je n'ai pas été honnête (sofia)

Après l'alerte au séisme, voilà que la ville est en état d'urgence pour risque de tsunami. La tranquillité de la Suède me manque vraiment dans ces moments-là. Je n'ai pas grandi ici, je n'ai pas suivi toutes ces formations faites à l'école pour agir correctement en cas d'alerte. Alors j'ai beau avoir vingt-et-un ans, je suis bien moins organisée que des enfants de cinq, six ans. Je ne suis sûrement pas la seule ici, mais je ne peux m'empêcher de me sentir un peu ridicule dans ces cas-là. Aujourd'hui, pour palier à cela, je décide d'être une bonne élève et d'écouter les consignes données à toutes les chaînes d'informations. Je remplis l'un de mes sacs de quelques affaires. Là encore, novice, je ne sais pas quoi prendre. J'y mets sûrement un peu n'importe quoi, mais ça me rassure, en quelques sortes. Une fois cette tâche terminée, je prends l'un des bus qui emmène à Wellington, puis à pied, comme les autres, je monte jusque dans les hauteurs. Arrivée à l'endroit qui nous a été indiqué un peu plus tôt, je ne sais pas quoi faire. Je commence à tourner en rond et très vite, mon esprit se remplit de pensée qu'il faudrait pourtant que j'évite. Même si je n'ai pas été touchée à proprement parlé par le séisme et, maintenant par le tsunami, mon corps réagit à toutes ces agitations. Il s’inquiète et fait culminer mes anxiétés à un haut niveau. Dans ces moments-là, la seule chose qui peut me calmer, c’est manger. Alors d’un pas décidé, je me rends vers l’endroit où se tient la restauration pour prendre quelque chose à grignoter. Ce n’est pas la bonne solution, je le sais au fond de moi : ça n’a rien apporté de bon au cinéma, ça n’apportera rien de bon aujourd’hui non plus. Je longe les tables installées pour que les gens puissent se poser et au loin, je reconnais une silhouette. Je tourne légèrement la tête pour que cette reconnaissance ne se fasse pas dans les deux sens et je continue d’avancer. Vu comment ça s’est passé la dernière fois, autant éviter de revivre un moment gênant. Pourtant, plus j’avance et plus mes pas se font courts. Inconsciemment, mon corps me pousse à m’arrêter. « Et merde. » Dès le moment où nos regards se sont croisés dans l’escalier de l’hôpital, j’ai su que le courant pourrait passer entre Sofia et moi, ce serait quand même dommage de rester sur ce stupide mensonge. Je finis par faire demi-tour et me rapproche de la table où elle est installée. « Je peux ? » Dis-je, alors que son regard se lève vers moi. Avant même d’avoir sa réponse, pour éviter de lui donner l’occasion de refuser, je m’installe face à elle. « Charli. Étudiante en communication et management sportif. » Alors que ces mots quittent mes lèvres, je lui tends la main. Ma présentation ressemble énormément à celle que j’ai pu lui faire à l’hôpital et c’est bien voulu. Nous devons recommencer de zéro, alors autant bien le faire.

