mois des fiertés ○ loterie rp

Les choix que l'on fait successivement emmènent sur une route puis une autre, carrefour après carrefour l'histoire se construit. Avec ses propres choix, oui, mais aussi avec ceux des autres. Etre pris à l'hopital de Wellington, quitter Auckland, se mettre en ménage avec l'un des internes, se séparer... Parmi la liste il y en a qu'il a choisi avec joie et d'autres qu'il a subi brutalement. Aujourd'hui, il se retrouve dans un jeu stupide, sans plus trop savoir comment il a fait pour se retrouver avec une parfaite inconnue qu'il est censé découvrir du bout des doigts. Situation loufoque ? Il n'a pas envie de rire. Situation ridicule ? Tant qu'il ne voit pas ce qui se passe autour de lui, il peut espérer que ce n'est pas le cas. Il s'attendait à ce qu'une main de femme se pose sur lui, mais ce n'est pas ce qui le fait sursauter. Un courant d'air, un claquement de porte. Est-ce qu'il doit s'inquiéter ? Il porte la main à son visage. Enlever le bandeau pour se rassurer ? En tout cas, il n'est pas seul. Elle est toujours là. Ce n'est donc pas elle qui a fui. Elle lui fait une proposition. Il sourit. Sourire dans le vide qu'elle ne verra pas.

— Barbe à papa !

Sa réponse sort sans qu'il réfléchisse. Un élan puéril. Elle n'a pas tord. Sortir de cette situation déstabilisante lui semble une excellente chose.

— Je bois beaucoup de café sur mon lieu de travail et trop de thé chez moi.

Une excuse pour justifier sa proposition. Mais après tout, le moment est festif, même au milieu des reventications alors un peu de sucré pour adoucir la vie... Pourvu qu'elle ne soit pas diabétique !

Est-ce un silence réprobateur ? La proposition parait-elle trop étrange à sa partenaire ? A-t-elle déjà enlevé le bandeau, constaté qu'elle avait affaire à un homme qu'elle trouve inintéressant au prime abord ? Qui lui fait peur ? Il doute le temps d'entendre la réponse qui au final arrive vite, même si teintée d'un peu d'hésitation.

— Bien.

Bref, mais soulagé. Il lève la main pour ôter son bandeau. Il se retrouve nez à nez avec la jeune femme, beaucoup plus près de lui qu'il n'avait imaginé. Ce retour au "normal" le fait reculer d'un pas. Il sourit pour rassurer. Il comprend mieux l'idée de ce jeu en aveugle qui rapproche, gomme les a priori. Elle veut tout de même rester dans une sorte de jeu de découverte, rester des inconnus le plus longtemps possible. Il secoue légèrement la tête pour acquiescer.

— D'accord. cela me convient. Laissons faire le mystère.

C'est sans aucun doute la meilleure idée qui existe, pour lui qui a tant de mal à faire connaissance avec les gens, à aller vers eux, à partager avec les autres. Etre entrainer dans une aventure insolite par une inconnue. Il n'aurait jamais osé l'aborder dans la rue pour lui proposer de partager une barbe à papa. Et s'il l'avait fait, elle aurait surement crier au pervers ! Il avance vers la porte et l'ouvre. La lumière du soleil intensifie la couleur de cheveux de la jeune femme en ajoutant des reflets. Il s'écarte pour qu'elle puisse passer en premier.

— J'ai proposé barbe à papa sans savoir s'il y a un stand qui en propose.

Il rit légèrement, prêt à retrouver son âme d'enfant envolé depuis très longtemps.

Dehors, au grand air, tout est différent. Extrêmement différent. À l'opposé, de ce lieu sombre, clos, presque sinistre. Pour un jeu ? Ils auraient dû rire de la situation. Il ne l'a trouvée en aucun cas drôle. Maintenant, ça l'est beaucoup plus. La lumière. L'animation des rues, l'agitation même. Les gens qui déambulent, joyeux. Rien à voir avec l'animation dans un hôpital non plus, aux urgences où se mêlent précipitation et rigueur, et rien à voir non plus quand tout est plus feutré dans certains services où calme et mouvement sont porteurs de tristesse, il faut du courage au personnel pour faire éclater un rire.  

Ils ont salué au passage l'animateur du jeu qui semblait plus excité qu'eux par l'expérience sensoriel. Ils l'ont salué sans s'attarder. Ils sont dehors et ils sont libres. Ils passent à autre chose. Ils se baladent à l'aventure à la recherche de sucrerie. Encore mieux qu'à Halloween ! Il n'a jamais aimé Halloween ! C'est donc facile. Elle ne manque pas d'idées pour se rassasier. Elle énumère des desserts et propose de bifurquer sur le salé s'ils ne trouvent pas leur compte.

