Si vous saviez où vous pouvez vous la mettre votre déposition... [ft. Natalia]

Le hasard aimait se jouer des gens. Il ne fallait pas être mystique pour le comprendre. Certains appelaient ça le karma, d'autres, le destin, la guigne, la poisse ou la chance. La fatalité, pour les plus cyniques. En principe, Noah refusait de croire qu'une quelconque force puisse agir sur son destin et encore moins qu'elle soit capable de l'influencer. La seule chose pouvant nuire à sa réussite, c'était le reste du monde. Lui, il était irréprochable, meilleur dans tout ce qu'il faisait et très "objectivement", il avait retrouvé la confiance depuis la signature de son contrat avec Whare Pikita Studios. De là à lui dire qu'il avait retrouvé le melon, vous exagèreriez sans doute... ou pas. Quoiqu'il en soit, aussi génial et exceptionnel soit-il, il ne pouvait parfois pas éviter certains aléas. Comme cette agression dont il avait été témoin, à la sortie d'un club de strip-tease à la réputation sulfureuse. Un homme avait tenté de s'en prendre à l'une des danseuses, qui fumait sa clope dehors, en "costume de scène", profitant d'une pause bien méritée. Elle n'était pas le type de Noah et à vrai dire, il était allé dans cet endroit uniquement pour le plaisir de regarder. Aucun des filles qui s'étaient effeuillé ce soir là, ne parvenait à lui faire sortir de la tête Jude. Et ce n'était pas faute d'essayer et de se forcer. Situation qu'il vivait au plus mal, il ne voulait pas être sentimentalement dépendant, encore moins vivre un truc stable avec une seule partenaire ! Quelle hérésie ! Mais ce soir là, Noah, un peu frustré et comme toujours de mauvaise humeur, était en train de foutre le camp lorsqu'il entendit un type lâcher un flot d'injures à l'égard de l'employée. Très vite, ça avait dégénéré. Il y avait eu des éclats de voix, une gifle, à laquelle l'homme répliqua par un coup de poing. Sans vouloir être chevaleresque, Noah s'était jeté sur le type sans trop réfléchir.

Oh il n'avait pas fait ça pour être héroïque ou quoi que ce soit. A vrai dire, il ne réalisa ce qu'il avait fait que lorsque son genou percuta l'entrejambe de l'agresseur, lui coupant le soufflant et lui offrant une court métrage de comment Castor avait fini par s'appeler Pollux. La sécurité ne tarda pas à venir, et heureusement que la strip-teaseuse leur avait indiqué que Noah était du bon côté, parce que vu les molosses et leur démarche déterminée dans sa direction, il se serait retrouvé à l'hôpital. Les types regardèrent le tout nouvel eunuque gémir au sol et l'un d'eux lâcha un "encore lui... on l'a pourtant signalé plusieurs fois à la police". La police... ah si on commençait à demander l'avis de Noah à ce sujet... on allait être servi. Quoiqu'il en fut, il allait partir sans demander son reste, mais les agents de sécurité lui demandèrent de laisser ses coordonnées. L'idée ne l'enchantait guère, mais bon, la strip-teaseuse était mignonne, pas blonde comme il les aimait, brune, mais bon, il l'avait déjà vue danser sur sa barre de pole-dance, c'était pas désagréable. Il pouvait accepter et de toute façon, si ça le gonflait, il ignorerait l'appel... Coordonnées laissées, il reprit le cours de sa vie, oubliant ce passage qui avait un peu contribué à pourrir un peu plus sa soirée. Et l'histoire passe aux oubliettes... jusqu'à ce fameux matin où il reçut un appel du commissariat lui demandant de passer au poste. Croyant que c'était pour le relancer au sujet de sa contravention pas tout à fait remboursée, il s'exprima en ces termes "Vous allez pas commencer à me faire chier parce que je suis obligé de payer votre prune en plusieurs fois tellement elles est astronomique. Faudrait attendre encore deux ou trois mois pour pouvoir vous payer des vacances de gros glandeurs aux Bahamas". Et il raccrocha.

