses courses tout seul, sa femme travaillant à Wellington en journée. Pour l’occasion, il se rend sur le marché de Noël en espérant être frappé par l’inspiration. Les rues piétonnes de Center Bay sont occupées par des stands d’artisans et autres commerçants. Il compte précisément sur cette diversité pour dénicher des cadeaux qui feront plaisir à ses proches. Alors qu’il flâne plus ou moins, il tombe sur un stand qu’il ne se rappelait pas avoir vu avant. Apparemment, il s’agit d’une association caritative. Intrigué, Liam s’approche et entend un jeune homme s’adresser à lui. « Oh, salut. » Il jette un coup d’oeil aux objets artisanaux : de la vaisselle, des couverts, des vases, des bougies, des lampions, des décorations en bois… Il y a un peu de tout, pour plaire à tout le monde. « Vous oeuvrez pour quelle cause ? » demande-t-il avec intérêt et poliment. « Je suis encore à la recherche de mes cadeaux de Noël, je peux sûrement en trouver par ici. »


L’homme présent au stand qui s’adresse à lui, Liam a l’impression de l’avoir déjà croisé quelque part. Mais après tout, ça n’aurait rien d’étonnant. Dans cette petite banlieue de la capitale, on voit les mêmes têtes au supermarché, au restaurant ou encore dans la rue. Alors si ce visage lui est familier, ce n’est pas intrigant en soi. Ses propos, en revanche, éveillent l’intérêt du jeune homme. Visiblement, le volontaire en question doit être dévoué, car il parle avec enthousiasme de l’association à laquelle il appartient et de la cause qu’il défend. Liam l’écoute sans l’interrompre, hochant parfois la tête en signe d’approbation. « C’est vraiment admirable, ce que vous faites. » L’insertion professionnelle, la scolarisation et l’hébergement des immigrés est assurément un sujet important. Et si la seule association à laquelle Liam appartienne réellement est celle oeuvrant au refuge animalier, il ne voit pas en quoi il ne se serait pas possible de défendre plusieurs causes, aussi différentes soient-elles. « Et puis c’est une super idée, je trouve, que ce soient eux les artisans. Comme ça, chacun apporte sa participation et peut se sentir utile. » De tels sujets sont souvent délicats à aborder, alors le Millstone s’efforce de choisir les bons mots - ce qui n’est pas son fort. Mais ce qu’il veut dire, c’est que pour des personnes loin de chez elles, dépendant parfois de l’aide qui leur est apportée, il doit être bénéfique pour leur moral, entre autres, de s’employer à créer des objets qui seront vendus pour eux et pour d’autres.

« En fait, j’avoue que j’ai pas d’idée précise… Enfin, je veux dire, il reste encore pas mal de personnes pour lesquelles j’ai pas encore trouvé de cadeau. Mais ce sont principalement des femmes. » Il en a déjà pour la sienne, ce qui est presque un exploit en soi. Il n’a pas non plus eu trop de mal à dénicher quelque chose pour son père. Pour les autres, en revanche, il est toujours à la recherche - plus ou moins active. « Je pense acheter plusieurs décorations en bois pour une amie proche. Et des bougies, ça devrait plaire à ma patronne… Elle est vraiment sympa, alors même si on passe pas les fêtes ensemble je voudrais lui offrir quelque chose. » Lentement, le pâtissier continue à parcourir du regard les objets artisanaux proposés. Puisque c’est pour la bonne cause, il aimerait bien en prendre davantage. « Et des lampions, ma femme devrait aimer ça. » Il est quelque peu hésitant quand il s’agit de choisir, parce qu’il n’a pas forcément confiance en ses goûts lorsqu’il s’agit d’esthétique, surtout pour des femmes. Mais il ne veut pas prendre trop de temps non plus, histoire de ne pas mobiliser un volontaire qui pourrait être en train de parler à quelqu’un d’autre. Alors il rassemble ce qu’il voudrait et le tend au jeune homme. « Je vais prendre ça. » Pendant qu’il paye, une autre idée lui vient en tête. « Est-ce que nous aussi, en-dehors des dons à proprement financiers, on peut participer en vendant des trucs de… Euh… Notre spécialité ? »