C’est peut-être un peu risqué de ma part de venir ici, surtout après ce qu’il s’est passé. Mais après tout, Sofia n’a rien fait de mal dans cette histoire et elle mérite bien une petite explication. Ma présentation faite, officielle cette fois-ci, la brune enchaîne, reprenant le même format que moi. Sans grande surprise, son occupation à elle n’était pas un mensonge. Je suis venue ici sans plan, sans la moindre idée de ce que j’allais pouvoir lui dire. En réalité, je crois même que je m’attendais à ce qu’elle m’envoie sur les roses. Mais qui sait, il n’est jamais trop tard pour ça. Lorsqu’elle me demande si je veux quelque chose, je panique un peu. Dans un premier temps, je pense que ma présence ici la dérange bien et qu’elle a envie d’expédier au plus vite notre discussion, mais quand je la vois me montrer les friandises qu’elle a face à elle, je respire un peu mieux. Néanmoins, elle n’est pas en reste et je m’en rends bien vite compte avec la pique qu’elle m’envoie. C’est bon enfant et c’est au moins ce que je mérite. « Non merci. Pour le chocolat. Je dois faire attention à ma ligne. » Une phrase un peu bateau, je l’accorde. Surtout qu’à première vue, beaucoup de personnes pourraient dire que je n’ai pas de soucis à me faire là-dessus. Mais je me connais et après notre première rencontre, je préfère éviter un fiasco pour la deuxième. Néanmoins, je décide de ne pas rester sans rien entre les mains et j’attrape une bouteille d’eau laissée seule un peu plus loin sur la table. « Je tenais à m’excuser pour la dernière fois. Je n’ai pas été honnête avec toi. » Il n’y a pas besoin d’avoir fait de longues études pour se rendre compte de cela, mais si je suis là aujourd’hui, face à elle alors que j’aurais simplement pu l’éviter, c’est pour mettre les choses à plat, pour repartir de zéro. « Il n’y avait rien de personnel, mais disons que sur le moment, j’ai trouvé que dire que j’étais infirmière, ça sonnait mieux qu’avouer que j’étais une patiente du service psy’. » Elle est interne, alors ce n’est sûrement pas son genre de tirer des conclusions hâtives. Mais avec les années, avec tout ce que j’ai pu entendre, notamment à l’école, j’ai appris à me protéger de tout cela. Moins je parle de mes rendez-vous avec ma psychologue et mieux je me porte. Moins les gens en savent et mieux c’est. « Pour te prouver mon honnêteté aujourd’hui, tu peux, si tu le veux, me poser trois questions et j’y répondrai. » Trois, c’est un chiffre qui me semble correct. Ni trop long, ni trop court. Je pourrais ainsi lui montrer que je n’ai pas un mauvais fond, tout en gardant un peu de mystère. « Attends.. tu es ici pour travailler ? Je ne voudrais pas que des patients meurent à cause de moi. » Le tsunami n’a pas frappé encore, s’il frappe un jour, alors on en est sûrement pas là : personne n’est entre la vie et la mort. Mais elle est peut-être volontaire ici et je ne voudrais pas être un frein à son travail.

Elle voit une psychologique elle aussi. Là, pour le coup, je reste un peu sur le cul. Avec cette révélation, je la vois différemment. Pas dans le mauvais sens du terme, loin de là. Disons que maintenant, en plus de son expertise médicale de base, j’ai l’impression qu’elle peut vraiment me comprendre. Enfin.. si elle peut me comprendre sur le fond, je ne suis pas certaine que notre approche vis-à-vis de la psychologue soit la même. Alors que je lui laisse un peu de temps pour réfléchir aux trois questions que je lui offre, je réalise qu’elle n’est peut-être pas ici pour la même raison que moi. Quand on est médecin, on est utile partout, tout le temps. Mais heureusement, avec une blague qui m’arrache un sourire, elle m’indique être en pause. La première depuis son arrivée ici. À moi de ne pas lui faire perdre son temps maintenant. Elle finit par énoncer sa première question et je reste quelque peu surprise. Je m’attendais à beaucoup de choses, mais pas à ça. Le thé est loin d’être la boisson que je consomme le plus. En réalité, j’ai plutôt tendance