Mauvaise idée... très mauvaise idée... Alors qu'il sortait du plateau de tournage, deux policiers l'abordèrent pour lui remettre une convocation en main propres. Inutile de préciser qu'ils eurent droit à un regard si noir qu'il semblait venir de l'enfer. C'est en ouvrant la convocation qu'il comprit à quel sujet c'était. La strip-teaseuse avait décidé de porter plainte pour agression... et la police lui demandait de venir faire une déposition. Super... merci la danseuse... Il attendit d'être au dernier jour du délai qu'on lui avait laissé pour rappliquer au poste de police. Il présenta la convocation à l'agent d'accueil, sans même dire bonjour ou marquer une formule de politesse. Il détestait la police, ça n'était pas nouveau. On le fit patienter et il prit alors un mâlin plaisir à tapoter en rythme sur sa chaise, parce qu'il constata très vite que cela agaçait la policière. Finalement, elle l'appela et l'invita à le suivre. Il passa par un sas où on le fouilla, ce qui l'amena à lâcher, exaspéré : "J'ai bien un gros calibre de caché, mais si je le sors je vais encore me prendre une amende, alors...". Chose à laquelle la policière répondit, avec raison et classe : "Oh vraiment ? Un gros calibre ? On dirait bien que vous l'avez oublié chez vous alors !". Bam, vite fait bien fait. L'arroseur arrosé ! Noah lui jeta simplement un regard assassin et ils continuèrent dans les couloirs du commissariat. Ils arrivèrent devant la porte d'un bureau. Au moment où il lut le nom, la policière indiqua :

- Inspecteur Reyes, le témoin est là.

- Le témoin s'appelle Noah Wade.

Elle leva les yeux au ciel et laissa sa collègue prendre le relais. Noah n'en revenait pas que le sort s'acharne ainsi sur lui... Natalia Reyes... elle était l'inspectrice en charge de l'affaire surement... et accessoirement la petite-amie, pardon le dragon, de sa soeur Celeste... Ca ne l'enchantait absolument pas d'être là, de base, mais alors maintenant qu'il savait qu'il allait devoir supporter sa présence... Il fallait toujours qu'il rappelle à la terre entière à quel point il pouvait être le premier des connards. Il prit donc la parole :

- Donc, je suis convoqué ici pour témoigner, je suppose ? Alors ok, je témoigne. Cette femme a été agressée par un type qui apparemment était dangereux et avait déjà signalé. Il avait l'intention de lui faire du mal et a bien failli réussir, jusqu'à ce que je l'émascule. Je sais, bouhou, c'est pas bien de frapper les gens, faut pas faire justice soi-même... En même temps, si certains faisaient leur boulot correctement ça n'arriverait sans doute pas. Oh et en fin de déposition en post-scriptum que c'est quand même sacrément gonfler de me faire perdre mon temps pour masquer l'incompétence caractérisée des poulets de cette ville...

Il la regarda avec défi, plutôt satisfait d'avoir placé une pique aussi acerbe et aiguisée. Il reprit :

- C'est bon, je peux me barrer d'ici, t'as ce qu'il te faut ? Ou tu veux peut-être savoir autre chose ? Oh tiens, mon personnage préféré de Disney ! Donald Duck, tu sais pourquoi ? Parce que lui non plus, il aime pas qu'on l'emmerde !

Et il se mit alors à imiter le célèbre volatile dans un florilège de borborygmes. Oui, il était odieux et il prenait un sacré risque de faire ça devant un agent de police, encore plus devant celle qui était un peu comme sa belle soeur. Mais Noah avait toujours eu un problème avec l'autorité et la maturité. Il le prouvait en cet instant... D'un autre côté, on ne pouvait pas lui reprocher le fait qu'il savait bel et bien mettre l'ambiance... bonne ou mauvaise, à chacun de se faire son opinion, cela dit...

- Je préfère faire le trottoir que devenir un flic. Encore quand je vois que cette petite frappe, dont la place aurait du être dans un centre pour se faire soigner, au mieux, court gaiement dans la rue et n'a pas à se soucier d'agresser des gens. Vous avez besoin de gars pour réparer la photocopieuse et la machine à café ? Bah c'est bien... vous devriez peut-être faire bosser les glandeurs qui sont dans vos bureaux pour pallier à ce besoin !