« Oui, je peux comprendre. On a tous besoin de se sentir utiles. » Non qu’ils ne le soient pas, mais le fait d’apporter sa contribution doit assurément avoir quelque chose de gratifiant, c’est ce qu’il veut dire. « En tout cas, qu’il s’agisse des immigrés ou des volontaires, vous êtes courageux. » Il n’ose pas imaginer ce que ça peut faire de quitter son pays, de tout laisser derrière soi, parce qu’on n’a pas tellement le choix. Reconstruire sa vie ailleurs, redémarrer à zéro, ça doit vraiment demander une immense force de caractère. Quant aux locaux et autres résidents du pays qui consacrent une partie de leur temps à les aider et se dévouent à cette cause, c’est tout aussi admirable. En comparaison, c’est clair qu’acheter deux ou trois babioles, ce n’est vraiment pas grand-chose. « Un dessin en pointillisme ? » répète Liam, prenant la carte que le jeune homme lui tend. Il ne sait pas ce que ça veut dire, mais en voyant la carte de voeux il comprend mieux. « Waow, c’est très joli ! » Lui-même ne sait absolument pas dessiner, alors il ne peut qu’admirer le travail d’autres personnes. « Merci, c’est gentil. Je vais réfléchir à qui je peux l’envoyer. » Alors qu’il continue ses courses, son interlocuteur exprime sa surprise quant à l’idée d’offrir un cadeau à sa patronne. « Oh, je pense que c’est moi qui ai de la chance de travailler avec elle… En fait, elle est vraiment sympa, elle m’a donné une chance d’exploiter un peu mieux ce que je voudrais vraiment faire. » Dit comme ça, ce n’est peut-être pas très clair, mais Liam n’est pas sûr que ce soit particulièrement intéressant à développer. Il est plus intrigué par ce que le jeune homme lui dit. « Oh, vous êtes pompier ? » Il a dû le croiser en passant devant la caserne, ça doit être pour ça que son visage lui est vaguement familier. « Un camion de pompier miniature, j’avoue que ce serait un cadeau plutôt rigolo. »

Pendant qu’il rassemble ses cadeaux, Liam réalise qu’il a vraiment beaucoup été aidé pour le choix des objets. Il ne se sent pas très capable quand il s’agit de faire ce genre de choix tout seul. « Merci pour les conseils… On a sûrement évité de gros dégâts » ajoute-t-il en plaisantant, avant de proposer l’idée qui lui trotte dans la tête. « Oh, y’a pas de quoi… » Ça lui fait plaisir qu’on le remercie, mais il se sent un peu gêné parce que ce n’est pas grand-chose au fond. « Je suis pâtissier… Enfin non, je suis cuisinier de formation, mais je fais aussi des pâtisseries. Une fois, on avait organisé une vente de plats pour apporter un peu d’aide à une association caritative. Je pensais à faire le même genre de choses. Les stands de pâtisseries avec des spécialités de Noël fonctionnent plutôt bien pour les fêtes, même si c’est juste pour une journée par exemple, je pense que ça peut aider. » Il ne sait pas si c’est une bonne idée, mais il compte sur son interlocuteur pour lui dire si ce n’est pas le cas. « Au fait, je m’appelle Liam » ajoute-t-il en lui tendant la main.