à boire frais que chaud. Cependant, c’est le jeu. Je lui ai laissé les commandes, alors je dois suivre maintenant. « Le thé aux fruits rouges. » C’est celui que j’ai le plus bu, celui que je partageais avec ma grand-mère certains soirs d’hiver à Stockholm. Le regard de la brune se pose sur mon sac et j’en déduis rapidement ce qui va suivre. Pour jouer l’honnêteté jusqu’au bout, je l’attrape et l’ouvre face à elle. « Mon appareil photo. » Dis-je, tout en sortant l’objet et en le déposant sur la table. « Ma brosse à dent, on ne sait jamais. » Je réalise le même geste, prenant garde à ce que le capuchon qui protège les poils de la brosse soit bien fixé. Ça serait quand même dommage d’y mettre des germes. Surtout qu’il doit y en avoir ici, ces tables sont sûrement ressorties sans être lavées à chaque nouvelle alerte. « Et.. une baguette de batterie. » Où se trouve la deuxième ? Très bonne question. Sûrement sur mon lit, à se demander à quoi elle pourrait servir sans sa moitié. J’ouvre un peu plus mon sac, mais malheureusement, il n’y a pas beaucoup de choses en plus. Des élastiques, deux-trois vêtements pris au hasard et une barre de céréales. Si nous sommes bloqués ici plusieurs jours, ce qui doit sûrement arriver, je ne donne pas cher de ma peau. « Comme tu peux le comprendre, je ne suis pas vraiment rodée avec les alertes aux tsunamis. » Alors que je repose mon sac au sol, je garde la baguette près de moi. Quand je suis nerveuse, j’aime bien jouer avec. Qui sait, ça va peut-être me servir. Il reste une dernière question et cette fois-ci, elle est un peu plus personnelle. Personnelle, sans trop l’être, puisqu’elle nous concerne toutes les deux. « Je ne pourrais clairement pas en vouloir à un tel visage d’ange. » Je rigole un peu et positionne mes mains sous mon visage pour bien montrer à Sofia de quoi je parle. Un peu d’humour avant d’entamer les choses sérieuses. « Pour être honnête, je ne sais pas. Je pense que je serais un peu furieuse et aujourd’hui, je n’aurais sûrement pas été aussi agréable que toi. » Parfois, je peux être assez sanguine. Je crois que je tiens cela de ma mère. « Je ne comprendrais pas pourquoi ça s’est passé comme cela. » La jeune femme n’avait rien demandé et sans comprendre pourquoi, ni comment, j’avais pris la fuite. « Mentir lors d’une première rencontre, ça n’envoie pas forcément une bonne image. Mais.. » La suite de cette phrase, ce n’est pas à moi de la dire. Je peux me vendre aussi bien que je le veux, si elle n’est pas d’accord avec moi, ça n’aura pas beaucoup de valeur. « Je n’ai pas un mauvais fond. » Même si j’ai menti, ce n’était pas dans le but de lui nuire. J’espère que ça pèsera de mon côté dans la balance. « Concernant notre rencontre, heureusement que tu ne m’as posé aucune question d’ordre médical : je n’y connais absolument rien ! Mais je trouve que c’est un métier remarquable. Je te trouve très courageuse. » Un sourire vient naturellement accompagner mes paroles.

Je n’ai plus le droit à l’erreur maintenant, alors je ne cherche pas à fuir face à ses questions. Des réponses originales, sans détour, il n’y a que ça de vrai, non ? Et puis, même si je ne rentre pas dans le détail, cela lui donne certaines informations sur moi. Notamment le fait que tout ce qui est en train de se passer en ce moment, ça m’est un peu étranger. « Oui et non. J’ai une double nationalité. Je suis néo-zélandaise et suédoise. J’ai passé la grande majeure partie de ma vie à Stockholm. » Avec les années, j’ai sûrement un peu perdu l’accent que j’avais en arrivant. Mais je ne suis pas bête, mon physique ne correspond pas vraiment aux personnes locales. J’essaye de faire bonne impression, je vais même jusqu’à lui dire que j’ai un bon fond. Une chose qu’elle ne remet pas en question, mais mon geste lors de notre rencontre lui laisse un goût amer. Je ne peux m’empêcher de grimacer lorsque j’entends cela. Je ne sais plus trop ce qui m’a pris sur le moment, être honnête dès le début, cela aurait sûrement