— Gaufre et crêpe me conviennent autant. Avec de la chantilly. Beaucoup de chantilly.

Il observe à droite et à gauche, ce que les personnes ont dans les mains pour avoir un indice sur ce qui est proposé dans le secteur.

— Je suis plutôt thaï et coréen en nourriture, mais je me retrouve souvent devant une pizza.

Le plat pratique commandé à l'hôpital, méticuleusement découpé au scalpel, et mis à disposition, tiède ou froide, pour les chirurgiens qui passent en salle de repos. Cela semble une tradition à Wellington. Elle se lance avec une première question. Mon dieu, ce qui l'a amené à pousser la porte de ce jeu ! Il remonte le fil de la journée et se revoit devant l'homme de la maintenance et le regard, de plus en plus mauvais, qu'il lui lançait.

— Le hasard, un total hasard. J'ai fui un tueur à la petite cuillère et je me suis retrouvé dans cette animation étrange et déconcertante. Au final presque tout aussi inquiétante. Et de votre côté ?

À vrai dire, il a du mal à imaginer le premier cas qu'elle propose, car ce jeu, pour être amusant, doit être plutôt pratiqué entre amis qui partagent leur expérience découverte du bout des doigts dans un fou rire à la sortie. Or là, elle est seule semble-t-il.

Les remarques de la jeune femme paraissent censées à Alex. L'excès de chantilly nocif pour la santé, il le sait, le sucre, les dégâts. Tout excès est dangereux, c'est bien connu. La voie du milieu, l'équilibre est la meilleure ligne à tenir. L'image du fromage de la pizza dégoulinant déclenche un léger sourire, tant qu'à l'idée de faire sa pâte soit même...

— On doit trouver des recettes de pâte sur le net je suppose. Je pense qu'il n'y a pas que la pâte qui compte, il y a la manière de la cuire. Le four.

Dans les pizzerias l'enfournement dure peu de minutes, alors que chez soi il faut compter quatre fois plus longtemps. On ne parle même pas des différences entre four électrique et four à bois. Alex ne saurait pas expliquer, il s'abstient d'ailleurs d'entrer dans des détails, mais les différences annoncées sur les façades des restaurants lui paraissent importantes, sinon pourquoi mentionner "cuite au feu de bois".

L'explication brève qu'il a donné sur sa participation au jeu étonne Nina. Il s'en veut. Pourquoi avoir parlé de cela ? De l'honnêteté. Parfois cela semble déplacer. Dans ce cas apparemment totalement. Il aurait mieux fait d'expliquer différemment. Tant qu'à la jeune femme la cause de sa venue est plus "réaliste", même si elle s'inquiète de l'honnêteté de sa colocataire.

Une halte devant le stand de gâteaux. Elle choisit et règle sa commande. A son tour, il opte pour une gaufre avec de la chantilly comme il l'avait mentionné plus tôt, mais il se contente d'une dose simple. Elle s'offre une boisson, pas lui. Il tire de la poche intérieure de sa veste un portefeuille et en extrait un billet pour payer.  La monnaie rendue va dans la poche de son pantalon, en vrac. Entre deux bouchées la discussion peu reprendre.

— Je ne sais pas si je dois m'attrister ou me réjouir de votre manque de chance dans les paris. Pour cette journée et notre rencontre je vais m'en réjouir, mais c'est dommage par contre si votre colocataire triche.

C'est en effet dérangeant. On triche pour un jeu de rien du tout et on finit comment ? Il s'abstient pourtant de spéculer sur cette coloc qu'il ne connait pas. Il a mieux à faire : s'excuser.

— Je n'aurais pas dû vous parler de ce tueur à la petite cuillère. J'espère ne pas vous avoir fait peur. C'est une histoire qui date de ma période étudiante. L'un de mes camarades souhaitait devenir médecin légiste. Il avait pris l'habitude d'expliquer comment reconnaitre les causes d'un meurtre. Dont cette petite cuillère. Meurtre long et répétitif ne pouvant être fait que par un sadique tortionnaire qui poursuit sa proie inlassablement et méthodiquement. J'ai croisé quelqu'un et j'ai vu dans le regard de cet homme l'étincelle que j'imaginais à l'époque dans l'oeil l'assassin peu ordinaire.

Il soupire en secouant la tête.