« Oui, c’est sûr qu’on a de la chance quand on tombe sur un patron super sympa. » Liam approuve, parce qu’il semble que ce soit plutôt rare et que les deux notions soient relativement incompatibles. « J’ai eu pas mal de mauvaises expériences aussi. » Dans une cuisine, un chef tyrannique, ça se ressent très vite. L’ambiance peut rapidement en être plombée, d’autant plus que c’est un endroit très stressant. Ceci dit, ça n’a sans doute rien de comparable à une caserne des pompiers, où les interventions peuvent être une question de vie ou de mort. Le jeune homme a tout naturellement de l’admiration pour ce genre de métier. « Pompier, volontaire pour aider des étrangers à s’intégrer… En gros, vous êtes un genre de super-héros moderne. » Le type de mec à filer des complexes aux autres, en résumé. Oh, Liam n’a jamais été du genre jaloux, il ne fait pas de comparaisons et se réjouit toujours pour les autres quand il y a lieu de l’être. Mais pour le coup, il se dit que ce genre de personne a précisément de quoi inspirer et ça, c’est positif. Lui aussi, il veut aider, à son niveau. Alors il évoque une idée qui lui vient en tête et, visiblement, son interlocuteur semble approuver. « J’aime beaucoup l’idée d’unir ses forces. C’est sûr que coopérer entre associations, ça donnera probablement un meilleur résultat. » Presque aussitôt, le Millstone se sent inspiré. En effet, il n’en faut pas beaucoup pour qu’il ait des idées en ce qui concerne la cuisine, qui est autant son métier que sa passion. « Je serais très heureux de participer. Si jamais le repas se passe en janvier, je pense aussi aux galettes des rois par exemple. Enfin bon, il sera toujours temps d’en parler au moment voulu. Une date a déjà été fixée ou pas encore ? » Il songe déjà à en parler à Luana, qui se bat pour toutes les causes dans lesquelles elle croit. Elle aussi serait probablement ravie d’aider. En attendant, Liam essaye d’en apprendre plus et, naturellement, la conversation se poursuit avec le dénommé Wade. « Oui, je suis plus cuisinier que pâtissier, mais… Enfin, à l’école je n’ai pas suivi la spécialité pâtisserie, mais j’ai appris les bases et j’ai appris sur le tas aussi. » Il esquisse un sourire. « Macaron, oui. J’ai suivi un stage à Paris où j’en faisais. Ma femme aime ça aussi. » Tout en parlant, il range les cadeaux qu’il a achetés dans le sac à dos qu’il porte pour l’occasion. « Pour l’instant, on est en plein tests pour développer une nouvelle gamme de pâtisseries… Et le mois prochain, le café où je vais travailler va ouvrir. Je te donnerai l’adresse si tu veux ! Et en attendant, je te file mon numéro, histoire qu’on se tienne au courant pour l’événement caritatif. »


« D’accord, quoi qu’il en soit, je me rendrai disponible. » Liam n’a pas spécialement d’agenda où il noterait un événement important, il prend parfois des notes sur son téléphone portable mais sinon, il a une assez bonne mémoire. De toute façon, ce n’est pas le genre de choses qu’on oublie. Cuisiner, le jeune homme aime déjà ça, mais s’il s’agit en plus de partage, il ne manquera pas à l’appel. Il n’a pas l’impression de faire grand-chose au quotidien pour aider les autres, alors il se donne toujours à fond dans ce genre d’événement. D’ailleurs, la dernière fois, même si c’était du travail, il était aussi content de passer du temps avec Ava, son binôme de la journée. Et en voyant le sourire des enfants de flics qui étaient aussi heureux de participer, il était déjà comblé. Parfois, il ne faut pas grand-chose. Et il y en a d’autres qui font beaucoup plus au quotidien et qui ont beaucoup à enseigner aux autres. Liam ne doute pas que c’est le cas de Wade, même s’il reste modeste.

Quoi qu’il en soit, c’est forcément le genre de personne avec qui il prend plaisir à discuter. Ils en sont déjà à échanger leurs numéros puis, à la surprise du Millstone, le pompier lui pose d’autres questions sur son parcours et sur ses voyages. « Oui, c’était bien… Pour la gastronomie, c’est vraiment le pays idéal. Et pour la mode aussi, comme ma femme est styliste. On a beaucoup appris là-bas, chacun dans notre domaine. Et bien sûr, on a aussi pas mal joué les touristes et découvert des endroits magnifiques. C’est un pays qui me fait un peu penser à ici en termes de paysages parce qu’ils sont très variés. » Encore aujourd’hui, les gens qu’il connaît à Island Bay s’intéressent à ce qu’il a pu faire en Europe.

Et lui, il en parle avec plaisir. Parce que même s’il fallait se serrer la ceinture, même s’il fallait jongler avec un emploi du temps chargé, il reste persuadé que ça fait partie des plus belles années et Lily est d’accord avec lui. « J’ai pas mal bourlingué en Europe en fait, j’y ai passé quelques années après le lycée avec ma copine, enfin ma femme aujourd’hui. J’ai suivi des formations dans deux ou trois villes et travaillé dans des restaurants locaux pour en apprendre le plus possible sur les cuisines de plusieurs pays. Et on a aussi visité, quand on pouvait. » Oui, les voyages sont toujours un sujet passionnant. « Je ne connais ni le Japon ni l’Egypte ! Mais je ne doute pas que ce sont des destinations passionnantes, chacun dans leur genre. J’imagine que ça dépend de ce qu’on préfère… Mais si je me trompe pas, tu n’es pas d’ici ? On n’a pas tout à fait le même accent… »