été mieux. Même si j’aurais dû laisser tomber mon masque en évoquant ma psychologue. En étant trop gentille et trop honnête, comme elle le dit, elle semble mettre tout cela de côté. Une bonne chose pour moi. Néanmoins, elle aura toujours peur que je lui raconte des bobards et je ne peux pas lui reprocher. « Exactement. Je suis en deuxième année. » J’ai un an de retard. Il faut croire que mes différents séjours dans un centre pour lutter contre mes troubles alimentaires n’ont pas aidé. « J’aime beaucoup le sport, j’en pratique souvent. Mais je savais que je ne pourrais pas en faire mon occupation, je n’ai pas le niveau pour cela, alors j’ai trouvé cette alternative. On verra bien ce que l’avenir me réserve. Qui sait, je deviendrais peut-être la future agent d’un All Black. » Concernant le métier que je veux faire, c’est encore un peu flou pour moi. Je ne suis qu’en deuxième année, alors j’ai encore le temps pour bien réfléchir. Mais au fond, je crois qu’une partie de moi se plaît à être étudiante : c’est un peu moins de responsabilité qu’être dans la vie active. Vient ensuite le sujet de la musique. « Je fais un peu de batterie. Mes séances avec ma psychologue ne fonctionnent pas toujours, alors j’ai trouvé ce moyen pour me défouler un peu. Ce n’est pas très compliqué. Je n’ai qu’une baguette, mais tu peux toujours essayer de faire quelque chose sur la table. » Dis-je, tout en lui tendant le morceau de bois que je tiens. Ça ne vaut pas une batterie, c’est vrai, mais l’avantage avec cet instrument, c’est qu’il est finalement possible d’arriver à faire un semblant de mélodie un peu partout. Petit à petit, la conversation se lance et la brune craint d’aller trop loin en dépassant le quota de trois questions que je lui ai proposé un peu plus tôt. « Si mes premières réponses ne t’ont pas fait peur, tu n’es pas obligée de t’arrêter à trois questions. J’ai ta confiance à regagner, alors je me plierais à ton interrogatoire. » Faudrait-il que je l’ai déjà eu. Disons qu’avant même de me connaître, elle a eu le droit de voir l’un de mes mauvais côtés. Cependant, l’option qu’elle m’offre est tout autant intéressant : poser des questions à mon tour pour en apprendre un peu plus sur elle. « Qu’est-ce que tu fais de ton temps libre ? Quand tu ne travailles pas ou que tu ne te proposes pas pour venir rassurer une horde de personnes qui se réfugient dans les hauteurs pour fuir un tsunami. » Je l’ai vu à l’hôpital et maintenant ici, lors d’une pause, alors il est difficile pour moi de la cerner. « Si tu pouvais vivre dans un autre pays, lequel ce serait ? » Comme évoqué un peu plus haut, je n’ai pas grandi ici et voyager est un rêve pour moi. De plus, choisir un pays peut en dire long sur quelqu’un, surtout si derrière c’est motivé par une raison particulière.

Même si je l'avais voulu, lui mentir sur mes origines était compliqué. L'habit ne fait pas le moine, comme on dit, mais pour avoir la peau aussi clair que la mienne, il est impossible que je sois néo-zélandaise à 100 %. Sans hésitation, j'évoque la Suède. Elle ne l'aurait pas appris aujourd'hui, ça serait arrivé une autre fois : ce n'est pas comme si c'était un secret. Est-ce que vivre là-bas me manque ? Oui, mais je me suis faite à l'idée. Et puis, c'est surtout ma grand-mère qui me manque, c'est elle qui me rattachait vraiment à ce pays. Il y a mon père aussi, c'est sûr, mais je ne lui ai pas parlé depuis des années et c'est très bien comme ça. En réponse à sa question, je me contente de hocher la tête. Nous abordons ensuite mes études. Je ne rentre pas particulièrement dans les détails, il est inutile de l'embêter avec mes doutes. Le sport a beau être quelque chose qui me plaît, je ne suis pas pressée d'en terminer avec l'université. Pourquoi continuer là-dedans si je pense déjà comme ça ? Parce que j'ignore ce que je pourrais faire d'autres. Vient alors le sujet de la musique. Je me livre ouvertement à elle et lui propose même de s'essayer à la batterie. Enfin.. batterie