— Désolé, c'est sordide, encore plus que tout à l'heure.

C'est le moins qu'on puisse dire !

Il est tellement peu doué pour tisser des liens. Il s'en rend compte au changement de regard de sa compagne de jeu. Pourquoi n'est-il pas resté sur un sujet simple, les pizzas, le pain, les brioches, les gaufres, le temps qu'il fait, le temps qu'il fera. Cela n'engage à rien. Cela garde une distance entre les personnes. Rien de personnel. Rien d'intime. Oh bien sûr, on livre son goût pour la mozzarella, le pepperoni, les éclairs au chocolat, les choux à la crème, mais cela n'a pas d'importance. On peut dire à l'autre qu'il a tord de ne pas goûté, ça n'engage à rien. La discussion peut se refermer comme elle s'est ouverte, en glissant de la gastronomie au sport. On peut se chamailler concernant une équipe et passer à la botanique. Et ainsi de suite. Il aurait pu parler d'allergie, de toc ou d'astrologie. Parler des chiens et des chats. Mais, non. Il a abordé un sujet repoussant pour la majorité des personnes. Evidemment, pour lui il n'y a pas de problème. Il en a vu des blessures, des opérations, des drames, des souffrances et même des morts. Lui, mais elle ? Il s'en veut d'avoir troublé cet instant qui le faisait sortir justement de ce quotidien, loin du bistouri et de l'atmosphère particulière de l'hôpital. Il se tait. Il se concentre sur sa gaufre. Il en vient à compter les alvéoles carrées. D'un coup, il se lance.

— Est-ce que vous savez pourquoi il y a ces creux dans les gaufres ?

Voilà, ça c'est simple. Même si elle ne sait pas, ce n'est pas grave, il l'ignore de son côté. Si elle sait et qu'elle explique et bien voilà une minute de conversation. Et pourtant, cette malheureuse question lui pèse sur l'estomac. Il a fait un effort énorme pour la trouver. Il s'y accroche comme un enfant enfile autour de la taille une bouée à tête de flamant rose avec des petits boudins sur le côté pour simuler des ailes. Il en avait une quand il était petit. Voilà un sujet intéressant ! Pas de prise de risque non plus. Qui irait s'offusquer d'une tel jouet ? Il tient probablement son prochain sujet. Oui, enfin, ce sera tout aussi tordu s'il lance la phrase d'un coup, sans préavis : « j'avais une bouée rose avec une tête de flamant rose quand j'étais enfant. » Sorti de tout contexte, c'est tout aussi tordu que son histoire de meurtre à la petite cuillère, un peu moins glauque cependant. A condition qu'il ne donne pas les statistiques sur les décès d'enfants par noyade !

Le sujet gaufre a déclenché quelques explications et idées de la part de la jeune femme concernant la différence avec les crêpes. Il hoche de la tête. Le 3D, il n'aurait jamais imaginé cette façon de construire cette pâtisserie. Mais pourquoi pas. En fait, ce n'est pas idiot.

— Le relief, vous avez raison. En fait...

Il inspecte ce qui lui reste à manger en même tant qu'il parle.

— Cela permet de glisser la chantilly ou la confiture dans les alvéoles. Je n'avais jamais réfléchi à ça. Les crêpes, ça a tendance à glisser dessus.

Il jette un coup d'oeil pour vérifier où en est Nina de sa dégustation gourmande.

— Je préfère la gaufre quand il s'agit de la manger en marchant. Oui, c'est plus pratique je trouve.

Et tout à coup l'illumination !

— Sans aucun doute, cet effet relief aide à la rendre plus rigide et maintenir la garniture. Je ne sais pas si cela a été inventé pour cela, mais le résultat est là. Une crêpe, par contre pour un café gourmand, je trouve cela parfait. On a le temps de se poser, de la déguster. On peut prendre de la glace avec, sans vraiment craindre qu'elle fonde, après tout, cela restera dans l'assiette.

Il imagine parfaitement la situation. Plus que de l'imagination, il s'agit de souvenirs parce qu'en effet, la crêpe fait partie de ces petits moments qu'on peut s'offrir par instant. A ceci près, que ces souvenirs remontent à très longtemps. Manque-t-il vraiment de temps pour ce genre d'instants posés et tranquilles ? Manque d'envie ? Manque de personne avec qui partager ? De tout un peu, un peu beaucoup.

— Et de votre côté, des préférences ?

Même s'ils ont pris quasiment la même chose, c'est peut-être simplement par manque de choix et pour le côté pratique dont il vient de faire l'éloge.