Non, Noah n'avait pas l'intention de se montrer agréable quant à son rapport avec la police. En fait, le mépris qu'il éprouvait n'était même pas dirigé contre Natalia. Certes, il ne ménageait pas sa belle-soeur, le "dragon donneur de leçons" comme il l'appelait. Mais c'était davantage contre l'institution à laquelle elle appartenait qu'il était fondamentalement méchant. Depuis son enfance, il honnissait l'autorité, encore plus quand celle impliquait des appareils d'états destinés à interdire aux gens de faire telle ou telle chose. Bon, ça avait du sens sur les délits et les crimes, là-dessus il était d'accord. Sauf que, à ses yeux, la police était davantage présente pour donner des contraventions à la noix plutôt que pour protéger les populations comme elle aurait du le faire. Quand elle tapa du poing sur la table, il eut un sourire ravi. Ca l'énervait... et donc c'était jouissif. Presqu'autant que l'explosion de ce pauvre crayon. Sauf qu'elle ne pouvait rien lui faire. Physiquement en tout cas. Il jubilait, même si la seule chose qu'il avait envie de faire, là, c'était de se tirer, pour la mettre au défi. Cela dit, en y réfléchissant, elle pouvait le mettre au trou, ou en garde à vue... Et ça, Noah l'avait déjà expérimenté quelques semaines plus tôt, quand il avait cogné sur son propriétaire à la suite d'une dispute. Il voulait éviter de s'infliger encore une expérience dans le genre ! Alors il resta assis et écouta la suite. Ok, elle héritait du dossier, ça n'était pas elle qui avait laissé ce mec courir dans les rues. A sa décharge, elle n'héritait pas du dossier le plus glorieux. Noah comprit alors qu'il avait la possibilité, soit de continuer à jouer avec ses nerfs et rendre son enquête stérile, soit de se montrer plus coopératif. Et s'il y avait bien un point sur lequel il la croyait, c'était sur le fait qu'elle se donnerait les moyens pour faire plonger l'autre pourriture. Comment il pouvait en être aussi sûr ? Parce que Celeste lui avait clairement fait comprendre qu'elle avait une confiance totale en elle. Et si Noah pouvait parfois être un chameau avec sa soeur, il savait qu'elle n'accordait pas sa confiance à n'importe qui.

- Tu ferais mieux de garder tes jugements pour toi, ou d'en parler à quelqu'un que ça intéresse. Je me fous pas mal de ce que tu peux penser de moi. Et je n'oblige pas Celeste à dépenser de l'énergie pour moi. Si elle le fait, c'est elle que tu devrais raisonner, pas me faire la morale. D'ailleurs, que ça soit clair, j'ai pas besoin d'une deuxième mère. Celle que j'ai est déjà suffisamment chiante par moments.

Odieux, oui. Noah pouvait se montrer très acide et utiliser des mots choquants, quand on le piquait là où ça faisait mal. Il regarda sa montre. Bon, le plus simple pour sortir d'ici, c'était d'avancer sur son témoignage. Il s'appuya sur le dossier pour s'installer confortablement et reprit :

- Bon, admettons que tu aies récupéré ce dossier et que tu puisses le mener jusqu'au bout pour faire casquer l'autre enfoiré. J'espère juste que tu pourras vraiment agir. Pose tes questions, prends tes notes et qu'on en finisse.

C'était sûrement la première fois qu'il parlait de façon aussi "aimable" depuis son arrivée ici. Non, son objectif n'était pas de contribuer à ce qu'un agresseur s'en tire parce qu'il avait simplement voulu faire chier le monde, quand bien même, ledit monde, était en réalité la police et sa belle-soeur.

- Je l'ai déjà vu ce type, d'ailleurs. J'y ai repensé après coup mais son visage m'est familier. Il s'était fait choper dans les toilettes pour femmes. Il avait prétexté qu'il n'avait pas fait attention. Il était en train de s'expliquer avec le vigile quand je suis allé pissé et je me rappelle qu'il m'a pris à parti pour me demander de confirmer que la signalisation des toilettes était mal foutue. Je lui répondu que s'il ne savait pas lire les pictogrammes, fallait qu'il se paie une école puis que je n'avais pas de temps à perdre avec un pervers.

L'amabilité version Noah. En même temps, ce soir là, il n'avait cessé de repenser à Jude et ça lui avait quelque pourri sa distraction. Et puis, quelle idée de l'interpeler au moment où son cerveau était focus sur une priorité : soulager sa vessie ? En tout cas, si ça pouvait aider, il n'hésiterait pas à bien fouiller dans sa mémoire pour épaissir le dossier de Natalia. Qu'au moins ça puisse servir à quelque chose d'autre qu'à perdre son précieux temps.