est un bien grand mot puisque nous n'avons que la table et une baguette à disposition. Sofia ne se défile pas et attrape l'objet en bois que je lui offre. Elle joue quelques notes et je ne peux m'empêcher de sourire en la voyant faire. Mais très vite, elle me redonne la baguette, m'invitant à lui faire une démonstration. « La professionnelle ? Aucune pression. » Bien sûr qu'il y en a une. Même avec une batterie, je n'ai pas pour habitude de me montrer en public. Ma grand-mère, ma mère et quelques amis sont les seuls à m'avoir vu jouer. L'objet entre mes doigts, je commence à taper en rythme sur la table. Puis très vite, je rajoute mon autre main, cette fois-ci directement sur la table. Ce n'est pas exactement le même son, mais c'est aussi ce qui apporte un peu d'originalité. Toutefois, je ne m'éternise pas, ce n'est pas utile. Quand vient le moment des nouvelles questions, je reporte mon attention sur la brune. « Ah oui, tout ça. Toujours la main sur le cœur. De ce que je peux voir, tu te rapproches beaucoup de la perfection ! » Elle est médecin, elle sauve des vies et en plus de ça, quand elle ne travaille pas, elle s'occupe à venir en aide à son prochain. C'est sûr qu'à côté, avec mon mensonge, j'ai l'air d'un petit démon. Alors qu'elle évoque ses autres occupations, celles que je reconnais le plus, elle parle d'Island Bay. « En effet. Je vis à South Bay avec ma mère. Comme il t'arrive d'aller à la plage, nous nous sommes peut-être déjà croisées sans le savoir. » Au final, hormis l'histoire de mon occupation, j'ai été honnête avec elle à l'hôpital. Trop de mensonges en si peu de temps, ça ne me ressemble pas. « La prochaine fois, si tu vois une rouquine qui court, ce sera probablement moi. J'aime beaucoup aller sur la plage, notamment le soir. Avec le coucher du soleil, c'est toujours agréable de faire un footing. » À ma deuxième question, Sofia répond l'Argentine, un pays qu'elle a déjà eu l'occasion de visiter. Sur le coup, je ne peux m'empêcher de l'envier. Avoir l'occasion de voyager, aussi loin, c'est un rêve. Elle évoque ensuite sa mère et son sourire disparaît doucement. Pourtant, elle essaye de faire bonne figure, ça se voit. Inutile d'avoir fait des études pour comprendre qu'il y a quelque chose là-dessous. Alors sans plus attendre, pour éviter de rester trop longtemps sur ce sujet, je réponds à sa nouvelle question. « Je dirais la Suède. Mais ce n'est pas vraiment juste pour la Nouvelle-Zélande, je ne peux pas vraiment comparer dix-sept ans de ma vie contre quelques années ici. Je suis sûre qu'il y a beaucoup de choses que je n'ai pas encore vue. » Avec les années, j'ai commencé à m'éloigner un peu de la villa, à découvrir de nouvelles choses. Mais j'ai perdu du temps à mon arrivée, j'avais été arrachée à mon pays, alors je ne voulais pas donner de chance à celui-ci. « Si tu connais un peu le coin, peut-être que tu pourrais m'aider à faire pencher la balance vers la Nouvelle-Zélande. » Là encore, ça se rapproche un peu de notre échange à l'hôpital : déjà, ce jour-là, je lui avais proposé qu'on se revoit. « En échange, je pourrais te proposer des cours de batterie. Je ne suis pas John Bonham, mais je peux sûrement t'apprendre quelques bases quand même. » Un sourire se dessine sur mes lèvres, démontrant ainsi ma sincérité. Néanmoins, pour l'être complètement avec elle, il manque quelque chose. « On fait preuve d'honnêteté, non ? Tu devrais peut-être savoir que je ne m'appelle pas vraiment Charli. » Pour le coup, ça ne va peut-être pas dans mon sens de lui avouer maintenant que même mon prénom est un mensonge depuis le début. Enfin.. que partiellement. Même si mes papiers ont mis un peu de temps à être changés, aux yeux de la loi c'est maintenant mon prénom. « Quand je suis partie de Suède, j'ai fait la demande pour changer de prénom. Solveig a disparu et je suis devenue Charli. » Ici, il n'y a qu'Iggy et ma psychologue qui le savent. Ma famille du côté maternel aussi, mais je ne les ai jamais vus encore.

Depuis de nombreuses années maintenant, le sport rythme ma vie. Déjà en Suède, j’enchaînais plusieurs clubs pour diversifier le sport que je faisais. Je crois bien qu’en plus de mes troubles alimentaires, je devais canaliser une sorte d’hyperactivité. Ou alors, c’est juste un tout, car bien souvent, pour me déculpabiliser de ce que je mange, je fais du sport à outrance. Avec ce qu’elle me dit, je découvre que contrairement à moi, elle préfère courir le matin. C’est un choix personnel et c’est sûrement aussi rythmé par nos emploi-du-temps respectifs. Bien souvent, le matin, j’ai cours. À l’inverse de l’après-midi ou du soir, où je suis plus libre. Mais qui sait, peut-être qu’un jour, le hasard fera que nos chemins se croiseront sur la plage. Alors que mes origines ont été abordées un peu plus tôt, Sofia m’interroge sur le pays que je préfère. Naturellement, je choisis la Suède, mais ce n’est pas très fair-play pour la Nouvelle-Zélande puisque je n’ai vécu que quatre ans ici. Pour un pays aussi large et riche de différents paysages, ce n’est pas beaucoup. Je me suis acclimatée au rugby, c’est déjà ça, mais il me reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Mais sans guide, c’est d’autant plus compliqué, alors ouvertement, je lui propose de m’aider à apprécier son pays natal. Quelque chose qu’elle accepte en me proposant de m’emmener voir ses coins préférés un jour. Comment refuser une telle proposition ? En compensation, je lui offre quelques cours de batterie. Je ne sais pas comment cela se passera, on ne le saura qu’une fois la mise en pratique faite. Je décide d’être vraiment honnête avec elle. C’est peut-être une erreur, surtout avec tout ce qui a pu se passer entre nous, mais tant pis. Néanmoins, elle ne prend pas ses jambes à son cou et m’interroge sur ce qui m’a poussé à faire ça. Elle ne m’oblige à rien, elle me laisse même une porte de sortie. Une porte que je ne prends pas. « En partant, j’ai laissé une vie derrière moi. Une vie où on m’appelait Solveig. Arrivée ici, c’était.. douloureux de l’entendre de la bouche de nouvelles personnes et non plus de celles dont j’avais l’habitude. Je ne sais pas si tu comprends ce que je veux dire par là. » Prononcé à haute voix, ce raisonnement peut paraître un peu bizarre, surtout qu’il n’y a pas la raison principale. Enfin, je ne l’ai pas évoquée telle quelle. Le prénom Solveig est indirectement lié à ma grand-mère et me faire appeler comme cela ici, ça ne faisait que me rappeler ma perte. Sans que je m’y attende, ma confession entraîne celle de Sofia sur son nom. « À toutes les deux, on pourrait faire un film d’espionnage. Inutile de chercher des identités pour notre couverture, on en a déjà. » Dis-je, sur le ton de la plaisanterie. Je ne connais pas l’histoire derrière son changement et elle ne connaît pas totalement la mienne, alors autant jouer la légèreté pour l’instant. « Docteur Rogers. Ça sonne bien. » Un sourire se dessine naturellement sur mes lèvres pour accompagner mes paroles. Cet échange terminé, la brune semble se perdre doucement dans ses pensées, jusqu’à ce que son regard accroche le coucher du soleil. C’est l’une des choses qu’elle aime en Nouvelle-Zélande et ça, je ne peux pas la contredire. Elle m’invite à prendre mon appareil photo et je ne me fais pas prier pour l’écouter. Je me tourne légèrement vers le spectacle qui s’offre à nous et j’immortalise le moment. Après plusieurs clichés, je reprends ma position initiale, face à elle et je ne peux m’empêcher de prendre une photo de la brune, obnubilée par le coucher du soleil. « Tu es plutôt photogénique. » Dis-je, alors que je regarde le résultat de ce que je viens de prendre. « Ils ne cherchent pas un visage pour représenter l’hôpital de Wellington ? Sinon, je pourrais leur envoyer ce cliché. » Je repose l’appareil sur la table, entre nous deux. « Si tu n’as jamais vécu ailleurs qu’ici, je suppose que ce n’est pas ta première alerte au tsunami ? Qu’est-ce qui se passe généralement ? Je vais bientôt pouvoir rentrer chez moi ou alors, j’ai bien fait d’amener ma brosse à dents ? » Je suppose que tant que cette alerte n’est pas levée, alors il ne nous est pas recommandé de retourner chez nous. Mais on ne sait jamais, peut-être que je me trompe.

Avant de m'asseoir face à elle, jamais je n'aurais pu imaginer que les choses se passeraient ainsi. Au lieu de m'envoyer paître, la brune m'avait laissé l'occasion de lui donner une explication et de me dévoiler un peu à elle. À travers les objets que j'avais dans mon sac et avec mes propos, je laissais Sofia découvrir une partie de moi. Je gardais bien sûr un peu de mystère, notamment au sujet de ce qui m'avait amené à l'hôpital le jour de notre première rencontre. Alors que le soleil commence à se coucher, elle m'invite à utiliser l'appareil photo que j'ai déposé sur la table un peu plus tôt. Je n'hésite pas une seule seconde et m'empare de l'objet pour immortaliser ce moment. Mais pas seulement. Lorsque mon regard se pose de nouveau sur elle, l'envie me prend de la capturer elle. Bien des personnes auraient pu se braquer face à ce geste, mais pas Sofia. J'évoque le fait de devenir le visage de l'hôpital, mais ce n'est pas ce qui l'intéresse : elle veut être plus que ça. Il n'y a rien de surprenant. Quand tu décides de faire des études de médecine, c'est rarement pour avoir ta tête qui figure sur les murs d'un hôpital. La jeune femme récupère mon appareil photo et jette un coup d'œil aux clichés que j'ai réalisés. « Merci. C'est quelque chose que j'aime faire. Ça m'oblige à aller dans des endroits où je n'ai pas l'habitude de me rendre. » Quand tu veux avoir des photographies qui en valent le coup, il faut bien souvent te mettre en danger. Pas dans le sens de risquer ta vie, même si je ne serai pas surprise que cela arrive parfois. Mais tu dois aller en dehors de ta zone de confort, tu ne peux pas te cantonner à ce que tu connais, à ce que tu croises tous les jours. Pour revenir à la réalité et à ce qui nous a amené ici aujourd'hui, je l'interroge sur ce qui se passe généralement lors des alertes tsunami. Je n'ai pas encore connu cela et autant dire que j'ai juste suivi le mouvement pour l'instant. « Absolument pas. Je suis sûre que nous avons encore beaucoup à échanger. » Dis-je, alors que pour plaisanter, elle a évoqué le fait que je veuille en finir avec notre échange. Vient ensuite les explications de Sofia. Comme je m’y attendais un peu, ces mesures sont prises par précaution : il est possible que le tsunami n’arrive jamais. Je prends. Après le tremblement de Terre d’il y a quelques jours, j’ai atteint mon quota d’émotions. La brune continue, expliquant que ça peut toute fois durer longtemps et que j’ai bien fait de prendre ma brosse à dent. Au moins, j’aurais l’haleine fraîche ! Pour passer le temps, je dois pouvoir trouver. J’ai mon appareil photo, ou alors, quand Sofia sera partie, mon téléphone avec lequel je pourrais écouter ma musique. C’est un peu mince comme occupations c’est vrai, surtout si ça doit vraiment durer, mais c’est toujours mieux que rien. Et puis, il y a aussi les rencontres que l’on fait, non ? Si je ne l’avais pas croisée, j’aurais dû trouver une occupation pour les minutes passées avec elle. Voyant que le temps s’est écoulée, la brune regarde sa montre. « Tu dois partir, c’est ça ? » Il n’y aurait rien de surprenant, je l’ai déjà retenu un certain temps. « Ne t’en fais pas, je retombe toujours sur mes pattes ! Je vais envoyer un message à ma mère pour savoir où elle est. Ou alors, je suis sûre que mes amis ne sont pas loin. » De tout mon entourage, je ne dois pas être la seule à respecter les règles et à être ici. « Allez, vas-y. Va sauver des vies. Je suis sûre qu’on aura l’occasion de se revoir à un autre moment. » Dans de meilleures conditions, car camp de fortune ce n’est pas le pied.